Zitiervorschlag: Anonyme (Claude de Crébillon) (Hrsg.): "N°. 8.", in: La Bigarure, Vol.10\008 (1751), S. 61-66, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5100 [aufgerufen am: ].


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N°. 8.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Metatextualität► HE’ bien, Monsieur l’incredule ! Me soutiendrez-vous encore, comme vous avez fait dans plusieurs de vos Lettres, que notre Cour aura le dessous dans l’affaire qu’elle a, depuis plus d’un an, avec notre Clergé ? Me direz-vous encore que ce Corps, qui dans les siécles passez s’est rendu formidable à ses Souverains mêmes, & qui, selon vous, est encore aujourd’hui, à peu près, dans les mêmes principes, surtout dans les affaires où il est question de ses interêts temporels, ne les sacrifiera point aux ordres, ni aux volontez de son Roi ; qu’il ne se désistera point de l’indépendance dans la quelle il se dit être à cet égard ? Enfin me soutiendrez-vous encore que ces Messieurs, par leur obstination à ne se point départir de leurs prétentions, par leurs sollicitations, leurs intrigues, & leurs cabales, obligeront S. M de révoquer l’ordre qu’Elle a donné, il y a bientôt un an, de faire parvenir à ses Ministres, dans l’espace de six mois, une Déclaration exacte de tous les biens qu’ils possedent dans ses Etats ?

Vous vous en êtes flatté jusqu’à ce jour, aussi bien que les Messieurs de votre societé, dont vous m’avez quelquefois communiqué sur cela [62] les avis, qui étoient, sur ce point, conformes à ceux de bien d’autres personnes qui jugeoient du succès de cette affaire par les exemples passez. Mais tout change, Monsieur, avec le tems. ◀Metatextualität Les Rois ne sont plus aujourdhui en brassiere, comme ils y étoient autrefois tenus par une prétendue piété, aussi ridicule que peu éclairée ; leurs peuples ne sont plus dans cette ignorance stupide dans la quelle on les élevoit sous le spécieux prétexte de la Religion ; le bandeau de la superstition, qui en étoit la suite, est aujourdhui levé, du-moins dans sa plus grande partie ; & si l’on ne consulte, si l’on ne suit pas en tout les lumieres de la Raison, du-moins commence-t-elle enfin à se faire entendre, & à éclairer le monde.

C’est, sans doute, en conséquence de cette révolution, qu’il a falu des siécles pour amener, que, malgré tout ce que notre Clergé a pu dire & alléguer, malgré tout ce qu’il a pu faire pour engager, notre Cour à se désister de ses pretentions, il n’a pu rien avancer dans cette grande affaire qui lui tenoit si fort au cœur. En effet S. M. vient de faire expedier des ordres dans toutes les Provinces de son Royaume pour la levée effective des impositions sur le Clergé. Par ces mêmes ordres il a été enjoint aux Intendants de ces mêmes Provinces de sommer tous les Ecclésiastiques, tant du premier, que du second Ordre, tant Seculiers, que Reguliers, possedants des biens ou des Bénéfices dans l’étendue de leurs departements, de donner des déclarations exactes de leurs revenus ; faute de quoi, les dits Intendants seront autorisez à en faire la saisie, au nom du Roi, à la charge, qu’ils leur en reserveront seulement la portion qui sera par eux jugée nécessaire pour la subsistance de ceux qui les possedent.

