Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 13.", in: La Bigarure, Vol.6\013 (1750), S. 97-104, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4713 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. 13.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Si vos Dames sont faciles à attendrir, si le récit des événements Tragiques & sanguinaires leur tire des larmes, elles n’ont, en ce cas, Monsieur, qu’à préparer leurs mouchoirs. Je n’ai en effet à vous entretenir aujourd’hui que d’Avantures funestes arrivées ici, à Londres, & à Bourdeaux. Je commence par cette derniere Ville, après quoi nous continuerons ensemble ce voyage, qui ne nous fatiguera pas beaucoup.

Dans une de mes précédentes Lettres *1 je vous ai fait une peinture assez naїve du libertinage de notre jeunesse Françoise. Ce que j’en ai dit, Monsieur, je l’ai prouvé par des faits, & chaque jour nous en fournit de nouvelles preuves. En voici encore une d’une espece tout-à-fait singuliere, & telle, que je m’assûre bien que vous n’avez jamais vû rien arriver qui lui ressemble. J’en ai été si frapé, que j’aurois eu moi même de la peine à croire ce que vous allez lire, si l’exemple de M. L’homme & de ses enfans, dont je vous ai ci-devant envoyé l’Histoire (a)2 , ne m’avoit pas apris qu’il n’y a point d’excés dont les hommes ne soient capables, & qu’on n’est pas toujours fondé à révoquer en doute la verité de certains événements par ce qu’ils paroissent d’a-[98]bord être hors de la vraisemblance. Tel est celui que j’ai à vous communiquer. La probité reconnue de la personne qui me l’a mandé, & qui est incapable d’en imposer à qui que ce soit, sera mon garant ; & pour constater ma sincérité sur cet article, je vous envoye sa Lettre même, dans la quelle vous en trouverez une rélation assez succincte.

Extrait d’une Lettre écrite de Bourdeaux.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Nous avons dans les environs de notre Ville quelques Régiments de Dragons en quartier, dont la plûpart des Officiers se sont retirez ici pour seduire nos beautez Théatrales. Ces Messieurs n’y ayant, apparemment, pas réussi à leur gré, ils projetterent d’en venir à bout, ou de gré, ou de force. Pour cet effet, en vrais étourdis, ils firent il y a quelques jours, la partie de se trouver tous, un soir, à l’Opera, sur le Théatre, d’y profiter de l’obscurité d’une Scène qui se passe dans la nuit, & pendant la quelle le Théatre étoit peu illuminé, de soufler alors le peu de lumieres qui l’éclairoient, de se jetter ensuite sur les Actrices, Danseuses, &c. & que chacun s’empareroit de ce qu’il pouroit attraper à la faveur des ténebres. Cet étrange projet, qu’on a autrefois pardonné aux premiers Romains, en faveur de leur férocité & du besoin qu’ils avoient de femmes qu’ils ne pouvoient avoir autrement, n’a pas eu ici un succès tout-à-fait si heureux. Si quelques uns de ces Libertins ont eu le plaisir d’assouvir leur brutalité dans ce témeraire & dangereux projet, plusieurs en ont expié le crime par leur mort, ayant été tués dans la ténébreuse & sanglante meslée dont cette action a été suivie ; les autres ont été dangereusement blessez, & les autres enfin [99] ont été faits prisonniers. On ne doute point que cette affaire n’ait de très fâcheuses suites. &c. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Que dites-vous, Monsieur, de cette étrange Avanture ? Depuis l’enlevement des Sabines, exécuté par les Romains, il y a près de trois mille ans, a-t-on jamais vû, ou entendu parler de semblable chose ? O ! si notre bon ami Juvenal revenoit au monde, qu’il s’écrieroit ici avec encore bien plus de justice, qu’il ne faisoit de son tems :

Zitat/Motto► Quel siécle fut jamais en vices plus fertile ! *3 ◀Zitat/Motto

Pendant que je suis à Bourdeaux, je me rapelle, Monsieur, que je vous ai fait part, il y a quelque tems, de la mort Tragique d’une jeune & aimable Actrice du Théatre de cette Ville, nommée la Demoiselle Grenier, la quelle y a été assassinée (du moins à ce qu’on assure) par un de ses Amants qui a pris la fuite pour échaper aux poursuites de la Justice (4 . Cette affaire continue de faire du bruit dans cette Ville où la Mere de cette fille infortunée sollicite, avec vigueur, la réhabilitation de sa mémoire, & la punition de son barbare assassin. Voici une assez belle Ode qui a été faite à ce sujet, & qui nous a été envoyée de ce paїs-là. Vous verrez par cette piéce, que la Garonne, aussi bien que la Seine, a des Beaux-Esprits, & même des Poёtes qui ne sont pas mauvais (a)5 .

Ebene 3►

Ode
A Nos-Seigneurs de la Tournelle Criminelle du Parlement du Bourdeaux.

