Zitiervorschlag: Anonyme (Claude de Crébillon) (Hrsg.): "N°. 14.", in: La Bigarure, Vol.9\014 (1751), S. 105-114, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4975 [aufgerufen am: ].


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N°. 14.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► JE vous avois promis de vous envoyer, Monsieur, par le premier Ordinaire, la suite de l’Histoire des Amours de notre Couple Religieux. La multitude des Nouvelles Litteraires dont je vous ai fait part dans ma derniere Lettre ne m’en ayant laissé ni le tems ni les moyens, j’ai remis à le faire dans celle-ci. Retournons donc, pour cet effet, ensemble à l’Hôtelerie dans la quelle nous les avons laissez.

Allgemeine Erzählung► Ils étoient à table où le Franciscain se mit à officier des mieux. Metatextualität► Vous n’en serez point surpris, Monsieur. Outre que vous sçavez que les Moines sont toujours pourvus de bon appetit, celui-ci avoit beaucoup fatigué dans son voyage dont il avoit fait à pied la plus grande partie. ◀Metatextualität D’ailleurs il étoit tard, & par consequent heure de manger. L’intention de la charmante Sœur Agneze étoit d’attendre son cher Amant avec le quel elle esperoit avoir le plaisir de souper ; mais le Moine la pressa tant, qu’elle se mit enfin à table avec lui. « Il y a long-tems, lui dit-il, qu’il seroit ici s’il devoit arriver aujourd’hui. Sans doute qu’il lui sera survenu quelque affaire imprevue, qui n’aura point souffert de délai ; & par cette raison vous n’aurez votre Ami que demain. En tout cas, s’il vient, il [106] ne mourra pas de faim ; & voici pour lui. » En disant ces mots il tire du plat une couple de Poulets qu’il donne à l’Hôte, en lui disant de les garder pour un de leurs amis qui pouroit encore venir.

L’Inquietude où étoit l’aimable Agneze au sujet de son cher Amant qu’elle ne voyoit point arriver, & dont elle ignoroit la destinée, non seulement ne lui fit trouver aucun goût dans les mêts qui composoient ce souper, le quel étoit assez delicat pour l’endroit où ils se trouvoient, mais elle ne lui permit pas même de manger beaucoup. Une aile & une cuisse de Poulet, avec deux petits verres de Vin, firent tout son repas. Tout le reste fut devoré par le Moine. Je dis devoré ; car les morceaux se succedoient avec tant de vitesse dans sa bouche, que pendant tout ce tems il ne conversa avec l’aimable Agneze que par monosillabes . . . « Oui. . . non . . . du Vin . . . bon . . . A vous . . . Top . . . » Voilà quel fut tout l’entretien qu’il eut avec elle tant qu’il joua des machoires.

Quand il eut pris sa copieuse réfection, il s’aperçut, à trois ou quatre petits os qu’il vit sur l’assiette d’Agneze, qu’elle avoit fort peu mangé ; car jusque-là il n’y avoit pas fait la moindre attention, tant il avoit été occupé de lui-même. « Qu’est-ce donc, mon aimable Cavalier ! lui dit-il d’un air étonné ; je crois que vous n’avez point soupé. Seriez-vous malade ? Vous n’en avez cependant pas la mine . . Ne seriez-vous point amoureux ? Cela ote, dit-on, ordinairement l’appetit. . . . Ce n’est pourtant pas chez moi. Tout au contraire : comme je sai que sine Cerere & Baccho friget Venus, plus je suis amoureux, moi, & plus [107] je dévore. Croyez moi, faites de même. L’Amour est une viande trop creuse pour s’en contenter. Il faut du solide, voyez-vous, pour se soutenir. Après la panse vient la danse. Pour moi, vive l’Amour, pourvu que je dine. Sans la bonne chere, l’Amour est comme un Corps sans Ame. On en vaut mille fois mieux quand on a le ventre plein. Jejunus venter non cantat verba libenter. »

Dans toute autre conjoncture, l’aimable Agneze se seroit fort divertie des saillies Epicuriennes du Religieux qui, continuant sur le même ton, lui debita mille choses plus plaisantes les unes que les autres, le tout entremeslé de Sentences Latines tant bien que mal appliquées, & & de vieux Proverbes qui n’étoient pas beaucoup mieux assortis. Toute inquiete, & toute triste qu’elle étoit, le Moine vint à bout par là de faire un peu diversion à son chagrin. Elle l’écouta pendant quelque tems comme si elle y eut pris du plaisir. Le Moine se le persuada ainsi, & passa près de deux heures avec elle, partie à babiller, partie à chopiner. Il auroit ainsi passé toute la nuit, si le prétendu Cavalier, avec le quel il étoit, avoit été homme à lui tenir tête ; mais la sobrieté & la modestie de celui-ci l’empêcherent lui-même de passer les bornes de la raison. Il ne but qu’autant qu’il en faut à un Moine pour le mettre en belle humeur ; ce qui, à dire le vrai, n’est pas peu de chose. Comme les charmes de sa conversation n’empêcherent point Agneze, qui étoit extrêmement fatiguée, de bailler de tems en tems, il s’aperçut enfin qu’il étoit tems de se retirer ; ce qu’il fit en lui donnant le bon soir ; & il se coucha.

