Article V. Armand de Boisbeleau de La Chapelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer Herausgeber Michael Hammer Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Mitarbeiter Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Pia Mayer Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 30.07.2019

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Armand de Boisbeleau de La Chapelle: Le Philosophe Nouvelliste, traduit de l’Anglois de Mr. Steele par A.D.L.C. Tome Second. Amsterdam: François Changuion 1735, 40-52, Le Philosophe nouvelliste 2 005 1735 Frankreich
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Article V.

Du Samedi 9. au Mardi, 12. Juillet 1709.

Du Caffé de Guillaume, 11. Juillet.

La Ville est toute consternée des Informations que l’on fait en justice contre Il s’agit de Mylord Wenman, qu’une de ses Parentes voulut faire déclarer imbecile, afin d’avoir la regie de ses biens. La Cour trouva l’affaire odieuse, maintint ce Seigneur, & l’affaire ne fit pas honneur à la Dame. Les Lords Wenman portent le Titre de Vicomte de Tuam, dans la Province de Galway en Irlande.un Seigneur à qui l’on dispute assez de bon sens pour jouïr de son bien. Tout le monde sent que cette affaire tire à conséquence pour quantité de personnes. On dit que ce Seigneur a fait dans sa jeunesse de fort mauvais marchés, & que cela sert de preuve à ses Parens qu’on ne peut lui conserver son Patrimoine qu’en l’en dépouillant. Or voila précisément ce qui jette l’allarme. Nous avons à Londres une infinité de gens que l’on pourroit poursuivre avec plus de raison. Malgré des preuves semblables d’imbecillité, ils ne jouïssent pas seulement de ce qu’ils ont hérité de leurs Peres, mais on les laisse encore en pleine possession de ce qu’ils ont aquis par eux-mêmes. A présent ces gens-là ne sont pas en sureté. Un de nos Amis a déjà intenté un procès de cette nature à son Oncle, qui par son industrie, ou plutôt par quelque sortilege a gagné cinquante mille Livres Sterling. Il expose à la Cour que pendant tout le temps qu’il a fallu pour faire cette fortune, son Oncle n’a jamais ni dit ni fait la moindre chose où il y eût une ombre de raison ; & que par conséquent il ne peut être habile à posséder les aquisitions qu’il a faites. Le Neveu a de plus ajouté au Factum deux Epigrammes, qui font voir, en peu de mots, la justice de ses prétentions sur ce bien, & son habileté à le dépenser. Je crains pourtant que, dans ces Piéces, il n’ait avancé certaines choses qui paroitront revoltantes. Il y soutient qu’un Homme n’est pas moins Idiot pour être un peu Fripon, & que l’abus qui se fait de la Raison n’est pas une moindre capacité civile que la privation même de cette Raison. Je l’ai averti qu’on ne lui paroissoit point cet Article. Mais les gens d’esprit ont si bonne opinion d’eux-mêmes, qu’ils ne prennent conseil de personne. Celui-ci s’en tient à l’autorité de Salomon, qui prend les termes de fou, & de méchant pour des Expressions synonymes, & qui donne le nom commun de folie à tous les oublis actuels du devoir. Fier d’une décision qui lui paroît si claire, il en conclut invinciblement que les Friponneries de l’Oncle n’empêchent point qu’il ne soit un homme à mettre aux petites Maisons.

Comme on s’entretenoit de cette affaire, dans la Salle de ce Caffé, où il ne vient guere que des Beaux-Esprits, un jeune Avocat a dit gravement qu’il ne falloit pas confondre les Fous avec les imbécilles ; que la Regie des premiers appartenoit à la Chancelerie, & que celle des autres regardoit la Couronne. Ce Paradoxe a mis presque tout le monde en colère, & l’on ne croiroit pas combien on s’est recrié contre le Jurisconsulte. Vraiment, a dit entre autres le vieux Renault, vous nous la baillez belle avec vos distinctions ! Quelle en est la raison, s’il vous plait ? Pourquoi voulez-vous que l’Idiot soit un Courtisan plutôt que le Lunatique ? De mon temps c’étoit le contraire. L’Auteur veut parler de la Cour de Charles II. dont la débauche fut très-grande & très-publique.Les fous brillaient plus à la Cour que les sots. On ne s’y mettoit en réputation d’esprit qu’autant que l’on étoit Garnement, Batteur de pavé, que l’on faisoit la nuit de fracas dans les ruës, & que l’on cassoit de vitres. Je me souviens sur tout d’un Seigneur de cet ordre qui fut ivre, sans discontinuer, pendant cinq années. Tous ses Compagnons lui porterent envie, & leurs Successeurs lien n’en approchent pas de cent lieues. Si ce Seigneur étoit encore vivant, je voudrois bien savoir si l’on oseroit mettre les Imbeciles à la place d’honneur ?

