Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 35.", in: La Bigarure, Vol.2\035 (1749), S. 121-128, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4920 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. 35.

(Suite de l’Extrait des Dialogues du D. Berkley.)

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Le Docteur passe ensuite aux qualitez primitives que les Philosophes donnent aux Corps, qui sont l’étendüe, la solidité, la figure, &c. Il prouve que ces dernières qualitez ne sont pas plus inhérentes à la Matiere, que ne le sont les autres. Ebene 3► « Si elles l’étoient, dit l’Auteur, elles devroient être fixes & invariables comme l’est la Matiere ; Or puisque ces choses varient selon la diversité des Organes, & suivant le point de vuë sous lequel on les apperçoit, c’est une preuve qu’elles sont dans nous, & non dans la Matiere. La Matière étant ainsi dépouillée de ses qualitez sensibles, peut-elle être autre chose qu’une substance Chimerique ? Si vous dites que la Matière est le Substratum, comme on parle dans l’Ecole, c’est-à-dire, le soutien des choses sensibles, je vous demanderai (poursuit le Docteur) à quoi vous pouvez être redevable de la connoissance de cet Etre-là. Ce ne peut pas être aux Sens ; car ils n’apperçoivent immédiatement que les qualitez & les modifications. Vous ne pouvez donc les connoitre que par la voye de la réflexion & de la Raison. Si c’est-là votre dernier retranchement, je vous y attaque avec beaucoup d’avantage ; car je vous prouve que ce Substratum doit être répandu sous les qualitez sensibles qu’il soutient, & par conséquent sous l’étenduë : Or comment ce qui est différent de l’étenduë, peut-il en être le soutien » ◀Ebene 3 ?

Pour démontrer l’impossibilité de l’existence de la Matière, l’Auteur propose toutes les difficultez que les [122] anciens Philosophes Sceptiques *1 faisoient contre l’étenduë, le mouvement, & la divisibilité de la Matière à l’infini. Mais quand même l’existence de la Matiére seroit possible, elle ne lui paroit nullement propre à entrer dans le plan de Dieu ; Car, selon lui, on doit la ragarder <sic> ou comme la Cause, ou comme l’instrument, ou enfin comme l’occasion de nos différentes perceptions. Comme cause, il est évident, dit-il, qu’elle ne peut produire nos idées. Elle ne le peut non plus entant qu’instrument ; Dieu n’en as pas besoin. D’ailleurs puisque Dieu peut par lui-même, sans l’intervention des Corps, exciter en nous différentes impressions, il est tout naturel de croire que Dieu n’a point crée un Monde Matériel. Enfin la Raison nous apprenant que Dieu, conformément aux vuës de sa Sagesse, agit toujours par les voyes les plus simples, la Matière n’est point l’occasion dont il se sert pour nous donner une suite d’idées. Il se dirige en cela bien mieux par sa Sagesse, qu’il ne le feroit par le secours de la Matière.

La partie la plus curieuse de cet Ouvrage est le troisième Dialogue ; dans lequel l’Auteur lutte contre les difficultez qu’on oppose à son Systême. Plus hardi que Malbranche, qui fut du moins arrêté par l’autorité de la Revelation, il prétend le concilier avec elle & faire voir que c’est se conformer aux intentions de Moise que de regarder l’Univers entier comme une vaste Scène d’illusions. Le Sophisme dans lequel il s’envelope continuellement consiste en ce qu’il nie l’existence de la Matiere parcequ’il n’en connoit, dit-il, ni la nature, ni les propriétez ; semblable en ce point aux Pirrhoniens qui doutoient de tout, parce qu’ils rencontroient partout des difficultez ; comme si ne pas connoitre les choses à fonds étoit une raison pour en nier la réalité.

[123] J’apprends avec plaisir que M. l’Abbé de Condillac, si connu dans la République des Lettres par son esprit & sa sagacité à manier ce qu’il y a de plus subtil & de plus délié dans la Métaphysique, travaille à refuter ce dangereux. <sic> Ouvrage dont la Religion & notre France se seroient bien passées. Je ne manquerai pas de vous rendre compte de cette refutation aussi-tôt qu’elle paroitra. En attendant, Metatextualität► pour vous égayer un peu, ◀Metatextualität je joindrai à ces deux Extraits une Historiette Académique qui pourra vous faire d’autant plus de plaisir, que vous en connoissez le principal personnage.

