Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 18.", in: La Bigarure, Vol.1\018 (1749), S. 145-152, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4901 [aufgerufen am: ].


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N°. 18.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Il y a long-tems, Madame, que je ne vous ai parlé de nos Spectacles dont je me persuade que vous ne serez pas fachée d’apprendre des Nouvelles Je vous ai representé dans une de mes Lettres *1 la décadence dans laquelle étoit tombé notre Opera par la mauvaise conduite des Directeurs de ce Théatre ; je vous ai aussi mandé que, pour prévenir la ruine totale de ce magnifique Spectacle, l’Intention de S. M. étoit d’en donner la direction aux Magistrats de la Ville ; je vous apprends aujourdhui que cette intention a été suivie & exécutée depuis. Ce changement, dont on a aussi-tôt ressenti les effets, a occasionné la petite Chanson suivante que je vous envoye, & dont l’Air est si connu, que je ne doute pas que vous ne le sachiez.

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Chanson Nouvelle

Au sujet de la Direction de l’Opera donnée à M. le Prevôt des Marchands de la Ville de Paris.

Monsieur le Prevôt des Marchands,

Ma foi, ne se rit plus des gens,
Il sçait embellir les coulisses
Et les habits de l’Opéra.
Qu’il fasse guérir les Actrices ;
Et tout Paris le bénira.
[146] Rien n’est mieux fait, assurément,
Que ce nouvel arrangement.
C’étoit une chose incivile
Que l’Opera, rempli d’appas,
Apartint à toute la Ville,
Et que la Ville ne l’eut pas. ◀Ebene 3

Pour signaler son entrée dans ce nouvel emploi, le Magistrat a commencé par habiller ce Théatre de décorations neuves & assez belles ; Mais les Spectateurs n’en ont pas été pour cela plus satisfaits de ce Spectacle. Zitat/Motto► « On nous donnoit autrefois, disent-ils, de bonnes piéces & de mauvaises décorations : aujourdhui, tout au contraire, ce sont de belles décorations, & de très mauvaises piéces. D’où vient cela, ajoutent-ils ? C’est qu’on peut remedier au manquement des Finances ; mais non pas au bon goût lorsqu’il est une fois perdu ». ◀Zitat/Motto Ces plaintes ont éclaté sur tout à l’occasion d’un Ballet nouveau dont on a regalé nos bons Badauts qui, selon leur coutume, l’ont trouvé fort beau, quoiqu’il ait fort ennuyé toutes les personnes qui se connoissent en bonne Musique. Pour moi, tout idolâtre que je suis de ce Spectacle, je n’en ai pu soutenir trois representations auxquelles j’ai voulu assister pour voir si je n’y trouverois pas à la fin quelque chose de beau ; mais je n’ai pu y réussir. Comme je ne crois pas que ce soit la faute du Poëte, qui est Mr. Fusilier, homme qui a très bien réussi dans plusieurs autres piéces du même genre qu’il a données à ce Théatre, j’en conclus qu’il faut que ce soit celle du Musicien Mondoville qui n’a pas été fort heureux dans ce coup d’essai. Rien en effet de si baroc que la Musique de ce Ballet qui est intitulé le Carnaval du Parnasse. Peut-être aussi s’est il imaginé que la singularité du sujet en demandoit une aussi extraordinaire. Tout le monde sçait en effet que la folie & l’extravagance marchent toujours à la suite du Carnaval : est il étonnant après cela que le délire se soit emparé de la tête du Musicien qui a traité ce sujet ? Oh ! si vous l’aviez entendu, je suis bien persuadée que vous auriez dit, comme beaucoup d’autres personnes, que cette Musique-là a été faite pour écorcher les [147] oreilles des gens de bien, de même qu’on l’a dit de celle du Sieur Rameau qu’il paroit que le Sieur Mondoville a voulu imiter *2 .

Un vieux Opera de Lulli, qu’on répete pour le remettre incessament au Théatre, nous dédomagera des tourments que font souffrir à nos oreilles tous ces écorcheurs qui se mettent l’esprit à la torture, dans l’esperance d’en tirer ce qui n’y fut jamais, je veux dire, le bon goût, sans lequel il est impossible de plaire à ceux qui en ont, <sic> Les grandes dépenses que la ville a faites en habits & en décorations pour soutenir cette mauvaise piéce ont donné lieu à l’Epigramme suivante qui est, dit on, du Poëte Roi.