Le bon Homme ayant fini sa harangue, une personne de poids m’adressant la parole, Ceci, Monsieur, m’a-t-il dît, vous regarde. Vous pourrez en faire un bon Article dans vos Feuilles Volantes, & si vous priïez Pacolet de dissequer le Cerveau de tous les Hommes, il se trouveroit peut-être qu’une Fibre, très-petite, & presque imperceptible met toute la difference entre l’Idiot, & le Ministre d’Etat. Nous devrions donc tirer le voile sur ces infortunés individus de la Nature Humaine, que se meuvent sur la terre sans avoir ni Sens-Commun, ni Raison qui les guident, comme il faudroit détourner les yeux, avec horreur, de ces indignes Mortels, qui peu contens d’abuser de leur Esprit, & de leurs lumieres, s’étudient même à vivre constamment d’une maniere qui leur soit opposée. Depouillera-t-on de son bien cet Homme foible, parce qu’il est indolet & credule ; qu’il craint de faire des dettes ; qu’il n’en conte point à ses Voisines, & qu’il se borne aux soins de son petit menage, pendant que l’on estimera dans tout son Bon-Sens, un autre Homme qui n’en montre plus que le premier qu’en ce qu’il fait le contraire, & qui par conséquent devroit être mis sous sa Tutele, si le Vice & la Vertu décidoient de la chose. La Vieillesse ne nous ramene-t-elle pas tous à la simplicité de ce Seigneur, dont l’affaire est la Nouvelle du jour ?

A dire le vrai, nos Loix ne me paroissent pas exemptes de bizarrerie dans les définitions quelles donnent, à cet égard, du Droit de possession, & de l’exercice actuel de ce Droit. Elles attribuent au Prince la Regie des Idiots, & jusques là j’avoue qu’elles ont raison. L’honneur des Maisons Nobles est moins exposé. Les biens en sont plus à couvert. On a moins à craindre dès injustices de la Couronne, & plus à esperer de sa protection. Mais d’où vient que l’on n’a pas menagé la même ressource, pour une Personne, qui avec des qualitez que le Public admire, ne se sert de ses yeux & de sa Raison que pour dissiper son Patrimoine, & que pour deshonorer sa naissance ? Chose étrange ! On punit l’Imbecille ignorant, & l’on fait grace à l’Idiot vicieux !

Mr. Locke a dit Liv. II. Chap. XI. Sect. 13. pag. 111. de l’Ed. Françoise Amit. 1729. «  Ce qui fait la différence qu’il y a entre les Imbecilles & les Fous, c’est que les Fous joignent ensemble des Idées mal assorties, & forment ainsi des Propositions extravagantes, sur lesquelles néanmoins ils raisonnent presque point. » Dans l’Original de l’Edit. de Londres 1706. la citation est au Chap. XII. Sect. 14. pag. 94.quelque part que la difference, entre l’Imbécille & le Fou, consiste en ce que l’Imbécille pose bien & conclut mal, au lieu que le Fou pose mal & conclut bien. On rapporte donc à la premiere Classe, celui qui voyant son Camarade endormi, lui coupa la tête, & puis la cacha pour voir ce qu’il diroit à son reveil de ne la pas retrouver. Croire qu’un Homme qui se reveilleroit en cet état, seroit fort étonné de se trouver sans tête : c’est penser fort juste. Mais s’imaginer que l’on puisse se reveiller après que la tête est coupée, voilà l’Imbécillité. Le Fou procède autrement, il se croit Prince, & en cela il se trompe. Mais il ne se trompe point dans les conséquences qu’il tire de ce faux Principe, il fait le Prince, il parle en Prince, il veut qu’on le traite en Prince, & tout couché qu’il est sur la Paille il entend que son rang soit respecté. On renferme ces deux Espèces d’Hommes. Mais pourquoi en tolerer tant d’autres qui étant capables de poser vrai, & de conclure bien, sont néanmois tout à la fois, & fous & Imbéciles ?

