La plûpart des personnes de notre sexe aiment tellement à contempler leur portrait, que je crains qu’elles ne soyent mécontentes de la
La curiosité donne certainement de l’impatience, mais je leur conseille de la modérer aussi bien qu’il leur est possible : suivant l’avis que
A la .Madame,
« Je ne commencerai par aucune excuse, puisque tous vos écrits montrent que vous avez trop à cœur l’honneur & le bien de votre séxe pour prendre en mauvaise part, tout ce qui peut contribuer à son profit, ou à son amusement.
Afin de vous aîder, s’il est possible, dans une entreprise si louable. Je prends la liberté de présenter aux Dames par votre canal un Miroir pour la vraie Beauté, qui ne peut que plaire infiniment à celles qui possédent cette prérogative inestimable.
Je serois fâché de faire aucune peine même à celles qui méritent le moins de considération, mais je voudrois aussi que celles qui sentent qu’elles ont quelque imperfection secrete, prissent garde comment elles se regardent dans ce miroir, de peur que croyant rencontrer un objet agréable, elles n’en voyent un qui les
Ce ne sont pas des traits bien tournés ; ce n’est pas un teint dont la blancheur l’emporte sur le lis ; ce ne sont pas des lévres de corail, ou des yeux qui brillent autant que les étoiles, qui peuvent les assûrer qu’elles se verront dans ce miroir comme elles paroissent aux autres.
Toutes ces graces dont le sexe se glorifie, ne suffisent point pour completer cette vraie beauté nécessaire, afin qu’elles se trouvent ici telles qu’elles désirent.
Il n’y a point réellement de vraie beauté, que celle qui est reconnue généralement pour telle ; qui est goûtée d’un chacun, & qui s’attire l’amour & l’admiration de tous ceux qui la contemplent. Maintenant ce n’est point ce qu’on entend ordinairement sous le nom de beauté, parce qu’il y a présque autant de différentes opinions à cet égard, que de différens caractères qui en sont charmés.
Anglois, Fantasque beauté, dit-il, qui change dans chaque pays, ici noire, là brune, plus loin tanée, & ailleurs blanche, qui n’as rien de certain, mais varie continuellement, & te montre aussi inconstante que celles qui te possédent.
qu’on ne peut point assigner la cause de l’Amour, quoiquelle n’est point dans le visage mais dans l’esprit de l’amant.
Il faut donc qu’elles ayent cette espèce de beauté qui plaît à toutes les inclinations, pour se regarder avec plaisir dans ce miroir.
Cependant que celles que le public flatte le moins ne craignent pas d’y jetter les yeux, peut-être verront-elles des charmes dont elles n’avoient jamais connu le prix, & si cette découverte ne leur donne point de vanité, elles sentiront du moins un plaisir intérieur, que les paroles ne peuvent pas dépeindre.
Mon miroir a encor cette propriété particuliére ; il n’est point comme les autres doublé de vif argent, mais clair, transparent, comme l’innocence & la vérité ; il ne montre pas seulement la personne qui se mire, telle qu’elle est réellement ; mais developpe impartialement tous ses charmes, ou ses imperfections à ceux qui sont de l’autre côté, même à une grande distance.
Or dans ce siécle où le beau sexe semble appliqué à détruire cette véritable beauté qu’il a reçue des
Mais quoiqu’il en soit, tous ceux qui désirent le bien de la plus aimable partie de la création ne doivent rien négliger de ce qui peut les mettre mieux en état de plaire.
C’est pour cette raison que je me fais un honneur de participer à vos travaux : je fini ici en vous assûrant que je suis avec le respect & l’admiration la plus sincére. »
Madame,
De vous & de vos dignes associées le très humble & très dévoué serviteur.
Sept. 1745
Très humblement présenté à celles, qui après une sérieuse réfléxion sur elles-mêmes, veulent hazarder de s’y regarder, par leur très humble serviteur & sincére admirateur.
Et d’abord vous, Vierges pures, qui ne connoissez point encor le mariage & qui ignorez également tout désir tumultueux, & toute impatience pour entrer dans cet état ; vous, qui ne considerez la différence des sexes que pour vous conduire de
Approchez ensuite vous, chastes épouses, dont le cœur pur n’a jamais entretenu de désir criminel : vous, dont les désirs ont été toûjours conformes à la volonté de l’époux que le ciel vous a donné, s’ils ne l’ont pas prévenu ; vous, qui ne désirez de plaire qu’à celui que vous
Enfin vous, vénérables matrones, louanges sincéres donnent une nouvelle force à la vertu, & dont les reproches faits avec douceur donnent au vice de l’horreur pour lui-même ; vous, qui savez mêler la gravité & l’enjouement, & vous acquitter a-plaisir des devoirs les plus rigides d’une femme & d’une Chrétienne ; vous, qui repondez au caractère que le Sage nous donne de la femme vertueuse, que ses œuvres lui attirent des éloges aux portes de la ville ; vous allez vous voir vous-mêmes dans ce miroir & être vûes des autres, avec des charmes qui vous dédommageront de ceux que la nature vous a refusés, ou dont le tems vous a privé. Il y aura quelque chose de majestueux dans vos regards, dans vos discours, ou dans vos actions, qui vous attirera l’estime, & vous gâgnera le cœur de tous ceux qui vous considéreront ; vous & toutes celles dont j’ai parlé, vous paroîtrez telles que l’admirable Il y avoit de la grace dans tous ses pas, ses régards étoient divins, tous ses mouvemens exprimoient la dignité & l’amour.
