Zitiervorschlag: Anonyme (Claude de Crébillon) (Hrsg.): "N°. 13.", in: La Bigarure, Vol.10\013 (1751), S. 97-104, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5105 [aufgerufen am: ].


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N°. 13.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Si notre nation n’étoit pas aussi variable, & aussi inconstante, qu’elle l’est dans toutes ses demarches, on seroit tenté de croire, Monsieur, que son goût est actuellement décidé & fixé pour l’étude du Droit Public. En effet, depuis quelques années, les Livres qui traitent de cette matiere sont devenus ici à la mode. Toutes les histoires qu’on nous a données, depuis ce tems, sont tournées en Morale, en Politique, en Philosophie ; & toutes les bonnes productions que le génie François enfante sont de cette espece. Il vient encore d’en paroitre ici une dans ce genre, qui a pour titre, Principes du Droit Politique, ( )1 Livre qu’on lit avec autant d’avidité, que de plaisir. Cet ouvrage, qui est en deux Tomes, est divisé en quatre parties. Dans la premiere on traite de l’origine & de la nature de la Societé Civile, de la Souveraineté en général, des caracteres qui lui sont propres, de ses modifications, & de ses parties essencielles. Dans la seconde on traite des différentes formes de Gouvernement, des manieres d’acquerir, ou de perdre la Souveraineté, [98] & des devoirs réciproques des Souverains & des Sujets. Dans la troisième on passe à l’examen des parties essencielles de la Souveraineté ; Enfin la quatrième traite des différents droits de la Souveraineté à l’égard des Etats étrangers. I. La Societé humaine est par elle même ; & dans son origine, une Societé d’égalité & d’independance. II. L’établissement de la Souveraineté anéantit cette independance. III. Cet établissement ne detruit point la Société naturelle. IV. Au contraire, il sert à lui donner plus de force. Voilà les quatre Principes fondamentaux sur les quels est appuyée toute la Doctrine de ce Livre, dont je vais vous donner quelques traits épars que je rassemblerai ici.

Si les hommes, vivant dans la Société de Nature, avoient exactement observé les Loix Naturelles, rien n’auroit manqué à leur felicité ; & on n’auroit pas eu besoin d’établir un Pouvoir Souverain sur la terre ; mais pour que ces Loix soient connues des hommes, il faut que ceux-ci fassent un bon usage de leur raison. La plûpart, abandonnez à eux mêmes, écoutent plus les préjugez & la passion. Il manquoit donc un Juge pour terminer les différends. Chacun étant Arbitre souverain de ses actions, & ayant droit de juger lui même des Loix Naturelles, cette independance ne pouvoit que produire le desordre & la confusion. Il n’y avoit personne qui put faire exécuter ces Loix. On fut obligé de se choisir des Souverains qui, en publiant leurs Loix, instruisent les particuliers des régles qu’ils doivent suivre. Chacun n’est plus Juge indépendant dans sa propre Cause. On réprime les caprices & les passions ; & les hommes sont obligez de se contenir dans les égards qu’ils se doivent les uns aux autres. . . . .

[99] Les formes du Gouvernement peuvent être reduites à deux Classes générales : aux formes simples, & aux formes composées. Il y a trois formes simples de Gouvernement ; la Démocratie, l’Aristocratie, & la Monarchie. Ces formes ont leurs déréglements. La corruption de la Monarchie s’apelle Tirannie ; l’Oligarchie est l’abus de l’Aristocratie ; & l’abus de la Démocratie se nomme Ochlocratie ; mais ces mots marquent moins un veritable defaut, qu’une maladie dans l’Etat, que quelque passion, ou quelque mécontentement particulier, dans ceux qui les employent. Mais quelle est la meilleure forme de Gouvernement ? Herodote nous raconte ce qui se passa dans le Conseil des sept Sages de Perse quand il fut question de rétablir le Gouvernement après la mort de Cambyse, & la punition du Mage qui avoit usurpé le Trône, sous prétexte qu’il étoit Smerdis, fils de Cyrus. Otanez opina qu’on fit une Republique de la Perse ; Megabyse parla pour l’Aristocratie, Darius fut pour la Monarchie ; & son opinion fut approuvée. Dans les Etats où les peuples ont quelque part au Gouvernement, tous les particuliers s’interressent au bien public. Lorsqu’Annibal eut gagné quatre Batailles sur les Romains, & qu’il leur eut tué plus de deux cents mille hommes ; lorsque, à peu près dans le même tems, les deux braves Scipions eurent été taillez en piéces en Espagne, outre plusieurs pertes considerables sur mer, & dans la Sicile, qui est-ce qui auroit jamais pensé que Rome auroit pu encore résister à ses ennemis ? Cependant la Vertu de ses Citoyens, l’amour qu’ils portoient à leur Patrie, l’interêt qu’ils prenoient au Gouvernement, augmenterent les forces de cette Republique, au milieu de ses calamitez, & enfin elle surmonta tout. Rome néanmoins [100] a péri par les mains du peuple. La Royauté lui avoit donné la naissance ; les Patriciens, qui composoient le Senat, en l’affranchissant de la Royauté, l’avoient rendue Maitresse de l’Italie ; le peuple arracha peu à peu, par le moyen de ses Tribuns, toute l’autorité du Senat. Des lors on vit la Discipline se relâcher, & faire place à la licence ; enfin cette puissante République, qui commandoit à presque tous les Souverains du Monde, fut conduite insensiblement, par les mains mêmes du peuple, à la plus basse servitude. . . . . .