Ebene 3► On habille, on décore en vain

Uu <sic> Opéra si détestable ;
C’est servir des mets à la Diable
Sur la Vaiselle de
Germain ( 3 ) ◀Ebene 3

A l’égard de notre Comédie Françoise, que vous sçavez être fort pauvre en décorations, mais très riche en bonnes vieilles piéces, je crois, Madame, qu’on en peut dire encore davantage à l’occasion des nouvelles qui y ont paru depuis quelques mois. Je vous en rendrai compte après que je vous aurai raconté une Histoire Tragicomique dont tout Paris se divertit, & qui y a donné la naissance à trois ou quatre douzaines d’Epigrammes. Voici cette Histoire qui peut servir de pendant à celle que je vous ai envoyé il y a environ cinq semaines ( 4 ). Pour qu’il ne manque rien à mon recit, je commencerai par vous donner ici le portrait des deux Héros de la piéce.

Ebene 3► Le premier qu’on nomme M. Freron, est un Bel-Esprit, ancien Collegue du deffunt Abbé Des Fontaines en son vivant grand Fléau des Auteurs de son tems. Il a été Jesuite, puis Abbé, comme lui, lui a été associé dans les Observations, que le premier faisoit sur les Ou- [148] vrages des Modernes *5 , Ouvrage dans la composition duquel celui-ci lui a succedé après sa mort, & dans lequel il l’emporte encore sur son prédécesseur, moins par le Sçavoir, que par les traits Satiriques qu’il lance contre les Auteurs dont les Ecrits n’ont pas le bonheur de lui plaire.

Le second Fiérabras Metatextualität► (je lui donne ce titre, Madame, que vous verrez bientôt qu’il mérite) ◀Metatextualität est un nommé Marmontel, jeune Poëte, qui s’étoit fait quelque reputation par la Tragédie de Denis le Tiran qu’il nous donna il y a quelque tems, reputation qui a beaucoup baissée par la chute de quelques autres Ouvrages qu’il a faits depuis, & dans lesquels il n’a point reussi. Il n’en a pas falu davantage au Sieur Freron, qui est naturellement mordant & caustique, pour tomber sur le jeune Marmontel qu’il a traité, à diverses reprises, comme un petit Ecolier.

Metatextualität► Rien de plus impatient que les jeunes gens, & plus encore les Poëtes. Toucher à la moindre de leurs Productions, avoir la hardiesse de ne les pas trouver aussi belles & aussi parfaites qu’elles le leur paroissent, c’est toucher à la prunelle de leurs yeux, c’est à-dire, les blesser par l’endroit le plus sensible. Ils entrent aussi-tôt en fureur ; ◀Metatextualität & ce fut ce qui arriva au jeune Poëte Marmontel qui jura par Pegase de se vanger du Sieur Freron qui avoit osé critiquer ses Ouvrages.

Metatextualität► Peut-être allez-vous vous imaginer, Madame, qu’il va être ici question d’une Contre-critique, dans laquelle les injures, les sotises, les invectives, les grossieretez même ne seront pas épargnées. « Ce sont, me direz-vous, les armes avec lesquelles ces Messieurs se sont toujours deffendus. Ils réservent toute leur bravoure pour leurs piéces de Théatre, & ne la font paroitre que sur le papier, ou dans la bouche des Comédiens qui les louent ». Tout bien, Madame ! cela pouvoit bien être ainsi dans votre jeunesse ; [149] Mais Aujourdhui ce n’est plus cela, comme vous l’allez voir . . . « Gare les coups de bâton appliquez à la sourdine, me direz vous peut être encore » . . . . Point du tout, Madame ; Ces Messieurs accoutumez à en recevoir, ne les prodiguent pas ainsi. D’ailleurs ils sont tous de la race de Sganarelle, & comme lui.

Zitat/Motto► Ils ne sont point battants de peur d’être battus. ◀Zitat/Motto

Mais que dis-je ici moi-même ? Je vais être dementie dans le moment par nos deux champions. En effet, Madame, vous allez apprendre un Phénomene tel que l’Antiquité la plus reculée n’en a jamais vu, & que la Postérité aura de la peine à croire. He ! quel est il encore ce Phénomene ? . . . Ho ! je vous le donne à deviner en dix : cherchez & tâchez de le trouver . . . . Vous n’y êtes pas . . . encore moins . . . Vous en êtes à plus de cent lieues . . . . vous vous fatiguez en vain ; vous n’y viendrez jamais. Hé qui ira jamais penser à un prodigue aussi inoui que celui là ? . . . Deux Auteurs l’épée à la main ! ◀Metatextualität

Zitat/Motto► Jamais rien de pareil se vit il sous les cieux !

L’avenir croira-t-il ce trait audacieux ? ◀Zitat/Motto

Il faudra bien qu’il le croye, puisqu’il n’y a rien de plus vrai, quoique je sois persuadée que la chose ne paroitra pas même vraisemblable aux personnes les plus crédules.

