Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 18.", in: La Bigarure, Vol.6\018 (1750), S. 137-144, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4717 [aufgerufen am: ].


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N°. 18.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Si notre Littérature ne nous fournit pas d’aussi bons Livres, ni aussi souvent que je le souhaiteroit pour votre satisfaction, du moins, Monsieur, ne m’accuserez vous pas de négligence à vous informer de ceux qui paroissent. En voici un qui ne fait que d’éclore, & dont on dit quelque bien. Ce sont des Lettres Morales, intitulées : Lettres de Mr. * * à . . . . son Ami. L’Auteur de cet Ouvrage est un homme qui, pendant une Léthargie dont il fut attaqué, fut mis dans le tombeau comme mort. Il alla même plus loin, à ce qu’il dit ; car il eut l’honneur de voir la Barque de Caron, qui le renvoya achever sa carriere sur la Terre ; mais ce ne fut qu’après s’être réciproquement promis qu’ils se donneroient mutuellement des Nouvelles chacun de leur monde. Je vais vous en donner deux échantillons sur lesquels vous pourez juger du reste du Livre. L’un est une Lettre de Caron, & l’autre de son Correspondant. Voici la premiere.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « J’ai été témoin, ces jours passez (écrit Caron) d’une grande & vive dispute qui s’est émue entre un Philosophe, & Cerbere. Ce Philosophe prétendoit établir ici le même systeme qu’il a debité parmi les Mortels ; sçavoir, que le Chien est une Machine. Cerbere s’est [138] trouvé offensé de cette idée folle. Il a demandé à soutenir les droits de son espece contre ce Philosophe qui a accepté le défi. Dans un instant ils se sont vus environnez par plus de dix millions d’Ames. Le Philosophe a d’abord debité tout ce que vous lisez dans ses Ouvrages. Cerbere, après avoir allégué toutes raisons qu’on y oppose, a fait paroitre plusieurs témoins des actions surprenantes faites par les Chiens. Comme votre Philosophe ne vouloit point se rendre à ces preuves, Cerbere, piqué de son obstination l’a mordu. Le Philosophe, outré de colere, a voulu battre le Chien infernal, & a demandé qu’il fût puni. Mais Cerbere, sans paroitre craindre ni ses menaces, ni ses coups, lui a dit d’un grand sang-froid : Pauvre Ombre, que des Innocents ont traité là-haut de Philosophe ! Va, tu n’es qu’un pauvre insensé. Dis-moi, un homme qui a tant soit peu de sens commun diroit-il des injures à une Machine qui lui seroit tombée sur le pied, la fraperoit-il, la mettroit-il entre les mains de la Justice ? Puisque tu demandes qu’on me punisse de t’avoir mordu, il faut donc que tu croyes que j’ai de la mémoire, que je réfléchis, & que j’ai des passions. Sans le secours de ces trois qualités, dont jamais Machine ne fut susceptible, les plus grandes corrections seroient inutiles. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Voici le second échantillon. C’est une Lettre que le Correspondant ressuscité écrit à Caron, à qui il mande la Nouvelle suivante. Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Un Gentilhomme, fier de son extraction, & de se voir dans une Voiture qui paroissoit avoir été autrefois un Carosse, où il se faisoit trainer par quatre Rossinantes qui avoient bien de la [139] peine à se trainer eux mêmes, prétendoit faire remonter un Coteau à douze Charettes chargées, plûtôt que de reculer un pas. L’impossibilité d’exécuter ses ordres, d’une part, & de l’autre, la fierté du Gentil-homme, qui ne lui permettoit pas de céder à des Païsans, ont fait passer la nuit, aux uns & aux autres, sur le champ de Bataille. Comme ils bouchoient la principale avenue de la Ville, qui n’est qu’à quelques pas de-là, la Justice s’est déclarée Mediatrice dans cette affaire. Mr. Loyal a fait, à la lueur d’une lanterne, sommation sur sommation au Carosse de reculer, sans pouvoir rien obtenir. Les Païsans, qui se sont vus soutenus par les Ministres de Themis, ont cru pouvoir avoir recours aux voyes de fait. Dix des plus robustes, ayant pris le Carosse, les Chevaux, & le Maitre qui étoit dans la voiture, ont transporté le tout hors de leur chemin. Cela ne doit point vous surprendre après la peinture que je vous ai faite & de la voiture & de la maigreur des chevaux qui la trainoient. Le Gentilhomme a de plus été condamné à payer le tems qu’il a fait perdre aux Voituriers pour écouter sa généalogie ». ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 Voilà, Monsieur dans quel goût ces Lettres sont écrites. Ce n’est pas-là, sans doute, le stile, ni l’enjouement, ni la solidité de celles de M. de Montesquieu, ni même de celles du Marquis d’Argens ; mais trouve-t-on aujourdhui beaucoup d’Ecrivains de cette espece ?