Ce sont là les seules beautés qui peuvent se considérer avec plaisir, car à l’égard de celles qui ont abandonné la sagesse pour suivre la folie ; qui se sont devouées aux masquara-
Il nous est absolument impossible de rien ajoûter sur un sujet qu’il a traité avec autant de nettete <sic> que de précision : il seroit très inutile de s’y étendre davantage, & au-lieu d’y répandre un nouveau jour, on ne feroit que lui ôter celui qu’il lui a donné, le rendre plus languissant & par conséquent moins efficace.
Mais il me semble que j’entends quelques-unes de nos Damees <sic> à la mode de s’écrier ; Que veut dire cet homme ? Pense-t-il que les vertus dont il parle augmenteront le nombre de nos amans ? ne nous exposeront-elles pas au-contraire à la risée de tous les jolis Cavaliers de la Ville ? D’autres d’une humeur plus sérieuse, diront ; que si une femme doit répondre à tous égards au caractère qu’il nous donne de la vraie beauté, on ne trouvera rien de semblable parmi le sexe.
A l’égard des premières il seroit tout à-fait inutile de leur faire aucune réponse : elles la traiteroient avec autant de mépris que le miroir lui-même ; mais à l’égard des autres, je les prie
Il est vrai que toutes ne sont pas également partagées des perfections de l’esprit, non plus que de celles du corps, mais toutes peuvent perfectionner celles qu’elles ont, & la seule tentative les fera paroître moins difformes, même dans le miroir de
Mais j’ai déjà remarqué plusieurs fois, que si nous prenions la moitié des soins pour embellir nos qualités intellectuelles, que nous en prenons en faveur de notre figure, nous paroîtrions à l’un & à l’autre égard avec beaucoup plus d’avantage.
Si mes remontrances, ou celles d’autres personnes bien intentionnées pour mon sexe, ont produit l’effet qu’elles désiroient, c’est ce que j’ignore : cependant nous ne devons pas tout abandonner, un seul moment peut amener à une heureuse fin ce qu’on a tâché de faire durant plusieurs siécles ; quelques fois une seule parole, lachée peut-
La
Nous ôsons nous assûrer que celle que nous allons publier a présent, sera
Mesdames
« Il n’est pas vraisemblable que rien de nouveau, sur tout ce qui mérite d’être lû, échappe à l’examen de la
Mais comme vous n’avez pas jugé à propos d’en faire mention, permettez que je vous présente quelques pensées de mon propre fond, non sur le poëme en particulier,
C’est cet assemblage, ou cette association d’idées, qui nous persuade que nous avons une âme, que cette âme est d’une nature divine & immortelle, puisqu’elle participe foiblement à la toute science du très haut ; car on ne pourroit pas expliquer d’une autre manière cette faculté de voir, qui est au delà de nos sens.
Non seulement nous avons le pouvoir de contempler tout ce que la nature nous présente, mais encor nous pouvons nous élever sur les aîles de l’imagination un monde intellectuel, comme si nous conversions avec des Etres d’une nature supérieure : & connoître des objets qui semblent être au dessus de la chair & du sang.
O le don merveilleux ! O grace favorite du Ciel, qu’on ne peut trop estimer ! que le cœur le plus vif, le plus sensible, ne pourra jamais trop bien reconnoître !
Cependant on peut abuser de cet excellent bienfait comme des autres graces du Ciel, & en faire l’instrument de son malheur, quoiqu’il soit destiné à notre félicité.
Souvenons-nous donc que ces idées qui viennent de l’imagination, peu-
Comment donc éviter ceci, demandera le libertin ? la réponse est aisée, en nous accoûtumant à réfléchir, & à contempler seulement les choses qui méritent l’attention d’une Créature raisonnable.
