Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 8.", in: La Bigarure, Vol.1\008 (1749), S. 65-72, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4891 [aufgerufen am: ].


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No. 8.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Metatextualität►J’ai grande envie de vous égayer, Madame ; Mais je crains de n’y pas réussir aujourdhui. ◀Metatextualität Ce ne sera pas, du moins, par le premier article de ma Lettre qui est une suite de la derniere que j’ai eu l’honneur de vous écrire *1 . Le moyen en effet de plaisanter & de rire lorsqu’on a à parler des Morts, & sur tout de Morts dont on regrette la perte ! Telle est celle que nous avons faite de la fameuse Marquise Du Châtelet que Metatextualität► je vous ai annoncée il y a environ trois semaines. Comme cet événement étoit encore tout récent, on en ignoroit plusieurs circonstances que j’ai aprises depuis. Ces circonstances, jointes à quelques Anecdotes & piéces très curieuses concernant cette Dame, feront le principal sujet de la présente. ◀Metatextualität

Si vous étiez du nombre de ces folles à qui rien ne plaît, s’il n’est marqué au coin du Ridicule, ou de la Bagatelle, je commencerois par vous avertir ici de ne vous point donner la peine de la lire ; mais sachant que vous aimez à vous instruire de tout ce qui peut interresser <sic> la Curiosité, & que les larmes que vous arrache le recit d’une Avanture triste vous font autant de plaisir, que les plus grands éclats de rire en peuvent faire aux autres, cette considération dissipe ma crainte. Je vais donc ajouter à ce que je vous en ai déja écrit tout ce que nous avons apris touchant la mort de cette illustre Dame dont je suis persuadée que vous aurez été touchée. En cela vous aurez imité, comme vous le faites en beaucoup d’autres choses, toutes les personnes qui ont pour le mérite l’estime qui lui est due.

[66] Je vous ai marqué que Madame la Marquise Du Châtelet étoit morte des suites d’une grossesse qui avoit paru un peu extraordinaire à quelques personnes, pour la raison que j’en ai apportée. J’ajoute ici que ce triste événement est le fruit d’une espece d’Heroïsme féminin que bien des gens condamnent, & qui, selon moi, ne doit pas être assurément proposé comme un exemple à suivre aux personnes de nôtre Sexe. Ce seroit effectivement le véritable moyen de les faire périr comme cette Dame. Aprenez donc la Marquise, qui vivoit depuis un tems en Philosophe, a voulu braver en cette rencontre, à l’exemple des Stoïciens, des maux que la Nature a rendus inévitables à toutes les femmes qui se trouvent dans l’état où elle étoit alors.

Ebene 3► A peine eut-elle mis au monde le petit Sçavant dont elle étoit enceinte, que voulant faire voir qu’elle n’avoit pas moins de force dans le corps, que dans l’esprit, elle se mit à écrire & à continuer un ouvrage Philosophique auquel elle travailloit depuis quelque tems.

Il est des Loix dans la Nature qu’on ne brave pas impunément. Malgré tout le Stoïcisme de Madame Du Châtelet, son courage ne fut pas de longue durée. Il lui fallut bien-tôt céder à la fiévre & aux autres accidents fâcheux qui suivent d’ordinaire l’acouchement, & que son Héroïsme très déplacé rendit extrêmement dangereux pour elle. Alors se sentant affoiblie, & prévoyant que sa fin aprochoit, elle fit apeller M. de Voltaire qui étoit pour lors à table avec le Marquis son Epoux. Ce brillant Academicien étant aussi-tôt accouru auprès de cette tendre & chere Amie, elle lui fit ses derniers adieux dans les termes les plus touchants, & les finit en lui baisant la main, après quoi elle expira. Le Marquis qui, comme je viens de le dire, étoit à table, & auquel on avoit apparemment caché l’état où s’étoit trouvé son Epouse, afin de ne le point trop attrister, fut rejoint peu de tems après par M. de V . . . . . qui lui dit en l’abordant les larmes aux yeux : Madame la Marquise est morte. Je prie Dieu qu’il me fasse la grace de la suivre bientôt. Je ne vous assurerai pas Madame que ce souhait ait éte bien sincére ; mais ce qu’il [67] y a de bien certain, c’est que ce grand Poëte a été si vivement touché de cette mort, qu’on debite actuellement ici que la douleur qu’il en a eu l’a fait totalement renoncer au monde, & qu’il s’est jetté dans un Couvent de Capuçins, résolu de passer le reste de ses jours dans cet Ordre dont il seroit, assurément, un des plus grands ornements si la grace opéroit en lui un semblable Miracle. ◀Ebene 3