O vous sacrés dépositaires

De la puissance de nos Rois,
Vous, dispensateurs ordinaires
[100] De leurs volontés, de leurs Loix ;
Vengeurs des crimes de la Terre,
Arméz vous de votre Tonnerre,
Affranchissez le genre humain,
Reprenez en main la balance,
Et que la voix de l’Innocence
Ne vous implore pas envain.

Si, pour vous dérober un crime

Digne de tout vôtre courroux,
Sur une innocente victime
On a sçu détourner vos coups,
Ce n’est que sur un faux indice
Que l’on surprit vôtre Justice ;
Mais l’Erreur va se dissiper ;
L’Eclair prêt à percer la nüe
Va découvrir à votre vüe
L’Art dont on osa vous tromper.

D’une Mere fondante en larmes

Ecoutez la juste douleur ;
A ses soupirs, à ses allarmes
Laissez emouvoir vôtre cœur,
Pour une fille infortunée
Trop tôt, peut-être, condamnée
Elle implore votre équité.
Hé ! Quoi ? vous que la Vertu guide
Souffrierez-vous qu’un homicide
Triomphe avec impunité ?

Pour attirer votre colere

Sur la tête d’un Criminel,
Faut-il d’une plume sincere
Retracer l’outrage cruel
Auquel, seduits par l’imposture
D’une infidelle procedure,
Vous avez bien pû déferer,
Mais que la Verité connue,
[101] Et dévoilée, & toute nue
Vous ordonne de réparer ?

De ce corps formé par les Graces,

Embelli par le Dieu d’Amour,
Dont mille cœurs suivoient les traces,
A qui chaqu’un faisoit la Cour,
Dans un spectacle si funeste,
Voyez le déplorable reste
Trainé, déchiré par lambeaux,
Faisant insulte à la Nature,
Livré pour être la pâture
Et des Vautours & des Corbeaux *6 .

Que son ombre pâle & sanglante

S’éleve toujours devant vous !
Que sans cesse à vos yeux presente
Elle excite votre courroux !
Songez qu’un jour, Juges Suprêmes,
Vous en aurez un qui vous-mêmes
A vôtre tour vous jugera,
Et que la voix du sang qui crie,
Si cette mort reste impunie,
Devant lui vous accusera.

Mais j’apperçois que vôtre zele

S’enflamme & souscrit à ma voix ;
A l’Equité toujours fidelle
Vôtre cœur respecte ses Loix.
Qu’un Arrêt sévere, équitable,
En punissant le vrai Coupable,
Fasse connoitre aux Vicieux
Que, si parfois vôtre Justice
Retarde & suspend le supplice,
Il en devient plus rigoureux. ◀Ebene 3

[102] Avouez, Monsieur, que si cette piéce n’est pas absolument parfaite, nous avons ici bien des gens, qui se disent Poёtes, & qui n’auroient peut-être pas si bien réussi sur une pareille matiere. Voici encore une autre petite piéce qui me vient de la même Ville, & que je n’ai pas trouvée mauvaise. C’est une Reponse aux Vers qui ont été faits sur l’assassinat de cette Comedienne, & que je vous ai envoyez il y a quelque tems *7 .

Ebene 3► Non, ce n’est point la main d’une Amante en furie

Qui souillant sa mémoire attenta sur sa vie ;
D un <sic> objet si charmant trop déplorable fin !
C’est un barbare Amant qui fut son Assassin.
Expirant sous les coups de sa cruelle rage,
D’un forfait odieux son trépas est l’ouvrage,
Grenier, dont les Amours consacrerent le nom,
Mourut comme
Poppée (a)8 , & non comme Didon. ◀Ebene 3

Revenons à Paris, Monsieur, où nous trouverons des objets qui ne seront pas moins tristes. Le premier qui se presente à nos yeux est un pendu. Dans un Cabaret de la ruё du Four, Fauxbourg St. Germain, on trouva, Mardi dernier, un homme du commun, qui vivoit des commissions qu’on lui faisoit faire, lequel étoit pendu dans un Cabinet où l’on pretend qu’il étoit entré seul. Si c’eut été un Anglois, personne ne seroit étonné de ce Suicide ; mais outre que ce n’est pas la maladie Françoise, tous ceux qui ont connu cet infortuné sçavent que la vie ne lui étoit rien moins qu’odieuse, & même qu’il n’avoit aucune raison pour la haїr. Il étoit gros & gras, vivoit sans souci, comme font ici presque tous les gens de son état & de sa profession. Aussi a-t-on soupçonné que sa mort violente n’a été rien moins que volontaire de sa part. On dit même que, ayant fait quelque [103] commission importante qui pouvoit interresser l’honneur, & peut-être la vie de ceux qui l’y avoient employé, les parties interressées, pour sauver l’un & l’autre, se sont vues forcées d’en venir à cette extrémité, espérant par-là se mettre à couvert du deshonneur & du suplice qu’elles meritent. Ce qui donne encore plus de poids à ces discours, c’est que le Commissaire du quartier a été appellé secrettement, & a fait transporter, de même, le cadavre de cet homme à la Morne où il a été exposé selon la coutume, & enterré le même jour, sans que l’on aprenne qu’il ait été fait sur cela la moindre information, ni recherche. Peut-être a-t-on eu des raisons pour n’en pas faire. Tel est, assez souvent, le sort des pauvres & des gens du commun. Leur mort reste presque toujours impunie. On ne veut seulement pas se donner la peine de s’informer comment, par qui, ni pourquoi ils ont péri miserablement. Justus perit, & non est qui recogitet.