Si nous appliquons notre cœur à la poursuite d’un objet au-dessous de la dignité de notre nature, si nous nous livrons à des passions vaines & déréglées, en nous formant de leur objet une idée plus agréable qu’il ne mérite, nous risquons à chaque instant d’essuyer un fatal revers ; cette même imagination qui nous avoit occasionné des extases, peut nous inspirer des horreurs proportion-
Quand nous donnons avec plaisir notre attention aux merveilles de la création & aux belles productions de la nature, alors l’esprit peut être ravi en extase, en contemplant les bénédictions qu’il voit de tous côtés, & n’être que joye & reconnoissance pour son bienfaiteur.
Si l’homme vouloit considérer comme il le devroit, les grandes prorogatives de son espéce, ne verroit-il pas que son âme à moitié divine, n’est pas formée uniquement pour des objets bas, & sensuels ? que s’il fait un droit usage de ses facultés, elles le mettront en état de converser avec les anges & avec
Il suit de là que si l’imagination est capable de nous procurer le plus grand plaisir que l’âme connoisse,
Si nous n’accoûtumons pas de bonne heure notre esprit à méditer sur les vertus morales, à subjuguer nos passions, & à faire usage de sa raison, nous nous laisserons naturellement égarer par nos Sens, pour courir après des objets, qui ne nous procureront à l’aide de notre imagination qu’une joye de courte durée.
L’ingénieux Auteur du Poëme dont j’ai parlé, & qui a donné occasion à cette lettre, se proposoit sans doute de nous engager à régler nos pensées. Je suis infiniment charmé de cette agréable épisode où il montre comment le plaisir suit toûjours la vertu, & que si l’homme abandonne celle-ci, il sera sûrement privé de l’autre.
Je respecte les talens de cet Auteur, mais je ne crois pas qu’il ait dépeint avec des couleurs assez fortes toutes les horreurs que l’imagination nous présente, quand elle est privée de cette aimable Société ; ce la force de l’imagination, il auroit eû un champ assez vaste pour dévélopper les grands talens dont le Ciel l’a doué, en nous montrant cette faculté dans toute son étendue.
Je suis fâché que l’appréhension de paroître trop sérieux à quelques-uns de ses Lecteurs, l’ait engagé à omettre ce qui auroit rendu son Ouvrage complet ; je crois même qu’il se propose de tracer dans une seconde partie sous leurs propres couleurs, tous les désordres qui résultent d’une imagination déréglée.
En même tems, Mesdames, je crois que rien ne seroit plus digne de la plume d’une
A mon avis, la première seroit de n’avoir jamais trop d’attachement
De bannir du cœur toute sorte d’arrogance, & de prendre une résolution fixe de se soûmettre gayement aux décrets du sort, ce qui contribuera encore considérablement à faire de l’imagination une source de plaisir.
Mais par-dessus tout, de ne jamais s’inquiéter sur l’avenir ; quoique nos premières idées à cet egard puissent être agréables, il est présque impossible que d’autres d’une différente nature ne leur succèdent, ou du moins ne viennent se joindre aux premières pour troubler notre repos.
Quoique ces maximes puissent paroître difficiles, un Esprit qui commencera à en faire l’essai, avant qu’il se soit livré à aucune passion véhémente, ou qu’il se soit laissé corrompre par de mauvaises habitudes, les mettra fort aisément en pratique.
L’avis, Mesdames, que vous avez déjà donné, peut beaucoup contribuer à une œuvre si désirable ;
Mais comme il y a des passions qu’aucune occupation n’empêchera de s’introduire dans notre cœur, nous ne devons pas leur laisser prendre le dessus, mais étouffer dans leur enfance toutes ces émotions de plaisir lorsqu’on se flatte de réüssir, ou d’angoisse lorsqu’on craint d’échouër. L’un & l’autre sont également dangereux, parce qu’ils se suivent ordinairement.
Même l’amitié, la plus noble, la plus pure & la plus exaltée passion de l’ame, doit avoir ses bornes. Et pour parler le langage de la Théologie, lorsque nous aimons la Créature plus que le Créateur, nous pouvons nous attendre à de violentes afflictions qui tomberont sur nous-mêmes, ou sur la personne que nous aimons trop tendrement ; mais en mettant de côté les préceptes de la réligion, la raison & l’expérience nous apprennent suffisamment, que
Nous devrions donc tâcher de régler nos affections & nos inclinations même les plus louables, ensorte qu’une trop grande application à remplir un devoir ne nous fit pas négliger les autres, comme les plus honnêtes-gens n’y sont que trop sujets ; car la devotion elle-même peut devenir une faute, quand on la porte à un excès de superstition, ou d’enthousiasme.
Enfin quiconque donne trop de liberté à son imagination, risque d’en sentir les horreurs comme les plaisirs ; & quoiqu’il n’y ait point de satisfaction égale à celle de contempler des objets estimables, cependant quand on s’y livre avec excès, on éprouve souvent un cruel revers, & on se remplit l’esprit d’appréhensions sans sujet.