Metatextualität► Dans la même Chambre ? Me demanderez-vous peut-être. . . . . Oui, Monsieur, dans la [108] même chambre ; & ce qui va, sans doute, vous étonner encore bien davantage ; c’est que ce fut par l’ordre exprès de la belle Agneze. Peut-être allez-vous trouver de l’incongruité dans cette démarche. Une None, me direz-vous, faire coucher un Moine dans sa Chambre, c’est mettre le feu bien près de la poudre ! . . . J’en conviens ; mais en cela même vous avez une preuve bien complette de l’innocence & de la simplicité de cette aimable Religieuse qui n’y entendoit point finesse. ◀Metatextualität Elle étoit fille, & par conséquent timide ; elle n’avoit jamais voyagé, elle se trouvoit seule & sans conducteur ; elle craignoit les Voleurs dont on lui avoit fait peur ; elle trembloit pour les riches Bijoux qu’elle venoit d’enlever à sa famille ; & son innocence ne lui laissoit rien craindre pour un Tresor infiniment plus precieux dont les Moines sont, dit-on, aussi friands & aussi avides, pour le moins, que les Larrons le sont des autres. D’ailleurs elle se croyoit en sureté sous l’habit de Cavalier qui cachoit son sexe. . . . Metatextualität► Mais, allez-vous me repliquer ; Le Diable est bien rusé ; & pour arriver à ses fins, il s’est lui même plus d’une fois masqué du froc Monacal. . . . Il est vrai ; & ses avantures avec le P. Alphonse auroient bien dû le lui apprendre ; Mais raisonne-t-on lorsque l’Amour s’est emparé du cœur, & qu’il a fait faire à une fille des demarches pareilles à celles de la Sœur Agneze ? ◀Metatextualität Quoiqu’il en soit, le Moine se coucha ; & la Belle, après avoir encore attendu son Amant une bonne heure, voyant qu’il ne venoit point, elle en fit autant de son côté.

Le vin, la bonne chere, & la fatigue nous plongent ordinairement dans un sommeil au quel on ne résiste guére. On croira peut-être que [109] notre Franciscain s’étant mis au lit, assez bien conditionné, s’endormit aussitôt profondément . . . Point du-tout. Le moyen de sommeiller quand le Diable nous berce ! C’étoit précisement le cas où le Moine se trouvoit alors. Semblable au fer, ou à l’acier, qui est toujours en mouvement & dans l’agitation lorsqu’il se trouve à la portée de l’Aimant, de même notre Franciscain étoit dans une situation qui ne lui permettoit pas de fermer l’œil, quoiqu’il en fît le semblant, & même de ronfler. Je ne sçai, Monsieur, si cette insomnie étoit un effet de l’Attraction dont la vertu, suivant le dernier systême de nos Philosophes modernes, produit des choses si admirables dans la Nature, ou si c’étoit une suite des observations & remarques que le Moine avoit pu faire pendant tout le tems qu’il avoit été tête à tête avec la belle Agneze. La sobrieté, la modestie, la rougeur que j’ai dit qu’il avoit remarquée sur son visage lorsqu’il l’avoit comparée, pour sa sagesse, à une fille ; des graces & des charmes ; une certaine delicatesse dans les traits, qu’on ne trouve point dans un Cavalier ordinaire ; une poitrine beaucoup plus haute, bien mieux faite, & plus rebondie que ne l’est communement celle d’un jeune homme ; quelque autre chose, peut-être encore plus decisive, qu’il put remarquer lorsqu’elle se deshabilla pour se coucher ; toutes ces observations réunies ensemble pouvoient bien naturellement empêcher le Moine de dormir. Il en faisoit néanmoins le semblant ; & le contrefit si bien, que l’aimable Agneze y fut trompée. En effet, dès que le gaillard la crut dans son premier somme, il se leve doucement, s’aproche de son lit, &c. &c. &c.

Metatextualität► Peut-etre allez-vous croire, Monsieur, que [110] cette aimable fille, se voyant ainsi traitée par ce Moine insolent, se mit à l’égratigner, à le battre, à le devisager. Peut-être allez-vous vous imaginer qu’elle fit tapage, reveilla toute la maison, & appella tout le monde à son secours. . . .

