Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 15.", in: La Bigarure, Vol.5\015 (1750), S. 113-120, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4690 [aufgerufen am: ].


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No. 15.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Quoique la contestation qui s’étoit élévée entre notre Clergé & la Cour paroisse avoir été terminée par la Déclaration du Roi dont je vous ai parlé dans mes dernieres Lettres, je ne laisserai pas, Monsieur, de vous en entretenir encore dans celle-ci. La raison en est, que je me suis aperçu que, dans celles où je vous ai parlé de cette contestation, le hazard a voulu qu’en vous rendant compte des Ecrits qui ont été faits sur cette matiere, j’ai omis, sans y penser, de vous parler de ceux qui ont été composez en faveur des prétentions du Clergé. Cette omission, qui, de ma part, n’est qu’une pure inadvertence, pourroit passer, dans l’esprit de quelques personnes de votre aimable Société, pour une partialité affectée : Or, comme dans cette affaire, de même que dans presque toutes les autres, je prens ordinairement le parti de la neutralité, qui me paroit être le plus sûr dans une infinité de rencontres, il est juste qu’après vous avoir exposé les raisons de la Cour, je vous mette sous les yeux celles que le Cler-[114]gé a alléguées pour justifier sa résistance aux volontez de S. M.

Ces raisons sont déduites assez au long dans trois Lettres écrites sous le nom d’un Principal d’un des Colléges de Paris, que le Clergé à opposées à celles dont je vous ai ci-devant rendu compte. L’Auteur, dans la premiere, réfute ce Principe, que par le Droit Naturel tous les Membres d’un Etat sont obligez également de contribuer aux charges de ce même Etat. Dans la seconde il examine, quel étoit l’état du Clergé dans les trois premiers siécles ; & dans la troisième, quel il étoit sous nos Rois de la premier race. Dans les deux dernieres il ne fait qu’entasser passages sur passages pour prouver, que les Ecclésiastiques étoient exemts des charges, puisqu’ils ne possedoient rien, & que lorsqu’ils ont eu des possessions, elles lui sont venues des concessions des Rois, que par conséquent elles devoient être exemtes des charges & des taxes. L’Auteur ne manque pas d’y representer les Evêques comme Maitres des Rois, & Arbitres entre les Souverains. Il nous les fait voir déja assez riches dès-lors, & assez puissants pour balancer l’Autorité Souveraine. Aussi l’ont-ils fait plus d’une fois. Ce qui m’a paru de plus singulier dans l’Auteur de ces Lettres, c’est qu’après nous avoir presenté le Clergé sous ce point de vue, il prétend néanmoins que cette grande puissance du Clergé a été le soutien & l’appui du Trône ; mais, malheureusement pour cet Ecrivain, les personnes instruites savent à quoi s’en tenir là-dessus. Voici, Monsieur, un Echantillon qui vous fera juger du stile de l’Auteur de ces Lettres, & de sa manière de raisonner.

Ebene 3► Par le Droit Naturel, dit-il, tous les Membres qui composent un Etat sont obligez selon vous de [115] contribuer aux charges de ce même Etat. De ce Principe je tire une conséquence des plus justes qu’il n’est pas possible que d’autres n’ayent aperçue avant moi, & qui est diamétralement opposée à celles qu’on en prétend tirer. Tous les Citoyens sont sujets à la contribution, aux charges & aux taxes de l’Etat. Mais ces charges consistent dans l’entretien de certaines personnes, & dans l’achat, ou l’acquisition, de certaines choses utiles, & même nécessaires au bien de la Société : Or ces personnes, & ces choses ne doivent-elles pas êtres exemptes des taxes & impositions ? Sans cela ; <sic> ce cercle de raisonnements ne seroit-il pas vicieux, même politiquement ? Les Ministres de la Religion doivent être entretenus aux dépens de l’Etat ; & comme les hommes sont composez d’Ames & de Corps, que le Corps est soumis à la Puissance Temporelle, & l’Ame à la Puissance Spirituelle ; que celle-ci est bien plus excellente que l’autre, il s’ensuit que non seulement les particuliers, mais le Prince & l’Etat doivent pourvoir à la subsistance & à l’entretien de cette Puissance. S. Paul dit : Si nous avons semé parmi vous des biens Spirituels, est-ce une grande chose que nous recevions un peu de vos biens Temporels ? Dans la Loi de Nature les ainez avoient le double de leurs freres, parce qu’ils étoient chargez des fonctions du Sacerdoce. Chez les Egyptiens on tiroit des greniers publics le bled nécessaire pour la nourriture des Prêtres. Les Romains, dès le tems de Numa, tiroient des fonds publics l’entretien des Ministres de la Religion. Les Dixmes, les Prémices, les Aumônes, les Victimes servoient, chez les Israëlites, à l’entretien des Levites. Jesus-Christ a vécu des offrandes, avec sa famille ; & Judas étoit [116] le dépositaire de la Bourse. Que faisoient tous ces différents Prêtres pour le service de l’Etat ? Ils lui conféroient des prieres, des sacrifices, des bons exemples, des instructions, des Aumônes.