Je serois cependant fâché, que sur ce que j’ai dit, on voulût se priver des plaisirs de l’imagination. Sentons tout le prix des biens que l’Au-
Je n’ai voulu qu’avertir les personnes qui aiment la solitude & à réfléchir, qu’elles ne doivent pas arrêter leur imagination sur des objets qui ne peuvent leur être d’aucun avantage, mais plûtôt qu’elles doivent toûjours avoir dans l’esprit la priére du Docteur Enseigne à ma raison à bien raisonner, fais que ma volonté soit toûjours droite.
Il est certain que si notre raison
Mais je crains d’être trop long & de paroître ennuyeux ; si cette lettre ou quelques ouvertures que vous pourrez en tirer, vous sont ou à vos Lecteurs de la moindre utilité, vous pouvez être assurées, que ce sera un sujet abondant de réflexions agréables pour l’imagination de celui qui est avec toute la considération possible. »
Mesdames,
Votre très humble & très obéïssant Serviteur.
.
ce 20. Sept. 1745.
Il faut cependant convenir, que ce Poëme auroit été d’une utilité plus générale, si l’Auteur avoit tracé avec la même force les maux que l’imagination a le pouvoir de nous infliger, comme les plaisirs qui en naissent.
La raison en est naturelle & n’a pas besoin d’explication ; puisque les seuls esprits rafinés & délicats peuvent sentir ceux-ci, pendant que tous peuvent éprouver plus ou moins les autres.
Une personne d’un entendement foible, qui tâchera de prendre un vol trop haut, participera souvent au sort d’
D’où vient la folie, d’où vient le désespoir avec tout ce train d’horreurs sans nom, si non des idées que l’imagination se forme !
Quand l’imagination est excitée par des désirs, ou des passions déréglées, comme
à s’éléver dans leur sein ; des passions violentes, la colére, la haine, la défiance, les soupçons, & la discorde vinrent ébranler l’état intérieur de leur âme, autrefois calme & qui ne respiroit que paix, mais maintenant agitée & turbulente ; leur entendement & leur volonté n’écoutèrent plus de régle, mais l’un & l’autre assujettis désormais aux appetits sensuels, qui de subalternes s’érigerent en souverains, & usurperent l’autorité sur la raison.
Mais quoiqu’une imagination pervertie, ou portée trop loin, puisse être pernicieuse à certains esprits, le Poëte en réprésentant les plaisirs qui en naissent, si on en use bien, ne peut pas être condamné ; parce que suivant moi, il borne entiérement ces plaisirs à la contemplation de la Divinité, & des beautés de la nature si merveilleuses, si diversifiées, & à une louable imitation de tout ce qui se présente de grand, d’aimable, ou de nouveau ; ce sont-là, comme il le dit très bien, les trois principales qualités qui frappent l’esprit, & donnent lieu à l’imagination de se dévélopper.
Cette belle allégorie de son second livre, où il introduit le génie de l’es-
Sa citation de Chrétiens, voulussent considérer sérieusement ce qu’a dit ce Philosophe Payen, ils apprendroient à rendre leurs sentimens & leur conduite plus conformes à la dignité de leur nature.
La Philosophie est à la vérité notre grande ressource dans nos appréhensions, ou dans nos maux, & quand nous avons parcouru tout ce qu’on a dit dans tant de volumes sur le renoncement à soi-même, & sur une religieuse patience, il faut enfin y revenir ; quoique
Oh ! si la folle race des humains, qui ont toûjours l’esprit accablé de soucis, pouvoit trouver aussi bien la cause de cette inquiétude, & de ce fardeau qui est logé dans leur sein, ils changeroient sans doute leur train de vie, & ne vivroient plus comme aujourd’hui, sans savoir ce qu’ils doivent souhaiter, ou désirer. Toûjours inquiets en ville & à la campagne, ils cherchent un lieu où ils puissent déposer leur fardeau. L’un ne trouve point de repos dans son palais, il sort & croit bonnement laisser ses soucis après lui, mais le repos le fuit aussi en plein air, & il retourne bientôt chez lui. Un autre veut se retirer à sa maison de campagne, il pique, il est tout de feu ; mais il n’a pas plûtôt passé le portail de cette maison, qu’il commence à s’étendre, à bailler & à s’ennuyer ; bientôt il revient en ville avec la même impatience qu’il l’avoit laissée.
En effet quiconque prend ce dernier parti trouvera dans son imagination une source de plaisir ; mais celui qui le négligé, se sentira tourmente <sic> constamment par des maux réels, ou imaginaires.
Chaqu’un sçait qu’une imagination vive & forte à la propriété d’amplifier tout, même au-delà de la nature ; elle ne se contente pas de grossir les malheurs réels, elle en crée même des nouveaux, & qui ne peuvent jamais arriver.
