Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 11.", in: La Bigarure, Vol.1\011 (1749), S. 89-96, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4895 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

No. 11.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Je vous ai promis les Eloges funébres que le Parnasse Francois & la République des Lettres ont fait de la sçavante Marquise Du Châtelet ; je vous tiens parole, Madame, en vous les envoyant. Les trois premieres piéces, composées sur ce sujet, sont de Monsieur de Voltaire, son tendre & fidelle Ami. Vous n’aurez pas de peine à les reconnoitre ; car elles sont marquées à son coin, je veux dire qu’on y voit briller le feu Poëtique qui anime ce sublime génie, & qui se trouve dans toutes ses productions Littéraires.

Vers
De M. de Voltaire

Sur la Mort de M. la Marquise Du Chatelet.

Un sommeil éternel a donc fermé ces yeux

Où brilloient la vertu, l’Amour & le génie.
La Vérité, l’honneur, la Foi, la modestie
N’ont pu changer du sort l’Arrêt impérieux :
Tu meurs, immortelle Emilie ;
On <sic> plutôt ta belle Ame, en volant vers les Dieux,
A son principe est rénnie <sic>.
Avec toi la Pudeur de la Terre bannie
Rentre pour jamais dans les Cieux ;
Tu meurs ; & je survis à ton beure fatale !
Je vois encor ce Ciel dont tu ne jouis plus !
Helas ! Où l’Amitié, les talents, les vertus
Pouvoient-ils trouver ton égale ?
Qui me rendra ces jours passez dans la douceur ?
D’une confiance tranquille

[90] Où mon ame à tes goûts docile
N’avoit pour toi que ton humeur ;
Où, loin des propos de la ville
Et du vain faste de la Cour,
Sans soins, sans brigues, sans détour,
L’
Arioste Newton, dans un loisir utile,
Remplaçoient à Cyrci (*1 ) la jeunesse & l’Amour ?

Dans les bras de la Paix, au sein de la Sagesse
Oubliant Versaille & Paris,
Les flateurs & les Beaux Esprits,
L’Orgueil des Grands & leur bassesse,
Nous étions seuls heureux, du moins dans nos Ecrits.
Pardonne, Ombre chere & sacrée,
Si de son bonheur enyvrée
Mon ame quelquefois veut rompre ses liens.
Par tes transports vainqueurs des miens
Tu vis ma chaine reserrée ;
Et si sur nos beaux jours tissus par le bonheur
Le Caprice a versé l’amertume & l’aigreur
Du moins après ta mort tu seras adorée.
Voi des Arts la troupe éplorée
Te suivre en deuil jusqu’au Tombeau ;
Voi l’Himen & l’Amour éteindre leur flambeaux ;
Voi le cœur même de l’Envie
S’ouvrir aux traits de la pitié ;
Voi ton Cercueil baigné des pleurs de l’Amitié ;
Voi ton Epoux errant & dètestant la vie
Redemander aux Dieux sa fidelle moitié.
Admise à la Céleste troupe
A la Table des Dieux où tu bois dans la coupe
Et de Minerve & d’Apollon,
Si ton cœur est sensible à l’éclat d’un grand nom,
Si mes vœux jusqu’à toi penvent <sic> se faire entendre,
Que tu dois t’aplaudir d’une amitié si tendre !
Je veux que l’avenir dans mes Vers t’admirans
Te confonde avec
Uranie,
Et si quelque Censeur impie
Rit du culte immortel que ma Muse te rend,
Pour confondre la calomnie,
J’aurai tout Paris pour garant. ◀Ebene 3

[91] Autres vers
Du même Poëte

Sur le même Sujet.

L’Univers a perdu la sublime Emilie :

Elle aima les Plaisirs, les Arts, la Vérité,
Les Dieux, en lui donnant leur Ame & leur génie,
Ne s’étoient réservez que l’immortalité. ◀Ebene 3

Autres

Ebene 3►

Sur le même Sujet, par le même

Quoi ! verrons-nous toujours une simple Mortelle

S’élever jusqu’à nous d’un vol audacieux ?
Quoi ! la Nature lui révele
Tous les Secrets qu’à peine ont éclairé nos yeux ?
Ainsi parloient les habitants des Cieux ;
La Mort frape
aussi-tôt cet objet qu’ils détestent.
Dans le deuil, dans les pleurs les humains sont plongez
.
Du Chatelet n’est plus ; mais ses Ecrits nous restent.
Impitoyables Dieux, vous n’êtes point vangez ! ◀Ebene 3

Voila, Madame, Exemplum► en quels termes l’Orphée de notre France a célébré la mort de sa chere & tendre Euridice. ◀Exemplum Quelque pompeux que soient ces éloges, quelque touchants que soient ses tristes regrets, un Censeur atrabilaire a néanmoins trouvé qu’ils n’exprimoient pas encore d’une manière assez energique l’excès de douleur dans le quel on a publié que la mort de M. du Châtelet avoit plongé ce grand Poëte. Il lui en a fait des reproches par les Vers que voici, & dans lesquels il lui donne un Avis que M. de V . . . . se gardera très-certainement bien de suivre.