De mon Cabinet, 11. Juillet.

Quelques Dames sont venues rendre visite ce soir à ma Sœur. La Conversation, qui n’a d’abord roulé que sur des choses indifferentes, ou que sur les Nouvelles, est enfin tombée sur la grande affaire du Sexe. On voit bien que je veux parler de l’amour, Sappho, qui prime toujours dans ces occasions, y a étalé ses Lectures. Il ne se peut rien de plus tendre, a-t-elle dit, que ce qui se trouve dans Suckling, & dans Milton sur le même sujet. Dans l’un & dans l’autre, il s’agit d’exprimer la respectueuse passion d’un Amant vertueux. Le premier dans sa Tragédie, intitulée Brennoraut, introduit le Galant qui s’est glissé doucement dans la Chambre où sa Maitresse est couchée. On voit sur le lit cette Belle profondement endormie. L’Amant a tiré le Rideau pour la contempler à son aise. Cet objet charmant le ravit hors de lui-même, il en est dans les trans-ports les plus vifs ; mais sa Passion sage, & ce Sommeil même, qui auroit tenté un autre d’en abuser pour satisfaire des desirs criminels, lui donne de tout autres pensées, il n’y voit qu’une image de la morte qui le fait trembler pour ce qu’il aime. Ecoutez ce que le Poëte lui fait dire :

Tel l’Avare, à l’aspect du Metal précieux Qui posséde son cœur, & qui charme ses yeux, Du soin de l’avenir sa joye est combatuë, Ce qu’il voit le ravit, ce qu’il prévoit le tuë, Et son plaisir present le cede à la douleur De perdre un jour cet Or qui fait tout son bonheur. O ! comment contenir les transports de mon ame, En voyant de si près cet Objet de ma Flame ? Que de charmes, grands Dieux ! Quels traits ! Faut il, helas ! Qu’un Ouvrage si beau soit sujet au trepas, Et roule avec le temps dans l’affreux précipice, Où tout va se confondre ? O Ciel ! quelle injustice ! Quel dommage ! &c.

Milton a représenté les mêmes sen-timens d’une autre maniere, pendant qu’Eve dort, il peint Adam, s’appuyant la tête sur sa main, pour contempler tous les appas de son Epouse, & les yeux qu’il lui donne sans cette occasion sont pleins de l’amour, & du soin le plus tendre.

Adam, de ces regards, où se peint tout le cœur, La contemple panché tendrement &c.

C’est là, Mesdames, la seule Passion qui mérite véritablement le nom d’amour. Les sentimens en sont plus nobles que ceux que l’Amitié même, tant ils sont purs & desinteressés. Sappho se préparoit à continuer sur ce ton, lors que ma Sœur l’a interrompuë, pour lui dire une Lettre qu’elle reçut pendant mon absence. Ce n’étoit pas changer tout-à-fait de conversation ; car cette Lettre est à l’honneur du Mariage, & c’est principalement dans cet état-là, que regne la belle Passion qui venoit d’être peinte.

« Mademoiselle,

Pendant l’absence de Mr. votre Frere, je prends la liberté de vous écrire, ce que je pense, d’un Etat dans lequel toutes les personnes de notre Sexe sont entrées, ou souhaitent d’entrer, il ne faut pas être sorciere pour deviner que c’est du Mariage. Je ne me suis trouvée, il n’y a que peu de jours, avec deux de mes Amies qui le décrioient d’une étrange maniere, j’eus assez de peine à défendre ma These. Cependant je fis ce que j’ai ouï dire à Mr. votre Frere, que faisoit Socrate, je profitai de ce que l’on m’accordoit, pour en conclure ce que l’on me contestoit. Ces Demoiselles me dirent en plaisantant qu’il y avoit deux beaux jours dans l’hymenée, l’entrée & la sortie, & voici comme je tournai cette plaisanterie contre elles-mêmes.