Allgemeine Erzählung► Cependant comme il étoit à craindre que l’un des deux ne déclinat le combat s’il venoit à le prévoir, l’Aggresseur qui étoit le Sieur Marmontel, se garda bien d’envoyer un Cartel au Sieur Freron son ennemi. En brave Parisien, il attaque son ennemi en public, en presence de deux mille témoins de sa bravoure, dans la Sale même de la Comedie, à l’heure du Spectacle d’où il l’arrache pour aller jouer avec lui la seconde Scene du second Acte de la Tragédie du Cid *6 . Nos deux Champions se rendent pour cet effet au Carrefour de la rue de Bussi. Là on met flamberge au vent & l’on ferraille devant une foule de gens à qui la nouveauté de [150] ce prodige a fait quitter la Comedie. Ces derniers forment auteur d’eux un cercle fort vaste dans lequel les deux combattants se trouvent enfermez, de façon que ces deux braves peuvent dire qu’à l’exemple de ces preux Chevaliers du bon vieux tems, dont les prouesses & hauts faits & gestes sont la matiere de nos vieux Romans, ils se sont battus en champ clos.

Un Gascon qui assistoit à ce nouveau spectacle laissa échapper à cette occasion une de ces faillies ordinaires à sa Nation, ◀Allgemeine Erzählung & qui donna la naissance à l’Epigramme suivante qu’on vit courir le lendemain dans Paris.

Ebene 4►

Epigramme.

Sur le terrible combat entre les Sieurs Marmontel & Freron.

Marmontel attaque Freron,

Se croyant les armes d’Achille :
Mais celui-ci, d’un air tranquille,
Ne voit en lui qu’un fanfaron.
Ne craignez rien de leur aproche,
Dit un Gascon plein de bonté,
Ils ont tous les deux dans leur poche
Un Brevet d’immortalité. ◀Ebene 4

Comme il n’y a rien de plus incertain que le sort des Armes, il n’y a rien aussi sur quoi l’on doive moins compter que les recits que l’on fait des grandes & fameuses Batailles. La cause & la raison de cette incertitude, est que chacun des deux partis les raconte toujours à son avantage. C’est aussi, Madame, ce que j’ai remarqué qui est arrivé dans les différentes relations que l’on nous a données du redoutable combat dont je vous ecris ici l’histoire, & dans lesquelles il est fort difficile de discerner lequel des deux combattants a le plus fait paroître de courage. Les Freronistes prétendent que cette gloire est due au Chef de leur parti ; mais les Marmontelistes soutiennent qu’elle appartient à leur ami. Ils publient même hautement que le Sieur Freron qui, à les entendre, étoit plus mort que vif dans ce moment critique, n’avoit pas l’ombre mêmê <sic> du courage & de l’audace dont il fait parade la plume à la main.

Un troisième parti, qui tient le milieu entre les deux au-[151]tres soutient que nos deux Héros du Parnasse n’ont sur ce point aucun reproche à se faire. Pour le prouver ils citent les témoignages de tous les spectateurs qui assurent que ce combat n’a abouti qu’à un grand cliquetis d’épées dont les pointes, toujours dressés en l’air, n’ont pu être funestes, tout au plus, qu’à quelques Chauves-Souris, Hiboux, Chats-huants, & autres Oiseaux de cette espece.

D’autres enfin racontent que, par une prudence qu’on ne sçauroit trop louer, & qu’on pouroit proposer pour exemple à tous les Duellistes, ces Messieurs s’étoient placez pour se battre à une telle distance l’un de l’autre, qu’un Carosse attelé de six chevaux auroit pu passer entre leurs épées sans que ces Animaux en reçussent la moindre égratignure. Ce dernier recit paroit d’autant plus aprocher de la vérité, que quelque long & animé que parut le combat, il n’y eut cependant pas une seule goute de sang répandue. A cette raison on en ajoute encore une autre ; C’est que les amis des deux combattants les voyant fatiguez de battre ainsi l’air avec leurs épées, & craignant d’ailleurs que la Garde & le Guet ne vinssent prendre connoissance de cette affaire qui, par-là, seroit devenue beaucoup plus sérieuse pour eux, leur firent enfin mettre bas les armes, & entreprirent de les réconcilier. Ils se vantent d’y avoir réussi ; mais le Public, qui n’est jamais la dupe, a bien reconnu depuis, que ce n’a, tout au plus, été qu’une Reconciliation Normande *7 . Les preuves sur lesquelles il en juge àinsi sont trois ou quatre douzaines d’Epigrammes que ces deux prétendus amis se sont reciproquement lancées depuis. Je vous en envoye cinq, Madame, par lesquelles vous pourrez juger des autres.

