Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 17.", in: La Bigarure, Vol.5\017 (1750), S. 129-136, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4692 [aufgerufen am: ].
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No. 17.
Ebene 2► Brief/Leserbrief► Avant que de vous faire part du peu de Nouvelles que nous avons ici, je vous envoye, Monsieur, une piéce de Vers, fort belle, qu’on vient de me communiquer, & dont je crois que la lecture vous fera plaisir. Elle est d’un Poëte nommé Mr. Rousseau, de Geneve.
L’Allée
de
Silvie.
Ebene 3► Qu’a m’égarer dans ces Bocages
Mon cœur goûte de voluptez !
Que je me plais sous ces Ombrages !
Que j’aime ces flots argentez !
Douce & charmante rêverie,
Solitude aimable & chérie,
Puissiez-vous toujours me charmer !
De ma triste & lente carière
[130] Rien n’adouciroit la misère
Si je cessois de vous aimer.
Fuyez de cet heureux asile,
Fuyez de mon ame tranquile,
Vains & tumultueux projets.
Vous pouvez promettre sans cesse
Et le bonheur & la sagesse ;
Mais vous ne la donnez jamais.
Quoi ! l’homme ne pourra-t-il vivre
A moins que son cœur ne se livre
Aux soins d’un douteux avenir ;
Et si le Tems coule si vite,
Au lieu de retarder sa fuite,
Faut-il encor la prévenir ?
O ! qu’avec moins de prévoyance
La vertu, la simple Innocence,
Font des heureux à peu de frais !
Si peu de bien suffit au Sage
Qu’avec le plus léger partage
Tous ses désirs sont satisfaits :
Tant de soins, tant de prévoyance
Sont moins des fruits de la Prudence
Que des fruits de l’Ambition.
L’homme content du nécessaire
Craint peu la Fortune contraire
Quand son cœur est sans passion.
Passions, source de délices,
Passions, source de supplices,
Cruels Tirans, doux Seducteurs,
Sans vos fureurs impétueuses,
Sans vos amorces dangereuses,
La Paix seroit dans tous les cœurs !
Malheur au Mortel méprisable
Qui dans son ame insatiable
Nourit l’ardente soif de l’Or !
Que du vil penchant qui l’entraine
Il trouve à chaque instant la peine
[131] Au fond même de son Tresor !
Malheur à l’ame Ambitieuse
De qui l’insolence odieuse
Veut asservir tous les humains !
Qu’à ses rivaux toujours en bute,
L abime <sic>, aprêté pour sa chute,
Soit creusé par ses propres mains !
Malheur à toute ame farouche,
A tout Mortel que rien en touche
Que sa propre félicité !
Qu’il éprouve, dans sa misere,
De la part de son propre frere,
La méme insensibilité !
Sans doute un cœur né pour le crime
Est fait pour être la victime
De ces affreuses passions ;
Mais jamais du Ciel condamnée
On ne vit un ame bien née
Ceder à leurs séductions.
Il en est de plus dangereuses
De qui les amorces flateuses
Déguisent bien mieux le poison,
Et qui toujours dans un cœur tendre
Commencent, pour se faire entendre,
Par faire taire la raison ;
Mais du moins leurs leçons charmantes
N’imposent que d’aimables loix ;
La haine & ses fureurs sanglantes
S’endorment à leur douce voix.
Des sentiments si légitimes
Seront-ils toujours combattus ?
Nous les mettons au rang des Crimes ;
Ils devroient être des Vertus.
Pourquoi de ces penchants aimables
Le Ciel nous fait-il un tourment ?
Il en est tant de plus coupables
Qu’il traite moins sévérement.
[132] O discours trop rempli de charmes,
Est-ce à moi de vous écouter !
Je fais, avec mes propres armes,
Les maux que je veux éviter.
Une langueur enchanteresse
Me poursuit jusqu’en ce sejour ;
J’y veux moraliser sans cesse,
Et toujours j’y songe à l’Amour.