[63] Metatextualität► Que vont penser vos Brabançons, Monsieur, de cette Nouvelle, qui est ici publique, & que l’on assure être des plus authentiques ? ◀Metatextualität J’ai vu un tems (je ne sçai s’ils sont encore dans les mêmes prejugez sur cet article), j’ai vu, dis-je, un tems où ces bonnes gens, presque idolâtres du Clergé & du Monachisme, auroient traité notre Cour de Huguenote à bruler, si elle avoit fait alors une semblable démarche. Leur maniere de penser ne m’étonnoit point dans ce tems-là. Nous en aurions dit autant nous-mêmes, il y a environ deux cents ans ; mais Autre Tems, autres Mœurs ; & cela pour les raisons raportées ci-dessus. Quoiqu’il en soit, par cette demarche vigoureuse, notre Cour a trouvé le veritable moyen de se faire obeir. S’il est mis en exécution, je puis bien vous jurer d’avance, Monsieur, sans craindre d’être parjure, que malgré tout leur zèle à soutenir la soi-disant immunité Sacrée des biens Ecclésiastiques, les Ministres de S. M. en auront la liste dans leur Cabinet avant qu’il se soit écoulé deux mois. Je ne puis vous en donner ici de meilleur, ni de plus sûr garant, que l’attachement même que l’on voit à ces Seigneurs, depuis tant de siécles, pour ces mêmes biens, leur attention à les conserver, à les augmenter, & plus encore à en consommer les revenus. En effet pour peu qu’on réfléchisse sur toutes ces choses, il n’y aura personne qui se persuade qu’aucun d’eux porte l’obstination & la desobéissance jusqu’au point de se reduire, par son entêtement, à une simple pension alimentaire qui lui sera adjugée suivant la fantaisie d’un Intendant de Province. Avoir de pareilles idées, ce seroit ne pas connoitre le cœur de l’homme en général, le quel, [64] quoiqu’on en puisse dire, est toujours prêt à tout faire quand il est question de se procurer sur la terre une situation heureuse, telle que les richesses nous la procurent ordinairement ; surtout quand il ne faut, pour cela, que s’aquiter d’un devoir legitime & même indispensable.

Quid non mortalia pectora cogit

Auri sacra fames !

Cette grande affaire, qu’on peut regarder comme terminée, n’est pas la seule qui ait occupé notre Cour depuis le retablissement de la Paix. Il est un autre abus, qui n’est pas moins à charge à l’Etat, & au peuple, que notre Ministere n’a pas moins jugé digne de son attention, & à la réforme du quel on assure qu’il va travailler efficacement. Cet abus est celui de la multitude des Monasteres qui sont dans ce Royaume, & du tort qu’ils lui font. Metatextualität► Comme je ne doute point que vous ne lisiez quelquefois les Nouvelles publiques, vous me permettrez, Monsieur, de vous faire ressouvenir ici que vous avez dû y voir, il y a quelque tems, que notre Cour songeoit à prendre aussi sur cette affaire certains arrangements, principalement à l’égard de ceux de nos Religieuses. ◀Metatextualität C’est un fait constant qu’on a deffendu à plusieurs de recevoir de nouveaux sujets ; qu’on en a même détruit quelques uns. Le bruit a couru qu’on étoit sur le point de fixer à vingt deux ans l’âge pour y être reçu à l’avenir. Enfin S. M. a fait publier un Edit plein, à la verité, de très sages précautions contre les gens de main morte ; mais qui tombe, par de certains côtez, si directement sur les Religieuses, qu’il donne à penser qu’on a, au moins, quelque dessein à leur égard. Or quel pourroit être ce dessein ? [65] Ce n’est surement pas celui de les supprimer. Sa Majesté a trop de piété, & en qualité de Roi Très Chrétien n’a garde de faire ce tort à l’Eglise. Nos Religieuses en sont la plus belle portion ; & quoique leur état ne soit pas absolument essentiel à la Religion, elles y tiennent cependant de si près, que les supprimer, ce seroit ôter aux peuples l’exemple de la pureté de ses mœurs, la preuve sensible & parlante qu’on peut pratiquer, à la lettre, les loix de sa Morale & oter aux fidelles une des voyes par les quelles ils peuvent aller plus surement à Dieu. Il est donc certain que le Roi ne veut que regler leur établissement, y reformer quelques abus que tout le monde y voit ; & il suffit d’être bon Citoyen pour applaudir à ses louables intentions.