Il arrive aussi fort souvent, qu’en voulant éviter un mal imaginaire on tombe dans un mal réel ; cette illusion à même été quelques fois si forte que ni les remontrances de nos amis, ni no-
On fit la revûe de toutes les chambres, & il fut enfin convaincu qu’il avoit été la dupe de son imagination ; on ne vit, ni feu, ni la moindre apparence qu’il y en eût ; mais pendant que le pauvre malheureux étoit occupé à examiner une chambre, les pillards depouilloient les autres, jusqu’à ce qu’ils eussent laissé bien peu de chose pour devenir la proye des flammes, s’il y en avoit eû réellement ; ils profitèrent du désordre pour faire leur coup, person-
Dès qu’il s’apperçût de son infortune, cette même imagination qui étoit la cause de son malheur, le lui représenta encore plus terrible, quoiqu’il lui restât un domaine en terres suffisant pour son entretien & qui étoit à l’abri des flammes comme des voleurs.
Il pensa donc qu’il alloit périr de misère ; sa raison succomba sous les terreurs de cet état ; entraîné par ces noires idées, il se jetta à Corps perdu par sa fénêtre, de la hauteur de deux étages, & se cassa la tête sur le pavé.
L’histoire des tems passés nous présente une nuée de témoignages, que non seulement des particuliers, mais des nations entières se sont tellement infatuées pars des idées qu’elles s’étoient forgées, qu’elles se sont précipitées avec un zèle & un empressement extrêmes dans les plus grands maux, dans
Que ceux qui émeuvent la populace, ayent une fois l’imagination échauffée, que ce soit, ou non, avec raison & justice, l’infection se communique d’abord à la multitude, comme s’exprime un Poëte.
Mais en supposant qu’il ne nous arrive aucune infortune, outre celles que notre imagination nous suggére, cette seule raison devroit tenir toute personne sensée sur ses gardes.
Pour m’expliquer, je ne voudrois pas qu’on confondit la contemplation avec la faculté d’imaginer, qui touche
L’excellent Auteur, qui a donné occasion à nos remarques & à la lettre d’
On a beau alléguer que l’imagination
Le
Imagination, dit un autre Grand Auteur, est la source, d’où procédent tous les mouvemens de la vie ; elle produit la contemplation, celle-ci produit le dessein, & le dessein se montre par les actions, ensorte que si le tronc est vicieux & corrompû, toutes les branches seront naturellement impures.
On n’en peut jamais trop dire pour empêcher les hommes de se livrer à des pensées sombres & chagrines ; car si on les favorise le moins du monde, elles s’enracineront infailliblement dans l’esprit, & formeront les images les plus horribles & les plus effrayantes.
plaisirs de l’imagination, nous eût donné une peinture des peines qu’elle peut nous procurer, lorsqu’on ne retient pas cette qualité active dans de justes bornes & sous le gouvernement de la raison.
Mais en cas que cet Auteur ne juge pas à propos de traiter ce sujet, ou qu’il en soit détourné par quelqu’autre occupation,
S’il ne sort de la presse, avant qu’il ait terminé cet ouvrage, aucune piéce de ce genre, que sa modestie lui fasse paroître meilleure que son Poëme, nous nous flattons que nous aurons le plaisir de le communiquer au public dans l’un de nos discours suivans.
.Madame,
« Les bons avis que vous avez donnés à notre Sexe, & la tendresse que vous avez toûjours exprimée pour notre bonheur dans le monde, m’enhardissent à devenir une de vos correspondantes, quoique,
J’espére cependant que vous excuserez en faveur du sujet la manière dont je m’exprimerai ; & comme je n’ai point d’autre vûe en publiant
Il persévera dans cette résolution jusqu’à ce que je fusse arrivée à l’âge de quinze ans, ou environ, que je commençai à appercevoir chez lui de l’altération ; quoique les richesses continuassent à s’accumuler sous ses mains, & qu’il ne lui arrivât aucun échec dans ses entreprises, il devint extrêmement menager, & enfin tout-à-fait avare ; il retrancha le nombre de ses domestiques, les plats de sa table, & se refusa même à son souper une bouteille de vin, quoiqu’il eût souvent déclaré qu’il ne lui seroit pas possible de s’en passer.
Il ne faut pas douter que je n’eûsse part à cette nouvelle œconomie ; on diminua mon argent ordinaire de poche ; je n’eus que rarement des habits neufs, & qui coûtoient moins que les précédens ; on ne me permit plus d’aller à la Comédie, à l’Opéra ou à aucune autre assemblée publique ; ce n’est pas qu’il eût de l’aversion pour ces amusemens ; mais il regardoit alors comme autant d’ex-
Vous pouvez, Madame, vous imaginer que ce changement dut être une extrême mortification sur moi, & il l’auroit réellement été, si mon cœur n’avoit pas été occupé alors de pensées qui ne me laissoient point d’attention pour aucun autre objet.