Je sens qu’une ame plus tranquille,
Plus exemte de tendres soins,
Plus libre, en ce charmant asile
Philosopheroit beaucoup moins.
Ainsi du feu qui me dévore
Tout sert à fomenter l’ardeur,
Helas ! n’est-il pas tems encore
Que la Paix regne dans mon cœur ?
Déja de mon septieme Lustre
Je vois le terme s’avancer ;
Déja la Jeunesse & son lustre
Chez moi commence à s’effacer.
La triste & sévére Sagesse
Fera bientôt fuir les Amours,
Bien-tôt la pesante Vieillesse
Va succéder à mes beaux jours.
Alors les ennuis de la vie
Chassant l’aimable Volupté,
On verra la Philosohie
Naitre de la nécessité.
On me verra, par jalousie,
Prêcher mes caduques Vertus,
Et souvent blâmer par envie
Les plaisirs que je n’aurai plus :
Mais malgré les glaces de l’age,
Raison, malgré ton vain effort,
Le Sage a fait souvent naufrage
Quand il croyoit toucher au Port.
O Sagesse, aimable Chimere,
[133] Douce illusion de nos cœurs,
C’est sous ton Divin caractere
Que nous encensons nos erreurs !
Chaque homme t’habille à sa mode ;
Sous le Masque le plus commode
A leur propre félicité
Ils déguisent tous leur foiblesse,
Et donnent le nom de Sagesse
Au penchant qu’ils ont adopté.
Tel, chez la Jeunesse étourdie,
Le Vice instruit par la Folie,
Et d’un faux titre revétu,
Sous le nom de Philosophie,
Tend des piéges à la Vertu.
Tel, dans une route contraire,
On voit le Fanatique austère,
En guerre avec tous ses désirs,
Peignant Dieu toujours en colere,
Et ne s’attachant, pour lui plaire,
Qu’a fuir la joye & les plaisirs.
Ah ! s’il existoit un vrai Sage,
Bien different en son langage,
Et plus différent en ses mœurs,
Ennemi des vils séducteurs,
D’une Sagesse plus aimable,
D’une Vertu plus sociable,
Il joindroit le juste milieu
A cet homage pur & tendre
Que tous les Mortels devroient rendre
Aux grandeurs, aux bienfaits de Dieu ! ◀Ebene 3
Voila de la Morale, Monsieur, mais de la Morale élégamment & agréablement débitée. Cela n’endort point son auditeur. Aussi n’est-elle point du stile, ni sur le ton Capucinal. La lecture de cette piéce, & les solides réflexions qu’el-[134]le contient auroient été fort nécessaires aux personnages que je vais vous presenter, & dont les petites Avantures pourront vous amuser par leur variété. La premiere est celle de deux hommes dont la vivacité a donné ici au Public une petite Comédie qui est dégénérée en Tragédie. Pour vous transporter sur le lieu où la Scène s’est passée, je vous prie, Monsieur, de vous ressouvenir qu’entre le Pont-neuf & le Pont-Royal de cette Ville il y a, vis-à-vis du premier Guichet du Louvre, un endroit où, pour la commodité des personnes qui sont pressées, on a établi de petits bâteaux par le moyen desquels on passe & repasse continuellement la riviere. C’est en cet endroit qu’est arrivé ce que je vais vous raconter, & que j’ai vu de mes propres yeux.
Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Dimanche dernier, entre les quatre & cinq heures de l’après-dinée, un particulier, très bien mis, qui venoit de passer la Seine, au bord de la quelle il se trouvoit pour-lors, prenoit sa secousse pour sauter à terre, lorsqu’un autre particulier, également bien mis, & qui vouloit passer de l’autre côté de la riviere, s’élance de même pour entrer dans le petit bâteau qui devoit le passer. Le hazard voulut que ces deux hommes s’accorderent si bien dans leurs mouvements, l’un pour entrer dans le batelet, & l’autre pour en sortir, qu’ils se heurterent très violemment, & tomberent l’un & l’autre dans la riviere. Heureusement pour eux, qu’elle n’est point profonde en cet endroit : aussi, un moment après, se retrouverent-ils sur leurs jambes, mais trempez comme des soupes. Nos bons Parisiens, que de pareilles Scènes réjouissent fort, s’assemblerent aussi-tôt pour voir ce Spectacle ; & après en avoir beaucoup ri, ils se [135] mirent à huer les deux Acteurs, comme s’il y avoit eu dans cet accident un grand sujet de moquerie.