Si l’Hymen, des deux jours possede l’avantage, Le premier de la Nôce, & l’autre du Veuvage, Tout le mal que l’on dit de cet Etat charmant En est une image infidelle, Puisque la fin en est tout aussi belle Que le fut le commencement.

Elle se rendirent à ce profond raisonnement, & si vous trouvez qu’el-les se payerent de peu de chose, vous jugerez bien aussi à leurs déclamations contre le Mariage, que ce n’étoit pas plus grands génies. Je suis tout à vous,

Mariane. »

Je remarquai que Sappho rougissoit à la lecture de cette Lettre. S’adressant donc à une Dame, qui badinoit alors avec un petit Chien, qu’elle porte partout, & dont elle est folle, En vérité, dit-elle, je ne saurois blâmer les Hommes de ce qu’ils se font de nous de si petites Idées. Je suis même surprise qu’il y en ait un si grand nombre, qui puissent se résoudre à nous prendre pour leurs Compagnes, quand ils voyent que nous plaçons si mal notre Cœur & nos caresses. Je sai, Mademoiselle, que Mr. Truman donneroit la moitié de son bien pour le quart des douceurs que vous dites à cette Bête. Vous vous êtes vantée d’avoir pleuré, l’autre jour, de ce qu’elle avoit la Colique pour avoir mangé du Lait aigre. Que pourriez-vous faire de plus pour un Amant ? Ce que je pourrois faire de plus ! répondit vivement la Belle. Il n’y a pas un seul Hom-me, en Angleterre, pour qui j’en voulusse faire la centiéme partie ? En prononçant ces mots, elle prend son Chien, le serre entre ses bras, le mange de baisers, l’appelle, Joli, Mon Cher, Monsieur, mon petit Garçon, mes Amours, & mille autres impertinences semblables. Sappho se leve, & se retire. C’est sa coutume lorsqu’elle voit faire à son Sexe des choses qui le rendent méprisable au nôtre.

