Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 31.", in: La Bigarure, Vol.2\031 (1749), S. 89-96, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4916 [aufgerufen am: ].


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N°. 31.

Ebene 2► Brief/Leserbrief►

Monsieur,

Nous vous avons annoncé plusieurs fois, ma Sœur & moi, deux Tragédies nouvelles (Electre & Catilina) dont Mr. de Voltaire comptoit nous régaler cet hiver, dans l’intention, disoient ses ennemis, d’effacer la gloire que Mr. de Crebillon s’est aquise par la manière dont il a traité ces deux sujets. Nous vous avons même fait part dans nos Lettres, des Epigrammes, Pasquinades, Scènes, & Avantures Comiques que cette Nouvelle avoit occasionnées ici. En dépit des cabales, des disputes, des intrigues, qu’il y a eu depuis ce tems entre les Voltairiens & les Crebillonistes, la premiere de ces deux piéces vient de paroître sur notre Théatre, sous le titre d’Oreste. N’ayant pu trouver de place du Spectacle, le jour de sa premiere representation, où l’Auteur a du être fort mécontent du Public qui l’a siflé, & qui même lui a fait l’affront de ne vouloir pas l’entendre jusqu’au bout, je ne comptois plus avoir accasion <sic> de vous en parler : Mais le Poëte en ayant fait donner une seconde representation, à la quelle je viens d’assister, Metatextualität► comme je sçais que tout ce qui interresse la République des Lettres vous fait plaisir, je me hâte de vous envoyer un extrait de cette piéce, de ce que j’ai senti en la voyant représenter, les Vers que j’en ai retenus, en un mot tout ce que j’en sçais. Si ce que je vous en écris ne vous contente pas absolument, j’espere du moins, Monsieur, que vous me sçaurez gré de ma diligence à vous instruire de tout ce que je présume pouvoir vous être agréable. J’entre en matiére. ◀Metatextualität

[90] Aristote dit, dans sa Poëtique, que le sujet d’Electre, ou d’Oreste, ainsi que d’Oedipe & de Mérope, ne peut manquer de réüssir sur la Scene, quand même il seroit traité par un Poëte médiocre. En effet le caractere d’Electre doit faire impression dans tous les tems, puisqu’il a toutes les qualités qu’on peut desirer dans le Héros. <sic> d’une Tragédie. Ses projets de vengeance inspirent la terreur, & son sort déplorable excite la pitié la plus tendre. Chez les Grecs Sophocle, leur plus fameux Poëte Tragique, a admirablement traité ce sujet suivant les mœurs des Athéniens. Euripide & Eschyle y ont également réussi. En France Langepierre & Mr. de Crebillon ont aussi fait chacun une Tragédie d’Electre. Le premier eut un grand succès à la Cour, & tomba à la Ville. On fut assez content du plan & de la conduite de sa piéce : mais elle est si misérablement écrite, qu on <sic> ne put l’entendre que quatre ou cinq fois. Il est vrai qu’il y eut un intervalle de douze ans entre la répresentation de la Cour & celle de la Ville, & que pendant cet intervalle Mr. de Crebillon donna la sienne qui fut extrêmement applaudie, & avec justice : Il y a effectivement beaucoup de force & de chaleur dans cette piéce, & elle se soutient au Théatre avec beaucoup de réputation depuis quarante ans. C’est ce qui rendoit l’entreprise de Mr. de Voltaire egalement hardie & difficile ; car il ne s’agit pas ici seulement d’égaler Mr. de Crebillon, il s’agit de le surpasser, & de le surpasser dans le sujet qu’il a peut-être le mieux traité : Or il ne paroit pas, & selon moi il s’en faut de beaucoup, qu’il ait fait ni l’un ni l’autre. Le premier Acte de son Oreste a été bien reçu, le second a excité de grands applaudissemens, le troisième a été jugé froid & languissant ; la fin du quatrième a réchaufé le Spectateur, & le cinquième a été trouvé détestable. En convenant que cet Acte est indigne de l’Auteur, on ne peut s’empêcher de dire que le Public a marqué de l’humeur en refusant de l’entendre tout entier, ce qui a déterminé Mr. de Voltaire à retirer sa piéce pour y faire des changemens qui viennent de paroitre à la réprésentation que je viens de voir.

