Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 4.", in: La Bigarure, Vol.6\004 (1750), S. 25-32, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4703 [aufgerufen am: ].


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N°. 4.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Quelque accoutumée que vous soyez à recevoir de nous régulierement des Nouveautez, je suis sûre, Madame, que vous ne vous attendez nullement à celles que je vous envoye dans la presente Lettre. La premiere, surtout, est d’une espece si nouvelle, que je crois qu’elle est unique dans son genre. . . . Et quelle est donc, m’allez-vous dire, cette Nouveauté si singuliere ? Si je ne craignois pas de vous impatienter, je vous laisserois deviner cette Enigme, bien assurée que vous n’en trouveriez pas la solution, du premier coup, ni peut-être même du vingtieme. En effet, qui s’aviseroit jamais d’aller chercher des Pensées Philosophiques dans la tête d’une Comedienne ? Pour moi, Madame, je vous avouerai franchement que je crois qu’il est aussi rare de trouver dans cette profession des Filles Philosophes, qu’il est difficile d’en trouver de modestes & de vertueuses ; non que je prétende qu’il n’y en ait point du tout. J’en connois une, aussi sage qu’aimable, quoiqu’elle soit dans la premiere fleur de sa [26] jeunesse, qui pourroit, avec justice, me donner un démenti si je soutenois cette Thèse générale ; mais en trouveroit-on bien dix autres entre mille & peut-être plus ? Ce n’est pas, du moins, l’idée qu’on en a communément dans le monde. D’ailleurs leur vie dissipée, le genre d’occupation auquel elles sont obligées de s’apliquer, leurs galanteries, qui leur emportent le reste de leur tems, tout cela leur laisse-t-il un moment pour vaquer à la méditation qui est si essentielle pour faire ce qu’on appelle un ou une Philosophe ?

Si celle que je vous presente est telle que son Recueil de Pensées Philosophiques nous l’annonce, je suis presque assurée, Madame, que c’est quelque vieille Emérite qui, après avoir blanchi sous le Tragicomique attirail de Melpomene & de Thalie, après avoir bien couru & goûté le monde, après s’en être rassassiée, en a reconnu la vanité & la sottise, fruit ordinaire de la Vieillesse & de l’Experience qui, à la, <sic> fin nous rendent effectivement Philosophes malgré nous. Voilà, Madame, ce que je pense de notre Comedienne Philosophe ; je crois que vous penserez à peu près de même sur son compte. Quoiqu’il en soit, comme la Morale est toujours utile de quelque part qu’elle nous vienne, que d’ailleurs celle qui nous est debitée par des personnes que leur propre expérience a instruites a communément plus de force, je vais vous extraire au hazard du Livre de notre Comedienne quelques réflexions solides & utiles dont je suis persuadée d’avance que vous ne serez pas mécontente. Elles vous donneront une idée du reste de l’Ouvrage.

Ebene 3► « L’Amour, par lui-même, n’est ni une Vertu, ni un Vice. C’est une passion née avec [27] l’homme, & elle prend la qualité qu’on lui donne ; vertu dans les ames bien nées ; foiblesse & vice dans les ames vulgaires.

Le Mariage est le Lien le plus général, le plus étendu de la Societé, & peut-être celui qui unit le plus rarement un homme avec une femme.

Un homme, depuis seize ans jusqu’à vingt cinq, veut une belle femme ; depuis vingt cinq jusqu’à trente, une jolie femme ; & après trente ans une femme raisonnable. Ce changement est juste. Il est le fruit de la Raison & de l’Experience qui apprennent à connoitre la valeur des choses. Une femme raisonnable rassemble le merite des deux Sexes. Si nous ne pouvons pas tout avoir, surtout ne manquons pas la Raison. La beauté est de tous les biens le plus fragile & le plus dangereux. Il faut se servir de ses oreilles & non pas de ses yeux pour se choisir une femme.

On connoit trois sortes de mérites dans le monde, le mérite estimable, le mérite aimable, & le mérite agréable. Le mérite estimable est celui de la supériorité des lumieres, des talents, & de la parfaite probité. Le mérite aimable est celui des sentiments, de la douceur dans le caractere, de l’égalité dans l’humeur, & surtout de la politesse. Le mérite agréable est celui de la gayeté & du talent pour l’inspirer aux autres. » C’est ordinairement celui des femmes.

« Un Enfant plait par sa naïveté & par son enjouement ; l’Adolescence par une modestie aimable & innocente ; l’âge Viril par la générosité, le zèle, le dévouement, l’amitié sincére, & par les autres qualitez du cœur ; la Vieillesse par une condescendance aisée aux [28] plaisirs des autres, par des raisonnéments solides, & sans entêtement, par une Expérience qui prend sa force dans l’histoire des tems qu’elle a vus, qui instruit pour l’avenir par des faits qu’elle a aprofondis, & qui ne se ressent point enfin d’une affectation imposante.

Deux malheureux s’entr’aiment, & se plaignent ; Deux riches, au contraire, se haïssent bien souvent, & se méprisent toujours intérieurement.

Il ne faut point d’excès d’attachement, ni de mépris pour la vie. C’est le vrai moyen d’être en état de la quitter avec une noble indifférence lorsque le tems de notre départ sera arrivé. » ◀Ebene 3

Voilà, Madame, des reflexions qui me paroissent assez solides pour une Comedienne. Par cet échantillon, pris au hazard, vous pouvez juger que le reste vaut la peine d’être lû. Mais ce n’est pas assez pour moi de vous avoir présenté une femme Philosophe, je vais encore vous présenter une fille Poéte. C’est Mademoiselle Plisson, fille de beaucoup d’esprit & de mérite, laquelle va vous régaler de la piéce suivante.

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Ode

Sur la Vie Champêtre.