Article V. Du Samedi 9. au Mardi, 12. Juillet 1709. Du Caffé de Guillaume, 11. Juillet. La Ville est toute consternée des Informations que l’on fait en justice contre Il s’agit de Mylord Wenman, qu’une de ses Parentes voulut faire déclarer imbecile, afin d’avoir la regie de ses biens. La Cour trouva l’affaire odieuse, maintint ce Seigneur, & l’affaire ne fit pas honneur à la Dame. Les Lords Wenman portent le Titre de Vicomte de Tuam, dans la Province de Galway en Irlande.un Seigneur à qui l’on dispute assez de bon sens pour jouïr de son bien. Tout le monde sent que cette affaire tire à conséquence pour quantité de personnes. On dit que ce Seigneur a fait dans sa jeunesse de fort mauvais marchés, & que cela sert de preuve à ses Parens qu’on ne peut lui conserver son Patrimoine qu’en l’en dépouillant. Or voila précisément ce qui jette l’allarme. Nous avons à Londres une infinité de gens que l’on pourroit poursuivre avec plus de raison. Malgré des preuves semblables d’imbecillité, ils ne jouïssent pas seulement de ce qu’ils ont hérité de leurs Peres, mais on les laisse encore en pleine possession de ce qu’ils ont aquis par eux-mêmes. A présent ces gens-là ne sont pas en sureté. Un de nos Amis a déjà intenté un procès de cette nature à son Oncle, qui par son industrie, ou plutôt par quelque sortilege a gagné cinquante mille Livres Sterling. Il expose à la Cour que pendant tout le temps qu’il a fallu pour faire cette fortune, son Oncle n’a jamais ni dit ni fait la moindre chose où il y eût une ombre de raison ; & que par conséquent il ne peut être habile à posséder les aquisitions qu’il a faites. Le Neveu a de plus ajouté au Factum deux Epigrammes, qui font voir, en peu de mots, la justice de ses prétentions sur ce bien, & son habileté à le dépenser. Je crains pourtant que, dans ces Piéces, il n’ait avancé certaines choses qui paroitront revoltantes. Il y soutient qu’un Homme n’est pas moins Idiot pour être un peu Fripon, & que l’abus qui se fait de la Raison n’est pas une moindre capacité civile que la privation même de cette Raison. Je l’ai averti qu’on ne lui paroissoit point cet Article. Mais les gens d’esprit ont si bonne opinion d’eux-mêmes, qu’ils ne prennent conseil de personne. Celui-ci s’en tient à l’autorité de Salomon, qui prend les termes de fou, & de méchant pour des Expressions synonymes, & qui donne le nom commun de folie à tous les oublis actuels du devoir. Fier d’une décision qui lui paroît si claire, il en conclut invinciblement que les Friponneries de l’Oncle n’empêchent point qu’il ne soit un homme à mettre aux petites Maisons. Comme on s’entretenoit de cette affaire, dans la Salle de ce Caffé, où il ne vient guere que des Beaux-Esprits, un jeune Avocat a dit gravement qu’il ne falloit pas confondre les Fous avec les imbécilles ; que la Regie des premiers appartenoit à la Chancelerie, & que celle des autres regardoit la Couronne. Ce Paradoxe a mis presque tout le monde en colère, & l’on ne croiroit pas combien on s’est recrié contre le Jurisconsulte. Vraiment, a dit entre autres le vieux Renault, vous nous la baillez belle avec vos distinctions ! Quelle en est la raison, s’il vous plait ? Pourquoi voulez-vous que l’Idiot soit un Courtisan plutôt que le Lunatique ? De mon temps c’étoit le contraire. L’Auteur veut parler de la Cour de Charles II. dont la débauche fut très-grande & très-publique.Les fous brillaient plus à la Cour que les sots. On ne s’y mettoit en réputation d’esprit qu’autant que l’on étoit Garnement, Batteur de pavé, que l’on faisoit la nuit de fracas dans les ruës, & que l’on cassoit de vitres. Je me souviens sur tout d’un Seigneur de cet ordre qui fut ivre, sans discontinuer, pendant cinq années. Tous ses Compagnons lui porterent envie, & leurs Successeurs lien n’en approchent pas de cent lieues. Si ce Seigneur étoit encore vivant, je voudrois bien savoir si l’on oseroit mettre les Imbeciles à la place d’honneur ? Le bon Homme ayant fini sa harangue, une personne de poids m’adressant la parole, Ceci, Monsieur, m’a-t-il dît, vous regarde. Vous pourrez en faire un bon Article dans vos Feuilles Volantes, & si vous priïez Pacolet de dissequer le Cerveau de tous les Hommes, il se