Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 9.", in: La Bigarure, Vol.1\009 (1749), S. 73-80, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4893 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

No. 9.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Zitat/Motto► Fussiez-vous descendus du lugubre Héraclite,

Fussiez-vous de l’humeur la plus hétéroclite,
Eussiez vous tout perdu, Femmes, Filles, Garçons,
Vous rirez malgré vous, Messieurs les Brabançons
. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Par ce début, Madame, vous n’aurez pas de peine à deviner ce que je me propose dans cette Lettre ; ce que j’avois envie de faire dans la précédente, & que les matières sérieuses sur lesquelles elle a roulé m’ont empêché d’exécuter, c’est-à-dire, de vous égayer, de vous divertir, & de donner à votre Société un petit échantillon des plaisirs innocents que nous offre ici le grand Théatre du monde. Vous le sçavez, on y voit des Acteurs & des personnages de tous les caractéres, & qui tous ont quelque chose de divertissant, chacun dans leur espèce ; ceux que je vais vous présenter sont dans ce genre. Je commence par les plus Comiques. ◀Metatextualität

Qui menera la bande? . . . Un homme dont je vous ai déja parlé plusieurs fois, & que je suis persuadée que vous reverrez encore ici avec plaisir. Il est des personnes qu’on ne se lasse point de voir ; il en est enfin dont on ne s’ennuye jamais de parler. Pourquoi cela ? c’est que ces derniers, par la vivacité de leur imagination, par le brillant de leur esprit, par le bruit que leurs talents font dans le monde, enfin par l’irrégularité & la bisarrerie que l’on voit dans leur conduite, fournissent matiere à des conversations toujours nouvelles dans lesquelles la plaisanterie, la vérité, la flatterie, la [74] Médisance, & la Critique jouent alternativement chacune leur rôle ; ce qui divertit infiniment le Public.

Tels ont été dans tous les temps Messieurs les Beaux-Esprits en général, & tel fut toujours, en particulier, Fremdportrait► M. de Voltaire, qui semble né pour faire tout à la fois l’admiration & le divertissement de toute l’Europe. C’est ce grand Poëte, c’est ce brillant Académicien, ce profond Politique, ce célébre Historien, ce riche Historiographe, ce sublime Géomettre, en sçavant Physicien, en un mot c’est cet Esprit Universel qui va vous égayer aujourdhui, non pas à la vérité par lui-même, mais par une scène des plus réjouissantes qu’il a occasionnée, & dont voici le sujet. ◀Fremdportrait

Ebene 3► Vous sçaurez, Madame, qu’il y a environ un mois que M. de V . . . . . a fait annoncer au Public qu’il alloit donner au Théatre deux Tragédies nouvelles, à la suite l’une de l’autre, apparemment pour tâcher de réparer le tort que ses deux dernières pieces ont fait à sa réputation (a1 . Quand je dis deux Tragédies nouvelles, n’allez pas vous imaginer que j’entende par-là deux sujets qui n’ont point encore été traitez. Ce n’est pas, dit-on, la coûtume de ce Poëte qui n’a presque travaillé que sur des sujets qui avoient déja paru au Théatre avec très peu de succès, & qui ayant été maniez, réfondus, & redressez par cet habile Maitre, y ont presque tous réussi à la faveur principalement de sa belle versification (b2 . Ces deux Tragédies nouvelles sont Catilina, & Electre, deux sujets qui ont déja été traitez par M. de Crébillon, son Confrere ; le premier, d’une manière pitoyable, comme je vous l’ai marqué dans une de mes Lettres (c3 , & le second, avec un succès qui a aquis à ce Poëte la grande réputation dont il jouit avec justice.

