Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 24.", in: La Bigarure, Vol.2\024 (1749), S. 33-40, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4909 [aufgerufen am: ].


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N°. 24.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Je ne sçai, Monsieur, si vous n’aurez pas apris par les Nouvelles publiques la désolation où nous sommes ici depuis quelques mois. Ebene 3► Nous avons long tems soupiré après la cessation de la guerre qui nous avoit mis à deux doigts de notre ruine ; mais le retour de la Paix, après laquelle nous aspirions, nous a amené un second fléau qui n’est guére moins triste pour nous. Le premier nous a enlevé une partie considérable de nos biens ; & par le second nous sommes à chaque instant menacez de perdre le plus cher & le plus précieux de tous, qui est la vie. ◀Ebene 3

A ce début vous n’aurez pas de peine à reconnoitre que je veux vous parler de ce nombre prodigieux de Voleurs qui infestent le Royaume, & surtout les environs de cette Capitale. C’est la suite ordinaire de ces réformes qui se font dans les troupes après la fin de la guerre, & qui vous rejettent dans un Etat des milliers de scélérats dont elle l’avoit purgé ; gens qui à tous leurs autres vices joignent encore l’exécrable habitude qu’on leur a fait contracter de répandre le sang humain de sens-froid, & sans le moindre scrupule. Funestes, mais infaillibles, effets du plus redoutable fléau que les Princes puissent attirer sur leurs Etats ! Fruits amers, & cependant les plus réels que leurs peuples recueillent de leurs conquêtes. . . . . . Mais bornons ici des réflexions auxquelles on trouveroit peut-être mauvais que nous donnassions plus d’étendue. Revenons à nos Voleurs, & entrons sur ce sujet dans un détail, que je suis bien sûr que les Nouvelles publiques ne vous auront point donné.

Metatextualität► Mon intention, Monsieur, n’est pas de vous faire [34] ici l’enumération des brigandages, meurtres, assassinats, & autres crimes de ses sortes de gens, ni de vous entretenir de la punition exemplaire qu’on fait ici de ceux qui tombent entre les mains de la Justice, ◀Metatextualität

Non mihi si centum linguæ sint, oraque centum,

Ferrea vox, omnes scelerum comprendere formas,
Omnia pœnarum percurrere nomina possem
*1 .

Je me borne, Monsieur, au recit des dernieres actions qui en viennent de conduire quelques-uns sur l’Echafaut, & des stratagêmes que la Justice a mis en usage pour s’en saisir. Quoique ces événements ne soient pas des plus récréatifs, ils ne laissent pas d’amuser. D’ailleurs la jeunesse, qui pouroit se sentir du penchant pour le libertinage, peut profiter de ces recits qui ne sont ni inutiles, ni indifférents, aux Magistrats mêmes, & à toute autre personne preposée pour purger la Société de ces sortes de gens qui la desolent. Tout sert dans le monde, & l’homme d’esprit profite de tout.

Vous sçaurez donc, Monsieur, qu’on a arrête il y a environ huit jours, plusieurs de ces Scélérats qui se sont mis sur le pied de demander effrontément, au coin d’un Bois, la charité aux passants en les couchant en joue, ou en leur appuyant le pistolet sur la poitrine. Ebene 3►Allgemeine Erzählung► C’est de cette façon que deux de ces coquins prierent un Intendant de maison de vouloir bien les assister de sa bourse ; ce qu’il fit sans aucune résistance. La docilité qu’ils trouverent dans ce charitable passant les enhardi à lui demander de même une fort belle moutre <sic> d’or dont ils devinrent tout d’un coup passionnement amoureux. Mais comme il l’étoit encore plus qu’eux, ne jugeant pas à propos de la leur ceder, il saisit, pour s’échaper de leurs mains, le tems où ils étoient occupez à ramasser son argent qu’il leur avoit dispersé tout exprès dans le chemin. Alors piquant des deux il gagna le Bois près duquel ils étoient, & courant à toute bride, il arriva sain & sauf à un village qui étoit à [35] quelques lieues de là, où il raconta au Prevôt ce qui venoit de lui arriver.