Ces réflexions, qui paroitront solides à tous les esprits judicieux, ont engagé une personne, aussi respectable par le rang qu’elle tient dans le monde, qu’estimable par ses vertus, son génie, & ses talents, à composer sur ce sujet un Mémoire, parfaitement bien raisonné, dans le quel elle se propose en qualité de bon Citoyen, d’aider le Ministere à remplir le but que S. M. Très Chret. paroit avoir en vue ( )1 .

Ebene 3► « Nos Religieuses, dit l’Auteur de ce Mémoire, de la façon dont elles sont aujourd’hui, nous nuisent considérablement, sans nous être autrement utiles que par l’exemple édifiant d’une conduite assez reguliere en général. Mon dessein est de nous les rendre de tout point utiles, sans nous étre nuisibles en aucun. Elle nous sont nuisibles par la depense excessive des Dots qu’elles nous coutent ; & mon premier objet, dans ce Mémoire, est de nous procurer l’exemtion des Dots, & d’ôter toute puissance d’acquerir à un Corps qui peut tout acquérir. Elles ne nous sont pas suffisamment utiles, par ce qu’elles n’ont [66] point de fonctions qui se raportent directement à notre utilité ; & mon second objet est de leur en donner, en les appliquant à l’éducation de toutes les filles du Royaume. Exemptions de Dots, & parfaite éducation de toutes les filles, voilà quel est le double objet de ce Mémoire. Il ne s’agit de rien moins que d’épargner à l’Etat, chaque année, plus de trois millions qu’il lui en coute pour faire ses filles Religieuses, & de lui donner dix huit cents Maisons, Communautez, ou Colléges, pour l’éducation gratuite de toutes ses filles, Nobles, ou non Nobles. Un Mémoire qui a un double objet si important, & qui le remplit, ne mérite pas, de quelque part qu’il vienne, d’être dédaigné ». ◀Ebene 3

Non, assurément, Monsieur, il ne mérite nullement qu’on le dedaigne ; & la lecture que j’en ai fait m’en a bien convaincu. J’ajouterai méme que l’exécution de ce nouveau plan, qui ne pouroit deplaire qu’à celles de nos Religieuses qui n’aiment point à s’occuper, mettroit le comble à la gloire de notre Roi qui semble, depuis un tems, s’être proposé d’immortaliser son regne par des actions & des établissements extrêmement utiles à son peuple. Quelle gloire ne seroit-ce pas effectivement pour ce Prince, s’il assuroit, par celui-ci, à son Royaume une pepiniere innombrable de jeunes éléves destinées à perpétuer, dans ses Etats, des Sujets qui, de génération en génération, béniroient sa mémoire, & auroient pour lui toute la vénération & la tendresse que des enfants doivent à leur Pere.

Il est vrai que cet établissement rencontreroit quelques difficultez, par l’opposition qu’y pouroient apporter certaines personnes ennemies de toutes les reformes qui les incommodent : Mais, comme un de nos Poëtes Modernes le fait dire à Louis XV. Même.

Ebene 3► Si les plus grands desseins ont les plus grands obstacles,

Les obstacles vaincus enfantent des Miracles ( )2 . ◀Ebene 3

D’ailleurs lorsqu’il s’agit du bien général de tout un Royaume, les murmures de quelques filles, ou femmelettes, doivent-ils traverser, encore moins faire abandonner, un projet aussi important, & aussi généralement utile, sur tout dans un Etat Monarchique, où le Souverain peut faire à ses Sujets tout le bien qu’il juge à propos, sans que qui que ce soit ait droit de s’y opposer, ni même d’y trouver à redire ?

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 2 Juin 1751.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1( ) Ce Mémoire se trouve à la Haye chez P. Gosse, Libraire de S. A. R.

2(a) M. Marmontel, dans son Poème sur l’établissement de l’Ecole Militaire. Voyez le N. 3. de ce volume pag. 17.