Du Samedi 9. au Mardi, 12. Juillet 1709.
Du Caffé de Guillaume, 11. Juillet.
La Ville est toute consternée des Informations que l’on fait en justice contre Il s’agit de Mylord un Seigneur à qui l’on dispute assez de bon sens pour jouïr de son bien. Tout le monde sent que cette affaire tire à conséquence pour quantité de personnes. On dit que ce Seigneur a fait dans sa jeunesse de fort mauvais marchés, & que cela sert de preuve à ses Parens qu’on ne peut lui conserver son Patrimoine
Comme on s’entretenoit de cette affaire, dans la Salle de ce Caffé, où il ne vient guere que des Beaux-Esprits, un jeune Avocat a dit gravement qu’il ne falloit pas confondre les Fous avec les imbécilles ; que la Regie des premiers appartenoit à la Chancelerie, & que celle des autres regardoit la Couronne. Ce Paradoxe a mis presque tout le monde Vraiment, a dit entre autres le vieux Renault, vous nous la baillez belle avec vos distinctions ! Quelle en est la raison, s’il vous plait ? Pourquoi voulez-vous que l’Idiot soit un Courtisan plutôt que le Lunatique ? De mon temps c’étoit le contraire. Charles II. dont la débauche fut très-grande & très-publique.Les fous brillaient plus à la Cour que les sots. On ne s’y mettoit en réputation d’esprit qu’autant que l’on étoit Garnement, Batteur de pavé, que l’on faisoit la nuit de fracas dans les ruës, & que l’on cassoit de vitres. Je me souviens sur tout d’un Seigneur de cet ordre qui fut ivre, sans discontinuer, pendant cinq années. Tous ses Compagnons lui porterent envie, & leurs Successeurs lien n’en approchent pas de cent lieues. Si ce Seigneur étoit encore vivant, je voudrois bien savoir si l’on oseroit mettre les Imbeciles à la place d’honneur ?
Le bon Homme ayant fini sa harangue, une personne de poids m’adressant la parole, Ceci, Monsieur, m’a-t-il dît, vous regarde. Vous pourrez en faire un bon Article dans vos Feuilles Volantes, & si vous priïez de dissequer le Cerveau de tous les Hommes, il se trouveroit peut-être qu’une Fibre, très-petite, & presque imperceptible met toute la difference entre l’Idiot, & le Ministre d’Etat.
A dire le vrai, nos Loix ne me paroissent pas exemptes de bizarrerie dans les définitions quelles donnent, à cet égard, du Droit de possession, & de l’exercice actuel de ce Droit. Elles attribuent au Prince la Regie des Idiots, & jusques là j’avoue qu’elles ont raison. L’honneur des Maisons Nobles est moins exposé. Les biens en sont plus à couvert. On a moins à craindre dès injustices de la Couronne, & plus à esperer de sa protection. Mais d’où vient que l’on n’a pas menagé la même ressource, pour une Personne, qui avec des qualitez que le Public admire, ne se sert de ses yeux & de sa Raison que pour dissiper son Patrimoine, & que pour deshonorer sa naissance ? Chose étrange ! On punit l’Imbecille ignorant, & l’on fait grace à l’Idiot vicieux !
Mr. Liv. II. Chap. XI. Sect. 13. pag. 111. de l’Ed. Françoise Amit. 1729. « Ce qui fait la différence qu’il y a entre les Imbecilles & les Fous, c’est que les Fous joignent ensemble des Idées mal assorties, & forment ainsi des Propositions extravagantes, sur lesquelles néanmoins ils raisonnent presque point. » Dans l’Original de l’Edit. de Londres 1706. la citation est au Chap. XII. Sect. 14. pag. 94.quelque part
De mon Cabinet, 11. Juillet.
Il ne se peut rien de plus tendre, a-t-elle dit, que ce qui se trouve dans & dans sur le même sujet. Dans l’un & dans l’autre, il s’agit d’exprimer la respectueuse passion d’un Amant vertueux. Le premier dans sa Tragédie, intitulée introduit le Galant qui s’est glissé doucement dans la Chambre où sa Maitresse est couchée. On voit sur le lit cette Belle profondement endormie. L’Amant a tiré le Rideau pour la contempler à son aise. Cet objet charmant le ravit hors de lui-même, il en est dans les trans-ports les plus vifs ; mais sa Passion sage, & ce Sommeil même, qui auroit tenté un autre d’en abuser pour satisfaire des desirs criminels, lui donne de tout autres pensées, il n’y voit qu’une image de la morte qui le fait trembler pour ce qu’il aime. Ecoutez ce que le Poëte lui fait dire :
a représenté les mêmes sen-timens d’une autre maniere, pendant qu’dort, il peint , s’appuyant la tête sur sa main, pour contempler tous les appas de son Epouse, & les yeux qu’il lui donne sans cette occasion sont pleins de l’amour, & du soin le plus tendre.
C’est là, Mesdames, la seule Passion qui mérite véritablement le nom d’amour. Les sentimens en sont plus nobles que ceux que l’Amitié même, tant ils sont purs & desinteressés. Sappho se préparoit à continuer sur ce ton, lors que ma Sœur l’a interrompuë, pour lui dire une Lettre qu’elle reçut pendant mon absence. Lettre est à l’honneur du Mariage, & c’est principalement dans cet état-là, que regne la belle Passion qui venoit d’être peinte.
Mademoiselle,
Pendant l’absence de Mr. votre Frere, je prends la liberté de vous écrire, ce que je pense, d’un Etat Socrate, je profitai de ce que l’on m’accordoit, pour en conclure ce que l’on me contestoit. Ces Demoiselles me dirent en plaisantant qu’il y avoit deux beaux jours dans l’hymenée, l’entrée & la sortie, & voici comme je tournai cette plaisanterie contre elles-mêmes.
Elle se rendirent à ce profond raisonnement, & si vous trouvez qu’el-
Mariane. »
Je remarquai que Sappho rougissoit à la lecture de cette Lettre. S’adressant donc à une Dame, qui badinoit alors avec un petit Chien, qu’elle porte partout, & dont elle est folle, En vérité, dit-elle, je ne saurois blâmer les Hommes de ce qu’ils se font de nous de si petites Idées. Je suis même surprise qu’il y en ait un si grand nombre, qui puissent se résoudre à nous prendre pour leurs Compagnes, quand ils voyent que nous plaçons si mal notre Cœur & nos caresses. Je sai, Mademoiselle, que Mr. donneroit la moitié de son bien pour le quart des douceurs que vous dites à cette Bête. Vous vous êtes vantée d’avoir pleuré, l’autre jour, de ce qu’elle avoit la Colique pour avoir mangé du Lait aigre. Que pourriez-vous faire de plus pour un Amant ? Ce que je pourrois faire de plus ! répondit vivement la Belle. Il n’y a pas un seul Hom-me, en pour qui j’en voulusse faire la centiéme partie ? En prononçant ces mots, elle prend son Chien, le serre entre ses bras, le mange de baisers, l’appelle, Joli, Mon Cher, Monsieur, mon petit Garçon, mes Amours, & mille autres impertinences semblables.