Une raillerie si déplacée fâcha beaucoup nos deux champions qui, sans y penser, donnerent au peuple une Comedie beaucoup plus divertissante encore. Chacun d’eux, s’imaginant que c’étoit un fait-exprès de part & d’autre, ils commencerent par se mesurer depuis la tête jusqu’à la ceinture. Il n’étoit pas possible qu’ils allassent plus loin ; car ils avoient le reste du corps dans l’eau. S’étant ensuite respectivement accollez, ils se froterent les oreilles, & s’arracherent les cheveux, en s’efforçant l’un & l’autre de plonger son adversaire dans la riviere. La honte de succomber, & la crainte de boire plus d’eau que de coutume, leur donnoit sans doute du courage ; aussi toutes leurs forces ne purent que les ébranler, mais non pas les renverser ; ce qui redoubla la joye, les ris & les huées des Spectateurs. Devenus plus furieux, par cette nouvelle raillerie, ils se ressouvinrent alors qu’ils avoient chacun une epée à leur côté. Ils lâchent donc chacun leur prise, & mettent aussi-tôt flamberge au vent. C’est ici que commence la Tragi-Comedie. Elle ne pouvoit manquer, de part ou d’autre, d’avoir un mauvais dénouement. En effet l’eau les empêchoit de faire les sauts accoutumés en pareil exercice ; d’ailleurs celui qui étoit le plus avancé dans la riviere n’osoit reculer de peur de se noyer. L’autre qui s’apperçoit de sa crainte, & qui sçait qu’elle est bien fondée, profite de cet avantage, & le pousse avec vigueur.
Cependant les Bateliers, voyant que la chose devient sérieuse, accourent avec leurs [136] crocs ; mais dans la crainte de gâter leurs habits du Dimanche, aucun d’eux ne veut entrer dans l’eau pour séparer les combattants. Pendant qu’ils déliberent sur le parti qu’ils devoient prendre, un autre Batelier, qui venoit à force de rames, s’approche pour les séparer ; mais il trouve en arrivant qu’un de ces Messieurs s’étoit assuré la Victoire en perçant son adversaire qui sur le champ tombe in Stagna Aquarum. Il s’avance néanmoins, & acroche le blessé que l’on transporte aussi tôt chez un Chirurgien. Quoique sa blessure n’ait point été jugée absolument mortelle, celui-ci a cependant déclaré qu’il doutoit que le blessé en revint, parce qu’en tombant dans la riviere, & n’ayant point été secouru assez promptement, il lui étoit entré beaucoup d’eau dans le corps.
Cette triste Catastrophe a tout à coup changé la disposition des Spectateurs. Nos Parisiens, que les deux premiers Actes de cette piéce avoient fait rire aux larmes, ont pleuré très serieusement au troisième, & ont beaucoup plaint le blessé. Comme ils sont naturellement aussi bons que compatissants, pour ne point ensanglanter davantage la Scène, ils ont laissé evader celui qui l’a mis en cet état, & qui n’a pas demandé son reste . . . Que les hommes sont foux ! Ces deux-ci n’auroient-ils pas mieux fait de rire, comme le peuple, de cet accident involontaire de part & d’autre, & de s’en retourner chez eux pour changer d’habit, & s’y sécher tout à leur aise ? Mais trouvez moi des gens qui raisonnent lorsqu’ils sont une fois animés par quelque passion violente ! ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3
L’Espace qui me manque m’oblige de renvoyer le reste de nos Nouvelles au premier Ordinaire. En attendant. J’ai l’honneur d’être &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2
Paris ce 24 Septembre 1750.
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