Ebene 3►

Vers adressez à M. de V . . . . au sujet de la mort de Madame la Marquise du Châtelet.

Quoi ! cette chaste & tendre Amie,

A tes fougueux accès si long-tems asservie,
[92] Expire ; & tu ne la suis pas !
Au lieu de Vers sur son trépas,
Fais preuve de bon cœur une fois en ta vie ;
Poëte Anglois, va, cours te pendre de ce pas
. ◀Ebene 3

Il auroit sans doute manqué quelque chose aux Obseques Littéraires de la sçavante Marquise si elles n’avoient pas été terminées par une Epitaphe. C’est ce qui a été exécuté par je ne sçai quel Poëte dont le stile est bien différent de celui de M. de V . : . . comme vous le verrez vous même dans les Vers suivants.

Ebene 3►

Epitaphe
Pour Madame la Marquise Du Chatelet.

Ici gît qui perdit la vie

Dans le double accouchement
D’un Traité de Philosophie
Et d’un malheureux enfant.
On ne sçait précisement
Lequel des deux l’a ravie.
Sur ce funeste événement
Quelle Opinion doit on suivre ?
S . . . L . . . . s’en prend au Livre
,
Voltaire s’en prend a l’Enfant. ◀Ebene 3

La Malignité qu’on entrevoit dans cette Epitaphe, qui est la plus passable qui me soit tombée entre les mains, est tout ce qui en fait le sel & le mérite ; mais quelque piquant qu’elle soit, elle n’approche point encore du portrait que la Comtesse de N . . . que vous connoissez, m’a fait, en dinant chez elle, de cette sçavante Marquise dont la mort a fait le sujet de l’entretien de tout Paris. Comme je sçais que vous aimez à rire, je veux, pour vous egayer, vous le tracer ici. Vous y verrez à quel point certaines femmes sont capables de porter la méchanceté. Il n’est pas nécessaire de vous avertir, pour vous prévenir sur ce que vous allez lire, qu’en général nous ne nous aimons point les unes les autres : c’est une vérité connue de tout le monde, & dont vous n’êtes que trop convaincue. Vous allez voir [93] jusqu’où alloit la haine de cette Dame pour la Marquise Du Châtelet.

Ebene 3► « Representez-vous, m’a t-elle dit, une grande femme seche, sans croupe, sans hanches, une poitrine fort etroite, deux petits tetons très flasques & se regardant de fort loin, de gros bras, des jambes fort minces, des pieds d’une longueur enorme & fort plats, une petite tête, un visage qui se perdoit dans une Coëffure des plus amples, & d’un goût tout à fait singulier, un nez pointu, deux petits yeux verdâtres ; un teint foncierement basane, & relevé par une couche de rouge & de blanc des plus mal apliquez, une bouche plate, des dents clair-semées & qu’on eut prises pour des cloux de girofle. Voilà qu’elle étoit la grotesque figure de la belle, de la charmante, de l’adorable Emilie tant célébré par le Poéte Voltaire, figure dont cette folle étoit si contante, qu’elle n’épargnoit rien pour la faire valoir. Frisure, pompons, rubans, mouches, pierreries, tout étoit à profusion ; & comme elle vouloit être belle en dépit de la nature, & magnifique en dépit de la fortune, elle se passoit souvent des choses les plus nécessaires, pour se procurer ces bagatelles. Voilà pour le corps. A l’égard de l’esprit, elle étoit encore moins bien partagée de ce côté-là.

Née sans talents, sans mémoire, sans goût, sans imagination, sans genie, elle se fit géométre pour paroître au-dessus des autres femmes, ne doutant point que cette singularité ne lui procurât la supériorité de son Sexe après laquelle elle aspiroit. Néanmoins son trop d’ardeur pour une grande réputation lui a un peu nui. Certain Ouvrage donné au Public sous son nom, & revendiqué par un Auteur Suisse, lui a fait beaucoup de tort ; & l’on en est venu jusqu’à dire qu’elle étudioit le Géométrie pour parvenir à entendre ce Livre qu’on lui a faussement attribué. Son Sçavoir est encore un Problême très-difficile à résoudre. Elle ne parloit des Sciences que comme Sganarelle, dans Moliere, parle Latin devant ceux qui ne l’entendent pas.

