Zitiervorschlag: Armand de Boisbeleau de La Chapelle (Hrsg.): "Article IV.", in: Le Philosophe nouvelliste, Vol.2\004 (1735), S. 27-39, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5047 [aufgerufen am: ].


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Article IV.

Par le Sr. Bickerstaff.

Du Jeudi 7. au Samedi, 9. Juillet 1709.

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De mon Cabinet, le 7. Juillet.

Les reflexions que j’ai publiées, depuis peu, sur le Duel, ont rendu ce sujet si commun, que l’on ne s’entretient presque plus d’autre chose. On m’a fait tenir là-dessus une Conversation que je donne ici telle qu’on me l’a envoyée. Les Interlocuteurs sont des gens d’honneur, & qui connoissent le monde, il m’a paru qu’ils vont au fait, & à la source du mal.

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[28] Dialogue sur le Duel.

Entre un Chevalier, . Le Sage, & M. La Plume.

Le Sage. Si j’en étois cru, tout Homme qui tire l’Epée, à moins que ce ne soit pour le service du Prince, ou dans la nécessité d’une juste défense, le point d’honneur exclus, seroit condamné au Chevalet pour la premiere fois, au Pillori pour la seconde, & aux petites Maisons pour la troisieme.

La Plume. 1 Dans l’Armée du Parlement, le Duel étoit si peu à la mode, qu’il deshonoroit même les gens, & ne nuisoit pas moins à l’avancement [29] d’un Officier que l’action la plus lâche.

Le Chevalier. Cela se peut ; mais j’ai ouï dire à quelques vieux Royalistes, gens en leur temps fort estimés pour la bravoure, & pour les belles manieres, que, parmi eux, ces Combats étoient plus fréquents qu’ils ne le sont à présent.

La Plume. Cela est vrai aussi.

Le Sage. On diroit donc, Messieurs, que de nos jours on a bizarrement assorti les Maximes des uns & des autres, puis que les Duels ne sont aujourd’hui ni entierement défendues, ni tout-à-fait toléres.

Le Chevalier. Observons pour tant que si ces Maximes furent alors si opposées, ce ne fut point que les Gentilshommes qui servoient le Parlement manquassent de courage, ni que les autres manquassent d’éducation. Car les plus grandes Maisons du Royaume avoient pris parti dans cette querelle, & l’on peut dire qu’à cet égard les choses n’étoient pas fort inégales. Mais à la Cour, où l’on veut du brillant, la jeunesse devoit paroître afin de se pousser ; au lieu que, parmi les Parlementaires, le bien public servant de pré-[30]texte à la Cause, il falloit se composer, & aller au solide.

Le Sage. Il ne paroit pas, Messieurs, que les Romains ayent connu le Duel. Ils se disoient pourtant quelquefois des choses bien dures, & si l’on se donnoit aujourd’hui la même licence, cela ne se paroissoit point ; parmi nous, sans Cartel.

Le Chevalier. Les Romains crurent peut-être que les Injures ne flétrissent que ceux qui les disent, ou que la flêtrissure n’est point du tout effacée par le sang du coupable. A leur avis on ne devoit rougir que des mauvaises actions que l’on avoit réellement faites, au lieu qu’au nôtre, on ne s’offense que de ce qu’on les publie.

Le Sage. Il est tout vrai, Monsieur, que dans l’Histoire Romaine, la seule Avanture qui ait l’air d’un Duel, est le combat des Horaces, & des Cariaces. Cependant ce combat-là même, fut de ceux que toutes les Loix de la Justice, & de l’Honneur autorisent.

Le Chevalier. Permettez-moi, Mr. La Plume, de vous faire une question, sur les Combats singuliers qui se faisoient, de votre temps, parmi les [31] Royalistes. Quelles façons est-ce qu’on y observoit ? Car je m’imagine qu’il y a de la mode en cela, comme en toute autre chose.

La Plume. Il n’y a voit point de mode fixe. La plus générale étoit de faire ce qu’avoient fait les derniers Braves qui s’étoient battus, s’ils étoient en réputation de courage & de belles manieres.

Le Chevalier. Ainsi cette Mode pouvoit passer fort vite, & je conçois que souvent on pouvoit vaincre sans gloire, parce que l’on ne se battoit pas à la maniere du jour.

La Plume. Que voulez-vous, Monsieur ? Il en étoit de même pour le point d’honneur. Au moi de Juillet on ne pouvoit se montrer parmi les honnêtes gens si l’on dissimuloit la moindre parole offensante, & l’on passoit pour brutal en Septembre si l’on faisoit mine de s’en piquer.

Le Chevalier. Avec votre permission, Monsieur, que je vous demande encore une chose. Etoit-ce des Duels, ou des Rencontres que l’on parloit le plus dans ce temps-là ?