[91] Le Public est revenu en foule aujourdhui, & il a beaucoup applaudi. Les mécontens, qui ne sont assurément pas en petit nombre, font la rage, tempêtent de tous côtés, & font valoir bien haut le zèle que Mr. de Voltaire témoigne aux gens du Parterre en leur faisant avoir gratis des billets. Il faut convenir que ses amis louent trop son ouvrage, & que ceux de Mr. Crebillon outrent la Critique ; ce qui arrivera toujours lorsqu’un Auteur de grande réputation remettra au Théatre un sujet aussi connu, & dans lequel un Tragique illustre a fait verser tant de larmes. On commence par juger le procédé avant que de juger la Tragédie. Les premieres impressions restent ; & quand on refait, il faut faire mieux. Quoiqu’il en soit, voici de quelle manière Mr. de Voltaire a traité le sujet d’Electre.

Ebene 3► Ægiste, Amant de Clitemnestre, aiant de concert avec cette Reine perfide, lachement assassiné Agamemnon, devient possesseur du trône & de la femme de ce Prince infortuné. Ægiste, qui a d’un premier mariage un fils nommé Plisthene, veut lui assurer sa Couronne par la mort d’Oreste, fils unique d’Agamemnon. Electre, sa sœur, qui prévoit le nouveau crime de l’Usurpateur, fait enlever de la Cour Oreste qui est encore enfant. Elle le recommande aux Dieux & à un sage Gouverneur qu’elle charge de la conduire en des climats plus heureux, & de lui inspirer des sentimens dignes de sa naissance. Ægiste ne fait point mourir Electre, tant parce qu’il craint les nouveaux murmures du peuple, que parcequ’il la destine secrettement en marige <sic> à son fils qu’il fait adopter par Clitemnestre, & en attendant il retient Electre dans les fers, craignant qu’elle ne réveille par ses plaintes & par ses cris le courage des Sujets & des Amis d’Agamemnon. Electre a une Sœur cadette, nommée Iphise, qui est encore fort jeune & pleine de douceur ; le Titan qui connoit son caractere permet qu’elle reste à sa Cour. Pamene, vieillard plein de probité, & ancien serviteur d’Agamemnon, s’attendrit avec Iphise sur son sort & sur celui d’Electre ; & c’est ici ou l’Action commence.

Iphise, qui ignore la part que Clitemnestre a eu au [92] meurtre d’Agmemnon <sic>, conseille à sa Sœur, qui survient, d’adoucir son caractere, de se plier à son état, & d’engager Clitemnestre par sa soumission à changer son sort. Electre, qui ne respire que la vengeance, rejette avec indignation le conseil de sa Sœur. Elle lui apprend tous les crimes de Clitemnestre, & lui fait une peinture effraiante de l’assassinat d’Agmemnon <sic> achevé par la main de leur Mere. Elle en prend à témoin Pamene qui ne confirme que trop son reçit. Clitemnestre, qui commence à sentir des remords, agitée d’ailleurs par un songe terrible, vient chercher quelque consolation en la compagnie de ses filles. Iphise se jette à ses pieds & la supplie de retirer sa Sœur de l’esclavage indigne où elle est réduite. Electre, loin de seconder Iphise, fait les reproches les plus vifs à sa Mere, se répand en imprécations contre l’Usurpateur, & invoque le retour d’Oreste son frere, son Roi, ce Héros qui doit vanger Agmemnon <sic>. Clitemnestre veut en-vain ébranler sa fermeté ; Electre en devient plus furieuse. Clitemnestre congédie ses filles en leur disant

Ebene 3► Zitat/Motto► Vous pleurez dans les fers, & moi dans ma grandeur. Laissez-moi respirer. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Clitemnestre ne trouve pas plus de consolation avec Ægiste qui vient la presser d’assister à la feste qu’il prépare pour célébrer l’Anniversaire de son Couronnement. Il la prie de revoir Electre, de lui annoncer son Mariage avec Plisthene. Il croit que l’espoir de la Couronne l’adoucira, & se felicite des espérances que lui donne le Roi d’Epidaure, son Allié, sur la prochaine mort d’Oreste qui est envelopé dans ses Etats de façon, qu’il ne pourra écapper <sic> à sa destinée. Clitemnestre gémit à cette nouvelle. Ægiste lui en fait des réproches, & lui demande ce qui la rend si craintive, elle qui étoit si ferme à la mort d’Agamemnon. Clitemnestre lui répond