Au-reste, quelque mediocres que soient ces Lettres, je les mets infiniment au-dessus d’une petite Brochure qu’on vient de publier ici, & qui n’a sans doute été faite, que pour servir de pendant à une autre dont je vous ai parlé dans le tems. Vous vous ressouviendrez, je crois, Mon-[140]sieur, d’un petit Ouvrage intitulé Lucina sine concubitu, qui parut il y a environ quatre mois Ce Livret vient d’en produire un second, intitulé Concubitus sine Lucina. Par ce titre seul vous pouvez juger de la nature de celui-ci. Aussi me crois-je dispensé de vous en faire l’analyse. Je me contenterai de dire ici, à cette occasion, qu’il faut que les Auteurs d’aujourd’hui soient bien steriles, & bien desœuvrez, pour s’amuser à des pareils sujets. Encore ne seroit ce que demi-mal si ces Messieurs, qui traitent de pareilles matieres ménageoient la pudeur de leurs Lecteurs ; Mais il semble que certains Auteurs ayent totalement oublié le précepte que leur donne un grand Maitre dans l’art d’écrire, qui leur dit que

Ebene 3► Le Latin dans les mots brave l’honêteté ;

Mais le Lecteur François veut être respecté.
Du moindre sens impur la liberté l’outrage,
Si la pudeur des mots n’en adoucit l’image. ◀Ebene 3

Pour effacer donc l’impression que le titre seul de ce Livret pouroit faire sur ceux de vos amis à qui vous communiquerez ma Lettre, voici un morceau d’Eloquence qu’on admire beaucoup ici, & dont je crois qu’ils ne seront pas mécontents. C’est le Discours que M. le Duc de Chaulnes vient de faire à l’Assemblée des Etats de la Province de Bretagne, à la quelle ce Seigneur a presidé. Cette piece mérite autant, pour le moins, les honneurs de l’impression, que les Compliments usez que nos Académiciens se font les uns aux autres, le jour de leur reception. On trouvera du neuf dans celle-ci, ce qu’on ne rencontre guére dans les autres qui, depuis 120 ans ne roulent toujours que sur les mêmes privots.

[141] Ebene 3► Messiurs <sic>,

Pénétré de la plus vive reconnoissance de l’honneur que le Roi m’a fait en me confiant le Commandement de cette Province, je serois au comble de la satisfaction, si j’osois me flater que son choix vous sera agréable. . . . Ce n’est que par les sentimens que je m’efforcerai de mériter de votre part, que je puis esperer de seconder ses vues, & de remplir dignement la place dont il m’a honoré. Chargé des ordres du meilleur des Rois pour une Province qui, depuis si long-tems, est en possession de donner à son Maitre les preuves les plus distinguées de sa fidélité & de son attachement, quel emploi peut devenir plus flateur pour moi, que celui de reporter des hommages tendres, soumis & respectueux, à un Prince qui y est sensible ?

Que l’Univers repete les Eloges que lui attirent les vertus éclatantes qui le rendent un grand Roi ; c’est à ceux qui ont le bonheur de l’approcher à publier celles qui appartiennent à son cœur & qui font honneur à l’humanité. Oui, Messieurs, c’est lorsque, dépouillant l’éclat extérieur dont il est environné, il veut bien quelquefois dispenser d’une partie des respects qui sont dûs à la Majesté du Thrône, qu’il sçait en inspirer d’avantage pour sa personne. C’est dans ces moments où l’on voit briller en lui toutes les qualités qui attireroient la plus juste vénération pour le moindre de ses Sujets. Pere tendre dans le sein de son Auguste Famille, sa sensibilité pour elle, quand il en est entouré, presente un de ces spectacles si flateurs pour la Nature, qu’il est impossible de n’en être pas ému. Maitre doux, bon & facile pour ceux qui ont l’honneur de lui être particulierement attachés, on le sert encore plus par amour pour sa personne, que [142] par la crainte de lui deplaire. Ami, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, de ceux qu’il veut bien admettre dans son intimité, il paroit oublier qu’il est leur Maitre. Enfin, sensible pour ses Sujets, on l’a vu marquer son attendrissement sur les malheurs de son peuple quand il se trouvoit dans l’impossibilité d’y apporter quelque adoucissement, & la joïe peinte dans les yeux, lorsque la situation des affaires lui permettoit de le soulager.