Le fils d’un Gentilhomme de
Enfin comme nous avions l’un pour l’autre une affection mutuelle, il obtint aisément de moi qu’il pourroit en informer nos parens ; son père supposant que j’étois un très bon parti en écouta très favorablement la proposition ; & le mien n’avoit point d’objection à faire,
Nous instruisimes donc nos parens & nos amis de cet amour, dont nous avions fait auparavant un secret aux yeux du public, & ils pensoient tous que notre union qu’on attendoit bientôt, seroit à tous égards très bien assortie.
Pour nous nous ne pensions qu’à notre bonheur à venir, sans nous imaginer qu’une affaire si bien approuvée de ceux qui pouvoient disposer de nous, dût échouer.
Mais hélas ! nous vîmes bientôt que nous nous étions mépris, & que ce prospect enchanteur qui avoit parû devant nos yeux n’étoit qu’une illusion, qui aggravoit encore le poids de notre infortune ; l’article important pour notre bonheur manquoit encore, quoique nous n’y eussions jamais fait attention ; notre ambition & tous nos vœux se concentroient dans la possession l’un de l’autre, & nous ne portions pas plus loin nos vûes.
Je vous laisse à deviner combien cette replique surprit le bon Gentilhomme ; ils eûrent ensemble un long débat ; mais l’un trouvant très déraisonnable que son fils dût se marier sur de telles conditions, & l’autre étant déterminé à ne point se priver en ma faveur d’aucune partie de son argent, ils rompirent en se récriant réciproquement contre l’injustice l’un de l’autre.
Le père de mon amant lui dé-
Je vous avoue, Madame, que mon orgueil en fut d’abord alarmé, mais ce cher jeune homme à qui je faisois cette injure, me convainquit bientôt de sa fidélité, & qu’il sentoit pour moi une tendresse désintéressée, en faisant tous ses efforts pour me persuader de nous marier en secret ; mais voyant que je ne voulois pas y consentir, il offrit de me conduire publiquement à l’Autel, quoiqu’il dût encourir pour toûjours la disgrace de son père, & se voir privé de tout ce qu’il devoit posséder.
Cette proposition me parut plus extravagante que la première ; & toute jeune que j’étois, quoique j’aimasse beaucoup comme j’aime encore, je ne pouvois penser à satisfaire notre amour en nous rendant l’un & l’autre malheureux, peut-être
Nous nous fîmes cependant une promesse solemnelle, de n’écouter jamais aucune offre de mariage, & de nous conserver l’un à l’autre notre cœur & notre main malgré toutes les tentations.
Trois années se sont écoulées depuis. Dans cet intervalle on lui a proposé différens partis fort avantageux, qu’il a tous rejettés, avec une fermeté qui montre son honneur comme son amour.
Mais maintenant, chére
En un mot, Madame, il ma pourvu d’un Epoux, & si je ne consens pas à ce mariage, je dois être mise à la porte, sans la moindre ressource & sans aucune espérance d’avoir rien de lui à sa mort ; au-lieu des bénédictions d’un père, je ne dois recevoir que des madédictions durant sa vie & dans son lit de mort. Tandis que j’écris ceci, mon cœur frissonne au terrible souvenir de ce qu’il m’a dit à ce sujet, & en voyant combien il m’est impossible d’éviter ce qui me rendra non seulement malheureuse au-delà de l’expression, mais encore perfide & ingrate envers le cher & digne objet de mes prémiers vœux.
Plusieurs de nos parens s’apper-
Son grand motif, c’est que l’homme à qui j’ai eû le malheur de plaire, n’exige point de dot, & peut lui être très utile dans ses affaires.
Voilà les qualités pour lesquelles on le préfére ; ce sont-elles qui le font paroître un parti convenable aux yeux d’un avare père ; quoique pour tracer impartialement son caractère, & sans consulter aucune des raisons, que j’ai de le haïr, la personne la plus désintéressée doive convenir que sa figure est fort désagréable, qu’il a le malheur d’être manchot, qu’il a dans la Physionomie quelque chose d’aigre, & qu’il a trois fois mon âge ; je ne dis rien de son caractére, parce que je ne le connois pas suffisamment pour en
Je ne dis pas ceci, Madame, comme si ce seul motif me déterminoit actuellement, car je le détesterois également, quand même il seroit, au-lieu du plus désagréable, le plus aimable homme que le Ciel ait jamais formé, s’il tâchoit d’ébranler la constance que j’ai promise à ma première passion.