Mais s’il y a du trop, que deviendra-t-il ? Ces deux Puissances sont indépendantes & ne doivent pas être Tributaires l’une de l’autre. Les Rois sont les Nouriciers de l’Eglise, mais l’Eglise ne doit pas être Tributaire des Rois ses enfants ; & ce n’est point aux Brebis à exiger de la laine & du lait de leurs Pasteurs. Or ce superflu, s’il y en a, doit tourner à l’usage que l’Eglise juge à propos d’en faire. C’est en épargnant ces précieux restes, que l’Eglise à trouvé le plausible moyen de mettre à couvert de l’indigence ses Ministres que le relâchement des Fidelles auroit laissez dans la disette. ◀Ebene 3

Tels sont les raisonnements de l’Ecrivain que notre Clergé avoit choisi pour être l’Apologiste & le deffenseur de ses prétentions. Je vous laisse à décider, Monsieur, si ses Principes sont bien solides, & si les conséquences qu’il en tire sont bien justes. J’ajouterai seulement ici, par manière de réflexion, qu’il y en a bien un qui dit que l’Erreur commune sert ordinairement de Loi. Mais, quand cette Erreur est découverte, & qu’elle réjudicie au Public, ne peut, & ne doit-on pas y remedier ? C’est ce que je laisse encore décider aux personnes qui ont sur cela plus de lumieres que moi.

Ces Lettres ne sont pas le seul ouvrage que le Clergé ait fait composer sur cette matiere. Elles ont été suivies d’une autre Brochure qui a pour titre Deffense de l’immunité des Biens Ecclésiastiques. Ce Livret roule sur les même principes que celui que je viens de vous ana-[117]lyser. La seule différence qu’on y trouve, & qui m’a paru fort singuliere, c’est que l’Auteur y affecte d’être persuadé que le Clergé n’est point riche. Mais, par malheur pour lui, tout l’Univers sçait le contraire ; & il n’y a point de bon Citoyen qui ne comprenne très bien que ces Messieurs pourroient fort bien vivre, s’il plaisoit au Roi, comme vivent les Ministres de plusieurs autres Communions Réformées, les quels ne possedent aucuns biens fonds, mais subsistent seulement des pensions honêtes & raisonnables que leur font leur Souverain & leur troupeau. Pour moi, Monsieur, je ne trouve rien de si Comique dans tout ceci, que l’amas que les Auteurs font, dans ces deux Ouvrages, de passages, de Canons, d’autoritez tronquées, tirées des SS. Peres qui, sûrement, n’ont jamais pensé à la discussion de semblables matieres. Mais il en est des Ecrits de ces bonnes gens, comme de la Bible, à laquelle on fait dire tout ce que l’on veut, & que chacun tire par lambeaux de son côté, pour autoriser ses opinions.

J’aprends dans le moment, que l’Auteur des Lettres, dont je viens de vous rendre compte, en a publié encore plusieurs autres sur le même sujet. Mais comme la personne qui m’en a instruit m’a assuré qu’elles étoient encore pires que les précédentes, je crois que vous me voudrez bien dispenser de les lire, & que vous vous en tiendrez, aussi bien que moi, à son jugement, sur lequel on peut compter.

Puisque j’ai tant fait, Monsieur, que de vous communiquer les Plaidoyer qui ont été faits pour & contre dans cette grande affaire, je croirois manquer à l’ordre que vous m’en avez donné, si je ne vous envoyois pas une derniere piéce qui vient de paroitre sur ce sujet. C’est [118] une petite Dissertation, moitié Burlesque & moitié serieuse, dont l’Auteur, comme vous le verrez, ne manque pas d’esprit, & dans la quelle il donne ingénieusement sur les doigts aux deux partis.

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La Voix du B *

Aux Auteurs des Lettres pour & contre les immunitez du Clergé.