Metatextualität► Peut-être au reste que ce bruit n’est pas plus fondé que celui qu’on a fait courir, il y a quelques semaines, ◀Metatextualität sur son compte ; sçavoir, que les Gentils-hommes Ordinaires du Roi, peu contents, dit-on, de sa conduite l’avoient obligé de se défaire de cet honorable emploi qu’il exerce, comme eux, auprès de S. M. Quoiqu’il en soit, un de ses rivaux, & de ses ennemis, n’a pas laissé échaper cette occasion de le mortifier, & a lâché contre lui l’Epigramme suivante

Ebene 3► Celui qui malgré vous devint votre Confrere,

Cesse de l’être, Dieu-Merci !

La pauvre Academie en est bien lasse aussi,

Et voudroit bien pouvoir de même s’en défaire. ◀Ebene 3

Mais revenons à Madame la Marquise Du Châtelet.

Ebene 3► La Mort, qui leve ordinairement le voile que nous avons coutume de jetter sur celles des actions de notre vie qui ne nous font pas le plus d’honneur, a été une occasion que quelques envieux du mérite de cette Dame ont de même saisie pour divulger certains traits, vrais ou faux, de la sienne qui ne s’accordent pas des mieux avec la Philosophie. On en raconte un, entr’autres, que j’insérerai ici non comme un fait absolument avéré, mais qui vous apprendra du moins, en cas qu’il soit faux, jusqu’où la calomnie est capable de porter sa malignité.

Allgemeine Erzählung► Ce n’est pas, dit-on ici, pour la première fois que cette aimable Philosophe avoit bravé la Mort qui la vient d’enlever. Egalement née pour les plaisirs & pour les sciences, elle forma, il y a quelques années, avec le Marquis de G . . . . T. . . . une de ces intrigues [68] si ordinaires parmi les Dames d’un certain rang & d’un certain caractère. Ce Seigneur, pour qui la Philosophie n’avoit pas tant d’attraits qu’en avoient pour lui les plaisirs, ne put s’accommoder loug <sic> tems des changements & des révolutions subites auxquels les esprits Philosophes sont sujets. En effet ils poussent ordinairement, tantôt les plaisirs jusqu’à l’excès, & tantôt ils outrent la Morale, selon qu’ils se trouvent montez dans le moment pour l’un, ou pour l’autre.

Vous pouvez vous figurer, Madame, le contraste plaisant que devoient faire ces deux Amants lorsque l’un étoit animé par l’ardeur qu’inspirent les plaisirs, & que l’autre, dans une extrêmité toute opposée, se trouvoit tonte <sic> pénétré de l’esprit & de la Morale du Divin Platon. Un Amant aussi vif que tendre, aussi aimable qu’amateur du plaisir, pouvoit-il suporter long-tems une pareille bisarerie ? Toujours égal, toujours guai, toujours galant, le Marquis ne desiroit que de rencontrer dans l’objet de son amour un retour de sentiments pareils aux siens. Ce fut ce qu’il ne trouva point dans Madame Du Châtelet, & ce qui l’en dégoûta bientôt.

De son côté cette Dame, quoique fort apliquée aux sciences, ne se fut pas fort accommodée d’uu <sic> Amant qui n’auroit eu que de la Philosophie. Après l’étude il lui faloit quelqu’un qui l’égayat un peu. Personne n’étoit plus propre à cela que le Marquis de G . . . . T . . . . Il fut chéri, il fut aimé, il fut adoré. Les premiers moments furent doux, & jamais Amants ne se seroient mieux convenus si la Dame eut pu se borner à l’un sans s’attacher aux rêveries de l’autre. Le Marquis, ennuyé des boutades Philosophiques, songea à y mettre fin par une retraite qu’il fit peu à peu. Il forma d’autres inclinations, ce que la Marquise ayant appris, elle en fut au désespoir. Elle essaya tous les expedients capables de ramener l’Infidelle ; mais aucun ne lui réussit. Enfin ne pouvant résister à la violence de sa passion, elle prit la triste résolution de montrer toute la fureur de son amour en déployant l’excès de son désespoir. Elle fait donc apeller le Volage sous prétexte de lui [69] communiquer une affaire de la derniere importance. Le Marquis se rend aussi tôt chez elle, & quelque provision qu’il eut fait d’audace & de fierté, quelque résolu qu’il fut de ne pas céder au torrent qui alloit de se deborder contre lui, il ne put s’empêcher de s’attendrir en voyant la Marquise, les larmes aux yeux, lui reprocher son inconstance.