Sur cet avis la Marechaussée monte aussi tôt à cheval, & prend sa route vers le Bois où l’Intendant venoit d’être volé. Pour découvrir plus surement les Coquins qu’il cherchoit, le Brigadier s’étoit saisi, chemin faisant, d’un Mendiant qu’il avoit rencontré, & auquel il donna trois écus de six francs, à condition qu’il passeroit dans un certain endroit près du Bois qu’il lui indiqua, & qui étoit celui où l’Intendant avoit été forcé de quitter son argent. Le Mendiant obéit, & la Marechaussée qui le suit à travers le Bois, ne le perd point de vue. Il ne fut pas plus-tôt arrivé à l’endroit désigné, qu’il est arrêté par les mêmes voleurs qui lui demandent tout l’argent qu’il peut avoir. Il s’excuse sur sa pauvreté & refuse de leur rien donner, attendu, disoit il, qu’il n’avoit rien, comme ils pouvoient bien en juger eux-mêmes par son équipage de Mendiant. Ils n’en veulent rien croire, & ils se mettent à le fouiller.

Pendant cette contestation, & qu’ils étoient occupez à voler ce misérable, la Maréchaussée s’avance, investit ces deux fripons, dont l’un est pris sur le fait. L’autre, pour être plus agile, jette son fusil dans un fossé plein d’eau, & se sauve dans le Bois d’où il gagne la campagne. On le poursuit jusque dans un Village où il est enfin pris, lié, & garotté. Dans cet état on le ramene à l’endroit où il avoit jetté son fusil qu’on repêche, & avec lequel on l’a conduit, aussi bien que son Camarade, dans les prisons de cette Capitale. Quand on veut faire un metier aussi scabreux que celui ci, il me semble qu’il faudroit le faire avec un peu plus de circonspection & d’adresse que ne le faisoient ces deux Aprentifs à qui la Justice ne laissera surement pas le tems de devenir Maitres.

La prise de ces deux Coquins n’a point fait d’impression sur un troisieme qui faisoit bande à part. C’étoit un Cabaretier de Vincennes qui donnoit de fort bon vin à très grand marché, & qui par-là se faisoit quantité de pratiques. Comme il étoit impossible que par ce moyen il fit beaucoup de profit, il en avoit imaginé [36] un autre pour s’en dédommager. C’étoit de reprendre par la force ce qu’il n’auroit peut-être pas pu obtenir par amitïé. Il alloit donc attendre sur le soir, dans le Bois de Vincennes, ses hôtes, pour leur demander le surplus de leur écot en leur mettant sur la gorge deux Pistolets qu’il portoit dans ses poches.

Apres avoir fait pendant quelque tems ce métier qui lui réuississoit <sic> assez bien, amorcé par le profit, il ne se borna pas à ceux à qui il donnoit son vin à si bon marché, & il se mit à attaquer tous les passants indifféremment. Ses Captures n’étoient pas toujours considérables, mais il prenoit le bon & le mauvais. Il a fait trembler bien des gens, les uns pour douze, pour neuf, & même pour cinq sols ce qui étoit tout ce qu’ils avoient sur eux, & d’autres pour des sommes très fortes qu’il falloit lui remettre avec autant de résignation. Enfin sa maniere d’agir faisoit assez de bruit pour que l’on n’osat plus approcher du Bois de Vincennes, ce Bois si délicieux, & de tout tems si heureux en bonnes fortunes.

Metatextualität► On ne voit guére de gens du métier de celui-ci mourir tranquillement dans leurs lit <sic>, & de vieillesse. Je ne sçai si celui-ci se flattoit d’avoir ce bonheur ; mais en ce cas il s’est lourdement trompé. ◀Metatextualität En effet un Brigadier de notre Maréchaussée, ayant eu quelque soupçon sur ce Cabaretier, l’a fait longtems observer par quelques-uns de ses espions. Pour se mieux encore assurer de la verité dont il se doutoit, il a engagé une personne non suspecte à aller boire chez lui pour tâcher de le reconnoître au son de sa voix, à sa taille, à sa corpulence ; car comme il ne faisoit ses coups que dans l’obscurité, il n’étoit pas possible de le reconnoitre aux traits du visage. La chose ayant été bien constatée, sa maison a été investie, & le voleur arrêté & saisi d’une façon assez singuliere.