Ebene 3► Zitat/Motto► L’Amour brava les Dieux, la Crainte les consulte. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Cependant Oreste & Pilade, son ami, trouvent le moien d’échapper aux poursuites du Roi d’Epidaure, & s’embarquent sur un Vaisseau dans lequel ils essuient une tempête horrible qui les jette sur le rivage de Micenes. Ils ne savent dans quel païs ils se trouvent & déplorent [93] leur malheureuse destinée, lorsque Pamene se presente à eux & leur apprend qu’il est sous la domination d’Ægiste, Oreste frémit à ce nom odieux, mais ne se découvre point ; il dit seulement qu’il est Grec, & demande un azile au vieillard qui le lui accorde généreusement. Clitemnestre, conformément aux volontés d’Ægiste, vient annoncer un sort plus favorable à Electre en lui promettant le Trône & la main de Plisthene. Electre reçoit la proposition avec horreur ; elle s’informe d’Oreste avec transport. Clitemnestre ne lui répond point. Cette malheureuse Sœur le croit mort, & en devient plus furieuse. Clitemnestre, qui la trouve inflexible, l’abandonne à son mauvais sort & lui prédît des malheurs, s’il se peut, encore plus grands.

Iphise arrive sur le champ d’un air triomphant pour annoncer à Electre l’arrivée d’Oreste. C’est ici le plus bel endroit de la piéce. « Je viens, dit Iphise, du tombeau de mon Père, j’y ai vu une épée, signal de la vengeance, & toutes les marques d’un vrai respect. Hé, que l’autre qu’un fils viendroit payer un tribut si légitime, & s’exposer à un peril si manifeste ? Elle ajoute qu’Oreste est sans doute un de ces étrangers réfugiés chez Pamene ». Electre, qui saisit d’abord cette nouvelle avec avidité, ne peut contenir sa joie ; Mais elle retombe bientôt dans sa tristesse ordinaire, en réfléchissant à la proposition de sa Mere qui n’est qu’un signe trop certain de la mort d’Oreste. Les deux Sœurs se retirent avec une égale désolation ; ce qui termine le second Acte.

Ebene 3► Zitat/Motto► Ægiste soupçonneux, par le crime éclairé, ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

envoie chercher Pamene, l’interroge sur l’état, l’age & la naissance de ces deux étrangers. Pamene répond

Ebene 3► Zitat/Motto► Je connois leurs malheurs, & non pas leur naissance. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Je sçais seulement, ajoute-t-il, qu’ils sont Grecs. Ægiste ordonne qu’on les lui amene ; Pamene obéït. Oreste, qui a tué en Epidaure Plisthene, fils du Tiran & qui a eu soin de recueillir dans une Urne les cendres de son ennemi, s’avise de faire de ces cendres un usage [94] singulier. C’est de les présenter au Tiran comme les cendres du fils d’Agamemnon.

Electre vient pour voir les étrangers. Oreste la reconnoit à ses malheurs, & veut se découvrir ; Pilade l’en empêche, & le fait ressouvenir de l’Oracle qui lui a defendu de parler à Electre avant le temps qu’il lui a prescrit. Ces étrangers, au lieu de la consoler lorsqu’elle demande des nouvelles d’Oreste qu’elle appelle à tous momens, lui confirment sa mort par leur silence, & en lui montrant l’Urne qui renferme ses cendres, Electre baise l’Urne, & l’arrose de ses larmes. Ægiste arrive dans ce moment, Les pleurs, les cris & la suite d’Electre lui apprennent la mort d’Oreste. Il en est encore plus convaincu en interrogeant Oreste qui se donne lui même, d’une façon captieuse, comme son propre meurtrier. L’Usurpateur, que la joie d’un si grand événement étourdit, donne pour prix d’un tel service Electre en esclavage à Oreste, & lui offre les trésors qu’Agamemnon a raportés du siége de Troye. Oreste refuse les trésors, & dit qu’Electre lui suffit. Ægiste demande l’Urne, Oreste répond. Elle est à vous, Seigneur. (Quelques personnes trouvent cette expression admirable, & d’autres la trouvent Comique).

Pamene, qui craint qu’Oreste ne soit découvert, vient l’avertir qu’il est dans un danger éminent ; que le Roi d’Epidaure vient d’envoier un Courier à Ægiste pour lui faire part de sa fuite & de la mort de Plisthene. Oreste, Pamene & Pilade prennent les mesures nécessaires pour échaper à la vigilance du Tiran, & pour réchaufer les fideles Sujets d’Agamemnon. Ils se donnent rendés-vous dans un lieu où ils arriveront par trois chemins différents.