Le chagrin qu’elle en avoit pris, & qui redoubloit encore à la vue de son Infidelle, l’avoit tellement affoiblie, & les expressions tendres & énergiques qui lui sortoient de la bouche sçurent si bien émouvoir la pitié du Marquis, que tout autre que lui en auroit été vaincu ; mais quelque puissants que fussent ces ressorts, ils ne purent le faire renoncer à son nouvel engagement.

La Dame, qui l’avoit prévu, & qui étoit résolue de lui donner les marques les plus sensibles, & en même tems les plus extraordinaires, de son amour, voulut le charger en quelque façon, du sacrifice qu’elle s’étoit déterminée à lui faire. Dans cette vue, après avoir encore employé inutilement tout ce que les larmes, tout ce que les soupirs, tout ce que la tendresse ont de plus efficace, elle pria le Marquis de lui donner un bouillon qui étoit sur sa Table. Celui-ci obéït. Elle le prend, l’avale, & se jettant tout de suite dans un fauteuil, elle lui presente une Lettre qu’elle tenoit en sa main.

Quelque surpris que fut le Marquis de tout ce qu’il voyoit, il ne soupçonna dans toute cette scène qu’un manége assez ordinaire aux Femmes Galantes. Il s’aproche, prend la Lettre qu’on le suplie de ne lire que lorsqu’il sera seul, après quoi on le congedie. Il sort pour s’en retourner chez lui, bien résolu de ne jamais revoir la Marquise ; mais réflechissant sur les dernieres paroles qu’elle venoit de lui dire, à peine fnt-il <sic> sur l’escalier, qu’une heureuse curiosité le porta à lire la Lettre que son Amante venoit de lui remettre. Quelle fut sa surprise, lorsqu’en la lisant il apprit que Madame Du Châtelet, que son changement & la violence de son amour avoient reduite au désespoir, avoit voulu périr [70] de sa main en se faisant donner par lui-même le poison qu’elle venoit d’avaller !

Tout autre Amant, moins prudent, seroit aussi-tôt remonté dans sa chambre pour lamenter avec elle, auroit voulu recevoir son dernier soupir, & peut-être se poignarder aux pieds de sa Victime. Le Marquis raisonna tout autrement. En homme sensé, il pensa que le secours le plus promt & le plus efficace étoit la meilleure marque d’amitié qu’il put lui donner dans cette terrible conjoncture. En conséquence il vole chez le premier Apoticaire qu’il rencontre, achete du contre-poison, retourne promptement chez la Marquise à qui il le fait prendre, & qui depuis ce tems a toujours joui d’une santé parfaite jusqu’au dernier moment de sa vie. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Que dites-vous, Madame, de cette avanture, que tout Paris debite comme un fait des plus véritables ? Jamais entendites-vous parler d’une action plus extraordinaire, & en même tems plus Tragique que celle-là. Nos plus grands Poëtes ont-ils jamais rien imaginé de pareil pour servir de dénouement à leurs plus belles Tragédies ? Corneille même, oui, le grand Corneille, n’a jamais rien inventé qui en aproche. Jamais ce sublime génie ne s’est avisé de pousser jusqu’à ce point l’Héroïsme dans les Femmes qu’il semble que la Marquise avoit entrepris d’effacer toutes en cette occasion. Il est vrai que dans Rodogune, ce Chef-d’œuvre du Théatre, & sa piéce favorite, ce grand Poëte fait prendre du poison à Cléopatre ; mais cette Princesse le prend dans un accès de rage occasionnée par la fureur & la soif insatiable qu’elle avoit de regner au préjudice de ses deux Fils & de Rodogune qu’elle avoit entrepris, & qu’elle se flattoit de faire perir par ce même poison qu’elle leur présente après en avoir bu elle-même. De plus cet attentat ayant été prémédité par la Princesse, elle pouvoit avoir pris des précautions pour empêcher que le poison ne lui put nuire. Rien de semblable dans l’action de la Marquise. C’est du plus grand sang froid du monde qu’elle se fait empoisonner par son Amant même que ses caprices Philosophiques lui avoient [71] fait perdre. Elle veut périr par la main de celui qu’elle adore, & qui, sans le sçavoir, se prête à cet horrible Ministere, Coup de Théatre admirable, tout nouveau, des plus frapants, & qu’il est à présumer, que nos Poëtes Dramatiques ne laisseront pas tomber par terre ?