Campagne, aimable solitude,

Seule retraite du Bonheur,
Se peut-il que la multitude
N’ait pour toi que de la froideur !
Eprise d’une splendeur vaine,
Ouvrage de la triste gene,
Tout son soin est de t’éviter ;
[29] Et si la Fortune fragile
L’oblige de quitter la Ville,
Ce n’est que pour la regretter.

Il semble que par des Chimeres,

Qu’il tâche de réaliser,
L’homme chérisse ses miseres,
Et ne tende qu’à s’abuser.
L’un dans les plus vives allarmes,
Dans les fatigues, dans les armes,
Veut trouver la félicité ;
L’autre plus sage en apparence,
Meurt au plaisir, dans l’esperance
D’une obscure immortalité.

Le préjugé qui le transporte,

Lui fait voir avec mille attraits
La gloire qui lui sert d’escorte
Prête à couronner ses souhaits,
Et dans cet espoir magnanime
Il croit apercevoir l’estime
De toute la postérité.
Esclave de ses connoissances
Il fait dans des travaux immenses
Consister la tranquilité.

D’un cœur qui sans cesse murmure,

Les mouvements tumultueux
Sont la déplorable peinture
De l’état d’un Ambitieux,
Toujours dans un triste délire
Il craint, il espere, il desire ;
Le trouble agite tous ses sens ;
Le passé, source de ses plaintes,
L’avenir, cause de ses craintes,
Lui deviennent des maux présents.

[30] Inutilement il s’amuse

De Philosophiques transports ;
Son cœur, pour goûter cette ruse,
Fait envain les plus grands efforts.
Insensible au froid étalage
Des discours d’un Orgueilleux Sage
Il persiste dans sa douleur.
Une plainte interne, importune,
Qui constate son infortune,
Le force à sentir son malheur.

Doux repos, volupté charmante,

En toi réside le vrai bien ;
Mediocrité bienfaisante,
Toi seule en es le vrai soutien.
Avec vous l’homme sans envie
Coule en paix une douce vie,
Tout lui paroit tendre & touchant.
Toujours guidé par l’allegresse,
S’il pense à la sombre tristesse,
Il s’applaudit d’en être exemt. ◀Ebene 3

Je viens d’achever de lire un Roman en deux petits volumes, intitulé Les Amusements d’un Prisonnier. Je ne sçai qui est l’Auteur de cet Ouvrage dont voici l’Analyse. Ce sujet est un Militaire qui, dans les dernieres Campagnes de Flandres, s’étoit fait une Maitresse d’un âge déja avancé, dont cependant les charmes n’étoient point encore tout-à-fait éteints. Quoiqu’il fût bien assuré qu’il en étoit aimé, & qu’il l’aimat lui même, il ne laissoit pas de tenter de nouvelles Avantures. Ayant, entre autres, voulu donner des marques de son attachement à un Ami, il lui prêta quelques secours pour l’aider à tromper un Mari. La Dame & son Galant eurent le bonheur d’éviter le piége que leur avoit [31] tendu le jaloux ; mais il eut le malheur d’y tomber. Il fut d’abord pris pour voleur, ensuite pour un coureur d’Avantures. Sa punition fut quelques coups d’étrivieres que lui fit donner le Mari qui le fit ensuite conduire en prison. Sa Maitresse, qui étoit une Veuve charitable, dont les bons offices s’étendoient souvent sur les Prisonniers, prit occasion de sa devotion pour aller voir son Amant, & elle lui amena, sans le sçavoir, la Dame qui avoit été cause de son malheur. Après lui avoir fait passer quelque tems dans cette retraite, on le remit en liberté. Il passa le reste de son temps avec cette charitable & devote Maitresse qui, à son départ, lui remit dans une Lettre, qu’elle le pria de garder deux mois, une Lettre de change de cent cinquante Louis. Cette Dame, étant ensuite morte depuis ce tems, lui a laissé six mille livres de rente. Les avantures de ce Roman sont des plus simples, & écrites avec peu de délicatesse & de goût. Aussi sont-elles les Amusements d’un Prisonnier, mais d’un Prisonnier, je crois, qui s’ennuyoit dans sa retraite, & qui fait passer son ennui jusqu’à ses Lecteurs.

Pour ne pas m’exposer à tomber ici dans le même defaut, je finis, Madame, par une Enigme que je vous envoye, & dont la solution vous distraira un peu de ce que ma Lettre pourroit ayoir <sic> de trop sérieux. Elle vous coutera peut-être plus de peine à deviner que le Loup-garou, qui est le mot de la derniere que je vous ai envoyée *1  ; Mais la sagacité de votre esprit, auquel il est rare que quelque chose échape, en viendra à bout.

Ebene 3►

[32] Enigme.

Autrefois à la mode

J’étois un ornement,
Maintenant incommode
Je suis un excrément.
Mortels, votre caprice
Viendra toujours à bout,
Sans raison, sans justice,
De bouleverser tout !

Voyez la fantaisie,

Je suis du feminin,
Cependant, pour la vie,
Un visage poupin,
Un visage femelle
Ne voudroit me souffrir ;
Je suis sûr qu’une belle
Aimeroit mieux mourir.

Je n’ose plus paroitre

Qu’en quelques vieux Tableaux,
Tout au plus dans un Cloitre
Sur de benoits museaux ;
Mais quoiqu’on me dédaigne,
Il fut jadis un tems
Où bien, d’honnêtes gens
Me prenoient pour Enseigne,
Enseigne de sçavoir,
De vertu, de sagesse ;
A Rome & dans la Grece
On vantoit mon pouvoir. ◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 14. Octobre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi ce 22 Octobre 1750.

◀Ebene 1

1Voyez le N. 14. du Tome V. pag. III.