Depuis cette annonce, tout Paris est en l’air dans [75] l’attente de ces deux nouveaux Spectacles ; & comme ces deux Académiciens ont chacun leurs Partisans, chacun fait ici des Vœux pour le parti qu’il favorise. Le Parnasse retentit de clameurs, les Vallons qui sont à l’entour de cette Montagne Sacrée, & jusqu’au Bourbier même qui en environne le pied, & dans lequel on voit barboter tant de misérables Poëtes, tout est en rumeur, tout prend part au fort de ces deux habiles Concurrents ; enfin c’est une espèce de Duel, ou du moins de Cartel, qui fait ici cent fois plus de bruit que n’en fit autrefois celui de Charles-Quint & François premier ; Cartel dont les suites seront beaucoup plus dangereuses, si on en juge par les hostilitez qui ont déja éclaté de part & d’autre. ◀Ebene 3 Vous n’aurez pas de peine à vous le persuader, Madame, lorsque vous aurez lu l’histoire suivante dont mon Frere a éte témoin oculaire, & dont il m’a chargé de vous envoyer la relation.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Il étoit, il y a quelques jours, dans le Caffé de la Comédie où il étoit entré en attendant que le Spectacle commençat. Là, selon la coutume, plusieurs Beaux-Esprits s’entretenoient des Nouvelles du Théatre, & la conversation rouloit justement sur les deux piéces annoncées, pour cet hiver, par M. de V . . . . . Chacun raisonnoit sur ce sujet selon qu’il étoit bien ou mal-intentionné pour les deux Poëtes rivaux, lorsque tout-à coup deux de ces Messieurs, l’un grand admirateur de M. de V . . . ., & l’autre de Mr. de Crébillon, tous deux par conséquent ennemis, s’avisérent de faire une Dissertation à coups de Tabouret pour sçavoir lequel de ces deux Auteurs Dramatiques culbuteroit l’autre du Parnasse. Avant que d’en venir à ces Arguments vraiment peremptoires, on commença d’abord par étaler paisiblement les bonnes qualitez des deux Rivaux, & ensuite les droits qu’ils prétendoient avoir tous les deux.

Cependant les deux Partisans s’obstinent sur les faits ; ni l’un ni l’autre ne veulent ceder. A l’entêtement succédent les paroles sérieuses qui peu à peu deviennent dures, & dégénérent enfin en grossiéretez. Bientôt la colère, & même la fureur s’en mêlent. A les voir on auroit cru qu’Apollon les animoit & agitoit [76] comme il faisoit autrefois la Sibille de Cumes. Les yeux leur rouloient dans la tête, & leurs regards étoient effroyables. Leur visage blême & le silence qu’ils garderent pendant quelques moments sembloient avoir mis fin à la dispute, lorsque tout à coup une bouteille de biere qu’ils vuidoient amicalement ensemble un instant auparavant fut lancée au visage de l’un d’eux. A ce violent & terrible signal, le combat commence ; les verres sont mis en poudre ; les tables sont renversées ; les Tabourets volent dans la Sale <sic> du Caffé ; les glaces fracassées font un cliquetis horrible ; le terrain s’aplanit ; les deux Champions s’approchent, se lancent de violents coups de poing, & viennent enfin à l’abordage ; ils se saisissent d’abord par les oreilles & par les cheveux, se prennent ensuite corps-à-corps, se renversent, se culbutent, tant, si fort, & si long-tems, qu’ils roulent dans la Cave l’un sur l’autre sans compter les dégrez de l’escalier. Jusque-là rien de décisif, aucun des combattants ne voulant céder à l’autre. Chacun pousse des soupirs à chaque gourmade qu’il reçoit, & se fait encore mieux entendre quand il lance son coup à son ennemi.

Cependant l’Assemblée, qui étoit fort nombreuse, & qui s’étoit dabord fort divertie de ce Spectacle vraiment Comique, craigant <sic> qu’il ne devint enfin Tragique, va chercher les Acteurs dans le fonds de la Cave où le combat continuoit, & où les bouteilles du vin Muscat, d’Espagne, & d’autres liqueurs couroient risque d’avoir le même sort que les Verres, les Caraffes, les tables & les glaces du Caffé. Après bien des efforts on vient à bout de les séparer. Ils remontent, & paroissent devant le Commissaire que le Limonadier avoit envoyé chercher pendant le combat, pour venir le faire cesser. Il leur réprésente le dégât de ses meubles fracassez qui n’avoient rien de commun, dit-il, avec les deux Tragédies nouvelles de Mr. de V . . ., enfin il couclut <sic> par demander qui les lui payeroit . . . . . Parbleu ! repondit celui qui avoit tenu pour le parti de M. de Crebillon ; ce ne sera pas moi ; j’ai les reins brisez ; n’en est ce pas bien assez pour mon compte ? L’autre [77] profitant de cet aveu, sans songer à la demande qu’on lui faisoit, s’écria d’un air & d’un ton de Vainqueur : Vous le voyez, Messieurs, je vous prends tous à témoin comme il me donne guain de cause ! exclamation qui a été regardée comme un Augure des plus favorables pour les nouvelles piéces de M. de V . . .  Mais malgré cette assurance il pourroit bien arriver qu’elles n’auroient pas un sort plus heureux que n’a été celui de ces deux valeureux Champions qui, avec tout leur zèle & toute lenr <sic> bravoure, n’ont pas laissé d’être conduits sur le champ dans la prison du Châtelet, où ils sont encore, & où ils resteront jusqu’à ce qu’il plaise au Lieutenant de Police de les en tirer. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

A cette Avanture vraiment Comique je joindrai ici une Epigramme faite par M. Piron, sur le même sujet, je veux dire sur M. de V . . . . & ses nouvelles piéces. Metatextualität► J’espere qu’elle ne vous fera pas moins de plaisir que la Bataille dont vous venez de lire la rélation. ◀Metatextualität

La voici.