trouveroit peut-être qu’une Fibre, très-petite, & presque imperceptible met toute la difference entre l’Idiot, & le Ministre d’Etat. Nous devrions donc tirer le voile sur ces infortunés individus de la Nature Humaine, que se meuvent sur la terre sans avoir ni Sens-Commun, ni Raison qui les guident, comme il faudroit détourner les yeux, avec horreur, de ces indignes Mortels, qui peu contens d’abuser de leur Esprit, & de leurs lumieres, s’étudient même à vivre constamment d’une maniere qui leur soit opposée. Depouillera-t-on de son bien cet Homme foible, parce qu’il est indolet & credule ; qu’il craint de faire des dettes ; qu’il n’en conte point à ses Voisines, & qu’il se borne aux soins de son petit menage, pendant que l’on estimera dans tout son Bon-Sens, un autre Homme qui n’en montre plus que le premier qu’en ce qu’il fait le contraire, & qui par conséquent devroit être mis sous sa Tutele, si le Vice & la Vertu décidoient de la chose. La Vieillesse ne nous ramene-t-elle pas tous à la simplicité de ce Seigneur, dont l’affaire est la Nouvelle du jour ? A dire le vrai, nos Loix ne me paroissent pas exemptes de bizarrerie dans les définitions quelles donnent, à cet égard, du Droit de possession, & de l’exercice actuel de ce Droit. Elles attribuent au Prince la Regie des Idiots, & jusques là j’avoue qu’elles ont raison. L’honneur des Maisons Nobles est moins exposé. Les biens en sont plus à couvert. On a moins à craindre dès injustices de la Couronne, & plus à esperer de sa protection. Mais d’où vient que l’on n’a pas menagé la même ressource, pour une Personne, qui avec des qualitez que le Public admire, ne se sert de ses yeux & de sa Raison que pour dissiper son Patrimoine, & que pour deshonorer sa naissance ? Chose étrange ! On punit l’Imbecille ignorant, & l’on fait grace à l’Idiot vicieux ! Mr. Locke a dit Liv. II. Chap. XI. Sect. 13. pag. 111. de l’Ed. Françoise Amit. 1729. «  Ce qui fait la différence qu’il y a entre les Imbecilles & les Fous, c’est que les Fous joignent ensemble des Idées mal assorties, & forment ainsi des Propositions extravagantes, sur lesquelles néanmoins ils raisonnent presque point. » Dans l’Original de l’Edit. de Londres 1706. la citation est au Chap. XII. Sect. 14. pag. 94.quelque part que la difference, entre l’Imbécille & le Fou, consiste en ce que l’Imbécille pose bien & conclut mal, au lieu que le Fou pose mal & conclut bien. On rapporte donc à la premiere Classe, celui qui voyant son Camarade endormi, lui coupa la tête, & puis la cacha pour voir ce qu’il diroit à son reveil de ne la pas retrouver. Croire qu’un Homme qui se reveilleroit en cet état, seroit fort étonné de se trouver sans tête : c’est penser fort juste. Mais s’imaginer que l’on puisse se reveiller après que la tête est coupée, voilà l’Imbécillité. Le Fou procède autrement, il se croit Prince, & en cela il se trompe. Mais il ne se trompe point dans les conséquences qu’il tire de ce faux Principe, il fait le Prince, il parle en Prince, il veut qu’on le traite en Prince, & tout couché qu’il est sur la Paille il entend que son rang soit respecté. On renferme ces deux Espèces d’Hommes. Mais pourquoi en tolerer tant d’autres qui étant capables de poser vrai, & de conclure bien, sont néanmois tout à la fois, & fous & Imbéciles ? De mon Cabinet, 11. Juillet. Quelques Dames sont venues rendre visite ce soir à ma Sœur. La Conversation, qui n’a d’abord roulé que sur des choses indifferentes, ou que sur les Nouvelles, est enfin tombée sur la grande affaire du Sexe. On voit bien que je veux parler de l’amour, Sappho, qui prime toujours dans ces occasions, y a étalé ses Lectures. Il ne se peut rien de plus tendre, a-t-elle dit, que ce qui se trouve dans Suckling, & dans Milton sur le même sujet. Dans l’un & dans l’autre, il s’agit d’exprimer la respectueuse passion d’un Amant vertueux. Le premier dans sa Tragédie, intitulée Brennoraut, introduit le Galant qui s’est glissé doucement dans la Chambre où sa Maitresse est couchée. On voit sur le lit cette Belle profondement endormie. L’Amant a tiré le Rideau pour la contempler à son aise. Cet objet charmant le ravit hors de lui-même, il en est dans les trans-ports les plus vifs ; mais sa