Comme on craignoit qu’il n’eut chez lui des armes, & des gens apostez dans sa maison pour le deffendre en cas de surprise, on a feint de venir chez lui uniquement pour visiter sa maison, & voir s’il n’y avoit point de Marchandise de contrebande cachée. Quel [37] que peur que fassent ordinairement les Commis à ceux chez qui ils vont faire de pareilles visites, celui ci les voyant entrer chez lui n’en a cependant point été déconcerté, & a assez bien composé son air, son visage, & tout son maintien. Il a même été assez hardi pour les conduire lui même dans toute sa maison, bien assuré que ce qu’on lui demandoit ne se trouveroit pas chez lui, & encore plus persuadé qu’on ne le soupçonnoit point du metier qu’il faisoit. Mais cette assurance ne lui a servi de rien. En effet le Brigadier & ses gens, qui s’étoient ainsi travestis en Commis de la Maltote, l’ayant conduit dans son écurie où il se trouvoit éloigné de tout secours en cas qu’il eut voulu se deffendre, se sont jettez sur lui, l’ont saisi, & conduit ici où nous esperons dans peu le voir danser dans la Place de Greve une danse bien différente de celles qu’on a tant de fois dansées dans sa guinguette à Vincennes. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

En voilà assez sur le compte de ces fripons ; je passe à une autre espece de misérables qui ne valent gueres mieux, & qui même, selon moi, sont encore plus dangereux pour la Societé que ceux dont je viens de vous raconter l’histoire, parce qu’on ne se défie point de leur scélératesse. Je parle des Banqueroutiers frauduleux, espece singulière de Voleurs qui sont devenus assez à la mode depuis quelque tems dans ce Royaume, & qui prennent, pour justifier leurs vols, le prétexte du tort que la guerre a fait au Commere <sic>, abusant ainsi de ce que ce même Commerce, & la Société ont de plus sacré, qui est la confiance, & la bonne foi. Un des fripons de cette derniere espèce, dont le plus honnête mériteroit d’être pendu, a procure ici, sans le vouloir, à un Bas Normand l’occasion de faire une petite fortune. En voici l’histoire, qui peut être vous divertira.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Un Exemt, un Huissier, & cinq ou six Recors avoient ordre de se saisir d’un Marchand de cette Ville qui étoit sur le point de faire une Banqueroute des plus frauduleuses. Le cas étoit pressant & réqueroit celerité. C’est pourquoi bienqu’il fut tard, ils ne laisserent pas que de se mettre en marche pour executer leur commission. Arrivez à sa maison, il étoit question d’arrê-[38]ter ce Marchand qui, ne se doutant pas du mauvais tour qu’on venoit pour lui jouer, descendoit justement l’escalier, & passe au travers de ceux qui venoient pour s’assurer de lui. L’Exemt qui, selon toutes les apparences, ne le connoissoit point personnellement, lui demande si ce n’est pas dans cette maison que demeure Monsieur C. . . . A son habillement & à la phisionomie de tous les gens qu’il avoit à sa suite, le Marchand reconnoissant tout à coup le danger où il se trouvoit ne se déconcerte cependant point ; au contraire en homme d’esprit (les fripons n’en manquent pas ordinairement) il s’échape de leurs mains en leur repondant, que cette maison est celle, qu’ils cherchent, & qu’il vient de quitter le Marchand qu’ils lui ont nommé, lequel alloit sortir dans l’instant ; & en achevant ces mots il se retire sans demander son reste.

A peine avoit-il le dos tourné, qu’un particulier se presente sur l’escalier, tenant en sa main une bougie allumée. Ce dernier n’eut pas plut-tôt <sic> aperçu l’Exemt & toute sa coborte, qu’il éteint sa lumiere & veut rentrer ; mais l’Exemt & toute sa sequelle l’ayant entrevu, & le prenant pour le Banqueroutier qu’ils avoient ordre de saisir, se jettent sur lui, & l’entrainent. Il a beau crier qu’on le prend pour un autre, & qu’il ne sçait pas ce qu’on lui veut, on le fait marcher malgré lui. Aussitôt qu’il est dans la rue, nouveaux cris, nouvelle resistance, nounveaux <sic> efforts pour s’échaper des mains de ceux qui l’ont saisi. On veut le faire marcher & il n’en veut rien faire ; on le maltraite, & à force de coups on le fait tomber dans la boue. Comme il refuse de se relever, on le prend, & on le porte dans un carosse qui l’attendoit au coin de la ruё. Plus il se deffend, plus il donne de belles raisons à ses Satellites, & plus ceux-ci se persuadent qu’ils tiennent leur proye. Enfin ils le conduisent en prison.