Point du tout, en douceur la belle fit les choses ;
Et pour les faire, elle eut de legitimes causes.

A quels risques, en effet, ne se seroit-elle pas exposée, si elle en eut agi d’une autre maniere ? Errante & fugitive de son Couvent, elle se perdoit infailliblement si elle s’étoit fait connoitre pour ce qu’elle étoit aux gens de l’Hôtelerie. . . . Que faire donc en pareil cas ? . . . Je vous le demande, Monsieur . . . . Resister aussi long tems qu’on le peut, me répondrez vous ; & souffrir enfin ce que l’on ne sauroit empêcher . . . ◀Metatextualität Voilà parler en homme qui a de l’expérience, & qui sait le train du monde. Agneze avoit besoin d’un protecteur, d’un deffenseur, en cas d’accident, d’un guide & d’un compagnon de voyage, en cas que celui qu’elle attendoit vint à lui manquer ; elle avoit fait une folle demarche sur la quelle il n’y avoit plus à revenir ; il falloit poursuivre, ou se perdre pour jamais ; Que de raisons pour ceder à la nécessité & à la force ! Ce fut aussi ce qu’elle fit à la fin, & après avoir opposé à l’incontinence du Moine toute la résistance dont sa situation la rendoit capable.

Comme un Abîme attire, dit on, un autre Abîme, il est rare aussi qu’une foiblesse, surtout dans une conjoncture pareille à celle où se trouvoit Agneze, ne soit pas suivie de plusieurs autres. La sienne alla si loin, que, comme si elle eut un pressentiment du malheur qui étoit arrivé au P. Alphonse, & qu’elle ignoroit néanmoins encore, elle se découvrit au Religieux Franciscain, lui raconta toute son avanture, lui [111] déclara le riche tresor dont elle étoit nantie, & lui offrit enfin de le partager avec lui s’il vouloit la suivre, en cas que son Amant ne la vint point rejoindre. Le Moine, qui ne s’étoit nullement attendu à cette double bonne fortune, ne se fit pas prier pour l’accepter. Il prit dès ce moment la charmante Agneze & son riche tresor sous sa protection, & lui jura d’aller, s’il le falloit, avec elle, au bout du monde. Ce serment fut ratifié par de nouvelles faveurs qu’il obtint de la belle à qui la necessité & l’abandon où elle se trouvoit les arracherent malgré elle. Le lendemain on se remit, dans la matinée, des fatigues du voyage & de la nuit. On dormit jusqu’à midi ; & on demanda en s’éveillant des Nouvelles du Cavalier qu’on avoit attendu la veille. Comme on n’en apprend aucune, Agneze s’en attriste. Le Moine, qui s’en réjouit intérieurement, la console de son mieux. Il lui renouvelle l’offre de ses services, & la promesse qu’il lui en avoit déja faite. Cette assurance diminue un peu ses inquietudes & son chagrin. On attend jusqu’au soir ; mais aussi inutilement qu’on avoit fait la veille. La seconde nuit se passe encore plus delicieusement que la premiere ; & l’Amant Augustin est encore plus maltraité par le Franciscain qui ne ménage pas plus la Maitresse de son Religieux Confrere, que si c’étoit la sienne propre.

Cependant comme plus on s’arrête, plus on court de risques, on prend la resolution de gagner païs au plus vite. Il ne fut plus question, pour le Moine, d’aller à Lodi prêcher sa Station. Dès qu’il eut eu les faveurs de la belle Agneze, & qu’il eut vu le riche Tresor qu’elle lui avoit offert de partager avec lui, adieu Sermons, adieu Carême, adieu Jeûnes & Abstinences, adieu Froc & Observances Monacales, [112] enfin adieu la Religion. Au lieu de prendre la route de Rome, comme la Religieuse se l’étoit d’abord proposé, il fut résolu de prendre, sur le champ, celle de Geneve, & de quitter la Banniere du Seraphique Patriarche S. François, pour aller promtement s’enrôler sous celle de Jean Calvin. O mortels insensez, dans quels égarements étranges l’amour du sexe & des richesses ne vous precipite-t-il pas !