Ce n’est point ici un éloge affecté ou le langage de la flaterie ; j’espere que quand j’aurai l’honneur d’être connu de vous, vous serez persuadés que, quel que soit mon zèle, je rougirois de donner la moindre atteinte à la Vérité. C’est l’expression sincere des sentimens qu’il inspire. Que ne puis-je, en vous le representant tel qu’il est, faire passer dans vos cœurs tous ceux qui sont gravés dans le mien ! Je serois sûr d’ajouter encor à votre respect, à votre admiration & à votre amour pour lui. Que ne devons-nous pas esperer d’un tel Maitre avec les sentimens dont vous avez si constamment donné des temoignages dans toutes les occasions ! Pour vous inviter à lui donner de nouvelles preuves de votre zèle, on ne peut vous citer de meilleurs exemples que vous mêmes.

Conservez, Messieurs, des sentimens si dignes de vous, & des illustres Chefs qui sont à votre tête. Ils vous serviront de guides & de modelles. Vous y trouverez la vivacité, les lumieres, & la sagacité dans la conduite des affaires, la probité, la candeur & la générosité qui caractérisent, depuis si long-tems, la Noblesse Bretonne, enfin l’activité & l’attachement le plus éclairé pour les interéts du Roi & de la Province, qui ne doivent point être separés, puisque c’est de cet accord que dependent la satisfaction du Maitre & le bonheur du Sujet. Vous joignez à tous ces avantages celui [143] d’avoir pour Gouverneur un jeune Prince qui regarde comme un de ses premiers devoirs de faire valoir votre zele & votre attachement. Je me refuse à regret au plaisir que j’aurois de vous en entretenir ; mais je ne pourois rien dire qui ne fut au dessous de tout ce que vous en avez vu vous mêmes, lorsqu’abandonnant tout autre soin il a volé à votre secours sur la premiere nouvelle du péril qui vous menaçoit.

Pour moi, Messieurs, si dans le desir extrême que j’ai de meriter votre estime & votre amitié, il m’est permis de me flatter de quelque esperance, puis-je n’en pas concevoir en voiant les sentimens dont vous honorez la memoire d’un de mes grands Oncles ? Si le zèle pour le service du Roi & l’attachement pour la Province, dont il étoit rempli, ont tant de droit sur votre souvenir, ces sentimens héréditaires, gravés dans le fond de mon ame, en auront quelques-uns sur vos cœurs. Je puis en réclamer de plus forts & de plus tendres encore. Né d’une mere qui avoit l’honneur de vous appartenir, que je serai flatté si, en me regardant comme un Compatriote, vous m’honorez de votre confiance, & si je puis vous convaincre que n’aïant point, après le service du Roi, d’interets plus chers que les votres, je chercherai toute ma vie avec empressement les occasions de prouver mon tendre attachement pour une Province à qui je tiens deja par les liens du sang & de la reconnoissance ! ◀Ebene 3

Pendant que vous êtes en train de lire des Eloges, en voici encore un, Monsieur, des plus justes, des plus sinceres, & des mieux méritez. C’est celui d’un des plus grands Prelats qu’ait eu, dans ces derniers tems, l’Eglise de France qui a eu le malheur de le perdre il y a quelques mois.

Ebene 3► Fremdportrait►

[144] Eloge funebre
De M. de Rastignac, Archevêque de Tours.

La Mort, cette cruelle à qui tout rend homage,

A mis dans le tombeau notre illustre Pasteur.
Nos Vœux, nos tendres vœux. n’ont pu calmer sa rage,
Et notre ame en ressent la plus vive douleur,
Rastignac ne vit plus ; mais son nom respectable,
Sa Charité sans borne, & son Zèle admirable,
Sa Foi, sa Probité, la douceur de mes mœurs,
Seront profondément gravez dans tous les cœurs.
Tendre, compatissant, ami vif & sincère,
Il fut de son Clergé le véritable Pere ;
Par ses soins le merite eut les premiers emplois.
Pour regler les devoirs du sacré Ministere,
De notre Divin Maitre il expliqua les Loix.
Ses excellents Ecrits, traduits en tout langage,
Malgré les attentats du crime & de l’erreur,
Auront dans tous les tems la force & l’avantage
De convaincre l’esprit & de toucher le cœur.
Soumettons nous aux corps des Celestes vengeances :
Nous devions eprouver ce terrible malheur.
Le Dieu que nous avons aigri par nos offenses,
Nous punit par la mort d’un si digne Pasteur. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Cette petite piéce m’a été envoyée par un Ecclesiaique du Diocèze de Tours qui me marque, que ce sont les premiers Vers François qu’il ait faits en sa vie, & qui me prie d’excuser s’ils ne sont pas meilleurs. Il ajoute que c’est uniquement l’amour de la Verité, & la justice due aux vertus du Prelat qui en fait le sujet, qui les lui ont dictez ; ce que je n’ai aucune peine à croire.

J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris, ce 28 Novembre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi ce 3. Decembre 1750.

◀Ebene 1