Des qu’ils l’eurent coffré, ils dressent l’Acte Ordinaire en pareil cas, & le presentent au Prisonnier qui refuse de le signer. L’Exemt, sa Suite, & celui des Créanciers qui l’avoit fait emprisonner ne furent point surpris de ce refus, lorsque l’ayant envisagé de plus près ils reconnurent qu’ils s’étoient trompez, & que ce n’é-[39]toit point là l’homme dont ils avoient cru se saisir. Confus de sa méprise, & craignant les suites fâcheuses qu’elle pouvoit avoir, l’Exemt se trouva dans un embaras dont il pria le Géolier de vouloir bien le tirer, en relâchant sur le champ le prisonnier qu’il venoit de lui amener ; mais malheureusement pour lui, l’Acte d’emprisonnement étoit deja inscrit sur le Regître <sic>, & dèslors le Géolier est responsable de ce qui entre dans sa prison.

Pour lever cette difficulté, ils imaginent un autre expedient. Ce fut de faire entrer dans la prison deux des Soldats qui en ont la garde, & de les introduire auprés du faux Banqueroutier. Alors un de ces Soldats, le prenant par le bras, lui demande brusquement ce qu’il fait là, qui l’a rendu si hardi que de s’y retirer, & lui signifie qu’il ait à sortir au plus vîte. Tout autre n’auroit pas mieux demandé ; mais le Bas-Normand n’en veut rien faire, & leur declare qu’il est résolu de rester jusqu’à ce qu’on lui ait fait raison de l’insulte & des mauvais traitements qu’il venoit de recevoir, & sur lesquels il vouloit que le Juge lui rendit justice. Malgré cette déclaration, les Soldats veulent le faire sortir, & lui font même violence ; mais il s’obstine à demeurer en prison.

Le lendemain le Registre du Géolier est produit, selon la coutume, à la Justice. Mais comme les Prisonniers pour dettes ne sont pas toujours ceux auxquels les Magistrats font le plus d’attention, celui-ci reste deux jours dans la prison sans pouvoir donner de ses Nouvelles, & pendant ce tems on le traite fort durement pour le punir de son obstination à n’en point vouloir sortir.

Cependant ses Voisins, qui sçavent qu’il à été enlevé, viennent pour le voir. On leur refuse cette satisfaction ; mais comme l’auteur de l’Emprisonnement prévoit les suites de cette affaire, il propose un accommodement au prisonnier qui le rejette. Ce dernier trouve enfin moyen d’instruire ses Juges de son affaire & de sa détention. On l’écoute, on discute & examine sa cause ; & en premiere instance on lui accorde une [40] partie de ses demandes qui se reduisoient à une somme considérable pour domages & interêts, avec une reparation d’honneur faite publiquement dans la maison même où l’affront lui a été fait, à rayer & bister son nom du régistre de la prison, & que les gens du Roi prennent connoissance des violences & mauvais traitements qui lui ont été faits dans la dite prison, & ailleurs, contre tout droit & toute justice. Le premier Juge lui ayant accordé toutes ses demandes à l’exception du dédomagement, attendu qu’on lui avoit offert sa liberté presque au même moment qu’elle lui auoit <sic> été otée, le prisonnier a interjetté appel de ce jugement au Parlement où les gens du Roi, ayant pris connoissance de cette affaire, lui ont accordé toutes ses prétensions.

Metatextualität► Voila, Monsieur, ce qui s’apelle tirer bon parti d’une mauvaise affaire : & c’est, dit-on en quoi les Bas-Normands ont toujours excellé. Ce qu’il y a de plus affligeant pour les Créanciers dans tout ceci, c’est que ◀Metatextualität le véritable Banqueroutier, profitant de ce qui pro quo, est décampé avec tous ses meilleurs effets & tout son argent qu’il est plus que vraisemblable qu’ils ne reverront jamais. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris, ce 29 Decembre 1749.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux

Qui se trouvent chez Pierre Gosse Junisr <sic> Libraire de S A R. Madame la Princesse d’Orange et de Nassau, à la Haye.

Plan pour reformer la Justice que Sa Majesté le Roi de Prusse a dressé par ses propres Lumieres & par lequel la Procedure est reglée d’une manière, que dans le Terme d’un An tous les Procès sont jugés en première seconde & troisième, 12. Imprimé pour la Satisfaction du Public, 1750.

Pigmalion ou la Statue Animée Opera Comique en Vaudeville, par Messieurs Panard & l’Afficha d, 8. Haye 1749.

Jeudi le 8. Janvier 1750.

Il y aura aujourd’hui un Extraordinaire. ◀Ebene 1

1* Quand j’aurois cent langues, cent Bouches & une voix aussi forte que l’est le fer, je ne pouvais pas vous faire le dénombrement de leurs crimes ni des tourments par lesquels on les leurs fait expier. Virg. Æneid. Lib. VI. v. 625. & seq.