[94] Se croyant belle, magnifique, & sçavante, il ne lui manquoit plus, pour satisfaire sa vanité, que le rang de Princesse. Elle le devint, non par la grace de Dieu, ni par eelle <sic> du Roi, mais par la sienne propre. Ce ridicule a passé dans le Public, comme les autres qu’elle avoit. On l’a regardée comme une Princesse de Parnasse, & l’on a presque oublié qu’elle étoit femme de condition ; on diroit que l’existence de la Divine Emilie (titre superbe sous lequel elle a été célébrée) est une espèce de prestige. Elle s’est donnée tant de peines pour paroître ce qu’elle n’étoit pas, qu’on ne sçait point ce qu’elle étoit en effet. Ses défauts mêmes ne lui étoient peut-être pas naturels ; ils pouvoient tenir à ses prétentions, son impolitesse & son inconsidération, à son état de Princesse, sa sécheresse dans les conversations, & ses distractions affectées, au titre de Sçavante ; son rire glapissant, ses grimaces, ses minauderies & ses contorsions à celui de jolie femme.

Tant de prétentions satisfaites n’auroient cependant pas encore suffi pour la rendre aussi fameuse qu’elle vouloit l’être. Pour devenir célébre il faut être célébré. C’est à quoi elle est parvenue en devenant la Maîtresse de V . . . . C’est lui qui l’a rendue l’objet de l’attention du Public, & le sujet des conversations particulières. C’est à lui qu’elle devra l’honneur de vivre dans les siécles à venir comme elle lui doit celui d’avoir vécu dans le siécle présent. » ◀Ebene 3

Voila, Madame, en quels termes la Comtesse de N . . . . m’a parlé de la Marquise Du Châtelet. Ce Portrait est sans doute bien différent de ceux que l’on nous en a faits, & dont je vous ai fait part ; mais, comme vous le sçavez, toutes les choses de ce monde ont leur bon & leur mauvais côté. En conséquence nous devons croire charitablement que c’est par ce dernier que la Comtesse a envisagé cette Dame lorsqu’elle m’en a dit ce que je viens ici de transcrire. Quoiqu’il en soit de la ressemblance ou dissemblance de ce Portrait, on a toujours cru, & probablement on croira toujours, que Madame Du Châtelet a été une Femme d’esprit, sçavan-[95]te, aimable, passablement belle, & qui a mérité tous les éloges que lui a donnez le galant M. de V . . . .

Il y auroit, selon moi, autant d’injustice & d’impolitesse à les lui contester, qu’il y en auroit à s’inscrire en faux contre les louanges qu’on vient de donner à deux autres aimables Dames qui se distinguent ici par leur esprit & par leurs talents pour la Poësie. La première est Madame Du Bocage, dont je vous ai parlé ailleurs *2  ; & la seconde est Madame Denis, Niece du célébre Poëte que je viens de nommer. Cette dernière vient de présenter au Théatre une piéce dont on dit beaucoup de bien, & qui y doit être incessamment jouée. En attendant le succès, & que je puisse vous en rendre compte, voici des Vers qui ont été faits à la louange de ces deux Nouvelles Muses Françoises.

Zitat/Motto► Par des yeux vifs mille attraits séduisants,

Les Belles contre nous avoient de fortés armes ;
Les Dieux leur laissoient tous les charmes ;
Elles veulent encore avoir tous les talents.
Au Dieu des Vers portons en plainte amère :
Pourquoi leur donnent-ils de nouveaux agréments ?
Elles avoient déjà trop de moyens de plaire. ◀Zitat/Motto

J’ai l’honneur, &c.

Ce 12 Novembre 1749.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

[96] Livres Nouveaux

Qui se vendent dans la Boutique de Pierre Gosse Junior, Libraire de S. A. R. Madame la Princesse d’Orange et de Nassau.

Oeuvres de Moliere, Nouvelle Edition avec des très-belles figures, 12. 4 vol. Amst. 1749.

Sermons sur diverses Textes de l’Ecriture Sainte par feu Mr. Gabriel du Mont, 2. Rotterd. 1749.

Oeuvres de Monsieur de Voltaire, 8. 7 vol. Amst. 1738. W 1749. avec fig.

Bibliothèque Choisie & Amusante, 12. tome Cinquième, Amst. 1749.

Idem, 12. 5 vol. Complet. Amst. 1749.

Journal du Siege de Berg-op-Zoom en 1747. par Lieutenant Colonel Iugenieur <sic> Volontaire de l’Armée des Assiegeans, avec le Plan de la Ville & des Forts. 8. fig. Amst. 1750.

Recherches sur l’Origine des Idées, que nous avons de la Beauté & de la Vertu, en deux Traités ; le premier sur la Beauté, l’Ordre, l’Harmonie & le Dessein ; le second sur le Bien & le Mal Physique & Moral. Traduit sur la quatrième Edition Angloise, 8. 2 vol. Paris, 1749.

Contes & Nouvelles en Vers de la Fontaine, 8. 2 vol. Paris, 1745. belle Edition avec un grand nombre de belles fig.

Jeudi le 20. Novembre 1749.

◀Ebene 1

1* Terre située en Bourgogne & appartenant au Marquis Du Châtelet. M. de V . . . y a demeuré long-tems caché pour se derober aux persécutions que lui faisoit alors la Cour.

2(*) N. 1. pag. 13.