Un Parlement à qui un Prince ordonneroit d’enregistrer un Edit manifestement injuste, doit, sans contredit, refuser de le faire. J’en dis autant d’un Ministre d’Etat que son Maitre voudroit obliger à expedier, ou faire exécuter, quelque ordre inique, ou Tirannique ; d’un Ambassadeur à qui son Maitre donne des ordres d’une injustice manifeste, ou d’un Officier à qui le Roi ordonneroit de tuer un homme dont l’innocence est claire comme le jour. Dans ces cas là, il faut montrer un noble courage, & résister de toutes ses forces à l’injustice, même au peril de tout ce qui peut nous en arriver ; parce qu’il vaut mieux obeir à Dieu qu’aux hommes. Il y a, là-dessus, un beau passage dans une Tragedie de Sophocle : Ebene 3► Je ne croyois pas, dit Antigone à Créon Roi de Thebes, que les Edits d’un homme mortel, comme vous, eussent tant de force, qu’ils dussent l’emporter sur les Loix des Dieux mêmes : Loix non écrites, à la verité ; mais certaines & immuables ; car elles ne sont pas d’hier, ni d’aujourd’hui. On les trouve établies de tems immémorial ; & personne ne sçait quand elles ont commencé. Je ne devois pas donc, par la crainte d’aucun homme, m’exposer à la punition des Dieux. . . . ◀Ebene 3

[101] Un moyen très propre à entretenir & augmenter, dans un Etat, le nombre des habitans, est la liberté de Conscience. La Religion est un des plus grands avantages de l’homme. Tous les hommes l’envisagent sur ce pied-là. Tout ce qui va à leur oter la liberté, à cet égard, leur paroit insuportable. Ils ne sçauroient s’accoutumer qu’avec peine à un Gouvernement qui les Tirannise là-dessus. La France, l’Espagne, & la Hollande presentent aujourd’hui des preuves sensibles de la verité de ces remarques. Les persecutions ont fait perdre à la premiere une très grande partie de ses habitants ; ce qui l’a considérablement affoiblie. La seconde se trouve presque dépeuplée aujourd’hui ; & cette dépopulation est causée, principalement, par cet établissement barbare & Tirannique qu’on apelle l’Inquisition, établissement également outrageux à la Divinité, & pernicieux à la Société humaine, & qui a fait, d’un des plus beaux païs de l’Europe, une espece de Desert. La troisième enfin, en procurant, non seulement à tous ses Sujets, mais à tous ceux encore qui viennent se refugier dans son sein, une entiere liberté de Conscience, qu’elle offre à tout le monde, s’est considerablement augmentée au milieu même des guerres & des disgraces ; elle s’est elevée, pour ainsi dire, sur les débris des autres ; & elle jouit d’un credit & d’une prospérité dont elle est redevable au nombre de ses habitants qui lui ont apporté, tout à la fois, la force, le commerce, & les richesses.

A propos du Droit Politique, & de la Hollande, on vient de nous annoncer, de ce païs-là, le premier Tome d’un gros Ouvrage au quel nos Avocats, & autres gens de Robe préparent une place dans leurs Cabinets. C’est une Collection, [102] en cinq Volumes in folio, qui a pour titre Nouveau Tresor de Droit Civil & Canonique, contenant divers Ouvrages, très rares, composez par les plus habiles Jurisconsultes & en particulier de France & d’Espagne, tirés de la Bibliotheque de M. Gerard Meerman, Jurisconsulte & Syndic de la Ville de Roterdam, à la Haye chez P. de Hondt. Metatextualität► Comme je ne crois pas que vous ayez, non plus que moi, beaucoup de goût pour ces sortes de livres, dans les quels vous n’avez peut-être jamais mis, & ne mettrez jamais le nez, je me contenterai de vous dire ici, ◀Metatextualität que nos gens de Robe, sur la simple annonce qu’on leur en a fait, en font beaucoup de cas, & qu’ils esperent y trouver des beautez, que nous y trouverions sans doute aussi bien qu’eux, si nous avions leurs yeux, leur goût, & leurs lumieres ; mais, comme le dit une Poëte,