Vous sçaurez, Monsieur, que notre Poëte Voltaire, Auteur de la nouvelle Tragédie d’Oreste, dont je vous ai parlé assez amplement dans ma dernière Lettre, vient de retirer cette piéce du Théatre ; ce qui n’est pas un prejugé bien favorable pour lui. En effet lorsqu’un Poëte voit son Ouvrage goûté & applaudi par les Spectateurs qui viennent en afluence pour le voir, il se garde bien de le leur cacher, & ce seroit ne pas connoitre Mr. de V. . . . que de croire qu’il auroit retiré sa Tragédie d’Oreste au milieu d’un succès brillant. Ses Amis voudroient cependant ici qu’on le crût. Ils publient que c’est en lui un trait de Politique dont il s’est bien trouvé à l’égard de celle de Semiramis, & que c’étoit le seul moyen d’arrêter & de dissiper les cabales qui s’étoient formées contre sa dernière piéce. Ses ennemis, au contraire, qui tournent en ridicule jusqu’à ses moindres démarches, disent qu’il n’en a agi ainsi que parce qu’il sentoit bien que le pauvre Oreste trioit à sa fin. Quoiqu’il en soit des prétentions & des discours des uns & des autres, il se pouroit bien faire qu’une Catastrophe, arrivée à Mr. de V. . . le jour de la derniere representation de cette piéce, auroit contribué à la faire disparoitre.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Ce Poëte s’étoit placé, ce soir là, dans une Loge à côté d’un Gentil-homme Campagnard qui le connoissoit beaucoup mieux de nom que de Phisionomie. A chaque Vers mal-traité par les Acteurs dans la déclamation ; à chaque Sillabe qui n’étoit pas prononcée selon les regles, le feu de l’expression, & l’Enthousiasme [124] Poëtique, M. de V. . ., se tourmentoit & se démenoit comme un vrai Démoniaque à la vuë d’un Exorcise, c’est-à-dire, qu’il pestoit, juroit, faisoit rage, & se tordoit tous les membres. Le Campagnard, ne sachant à quoi attribuer cette Phrénesie, crut de bonne foi que c’étoit un homme tourmenté par quelque malin Esprit, & à chaque vertige du Poëte il étoit sur le point de quitter la place qu’il occupoit. Le premier & le second Acte de la piéce se passerent ainsi dans les plus violentes convulsions. Les Acteurs commençant à s’échaufer au troisieme le debiterent assez bien pour que le calme succedât à la fureur dans laquelle avoit été notre Poëte ; & de son côté le Gentilhomme, qui avoit plus d’une fois appréhendé que M. de V. . . dans les transports où il l’avoit vu, ne se précipitât dans le Parterre, jouit d’un peu de tranquillité pendant cet Acte.

A celui-ci succeda le quatrième qui, étant le plus beau, étoit par conséquent le plus difficile à bien exécuter. Les sentiments qui suivent les passions les plus agitées ne sont effectivement rien moins qu’aisez à bien exprimer ; & le passage de la tranquilité à la fureur, que l’Acteur est obligé de faire presque à chaque moment, rend le rôle aussi difficile qu’il est noble & brillant. Tout étoit interressant dans celui-ci. Le Campagnard, qui n’admiroit qu’en tremblant les beautez de cet Acte, à cause des convulsions qu’il voyoit à son voisin qui grinçoit les dents de rage contre quelques-uns des Acteurs dont il n’étoit pas content, osa néanmoins témoigner ce qu’il pensoit de cet endroit de la piéce en s’écriant : Que cela est beau ! Ces trois mots de bienveillance calmerent les sens du Poëte qui s’en trouva agréablement flatté.

Mais lorsqu’on vint au cinquième Acte qui, malgré les corrections que l’Auteur y a faites, n’est pas encore bon, le Gentil-homme, que la fougue du Poëte avoit rendu un peu plus hardi parcequ’il voyoit qu’elle n’avoit point eu de fâcheuses suites, & qu’il croyoit d’ailleurs que c’étoit à force d’entrer dans la passion qu’il se livroit ainsi à la fureur Sybillique, crut qu’il pouvoit alors exprimer ses sentiments sur cet Acte avec autant [125] de liberté qu’il l’avoit fait sur le précedent : Ah ! que cela est fade ! s’écria-t-il. Que cette pensée est sotte ! Que cette expression est mauvaise !

Passer dans le même instant d’un grand plaisir à la fureur la plus violente, c’est un effort que la Nature ne fait guére sans marquer par des Symptomes extraordinaires combien elle en souffre. Dans un cas pareil à celui où se trouvoit M. de V. . . . lorsqu’il entendit ces dernières extrémitez. Notre Poëte, un peu moins violent, n’est guére moins agité. La colere le met hors de lui même ; les yeux lui roulent dans la tête & lancent au Campagnard des regards qu’on auroit persque pris pour des Eclairs.