Ebene 3► N’en doutez point ; Oui, si le premier homme

Eut eu le Tic de ce faiseur de Vers,
Il eut fait pis que de mordre à la pome,
Et c’eut été bien un autre travers ;
Du grand Auteur de la Nature humaine

Il eut voulu refaire l’Univers,

Et le refaire en moins d’une semaine. ◀Ebene 3

Pendant que je suis sur se <sic> chapitre de Messieurs les Beaux-Esprits, je veux vous régaler encore d’une Epigramme faite par le même Auteur sur sa personne même. Il est très rare que ces Messieurs, grands Satiriques ordinairement envers les autres, se rendent justice. Ils ne peuvent pas même soufrir qu’on dise d’eux le moindre mal. Celui-ci, fait tout au rebours des autres, est le premier à s’accuser lui même. Pour sentir tout le sel de cette petite piéce, il faut que vous sachiez, Madame, que M. Piron, de même que la plûpart de ses Confreres, ne passe pas dans ce païs-ci pour un pieux Croyant, ni pour un homme qui ait beaucoup de Religion. Par cette raison ses amis, & autres personnes qui le connoissent pour tel, se font un plaisir, [78] lorsqu’ils veulent se divertir, de le mettre aux prises avec les Dévots & les Superstitieux. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► On l’invita donc dernierement à un diner où se trouvoit un très Reverend Pere Jesuite, lequel entreprit de lui prouver Théologiquement qu’il n’étoit pas Chrêtien. M. Piron se dessendit de son mieux quoique dans le fonds il suive peut-être moins la Religion, que la Philosophie que les Beaux-Esprits opposent aujourdhui au Christianisme. Toutefois se sentant pressé & batu par le Jesuite, pour se tirer d’affaire & excuser son Pirrhonisme sur le fait de la Religion, il allégua le Schisme causé dans l’Eglise de France par la différence des sentiments des Molinistes & des Jansénistes. Ne voyant Pas <sic> d’autre moyen de sortir d’embaras, il cria beaucoup, & se fit raison en étourdissant son Adversaire qui ne sachant que lui dire resta sans replique. Je vois bien, mon Reverend Pere, lui dit alors M. Piron, que mes arguments sont trop forts pour vous, & qu’il vous faut du tems pour y répondre. Je vous le enverrai demain par écrit. Il lui tint parole, & lui envoya effectivement le lendemain les Vers suivants.

Ebene 4► En qualité de Pénitent,

Un grivois, aux pieds d’un Jesuite,
Etoit prêt d’avouer sa gaillarde conduite.
Le Pere lui dit : mon enfant,
Si Dieux vous a fait Moliniste,
Je puis entendre votre cas ;
Mais si vous êtes Janseniste,

Poimt <sic> de Confession . . . . . Mais je ne le suis pas . . . .

Dieu soit beni ! vous êtes donc des nôtres . . . .