Passion sage, & ce Sommeil même, qui auroit tenté un autre d’en abuser pour satisfaire des desirs criminels, lui donne de tout autres pensées, il n’y voit qu’une image de la morte qui le fait trembler pour ce qu’il aime. Ecoutez ce que le Poëte lui fait dire : Tel l’Avare, à l’aspect du Metal précieux Qui posséde son cœur, & qui charme ses yeux, Du soin de l’avenir sa joye est combatuë, Ce qu’il voit le ravit, ce qu’il prévoit le tuë, Et son plaisir present le cede à la douleur De perdre un jour cet Or qui fait tout son bonheur. O ! comment contenir les transports de mon ame, En voyant de si près cet Objet de ma Flame ? Que de charmes, grands Dieux ! Quels traits ! Faut il, helas ! Qu’un Ouvrage si beau soit sujet au trepas, Et roule avec le temps dans l’affreux précipice, Où tout va se confondre ? O Ciel ! quelle injustice ! Quel dommage ! &c. Milton a représenté les mêmes sen-timens d’une autre maniere, pendant qu’Eve dort, il peint Adam, s’appuyant la tête sur sa main, pour contempler tous les appas de son Epouse, & les yeux qu’il lui donne sans cette occasion sont pleins de l’amour, & du soin le plus tendre. Adam, de ces regards, où se peint tout le cœur, La contemple panché tendrement &c. C’est là, Mesdames, la seule Passion qui mérite véritablement le nom d’amour. Les sentimens en sont plus nobles que ceux que l’Amitié même, tant ils sont purs & desinteressés. Sappho se préparoit à continuer sur ce ton, lors que ma Sœur l’a interrompuë, pour lui dire une Lettre qu’elle reçut pendant mon absence. Ce n’étoit pas changer tout-à-fait de conversation ; car cette Lettre est à l’honneur du Mariage, & c’est principalement dans cet état-là, que regne la belle Passion qui venoit d’être peinte. « Mademoiselle, Pendant l’absence de Mr. votre Frere, je prends la liberté de vous écrire, ce que je pense, d’un Etat dans lequel toutes les personnes de notre Sexe sont entrées, ou souhaitent d’entrer, il ne faut pas être sorciere pour deviner que c’est du Mariage. Je ne me suis trouvée, il n’y a que peu de jours, avec deux de mes Amies qui le décrioient d’une étrange maniere, j’eus assez de peine à défendre ma These. Cependant je fis ce que j’ai ouï dire à Mr. votre Frere, que faisoit Socrate, je profitai de ce que l’on m’accordoit, pour en conclure ce que l’on me contestoit. Ces Demoiselles me dirent en plaisantant qu’il y avoit deux beaux jours dans l’hymenée, l’entrée & la sortie, & voici comme je tournai cette plaisanterie contre elles-mêmes. Si l’Hymen, des deux jours possede l’avantage, Le premier de la Nôce, & l’autre du Veuvage, Tout le mal que l’on dit de cet Etat charmant En est une image infidelle, Puisque la fin en est tout aussi belle Que le fut le commencement. Elle se rendirent à ce profond raisonnement, & si vous trouvez qu’el-les se payerent de peu de chose, vous jugerez bien aussi à leurs déclamations contre le Mariage, que ce n’étoit pas plus grands génies. Je suis tout à vous, Mariane. » Je remarquai que Sappho rougissoit à la lecture de cette Lettre. S’adressant donc à une Dame, qui badinoit alors avec un petit Chien, qu’elle porte partout, & dont elle est folle, En vérité, dit-elle, je ne saurois blâmer les Hommes de ce qu’ils se font de nous de si petites Idées. Je suis même surprise qu’il y en ait un si grand nombre, qui puissent se résoudre à nous prendre pour leurs Compagnes, quand ils voyent que nous plaçons si mal notre Cœur & nos caresses. Je sai, Mademoiselle, que Mr. Truman donneroit la moitié de son bien pour le quart des douceurs que vous dites à cette Bête. Vous vous êtes vantée d’avoir pleuré, l’autre jour, de ce qu’elle avoit la Colique pour avoir mangé du Lait aigre. Que pourriez-vous faire de plus pour un Amant ? Ce que je pourrois faire de plus ! répondit vivement la Belle. Il n’y a pas un seul Hom-me, en Angleterre, pour qui j’en voulusse faire la centiéme partie ? En prononçant ces mots, elle prend son Chien, le serre entre ses bras, le mange de baisers, l’appelle, Joli, Mon Cher, Monsieur, mon petit Garçon, mes Amours, & mille autres impertinences semblables. Sappho se leve, & se retire. C’est sa coutume lorsqu’elle voit faire à son Sexe des choses qui le rendent méprisable au nôtre.