Cependant, malheureuse que je suis ! je vais faire tout ce que pourroit exécuter la personne la plus fausse, & la plus perfide de mon Sexe ; c’est dans ce point de vûe que je paroîtrai à tous ceux qui savent les protestations d’un amour éternel, que j’ai faites à celui que je vais rendre malheureux pour toûjours. On travaille à mes habits de noce, (plût à
La seule consolation que j’aie sous cette cruelle épreuve, est l’espérance que mon histoire vous engagera
Ma bonne Dame,Votre très infortunée Servante,
« P.S. Jeudi prochain est le jour fixé pour que je recoive l’arrêt de mon sort, si je puis survivre jusqu’à ce jour ; ayez compassion de moi c’est tout ce que vous pouvez faire en ma faveur. »
N’est-ce pas une chose bien extraordinaire, & en même tems contre la nature, que des pères, qui aiment avec passion leurs enfans tandis qu’ils sont jeunes, puissent ensuite les rendre misérables pour toûjours, uniquement afin de satisfaire un sordide intérêt.
Il est vrai que la plûpart de ceux qui forcent ainsi les inclinations de leurs enfans, ayant passé l’âge de sentir de douces émotions, croyent agir pour leur plus grand bien, tandis qu’ils les obligent à sacrifier l’amour à l’ambition ; mais le père de cette jeune Dame a porté l’avarice, plus loin qu’on ne le fait ordinairement, & il semble que ce n’est pas tant pour le bien de sa fille, comme pour son propre intérêt en gardant son argent, qu’il a rompu son union avec un homme qui lui étoit si cher, pour l’obliger de donner sa main à un autre, qu’elle ne hait pas moins.
Détestable penchant ! à quel excès nous porte-t-il ! tout sentiment noble,
Nous hazardons de perdre nos biens dans la vaine espérance de les doubler ; nous renonçons à notre probité dans la vûe d’acquérir de l’honneur ; nous descendons aux actions les plus basses & les plus méprisables dans l’attente de devenir grands, en un mot il n’y a point d’extravagances dont un homme dévoué à l’avarice, ou à une fausse ambition, ne se rende coupable ; dans le même tems qu’il poursuit la bonne fortune, il pousse hors de son chemin la Déesse qu’il adore.
Il y a dans cette passion plus que dans les autres, un endurcissement de cœur impénétrable à tous les assauts de la nature, & infléxible aux remontrances de la raison & de la Réligion.
Quand j’ai fait cet or, j’ai fait un Dieu plus grand que & je me suis dépouillé de ma toute puissance.
Que l’argent est la balance commune de tout ce qui se mesure, se pèse & se dit ; jusques dans les affaires de l’Eglise & de l’Etat. C’est une beauté toûjours dans sa fleur, qui pousse & fleurit à quatre-vingts ans. C’est vertu, esprit, mérite, & tout ce que les hommes traitent de sacré & de divin, car qu’est ce qui constitue le mérite d’une chose, si ce n’est l’argent qu’elle rapportera ?
S’il étoit possible à un esprit généreux de se divertir à contempler la dépravation de la nature humaine, combien ne riroit-il pas de voir un malheureux se glorifier de sa finesse, & de sa parfaite connoissance du monde, comme il s’imagine, pendant qu’il est peut-être la Dupe de ceux qui exaltent son bon sens, & qu’il devient la proye des plus grands fripons.
Enfin il n’y a pas de chemin qui conduise plus droit à la mendicité que l’avarice ; cependant le sort de plusieurs milliers ne suffit pas pour empê-
Malheureuse stupidité ! pour un qui réussit, mille se ruinent !
Mais pour revenir à la malheureuse
Autrement il n’y auroit point de membre de notre Société, jusques à
Nous ne lui aurions pas donné conseil d’épouser son jeune Amant ; c’auroit été attaquer directement l’autorité paternelle, & faire une brêche inex-
Elle se seroit suffisamment acquittée de son devoir en résistant à son inclination ; & en continuant dans la résolution de tout souffrir plûtôt que de se donner à un homme qu’elle ne pouvoit pas aimer, elle auroit donné un témoignage de son amour & de sa constance en faveur d’un Amant qui en paroit si digne ; pendant qu’en se conduisant comme elle a fait, elle s’est non seulement enveloppée elle-même, mais encore l’objet de son affection, dans une calamité, qui durera vraisemblablement autant que leur vie.
Je sçais bien que quelques personnes qui poussent la prudence à l’excès, diront, qu’elle n’avoit point d’autre parti à prendre, (& elle étoit sans doute de la même opinion) ; que si son père avoit exécuté ses menaces, en la mettant à la porte, elle auroit été exposée aux insultes & à toutes les misères de la pauvreté. Mais j’ai de la peine à croire que sa condition eût jamais été si désespérée, quand même son
Et nous ne pouvons pas croire sans manquer de charité, que son père ne se fût pas appaisé avec le tems, au point de la reprendre chez lui, s’il ne vouloit pas consentir à ce qui auroit pû rendre son bonheur plus parfait.