Non, je suis du parti qui se . . . . . rit des deux autres. ◀Ebene 4 ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Paris jusqu’a présent m’a fourni de quoi vous amuser & vous divertir ; mais comme ce n’est pas le seul Théatre sur lequel le genre humain étale ce qu’il a de bon & de mauvais, ne soyez point étonnée, Madame, si je vous transporte en esprit à Londres pour vous y faire voir de nouvelles Avantures. J’espere qu’elles ne vous seront pas moins agréables que celles dont je vous ai rendu compte. Les Anglois, dans leur façon de penser & d’agir qui nous paroit singulière, ne sont ni moins instructifs, ni moins divertissants que nos Foançois <sic>. D’ail-[79]leurs comme il n’y a point de païs dans le monde où l’on vive avec plus de Liberté, il n’y en a point aussi qui fournisse plus d’événements extraordinaires. Je vais vous en rapporter un qui peut passer ici pour tel ; du moins n’en voit-on guére de semblables dans notre France, quoique nous ayons la sotte vanité de croire que nous donnons le ton à toutes les autres nations de l’Europe. Voici le fait tel que me l’a écrit Miladi R . . . qui m’honore de tems en tems de ses Lettres.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Deux Coureurs de Londres avoient un ami de la même condition, qui par son libertinage & sa débauche avoit non seulement dépensé jusqu’à sa derniére maille, mais s’étoit encore endetté considérablement. Il avoit effectivement autant de Créanciers que de connoissances. Son Maitre ayant été informé de sa mauvaise conduite fut obligé de le congédier. Ce misérable se trouvant par-là sur le pavé n’avoit pas même de quoi se mettre en route pour aller chercher un nouveau Maitre. Sans credit, sans le sou, accablé de dettes, il n’ose pas même se montrer de peur d’être arrêté & mis en justice par ses Créanciers. Dans cette extrémité il va trouver, le soir, deux Coureurs Anglois de sa connoissance auxquels il expose sa misère, les priant de l’assister & de lui procurer une nouvelle condition. Ceux-ci s’informent aussi-tôt comment il a quitté son Maître, & quels ont été les motifs qui l’ont fait chasser. Par le détail qu’on leur fait de sa conduite passée, ils prévoyent que cet homme, étant incapable de subsister dans Londres, court risque d’y périr misérablement. En conséquence ils le conjurent de quitter cette Ville, & de leur donner un état de ses dettes qu’ils s’offrent généreusement de payér. Il refuse d’abord de les déclarer ; mais à force de le tourmenter ils viennent a bout de lui en faire avouer pour environ cent écus. Ces généreux amis, accompagnez du débiteur, se mettent aussi tôt en marche & vont par tout, la bourse à la main, satisfaire en sa présence ses Créanciers. Ce n’est pas tout encore. Pour lui aider à se rendre en Allemagne, païs de sa naissance, ils lui font présent chacun de deux Guinées. Nouvelle générosité. Le voyant tout prêt à partir, ils [80] le prient encore de ne leur rien cacher, & de ne pas quitter Londres comme un malhonnête homme. Ce malheureux, pénétré de douleur & de la plus vive reconnoissance, leur avoue, les larmes aux yeux, qu’il doit encore quatre paires de souliers à un pauvre Cordonnier qu’il n’avoit osé leur déclarer. Ils les payent, le quittent, & le renvoyent à la garde de Dieu eu <sic> lui recommandant de tenir une conduite plus sage à l’avenir. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Je ne sçai ce que votre Société pensera de cet acte de générosité ; pour moi, Madame, je vous avoue que je le trouve si louable & si grand, que je ne vois rien à quoi il puisse être comparé. Je n’ignore pas que les Anglois, en général, passent pour généreux ; mais je ne sçais pas si ces traits sont bien communs parmi eux. Ce qui me frape & me touche le plus dans cette avanture, & qui la releve infiniment à mes yeux, c’est la qualité, le rang & la condition des personnages. Si la générosité plaît dans les Grands, ne doit-elle pas encore plaire davantage dans les personnes d’un ordre inférieur, & même de la dernière classe, tels que sont ces deux Coureurs ? Cette vertu étant souvent le fruit d’une excellente éducation, on doit être bien moins étonné de la voir dans des personnes qui en ont eu, que dans celles de basse extraction, d’autant que les dernières ont été privées des secours qui la font, pour ainsi dire, naitre, & qu’ils ne tiennent cette belle qualité que de la simple Nature, ce qui en releve encore le mérite aux yeux de toutes les personnes judicieuses. J’ai l’honneur d’être, &c.

Ce 1. Novembre 1749.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

La Suite de cet Ouvrage Périodique, continuera de paroitre reguliérement tous les Jeudis, le prix de chaque demie feuille est d’un sol & demie d’Holl.

Les Personnes dans les Pays etrangers, qui souhaiteront de la recevoir regulierément toutes les Semaines, peuvent s’adresser à Pierre Gosse Junior à la Haye, en affranchissant leurs Lettres & en lui faisant tenir ou compter a flor. d’Hollande pour le payement d’avance de six Mois, moyennant quoi elles seront servis exactément.

P.S. Comme l’on donnera de tems à autre pour satisfaire à l’empressement que le Public continuë de témoigner pour cet Ouvrage, des Extraordinaires. 27 demi-feuilles seront comptés pour une demie année, qui montent, à raison d’un & demi sol par demie feuille, à a <sic> flor. d’Holl.

Jeudi le 6 Novembre 1749.

◀Ebene 1

1(a) Semiramis, Tragedie, & Nanine, Comédie, Voy. le No. 1. pag. 9. & le No. 6, pag. 55.

2(b) Oedipe, Hérode & Mariane, Brûtus, l’Enfant prodigue, &c.

3(c) No. 1. p. 8.