Projet aussitôt exécuté que formé. Le Franciscain, qui n’avoit jamais voyagé qu’à pied, commença par se donner un Cheval avec le quel nos deux Voyageurs partirent. Comme ils changeoient de route, la belle Agneze, qui comptoit encore que son Amant viendroit la rejoindre (car elle n’avoit pris le Franciscain, qui étoit de douze ou quatorze ans plus âgé que le P. Alphonse, que comme un pis-aller, ou comme un Suppleant pour la servir au besoin), la belle Agneze, dis-je, donna avis, par un Billet qu’elle laissa dans l’Hôtelerie, de la nouvelle route qu’elle alloit prendre. Attention bien singuliere, & dans la quelle paroit encore l’innocente simplicité de cette aimable fille. En effet, si elle y eut entendu malice, & cru être infidelle à son Amant (ce qui n’étoit cependant que trop vrai), elle se seroit bien gardée de lui faire remettre ce billet, par le quel elle lui apprenoit qu’elle s’enfuyoit avec un autre qu’il pouvoit bien soupçonner n’être pas plus chaste que lui. Mais helas ! Elle n’avoit plus rien à craindre de ce malheureux Apostat qui l’avoit debauchée, & à qui la justice Divine avoit déja fait subir la peine de son crime. Voici de quelle maniere la chose étoit arrivée.

[113] Metatextualität► Vous avez vu, Monsieur, dans le commencement de cette histoire, que le P. Alphonse avoit été separé de sa chere Agneze par son Cheval qui, ayant pris le mors-aux-dents, l’avoit emporté, & fait disparoitre à ses yeux comme un eclair. ◀Metatextualität Tout ce qu’il avoit pu faire, en la quittant, étoit, comme vous l’avez encore vu, de lui donner un rendez-vous à la Porta Ticinese où il comptoit la joindre lorsque la fougue de son Cheval se seroit ralentie. Il n’en fut pas à la peine. En effet cet Animal après avoir parcouru, dans sa fougue, les deux tiers de la Ville, arrive sur les bords du fossé interieur ; & se jettant dedans, il y precipite le Moine infortuné qui, ne pouvant avoir de secours à une heure aussi indue, s’y noye malheureusement dans les eaux du Ticino & de l’Adda, qui remplissent ce fossé. On l’y trouva sans vie le lendemain matin ; & ayant été reconnu, il fut transporté secretement, & enterré de même par les Religieux de son Couvent, qui, pour étoufer cette triste Avanture, & sauver l’honneur de leur Ordre, firent courir le bruit, qu’il étoit mort d’une attaque d’Apoplexie. ◀Allgemeine Erzählung

Metatextualität► Tel fut le premier dénouement de cette Avanture, dont je comptois vous finir aujourd’hui le recit ; Mais je m’aperçois, Monsieur, que ma Lettre, qui n’est peut-être déja que trop longue, ne me laisse point assez d’espace pour cela. Je la renvoye donc au prochain ordinaire, dans le quel vous en aurez la fin ; & j’employe le peu qui me reste, à vous copier deux petites piéces de Vers, qui viennent de paroitre. ◀Metatextualität Le sujet de la premiere est la Place que l’on cherche, depuis trois ans, dans cette Capitale, pour y élever un Monument aux Conquêtes de notre Roi, & que la dépen-[114]se excessive qu’elle couteroit a jusqu’à present empêché de bâtir.

Ebene 3► Cachez vous pour jamais, lâches Adulateurs.

Louis a terrassé la basse Flaterie.
Ce généreux Monarque, Ami de la Patrie,
Refuse un Monument qui couteroit des pleurs.

« Non, a-t-il dit, que l’on efface
Pour toujours ces vastes projets :
Je ne pretends avoir de Place
Que dans le cœur de mes Sujets ».
◀Ebene 3

Metatextualität► Comme la coutume de nos François, lorsqu’il leur tombe entre les mains quelque jolie Nouveauté, est de la copier aussitôt, & de tâcher de l’imiter, le Dixain, vraiment original, sur le Maréchal de Saxe, que je vous ai envoyé dernierement, vient d’avoir ce sort, & d’être suivi par un autre dans le même goût. ◀Metatextualität Le voici.

dixain.

Ebene 3► Non vraiment, ce n’est pas un Auteur du comm. . . 1

Que l’Auteur du Dixain. Je n’en fais pas à. . . . 2.
Je le mets au dessus de ces Esprits é. . . . . 
3
Qui, pour louer
Maurice, ont fait le Diable à. . . 4.
Messieurs les Beaux-Esprits, je vous le donne en. . . 
5.
Imitez, s’il se peut, ce langage pré. . . . . . 
6.
Mais, non, vous ferez mieux de garder le Ta. . . . 
7.
Je n’acheverai pas : souvent trop parler n. . . . . 
9.
Et ce metier n’est bon que pour un
Cade. . . . . 10. ◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 30 Avril 1751.

P. S. Voici une Lettre qu’un de vos Amis m’a prié de vous faire parvenir sous le couvert de celle-ci. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Lundi ce 10 Mai 1751.

◀Ebene 1