Toutefois si je puis dire mon sentiment sur cette Action Héroïque que tout Paris admire, j’avouerai bonnement qu’y ayant un peu réflechi, j’y ai trouvé certains traits de foiblesse qui en diminuent beaucoup l’éclat & le mérite à mes yeux. Tel est, entr’autres, celui de la Lettre remise par la Marquise à son Amant dans l’instant même qu’elle avale le poison ; Lettre par laquelle elle l’instruit de ce qui vient d’arriver, dans l’espérance & la persuasion, sans doute, qu’il courra promtement à l’Antidote. A bien considérer cette démarche, je n’y vois de la part de la Marquise qu’une espece de repentir de la sotise qu’elle vient de faire, & qui dans le fonds n’étoit qu’une véritable & pure fanfaronade de sa part. En effet si son dessein eut été réellement de se sacrifier & de périr par la main de son Amant, ne convenoit-il pas beaucoup mieux, pour la gloire de cette amoureuse Héroïne, de donner au poison tout le tems de faire son effet, & de n’avertir le Marquis de ce qui venoit d’arriver que lorsqu’il n’y auroit plus eu moyen d’y remédier ? L’Héroïsme de nôtre galante Philosophe auroit alors paru dans tout son éclat. Elle auroit eu la gloire d’enfler & de crever pour l’amour & par les mains de l’Infidelle qu’elle adoroit ; mais avouons le franchement, Madame, elle n’en avoit aucun envie ; elle ne vouloit que lui en donner la peur, & voir s’il seroit sensible à sa mort.

Zitat/Motto► Tous ces coups de dépit sont de pures grimaces ;

Rarement les effets répondent aux menaces,
Et quoi que les Amants jurent d’effectuer,
On n’est point aujourdhui si promt à se tuer. ◀Zitat/Motto

Aussi toutes les personnes judicieuses qui ont entendu parler de cette Tragique avanture, ou de ce [72] Conte (car je ne sçai lequel des deux noms je dois lui donner) sont persuadées que le Poison dont il est ici parlé n’étoit que dans la Lettre de la Marquise qui avoit imaginé cette ruse pour allarmer son Amant & tâcher par là de le faire rentrer daus <sic> ses fers. D’autres prétendent que, si le bouillon étoit empoisonné, la dose du Poison étoit si foible, que la Dame, qui l’avoit elle-même préparé, auroit en tout le tems de prévenir, sans le secours de qui que ce soit, les accidents qui en auroient pu arriver. De quelque manière que la chose se soit passée, il est certain que, depuis ce tems, elle n’a plus fait de semblable sottise. Les grands coups de Théatre, pour fraper les Spectateurs, n’y doivent être employez qu’une seule fois ; autrement ils n’y font plus la même impression.

Pour rendre à la Marquise Du Châtelet la justice qu’elle mérite, j’ajouterai encore ici à ce que j’en ai déja dit, que depuis plusieurs années il n’a point paru en France, ni peut-être en Europe, de Femme qui ait fait plus d’honneur à notre Sexe par son esprit & par ses rares talents. Si elle n’alloit pas de pair avec tous nos plus grands Génies, elle les suivoit du moins à la piste. La République des Lettres a porté le deuil de sa mort, les Arts & les Sciences l’ont regrettée. Tous ceux qui les aiment ont été sensibles à sa perte, le Parnasse François à retenti de ses éloges par un nombre infini de piéces composées sur ce sujet, & Metatextualität► que je comptois insérer dans cette Lettre ; mais le papier qui me manque & la Poste qui me presse m’obligent de les renvoyer à un autre tems. ◀Metatextualität En attendent j’ai l’honneur d’être, &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Ce 30. Octobre 1749.

Livres Nouveaux qui se vendent dans la Boutique de Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R. Madame la Princesse d’Orange et de Nassau, la Haye.

Memoires pour servir à l’Histoire de Brandebourg, Main de Maitre, 12. 1750.

L’Esprit des Loix, Nouvelle Edition plus complette que toutes celles qui ont paru jusques ici, à laquelle l’Auteur a ajouté des Recherches Nouvelles sur les Loix Romaines touchant les Successions, sur les Loix Françoises & sur les Loix Féodales, revuë, corrigé avec des changemens considerables donnés par i’ <sic> Autheur, 4. Geneve 1749.

Pot de Chambre Cassé Tragedie pour rire ou Comedie pour pleurer, 8. 1749.

Jeudi le 6. Novembre 1749. Il y aura aujourdhui un Extraordinaire.

◀Ebene 1

1* No. 5. pag. 41.