Electre, qui ne peut parvenir jusqu’à Ægiste, veut du moins venger la mort de son Frere en tuant son meurtrier dont elle est Esclave. Oreste arrive dans l’endroit où est Electre, qui est le lieu dont il est convenu avec Pilade & Pamene, à l’instant même qu’Electre veut exécuter son projet. Elle s’est saisie du poignard que son Frere avoit mis sur le tombeau d’Agamemnon, & c’est avec ce fer qu’elle veut trancher ses jours ; [95] elle s’écarte en voiant Oreste, pour le fraper à coup sûr ; Oreste gémit & prononce le nom d’Agamemnon, ce qui donne de l’émotion à Electre qui dit à part

Ebene 3► Zitat/Motto► Les remords en ces lieux ont-ils donc quelque empire ! ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Ce Vers de situation fait un grand effet. Electre avance, & veut enfoncer le poignard dans le sein d’Oreste ; mais il tombe de sa main. Oreste frémit du dessein & du danger ; Electre s’écrie sur le champ

Ebene 3► Zitat/Motto► Ah ! je crois voir en vous un Dieu qui m’épouvante ! ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Oreste ne peut plus se contenir, & c’est ce qui fait la reconnoissance qui seroit plus belle si elle étoit mieux filée. Electre se livre à une joie sans borne, & dit ce beau Vers

Ebene 3► Zitat/Motto► Oui, vous êtes mon Maitre, Ægiste est obéï. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Pilade & Pamene viennent chercher Oreste ; ils l’accusent d’imprudence & de resistance aux volontés des Dieux en revelant sa naissance à Electre. S’ils veulent se faire obéïr, leur replique Oreste,

Ebene 3► Zitat/Motto► Qu’ils me donnent des loix que je puisse accomplir. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

A ce moment si touchant en succède un terrible par l’arrivée du Tiran qui fait arrêter Oreste, Pilade & Pamene. Electre perd presque le sentiment, Clitemnestre est effraiée, & Ægiste sort en menaçant de faire périr ces trois criminels. Alors Electre se jette aux pieds de sa Mere pour demander la grace des étrangers. Elle le fait avec tant d’instance, que Clitemnestre en est émuë. Elle l’est surtout à ces mots qu’elle lui dit

Ebene 3► Zitat/Motto► L’un deux <sic> . . . si vous saviez ! . . . . Tous deux sont malheureux. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Clitemnestre ne doute plus que l’un d’eux ne soit Oreste ; [96] Electre ne le peut dissimuler & demande sa grace. Elle offre même d’épouser Plisthene à ce prix. Clitemnestre lui apprend sa mort. Juste Ciel ! reprend Electre avec une joie impétueuse. Clitemnestre, après lui avoir fait de nouveaux reproches sur son inflexibilité, lui promet la grace d’Oreste, ce qui satisfait Electre, & termine le quatrième Acte dont la fin est admirable.

Le cinquième commence par une Scene entre les deux Sœurs qui témoignent leurs inquiétudes sur le sort d’Oreste. Ægiste, qui est implacable, arrive avec Clitemnestre. Iphise se jette aux pieds du Tiran & invite Electre à en faire autant. « Quelle honte pour les filles d’Agamemnon ! répond elle avec vivacité ! Eh bien je le surmonte, continue-t-elle ; je ne le ferois pas pour moi, mais tout doit être permis pour sauver un Frere si cher ». Ægiste n’en devient que plus inflexible, & insulte à la douleur d’Electre dont la fierté vient de se démentir. Clitemnestre se joint à ses filles ; même refus de la part du Tiran. Alors cette Reine indigné lui dit « Tu me connois, & je vais redevenir Clitemnestre. »

Un Garde vient annoncer à l’Usurpateur qu’Oreste est reconnu, & que sa présence est nécessaire pour empêcher qu’on ne le délivre. Ægiste sort furieux en protestant qu’il va le faire périr avec ses Complices. Les Sœurs au désespoir ont de nouveau recours à Clitemnestre, lorsque Pilade vient annoncer sa délivrance, & qu’il est reconnu Roi de Micenes. Il ajoute qu’Ægiste est chargé des mêmes fers dont on avoit souillé les mains d’Oreste. Clitemnestre court pour sauver son Mari, en disant qu’elle veut remplir, s’il se peut, les devoir d’Epouse & de Mere. Electre & Iphise veulent être témoins du Triomphe d’Oreste. Elles en sont empêchées par Pamene qui fait le reçit des horreurs qui se passent & de l’opiniatreté de Clitemnestre, pour sauver la vie d’Ægiste. ◀Ebene 3 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

(La Suite dans l’Extraordinaire qu’on donnera aujourd’hui.) ◀Ebene 1