La Plume. Monsieur, les gens [32] qui étoient délicats sur le point d’honneur, n’auroient voulu, pour rien au monde, qu’on eût pu leur reprocher d’avoir pris le moindre avantage. Il ne se parloit donc point entre eux de Rencontres. Ils prenoient même des Seconds pour être témoins que tout se passât dans l’ordre, & que la vérité pût être fidélement rapportée. Ces Seconds n’eurent point d’abord d’autre part au Combat. Mais ensuite la Coûtume voulut qu’ils se battissent eux-mêmes, & je puis vous en apprendre l’occasion, si vous le souhaitez.

Le Sage. Vous me ferez plaisir, & vous m’en ferez encore davantage, si vous avez aussi la bonté de nous dire de quelle maniere on se battoit alors, & ce qui causoit ces querelles d’honneur.

La Plume. Voici un Fait qui vous l’expliquera. Ebene 4► Allgemeine Erzählung► Modish, Cornette de Cavalerie, avoit pour ami un Capitaine, nommé Sinart, qu’il consulta sur quelque affaire. Ce dernier donna son avis que l’autre ne suivit point. Le Capitaine se trouva fort offensé de la chose, & chargea le Major Adroit, d’un Cartel pour le Cornette. Le Major ne [33] demanda pas seulement de quoi il s’agissoit, & à dire le vrai, cela ne se pratiquoit point parmi les Braves de la premiere Volée. Il choisit deux Epées, précisément de la même longueur, va trouver Modish, les lui présente, le prie de choisir celle qu’il voudra, & lui ordonne en même temps de le suivre en tel endroit où le Capitaine l’attend. Le Cornette choisit l’Epée, suit le Major, rencontre chemin faisant un Officier qu’il prend pour son Second, & ils arrivent tous trois au rendez-vous, où étoit deja le quatrieme. Là les Principaux se mettent des Escarpins, & se dépouillent jusqu’à la Chemise, pour montrer que tout se fait en honneur. Dans cet état ils commencent à se pousser des bottes.

Le Chevalier. Et les Seconds, Monsieur, que faisoient-ils ?

La Plume. La coutume avoit été jusqu’à ce jour-là qu’ils demeurassent tranquilles Spectateurs du combat. Mais vous saurez que les Epées d’alors étoient fort longues ; que les deux Combattans sembloient se tenir tous deux sur la défensive ; & qu’il faisoit grand froid. Le Major s’ennuyoit, [34] & se geloit. Il proposa donc à l’autre de se pousser quelques Coups pour s’échauffer, en attendait que les autres eussent vuidé leur querelle. Celui-ci, qui étoit aussi un Vert galant, tope à la proposition. Les voilà donc tous deux aux prises. Le Second du Cornette perce le Major, le desarme, & courant ensuite aux Principaux, il les separe, avant qu’ils se fussent fait aucun mal.

Le Sage. Et ne se moqua-t-on pas du Major ?

La Plume. Point du tout, Monsieur. Au contraire son Exemple passa en coutume, & tout Second, qui avoit quelque honneur, ne pouvoit plus se dispenser de se battre. Je vous laisse à penser, si les Sinarts, & les Modish, qui trouvoient leur compte à cela, s’y opposerent. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4

Le Sage. Mais, Monsieur, cette coutume dura-t-elle long-temps ?

La Plume. Non, Monsieur ; car aussi-tôt qu’elle eut été bien établie, gens qui se piquoient de cœur, auroient cru être deshonnorez si au moindre bruit d’une querelle, ils n’eussent pas couru en foule pour s’offrir de [35] Seconds à leurs Amis. De sorte qu’il y avoit quelquefois dix ou douze personnes de chaque côté.

Le Chevalier. Que nous dites-vous là, Monsieur ? Et si cette mode avoit duré, où trouverions-nous encore des Petits-Maitres pour nos Armées ? Mais apprenez-nous, s’il vous plait, ce qui fit passer l’usage de cette espèce de joûtes.

La Plume. Le voici, Monsieur. Les Loix du Combat avoient établi que dès qu’il y avoit un Homme desarmé ou couché par terre, tout son parti se tînt pour battu, & rendît les armes. On s’apperçut bientôt que cette Règle exposoit les vrais Braves, & n’accommodoit que les Fanfarons. Aussi-tôt les gens de cœur furent les premiers à reconnoitre qu’il y avoit plus d’honneur à ne se point battre du tout. Les Fanfarons suivirent leur exemple, & depuis ce temps-là se sont donné le mot, dans toute l’Europe, pour applaudir aux Edits de Louïs XIV. contre les Duels.

