Zitiervorschlag: Anonyme (Claude de Crébillon) (Hrsg.): "N°. 20.", in: La Bigarure, Vol.9\020 (1751), S. 155-159, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4981 [aufgerufen am: ].


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N°. 20.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Si une multitude d’affaires domestiques ne me permet pas, Madame, d’entretenir commerce avec vous aussi souvent que je le souhaite, j’ai du-moins la satisfaction de voir que mon Frere veut bien s’en aquiter pour moi, comme de votre côté, par quelques petites piéces que je lui fournis de tems en tems, vous avez pu voir que je ne vous oublie point. C’est pour vous en donner une nouvelle preuve, que je prends aujourdhui la plume pour vous edifier & vous amuser tout à la fois. Je commence par le premier de ces deux arcicles <sic>, qui semble être devenu ici à la mode. En effet, depuis environ un mois, on ne nous reconnoit presque plus dans cette Capitale où le Jubilé a beaucoup mieux réussi que le Pape ne s’en étoit peut-être flatté en nous l’envoyant. Il semble que nous ayons pour toujours renoncé aux plaisirs. Quoique nos Spectacles soient ouverts depuis plusieurs jours, on ne nous y a presque point encore vues, nous nous abstenons des Cercles, des jeux, des compagnies, des promenades mêmes ; & s’il n’y avoit ici ni Processions, ni Sermons, ni Stations, à nous voir toutes claquemurées chez nous pendant tout le reste de la journée, on seroit tenté de croire que toutes les personnes de notre sexe auroient été transportées d’ici dans nos Colonies de l’Amerique. C’est à pre-[156]sent dans les Eglises que sont tous nos rendez-vous ; Les Processions nous tiennent lieu de promenades : nos Stations de parties de plaisir ; les Sermons sont nos spectacles ; & grace au zèle edifiant de notre Archevêque, & de ses Substituts, toutes nos Chaires ne retentissent, du matin au soir, que de la faveur extraordinaire que le Ciel nous a fait par les mains du S. Pere en nous donnant l’Année Sainte. Les uns & les autres saisissent cette occasion pour nous laver la tête comme il faut, & nous inviter à la Pénitence, pour la quelle nous n’eumes jamais beaucoup de goût.

Un de ceux qui se signale le plus dans cette edifiante carriere, est un certain Jesuite, nommé le P. Griffet, le quel s’est fait de la reputation à la Cour où il a prêché le Carême dernier. Malgré cela, & malgré la foule qu’il fait ici, il y a apparence que tout le monde ne juge pas aussi favorablement de ses talents. C’est ce que vous conclurez, Madame, de l’Epigramme suivante que quelque Poëte peu devot, comme le sont la plûpart de ces Messieurs, a lâchée contre ce zèlé Missionnaire.

epigramme.

Ebene 3► Un Loyaliste, plus severe

Que ceux ce parti ne le sont, d’ordinaire,

Comme un Saint Jean dans le Desert,

Va criant, que l’Enfer sous nos pieds est ouvert,

Si nous ne faisons pénitence.

Profitez, nous dit-il, de ce tems d’indulgence
Qui par le Jubilé vous est à tous offert.
Qui n’en profite pas, sans ressource se perd.
Chacun, en écoutant discourir de la sorte
Le fils de Loyola, craint d’être pris sans verd.
On court pour l’écouter, à l’envi l’on s’y porte ;
[157] Depuis l’Autel jusqu’à la porte
Tout est plein ; mais de ses Sermons
Quel fruit croyez-vous qu’on remporte ?
Les Mechants en sortent-ils bons ? . . . .