Ebene 4►

Epigramme.

Du Sieur Freron contre le Sieur Marmontel.

Du Parnasse odieux Aspic,

Si pour éviter tes Outrages
Il faut aprouver tes Ouvrages,
Envoye un Cartel au Publrc <sic>. ◀Ebene 4

Ebene 4►

Autre Du même sur le même sujet.

Du Théatre ennuyeux Insecte

Sorti du bidet d’Alecton
Pour avoir combattu Freron
Tu crois en vain qu’on te respecte.
Ta Valeur est aussi suspecte
Que la Santé de la Clairon. ( 8 ) ◀Ebene 4

Ebene 4►

Autre sur le même sujet.

A quoi, Satirique Freron,

Ta bravoure est-elle occupée ?
Contre Marmontel une épée !
C’étoit bien assez d’un bâton. ◀Ebene 4

[152] A ces trois Epigrammes j’en ajouterai une quatrieme du même Auteur. Il y attaque encore Marmontel & un Abbé de ses amis, nommé Raynal, fort connu chez vous, à ce que je crois, par son Histoire du Stadhonderat que nous trouvons ici très bien écrite, mais que je suis persuadée qu’on n’a trouvée rien moins que vraye dans le pais où vous êtes. L’Edition qui en a été donnée par M. Rousset a dispensé, cet Abbé, de nous en donner une seconde qu’il nous avoit annoncée & promise, & il nous paroit être devenu fort docile sur les Nottes dont elle est accompagnée.

Metatextualität► Pardonnez moi cette digression, Madame, & ne vous en prenez qu’à ces Ecrivains Républiquains qui étant idolâtres de la Liberté & de la Vérité, tiennent toujours les notres en bride, & ne manquent jamais de leur donner sur les doits quand ils ont la hardiesse de donner la moindre atteinte à l’une ou à l’autre. Sans m’écarter plus loin, je reviens à l’Epigramme dont je vous ai parlé, & que voici : ◀Metatextualität

Ebene 4► J’errois un jour dans la forest voisine

Du grand chemin qui conduit à Senlis :
J’entens crier : au meurtre ! on m’assassine ! . . . .
Je vole au lieu d’où me venoient ces cris . . . .
Que vois-je, O Ciel ! Quelle surprise extrême !
Le Dieu du goût assassiné lui même ! . . . .
Ami, dit-il, je cede au coup mortel ;
A mes Tirans je voulois me soustraire ;
Mais, par malheur, dans ce Bois solitaire
J’ai rencontré Raynal & Marmontel.

Reponse. Pour le Sieur Marmontel.

Contre un Apostat des Jesuites

Reptile du Sacré Vallon,
Marmontel, en vain tu t’irrites ;
Redoute encor son aiguillon ;
La blessure en est meurtrière ;
Tu dois tout craindre de Freron ;
Il peut t’attaquer par derrière. ◀Ebene 4

Metatextualität► Apres la Lecture de ces cinq Epigrammes que penserez-vous, Madame, de la prétendue réconciliation de ces deux Messieurs ? La croirez-vous bien sincere ? trouverez-vous que deux personnes qui se traitent de la sorte soient fort amies ? . . . . A peu près comme le Poëte Rousseau l’étoit de ceux de ses Confreres contres lesquels il a composé ses Satiriques Couplets . . . . Mais laissons-là ces deux Auteurs se déchirer, & s’égorger même à coups de plume ; les blessures n’en seront pas mortelles pour eux ; il n’y aura tout au plus que de l’encre de répandue, & du papier de perdu. ◀Metatextualität ◀Ebene 3 Revenons à nos Comédies dont j’ai promis de vous rendre compte. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

La suite dans l’Extraordinaire.

Jeudi le 18 Decembre 1749.

Il y aura aujourdhui un Extraordinaire. ◀Ebene 1

1* Voyez le N. 3. pag. 29. & suiv:

2* Voyez le N, <sic> 3. pag. 32.

3( ) Un des premiers Orfevres du Roi.

4( ) Voyez le N. 9. pag. 75.

5* Ouvrage Périodique de l’Abbé des Fontaines & Freron. Ce dernier, depuis ce tems là, s’est sécularisé, & se fait appeller le Chevalier Freron.

6* C’est la magnifique Scene qui commence par ces paroles, A moi, Comte ; deux mots, &c. & dans laquelle le grand Corneille a si bien representé le caractere Rodomont des Espagnols.

7C’est le titre & le sujet d’une Comédie de Mr. Du Fresni.

8( ) Fille de l’Opera de Paris.