Il n’en a pas été de même d’un assez bon Bourgeois de Londres qui, à ce que l’on nous a mandé, a de même été trouvé pendu à un arbre, la semaine derniere, dans la seconde prairie appellée Lokfield, proche de Kent street Southwark. Cet Anglois a voulu apprendre lui même à tous les curieux le motif qui l’a porte à cet Acte de desespoir. Les habits propres & honêtes dont il étoit révetu, aussi bien que l’argent qu’on lui a trouvé, faisoient assez voir que son désespoir n’étoit ni une suite ni un effet de la misere. Une Lettre qu’on a trouvée dans une de ses poches, & qu’il avoit écrite & adressée à sa femme avant que de se pendre, en a apris le véritable motif. La voici.

Ebene 3► Brief/Leserbrief►

Borough, Octobre 11. V. S.

Ma Chere,

Celle-ci est pour vous apprendre que vous êtes la cause fatale de l’action que je vais faire, & à la quelle il n’y aura plus de remede lorsque vous l’apprendrez. La conduite que vous avez tenue envers moi m’a fait devenir fou. Nous aurions pû vivre heureux, & avec honneur, si votre conduite eut correspondu à la mienne, & si vous eussiez été plus vertueuse. J’espere que l’homme qui en a été cause, qui vous a débauchée, & qui a pris dans votre cœur la place qui m’appartenoit seul, fera des réflexions sur cette triste Catastrophe, & en profitera. Je recommande l’enfant que je vous laisse après ma mort aux soins de la [104] Divine Providence, & je prie Dieu qu’il vous pardonne mon trepas que vous avez occasionné. De mon côté, comme je m’ennuye de vivre, j’espere qu’il me le pardonnera.

Votre Mari, Jean Bracey. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Ne voilà-t-il pas, Monsieur, un motif bien pressant pour s’aller pendre ? La galanterie, ou l’infidélité, d’une femme ! Si tous nos Parisiens, si tous nos François, si tous nos Européens, qui sont dans le même cas que cet Anglois, alloient tous faire comme lui, y auroit-il bien assez d’arbres pour cela dans les environs de nos Villes ? Le beau spectacle qu’auroient alors les personnes qui s’y vont promener ! Il est vrai qu’il pourroit servir d’instruction & d’exemple aux jeunes Amants, les quels s’y trouvent souvent en rendez-vous avec leurs Maitresses qui, lorsqu’elles sont devenues leurs femmes, imitent assez souvent celle de Jean Bracey. Mais l’instruction couteroit un peu trop cher à ceux qui la donneroient ; & leur charité pour le prochain ne va pas jusqu’à cet excès de complaisance.

Que vous étes heureux, Maris doux & paisibles,

Qui sur le point d’honneur n’êtes point si sensibles,
Qui souffrez sans scrupule, & sans dire le mot,
Que l’on fasse chez vous ce dont se fâche un sot,
Et qui vous consolez, quand vous êtes ensemble,
D’avoir devant vos yeux quelqu’un qui vous ressemble !
Que vous vous épargnez de peine & de chagrin !
On ne vous voit point faire une si triste fin ;
Et vos ressentiments se prescrivant des bornes,
Vous mettez votre vie à l’abri de vos Cornes.

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 14 Novembre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres nouveaux.

Qui se vendent à la Haye, chez Pierre Gosse Junior Libraire de S A. R.

Plan & Journaux des Siéges de la derniere Guerre de Flandres, assemblés par deux Capitaines Etrangers au service de France, 4. Strasbourg 1750.

Philosophe Chretien, ou Discours Moraux, par Mr. Formey, 12. Leyde, 1750.

Cousin de Mahomet, 12. 2 vol. à Constantinople.

Histoire de la Princesse de Jaivan Reine du Mexique, 12. Haye 1750.

Jeudi ce 19 Novembre 1750.

◀Ebene 1

1* Voyez le No. III. de ce Volume page 18. & suiv.

2(a) Ibid, & No. XI. pag. 81. & suiv.

3* Et quando uberior Vitiorum copia ? Juvenal. Sat. I.

4( Voyez le Tome V. page 105.

5(a) On nous a envoyé, sur ce même sujet, un Vaudeville dont on poura faire part au Public dans quelqu’une des Feuilles suivantes.

6* Après avoir été trainé sur la claye, dans toutes les ruёs de Bourdeaux, le corps de la Demoiselle Grenier à été pendu au Gibet ordinaire.

7Voyez le Tome V. de la Bigarure, pag. 110.

8(a) Maîtresse de l’Empereur Neron, le plus exécrable des hommes, qui la tua.