Le Chevalier. En effet nos Petits-Maitres, que je regarde comme les Successeurs des Brayes de votre [36] temps, ne trouvent point de goût à ces Demêlés, auxquels on s’engage, pour la sottise, ou pour la vanité des autres.

La Plume. Cela est vrai. Les Armes étoient toujours parfaitement égales.

Le Sage. Mais comment faisoit-on quand les personnes n’étoient pas égales : & qu’un Homme fort & adroit, en attaquoit un autre qui étoit foible, ou qui ne savoit pas manier l’Epée ?

La Plume. Alors on se battoit au Pistolet.

Le Sage. Il y a encore quelque chose à dire à cela. Un bon Tireur ne manquera pas son homme à vingt pas, pendant qu’une main tremblant n’est pas sure à bout touchant. Or ce dernier cas est celui des personnes que la débauche, ou d’autres Accidens ont affoiblies, & de celles qui n’ont jamais vu de Pistolet que dans le Fourreau. Où est donc l’honneur qu’il y a de tuer [37] un homme, lorsque l’on est sûr de son fait ?

Le Chevalier. Pour moi j’estime que c’est alors un 2 vrai Meurtre, & je suis persuadé que celui qui le commet en convient dans sa Conscience, quelque autre Idée que le monde s’en fasse.

La Plume. Vous avez raison ; aussi ai-je connu des gens qui portoient là-dessus la délicatesse si loin, qu’ils ne vouloient se battre que sur un Manteau, & sans Pistolets.

Le Sage. Si cette Mode s’établissoit, on se passeroit bientôt des Edits de Louïs XIV.

Le Chevalier. Du moins est il vrai que les Bretteurs seroient obligez de se defaire de leurs longues Epées. Nos Petits-Maitres y gagneroient au contraire, parce que lorsqu’ils sont insultez par ces Traineurs de Rapieres, [38] ils ne se donnent pas le temps d’aller changer d’armes, quoi que celle qu’ils portent au côté ne soit guére plus longue qu’un Canif. Comment faisoient-ils autrefois ?

La Plume. Hè ! Mais, Monsieur, tout le monde portoit alors de longues Epées. Je croiois vous l’avoir déja dit.

Le Sage. Permettez-moi de vous dire, Mr. le Chevalier, que vous ne connoissez pas nots Petits-Maitres. Les Chevaliers Errans, auxquels ils ont succédé, & qui étoient ceux du temps jadis, se faisoient un devoir de ne point ceder, tant qu’il leur restoit un tronçon d’arme à la main. N’eussent-ils que l’Epée de Bois que portoit leur Page, l’ordre vouloit qu’ils s’en servissent comme de la meilleure que l’Enchanteur leur Ami, leur eût donnée. La bravoure de nos Petis-Maitres n’est pas moins romanesque.

Le Chevalier. C’est donc purement la Mode qui gouverne ces gens-là, comme c’est le Bon Sens & la Nature qui conduisent les personnes du commun, & quelquefois aussi des personnes plus distinguées.

Le Sage. Mais comment se fait-[39]il, je vous prie, que des gens qui, en tout autre chose, paroissent avoir du jugement & de la Vertu, s’entendent avec ces Eventez pour soûtenir la chimere de l’Honneur duelliste ?

Le Chevalier. Je ne sai qu’en dire, si ce n’est que le torrent les entraine.

Le Sage. A la bonne heure. Mais je vous prie, Monsieur, de vouloir bien répondre à une question que j’ai à faire. Croyez-vous qu’à se battre sur un Manteau sans Pistolets, l’avantage seroit si égal, qu’un honnête Homme pourroit ne s’en faire aucun scrupule ?

La Plume. En verité, Monsieur, je ne sai. Mais je sai bien que comme le tort doit venir d’un côté, il n’est pas juste qu’il y ait plus d’un Homme qui coure risque de perdre la vie. De l’autre manière les deux Combatans sont exposez au même danger.

Le Chevalier. N’y auroit-il point quelque temperament à trouver ? Si l’honneur demande qu’il y ait du sang répandu, ne pourroit-on point tirer à la courte Paille, qui des deux auroit la tête cassée ? ◀Dialog ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Dans les Guerres Civiles sous Charles I. le Parti Parlementaire se piquoit plus de Vertu rigide, & de dévotion exacte, qu’on ne le faisoit dans l’autre.

2Les Loix d’Angleterre distinguisent le Meurtre de l’Homicide. Le Meurtre est chez elles ce qui s’appelle proprement, Assassinat, en François ; & l’Homicide est quand on tue ou par hazard, ou dans la necessité d’une juste defense. Ces Loix punissent donc de mort le Meurtre, & n’infligent à l’Homicide qu’une Flectrissure légére.