Ebene 3► Trahit sua quemque Voluptas. ◀Ebene 3

Metatextualität► Comme je connois le votre, Monsieur, & que je m’y conforme, autant que je le puis, dans mes Lettres, voici un autre Livre, beaucoup moins volumineux, & dont je crois que vous vous accommoderez beaucoup mieux. ◀Metatextualität C’est un Recueil de Poësies Sacrées & Morales, qui, entre autres choses, contient les plus beaux endroits des Propheties d’Isaye, mis en Stances Irregulieres. C’est dommage, pour l’Auteur de ces Poësies, que nous ayons lu celles que le célébre M. Rousseau a faites dans ce genre. On feroit pour lors beaucoup plus de cas des siennes, dans lesquelles il y a de fort beaux endroits. Vous en pourez juger par les deux échantillons que voici. Le premier contient les devoirs des Juges.

Ebene 3► Vous, images de ma puissance,

Ombres de ma Divinité.
Vous qui devez de l’Equité
[103] Peser les droits dans la balance.
Pourquoi, vous dit Dieu, du Pécheur
Osez-vous prendre la deffense,
Faussement éblouis de son éclat trompeur ?
Votre Ministere sublime
Veut que vous soyez le soutien
De ceux dont on ravit le bien,
Et des innocents qu’on opprime ;
Rejettez ces dons dangereux
Qui peuvent vous induire au crime
Et des mains des méchants sauvez les malheureux.
◀Ebene 3

Voici le second échantillon, dans le quel le Prophete & le Poète décrivent quelques uns des revers que l’on voit tous les jours arrive dans le monde,

Ebene 3► Tel aujourd’hui manque de pain

Qui, le jour précédent, vivoit dans l’opulence ;
Et ceux que tourmentoit la plus cruelle faim
Se trouvent, au contraire, au sein de l’Abondance.
Telle étoit affligée, en sa stérilité.
Dont le cœur d’allegresse est soudain transporté
De voir croitre autour d’elle & son fils & sa fille,
Tandis qu’une autre, helas ! pleure le triste sort
De la plus nombreuse famille
Que le Ciel livre en proye aux fureurs de la Mort.
◀Ebene 3

Metatextualität► Puisque je suis dans la Morale, à celle que vous venez de lire, Monsieur, j’en joindrai une autre qui, pour avoir été mise sous le nom d’un Payen, des plus Payens, n’en est pas pour cela moins digne de notre respect & de notre estime. Je la tirerai d’une Traduction qu’on vient de nous donner, en Vers François, des Preceptes Moraux de Caton ; traduction dont la beauté surpasse de beaucoup l’Original *2 . Vous en juge-[104]rez vous même par ceux ci, que j’ai tirez au hazard. J’y ai joint les Distiques Latins, afin que vous puissiez plus aisément comparer les uns avec les autres, ◀Metatextualität

I.

Ebene 3► Rumores fuge, ne incipias novus author haberi ;

Nam nulli tacuisse nocet, nocet esse locutum.

Ne prends point part aux bruits que seme le Vulgaire,

De crainte de passer pour en être l’auteur.
On ne risque rien à se taire.
Et souvent pour parler on cause son malheur.

II.

Corporis exigui vires contemnere noli ;

Consilio pollet cui vim Natura negavit.

Un homme est-il petit, & de mince figure,

Ne le méprisez point sur ces simples dehors.
Souvent l’auteur de la Nature
Dédomage l’esprit de ce qu’il ote au Corps.

III.

Exiguum munus cum dat tibi pauper Amicus

Accipias placide, & plane laudare memento.

Le present qu’un Ami t’offre en son indigence,

Quelque petit qu’il soit, reçois-le avec bonté ;
Et pour premier effet de ta reconnoissance,
Vante sa libéralité. ◀Ebene 3

(La suite dans le Numero suivant.) ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1( ) Ouvrage Posthume de Mr. Burlamaqui, en un Volume in 4. en 2 vol. in 8. qui se vend chez P. Gosse Junior à la Haye.

2Ces Preceptes ne sont point l’Ouvrage du célébre Caton, surnommé le Censeur, ni d’aucun autre Romain de ce nom, ni de cette race. Le stile seul des Vers en est une des preuves des plus convaincantes qu’on en puisse donner. C’est celui d’un Auteur Chrétien, inconnu, & qui, à en juger par sa Latinité, paroit avoir vécu dans le VII. Ou VIII. Siecle. Il lui aura donné ce titre pour faire à son ouvrage, dont le fond est excellent, une plus grande réputation. Ce n’est pas pour la premiere fois que cela s’est pratiqué parmi les Ecrivains, & ce n’a pas été la derniere. On en voit de tems en tems encore parmi nous des exemples.