Nullement ; mais chacun, surpris de sa voix forte,

Et du zèle qui le transporte,

Admire, en l’écoutant, l’effort de ses poumons. ◀Ebene 3

L’ouverture de notre Théatre François a été ensanglantée par une Scène qui fait ici beaucoup de bruit, & qui a occasionné, dans ce Spectacle, un changement qui fait bien murmurer nos Comediens. Voici ce qui y a donné lieu. Allgemeine Erzählung► Lundi dernier, jour où l’on donnoit une representation de la Tragedie de Rodogune, Reine des Parthes, Chef-d’œuvre, & piéce favorite du grand Corneille, un Officier s’étant placé dans les secondes Loges, il arriva, quelques moments après, dans cette même Loge, une Dame qui, ne trouvant point de place sur le premier banc, se mit sur celui de derriere. Le Parterre s’étant aperçu de l’impolitesse de l’Officier, lui cria pendant long-tems : Place aux Dames, comme il fait en ces sortes de rencontres ; Mais le Militaire, poussant l’impolitesse jusqu’au bout, s’obstina à ne vouloir point ceder la sienne, ce qui ne fit qu’augmenter encore le bruit & le tapage. Comme le Spectacle en étoit troublé, l’Exempt, chargé d’y maintenir le bon Ordre, fut obligé de l’aller prier de céder à la politesse. L’Officier furieux d’avoir été forcé d’óbéir, descend dans le Parterre, dans le dessein de se venger. Il s’informe aussitôt, des uns & des autres, qui est celui qui a crié des premiers, Place aux Dames. Comme personne ne lui repond, & qu’il ne trouve point de particulier sur qui il puisse décharger sa colere, il s’en prend à toute la multitude parmi la quelle, pour lui marquer le mepris qu’il en [158] faisoit, il se mit à faire de flux & reflux épouvantables. Comme cette place étoit fort remplie de monde, ainsi qu’elle l’est toujours, à la representation des excellentes piéces, plusieurs personnes furent incommodées de cette vengeance puerile qui passoit le badinage. Un des Spectateurs, moins endurant que les autres, se voyant ainsi balotté, n’en fit point à deux fois. Il saute sur l’épée de l’Officier, la lui passe au travers du corps, & le jette sur le careau. Chacun alors crie l’allarme, apelle le Guet ; & la Garde & le Commissaire du quartier arrivent. Le Spectacle est interrompu, & la representation devient une veritable Tragedie. Le Commissaire dresse son Procès Verbal ; on informe ; & pendant ce tems l’Officier expire, sans qu’on puisse accuser, savoir, ni même soupçonner celui qui avoit fait le coup, & qui se trouva confondu dans la foule.

Cet Assassinat commis dans un Lieu public, & pour ainsi dire à la vue de tout Paris, a fait un très grand éclat. La Cour en a été informée ; & a ordonné, en consequence, qu’on placeroit, à l’avenir, six Gardes-Françoises dans l’enceinte du Parterre, où ils seroient chargez de veiller à la sureté du Spectacle ; & que les Comediens seroient obligez de les payer. Quelques representations que ces derniers ayent fait à ce sujet, ils n’ont pu être déchargez de payer cette depense. ◀Allgemeine Erzählung

Metatextualität► Puisque je suis sur l’article des Spectacles, je vous dirai, Madame, que celui de l’Opera a fait son ouverture par le charmant Ballet des Sens, de la composition du tendre & gracieux Mouret ; mais ce n’a pas été avec le succès qu’eut cette piéce en 1732 & 1740. ◀Metatextualität La Musique simple & naturelle de nos meilleurs Musiciens ne chatouille, plus aujourd’hui les oreilles de nos Dames, & de nos Petits-Maitres, que le goût Baroque des [159] Rameaux a endurcies <sic>. Les unes & les autres bâillent aux accords charmants d’un homme qui faisoit, il y a dix ans, les delices de tout Paris. On ose même critiquer les Vers de ce Ballet, qui sont de Monsieur Roi, un de nos meilleurs Auteurs dans ce genre de Poëme. Il est vrai que ces piéces ne sont plus exécutées comme elles l’étoient, il y a quelques années, par des le Maure, des Pelissier, des Petit-pas, des Erremans, & autres Actrices inimitables, qu’on n’a point remplacées, & qu’on ne remplacera peut être de long-tems, par ce qu’on aura de la peine à en trouver qui leur ressemblent. L’habitude de crier a désaccoutumé les voix & les oreilles du Chant naturel, tendre, pathetique, & gracieux. La Musique, & le bon goût pour cet Art presque Divin, dégénérent visiblement parmi nous, comme toutes les autres bonnes choses. Le fard a pris la place du naturel. On heurle aujourd’hui dans la Musique ; on papillotte en Peinture ; on clabaude & l’on bat la campagne au Barreau, comme dans la Chaire ; Enfin il n’y as pas jusqu’à l’Eloquence, qui n’est plus chez nous, graces à quelques uns de nos Academiciens modernes, qu’un jargon precieux, & presque Enigmatique.

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 14 Mai 1751.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Fin du Tome Neuvieme.

avertissment.

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◀Ebene 1