Ebene 4► . . . Subito non vultus, non color unus,
Non comta mansere coma, sed pectus anbelum,
Et rabie sera corda tument,
(a2 ). ◀Ebene 4

il ne peut trouver de paroles pour s’exprimer; enfin

Ebene 4► Vox faucibus hasit. (b3 ). ◀Ebene 4

Tant que l’Acte dura, il tint fixé le pauvre Gentil-homme, de façon que celui-ci, s’imaginant qu’il alloit expirer, lui offrit son secours. Qu’avez-vous donc Monsieur ? lui dit-il d’un air & d’un ton plein de charité. Ebene 4► Vous trouveriez-vous mal ?

At Phoebi nondum patiens immanis in antro
Bacchatur Vates
(c4 ). ◀Ebene 4

« Maitre fat, vrai Sot, petit Campagnard, ignorant Provincial, lui répond le Poëte, il t’appartient bien de juger d’une piéce de Théatre ». A ce compliment succéda un torrent d’autres invectives auxquelles le Gentil-homme ne sçut que répondre, tant il en fut étonné. On s’attendoit, après cette belle harangue, que le Spectacle pouroit bien être ensanglanté & que le Pere d’Oreste alloit peut-être mourir avec son fils ; Mais heureusement le Campagnard & son Agresseur se trouvoient n’avoir pas plus de bravoure l’un que l’autre ; desorte que le denouëment de cette comique Scène fut qu’ils tirerent chacun de leur côté, & s’en retournerent tranquilement chez eux. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Voila, Monsieur, un événement dont j’ai été témoin depuis ma derniere Lettre, & qui m’a paru assez plaisant pour mériter de vous être communiqué dans celle-ci. J’ajouterai ici une remarque que j’ai faite à cette occasion. C’est que ces sortes de Catastrophes n’arrivent guére qu’aux grands Poëtes. J’ai lu quelque part, qu’il en arriva autant au celebre & inimitable Moliere, à une des representations de sa Comedie du Tartufe. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Le Sieur de Chammélé, qui n’étoit point encore alors dans sa [126] troupe, étant venu voir ce fameux Comique dans sa loge, qui étoit proche du Théatre, au moment qu’ils en étoient aux compliments, Moliere s’écria tout à coup : Ah Chien ! Ah Boureau ! & à chacune de ces exclamations, il se demenoit, & se frapoit la tête comme un Possedé. Chammêlé le crut attaqué de quelque mal, & étoit fort embarrassé ; mais Moliere, qui s’apperçut de son étonnement, lui-dit : Ne soyez point surpris de mon emportement ; je viens d’entendre mal déclamer quatre Vers de ma piéce, & je ne sçaurois voir mal-traiter ainsi mes Enfans sans souffrir comme un Damné. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Metatextualität► Apres nous avoir un peu égayé par les petites folies de deux de nos plus grands Poëtes, j’espere, Monsieur, que vous ne trouverez pas mauvais que je reprenne le ton sérieux qui, comme vous le sçavez, m’est assez ordinaire. ◀Metatextualität Je suis persuadé que vous le prendrez vous même en lisant la piéce suivante qui est, à mon avis, une des plus belles qui soit sortie depuis long-tems de la plume de nos Poëtes. La modestie de celui-ci Metatextualität► (vertu assez rare dans ces Messieurs) ◀Metatextualität n’a pu le faire consentir que je vous disse son nom, mais je crois qu’en la lisant avec attention, vous n’aurez pas de peine à le reconnoitre au tour aisé de sa poësie & à l’élégance de son stile, aussi-bien qu’à la beauté & à la solidité de ses pensées. C’est un morceau à servir en tout tems ; mais sur-tout dans celui où nous venons d’entrer.

Ebene 3►

Epitre
A Monsieur le Marquis de **.
Sur la Sagesse.