Mais quand l’union indissoluble du mariage est une fois formée, quelque désagréable qu’elle puisse être au commencement, c’est le devoir de ceux qui sont unis de cette manière de travailler à leur bonheur réciproque ; toutes les réflexions suivantes, tous débats ne servent qu’à rendre l’infor-
Nous espérons donc que le bon sens de
A la .Madame,
« Vous trouverez ci-jointe une piéce d’antiquité, qui vous paroîtra, comme je l’espére, digne d’être insérée dans votre ouvrage, où vous mêlez si bien l’utile avec agréable <sic> ; il faut supposer que c’est un fragment, que le fameux
J’ôse repondre que vous ne penserez pas qu’il ait beaucoup perdu par la traduction, quand vous saurez, qu’il a été mis en Anglois par le Docteur
Madame,
Avec la plus grande consideration,Votre très humble, & très obéïssant Serviteur.
Du Caffé de Giles ce 29. Oct. 1745.
Ne soyez point étonnée, ô trop aimable femme de j’aime : j’aime avec une passion digne de vos charmes, & de celui qui la loge dans son sein ; une passion que Taureau d’airain (* (*) ) éprouva avec justice les souffrances qu’il avoit eû la cruauté de préparer pour d’autres ; mais pour moi en faisant un
C’est à votre cœur seul à annuler la Sentence de ce
Pensez donc, pensez, divine
.
« Vous m’ordonnez, ô puissant
Est-il donc possible que
Puis donc que mon Empereur insiste que je me regarde comme quelque chose digne de son attention, je n’ôse plus douter de l’honneur qu’il me fait, & ce n’est peut-être pas une des moindres merveilles de son pouvoir, qu’il m’oblige à manquer à toutes ces régles de modestie & d’humilité que j’ai toûjours observées, & à reconnoître non seulement que je regarde la considération qu’il daigne me témoigner comme la plus grande gloire qu’une mortelle puisse recevoir ; mais encore que cette conviction me fait un plaisir au-dessus de toute expres-
Quand je compare la première partie de votre lettre avec la dernière, j’y trouve des contradictions que je ne puis pas concilier, bien loin de cette candeur & de cette sincérité que je souhaitois & que j’attendois de âme cette influence dont vous me flattez, elle agiroit certainement avec trop de pouvoir sur le beau corps qu’elle anime, pour me laisser long-tems sans être heureux ; enfin, ma chére
.
« Pourquoi, cruel
« C’est fort bien, ô beauté divine ! Ce feu de
(*) L’Histoire nous apprend que cette fête fut la plus splendide qu’on eût jamais vûe ; il y avoit mille barques dorées, illuminées & ornées de superbes flammes, avec des devises curieuses, qui marquoient le pouvoir de l’amour & de la beauté ; tous les grands de ), que j’ai préparé sur le
d’
Plusieurs de nos lecteurs auroient sans doute vû avec plaisir la continuation de la correspondance entre deux personnes, qui font une figure si considérable dans l’histoire Romaine, par quels artifices
Romaine.
Il y a des hommes, diront-ils, qui prétendront avoir une passion aussi violente que celle d’
Je souhaiterois sincérement que la vanité qui n’est que trop attachée à notre sexe, comme il faut en convenir, ne donnât point de poids à une
Cependant on ne doit pas imposer silence à l’histoire, parce qu’elle contient des faits qui ne doivent pas être imités ; & il ne faudroit pas ôter aux personnes de bon goût l’agréable amusement de lire les anciens, parce que nous y trouvons des caractéres odieux, que nous voudrions qui n’eussent jamais existé.
Une femme de qui le cœur est gardé par la raison & la religion, ne se livrera jamais à l’influence d’un mauvais exemple ; & celle qui rejette bien loin ces divins secours, n’a pas besoin qu’on lui dise que
Quand nous sommes une fois privés Comme la débauche même sous un déhors Angélique n’ébranlera jamais la vertu, de même, si elle étoit unie à un ange du Ciel, elle fuiroit les charmes d’un lit céleste pour se repaître d’ordures.
Ce seroit un grand bonheur s’il n’y avoit point d’exemples d’une datte postérieure à ceux d’vertus des anciens Romains sont assés décriées, parce qu’elles sont hors de mode, la même raison devroit faire rejetter leurs vices, puisqu’ils sont du vieux tems.
Peut-être quelques personnes se trouvent-elles dans une circonstance semblable à celle qui a occupée sa plume, c’est pourquoi, je ne manquerai pas d’insérer dans un endroit convenable ses sentimens sur ce sujet ; à l’égard des accusations qu’il lui a plû de porter contre la Spectatrice, c’est notre affaire d’y répondre aussi bien qu’il nous sera possible, en laissant au redoutable tribunal du public la décision de ce différent.
Fin du Vingtiéme Livre.