Oui, je sçai bien que la Jeunesse

Est vraiment l’âge des plaisirs,
Et que ce Printemps, où sans cesse
Se succedent nouveaux désirs,
Ne porte guére à la sagesse.
Toujours de concert avec nous.
La Nature, dans ce bel âge,
Nous inspire mille dégouts
Pour tout ce qu’on appelle Sage,
Et nous invite à faire usage
D’un tems si charmant & si doux ;
Mais, tendre Ami, défiez-vous :
La jeunesse foible & volage,
Trop pleine de la Volupté,
Souvent aveuglément s’engage
Sur un Océan où l’Orage,
Se formant dans l’Obscurité,
Bientôt prêt à faire ravage
Eclate & sait faire Naufrage
Lorsqu’on se croit en sureté
.
[127] Il n’est point de sécurité
Sur un si dangereux rivage.
Heureux, hélas ! qui se dégage
Du Monde & de sa vanité !
Cher Ami, plus je l’envisage,
Loin de lui rendre un sol homage,
Plus j’en sens mon cœur dégouté.
Douce, aimable tranquilité
Non, vous n’êtes point l’apanage
Des plaisirs d’un Monde emporté !
Qui s’y livre est dans l’Esclavage ;
Qui les fuit est en liberté.
Sourds au trop séduisant langage
Que nous tient le libertinage
Sous l’air & le masque emprunté
D’une innocente Volupté,
Craignons, armons-nous de courage ;
Fuyons ce brillant étalage
Qui flate la Cupidité.

Tels qu’on voit sur l’humide plage

Un Matelot, quoique enchanté,
Des flots, des vents craindra <sic> la rage,
Et rapeler sa fermeté
Au moment où sur le rivage
La Sirene, au triste présage,
Par ses melodieux accens
Veut interrompre son voyage ;
Tels, Ami, dans notre jeune âge,

Fuyons les charmes séduisants
Des plaisirs qui flatent nos sens ;
Prenons la Vertu pour partage.
La Sagesse est belle en tout tems,
Et c’est sur-tout dans la jeunesse
Que de cette seule richesse
Il faut jetter les fondements.
A notre âge, de la sagesse
Quand on n’a pas les sentiments,
Dans une pesante vieillesse
Si nous conservons tous nos sens
Croyez-vous que le crime cesse ?
Non, souvent c’est notre foiblesse
Qui rend nos désirs impuissants.

Qu’un autre au gré de ses caprices,

Sur un vaste Océan de Vices
Promene ses égarements :
Bien-tôt la jeunesse s’éface ;
La Volupté s’éslipse <sic> & passe
Avec tous ses amusements.
Grand Dieu ! qu’aperçois-je en leur place !
[128] En lui quels tristes changemens ?
Les frémissements, les allarmes,
Les soupirs, les frayeurs, les larmes,
Suite de ses débordements,
Tout l’agite, tout le tourmente ;
Il connoit enfin son erreur,
Hélas ! plus son âge s’augmente
Plus il sent croitre sa douleur.

Ami, touchez de son malheur,

Plaignons un sort si déplorable,
Prévenons un destin semblable,
Et nourissons dans notre cœur
Des vertus le précieux germe.
Jusques à ce funeste terme
Où nous descendrons chez les Morts,
Dociles à la voix du Sage,
Cherchons le paisible avantage
De vivre & mourir sans remords. ◀Ebene 3

Voilà, Monsieur, de la Morale vraiment solide, & qui est assaisonnée de toutes les graces & de tous les charmes de la Poësie. Si tous nos Moralistes assaisonnoient de la sorte celle qu’ils debitent, je suis persuadé qu’elle feroit bien plus d’impression, & beaucoup plus d’effet sur ceux qui l’écoutent.

J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris, ce 15 Fevrier 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux.

Qui se vendent à la Haye dans la Boutique de Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R. Madame la Princesse d’Orange et de Nassau.

Oeuvres de Monsieur Remond de St. Mard, 12. 5 vol. fig. Paris, 1749.

Livres anglois.

History of Tom Jones a Foundling, by H. Fielding, 12. 4 vol. London, 1750.

Geography Reformed, or a New System of Général Géography, 8. London, 1749.

Ophiomaches of Deism Revealed, 8. London, 1749.

The Preceptor Containing a General Course of Education, 8. 2 vol. London, 1748.

Thomson Works, 8. 2 vol. London, 1738.

The Spectator, 12. 8 vol. London, 1744.

. . Tatler, 12. 4 vol London, 1744.

. . Freeholder, by Addisson, 12. London, 1744.

. . Guardian, 12. 2 vol. London, 1745.

Jeudi le 5. Mars 1750.

◀Ebene 1

1* Ancienne Secte de Philosophes qui doutoient de tout, & qui établissoient pour principe qu’il n’y avoit rien de certain dans le monde, mais que tout étoit douteux. Pirrhon est regardé comme le premier Auteur de cette Secte.

2(a) Virgil. Æneid. Lib. VI.

3(b) Virgil. Æneid. Lib. VI.

4(c) Virgil. Æneid. Lib. VI.