Eh ! Au nom de Dieu ! taisez-vous tous-deux, Messieurs les Avocats Pour & Contre ! Ces Merveilleuses citations d’Artaxercès, de Pharaon, de Moyse, de Charlemagne, sont trop modernes pour des Sçavants, & trop anciennes pour nous. Il faudroit, pour ceux-ci, débrouiller si le Clergé payoit, ou ne payoit pas, les impôts avant le Déluge ; & pour nous, il nous semble que les recherches sur le Census, Tributum, Jugeratio, sont encore trop loin de la question ; & quelque clarté que votre flateuse Métaphysique y puisse ajouter par vos Dissertations sur la Justice réelle & distributive, sur la mise personnelle, &c. il nous arrive sur tout cela, comme à bien d’autres idiots vis-à-vis des beaux faiseurs de phrases ; c’est qu’á force d’entendre nous n’entendons plus rien. Je vous dirai même que plus sot que tous les autres, j’ai poussé l’embarras plus loin, & que j’en suis venu au point de trouver qu’entre vous c’est le dernier qui parle qui a tort. Par pitié donc, Messieurs, raprochez-vous de mon entendement, & proportionnez vos explications à la foiblesse de mes lumieres. Venons au fait.

Je suis, comme vous le voyez, peu érudit. Je me souviens cependant d’avoir lu, dans quelque bon Livre, un très beau passage qui disoit, si je ne me trompe, Domini est Terra, & qui potest capere, capiat. Je ne sçait si c’est dans le Droit [119] Divin, ou dans le Droit Humain, que mon Auteur avoit pris ce Principe ; mais il me paroit fondamental, relativement à la conduite générale d’ici bas. Réfléchissez, & voyez si j’ai tort.

Dans le tems grossiers, tels qu’ont été ceux où les Etats ont été fondez, chacun a suivi ce Principe, les uns lus, les autres moins, selon le plus ou le moins de ménagement qu’ils avoient à garder. En rafinant (car on rafine sur tout) on a senti, par les exemples & par les raisonnements, que cet Axiome, tout commode qu’il est, étoit trop simple pour être à l’usage de tout le monde ; qu’il deviendroit dangereux pour le plus grand possesseur, & l’exposeroit aux effets de la trop exacte obëissance au commandement, de la part de ceux qui feroient le moins bien apportionnez. Il a donc fallu établir des Maximes, développer ce bel Axiome, le réserver pour la conduite, & lui substituer, pour l’extérieur, des questions de Droit & de Fait, &c. C’est tout ce fatras qui embarras un de vous deux le quel, selon les apparences, est du nombre des mal-aportionnez, & qui, pour le détruire, se sert habilement de son propre langage. L’autre, assez bon pour s’y laisser méprendre, établit de gros Principes qu’on croyoit autrefois, sur la simple parole, dans les tems où chacun se mesloit de son métier, & pas davantage. Mais aujourd’hui que nous vivons tous en communauté de profession & de plaisir, où nous sçavons tout & ne croyons rien, mon bon Ami, aprens à vivre dans ton Collége, & juge, puisqu’on ne veut plus y apprendre à lire à la façon de nos Peres, si dans le monde on se modellera sur leur crédulité.

Oui, mon Maitre, je le veux croire, l’exem-[120]tion des biens Ecclesiastiques est de Droit Divin. Mais enfin il est proscrit, de l’aveu même de ses Préposez. Les Bossuets, les Fenelons, & tant d’autres grands Prélats, ont signé des Concessions qui ont donné atteinte au Droit. Ils n’étoient qu’Usufruitiers, disoient-ils. Pouvoient-ils faire cet aveu en conséquence sans se soumettre aux Ordonnances de leur Prince ? Le Cardinal Grimaldi, Archevêque d’Aix, en se laissant saisir son revenu, disoit : Le Roi peut prendre ; mais je ne puis pas donner. Ce dernier étoit de votre avis, & les autres du contraire. Entre vous le débat. On s’en tient au cas actuel quant aux effets.

Pour ce qui est du Droit Humain, Maitres Cathégoriques, parlons de bonne foi ; Vous ne pouvez nier qu’il ne soit contre vous. A qui-que-ce-soit que je donne mon bien, je ne puis faire la lésion du tiers. Cela même est de pratique ; & tout ce qui passe en mains mortes est sujet à des droits d’indemnité envers le Suserain <sic> qui n’en peut-mais de la piété de son Vassal. L’Etat est le Suserain <sic> universel. Si cette terre appartenoit à un Laïc, elle seroit imposée. Il faut donc qu’elle le soit. Faites du surplus ce qu’il vous plaira. Nourissez les pauvres, entretenez les Eglises ou les Prélats ; Mais que vous fassiez bien ou mal, la Justice est avant la Charité. Si vous disputez de bonne foi, vous ne vous tirerez pas de là.

Quant à vous, Mr. l’Excommunié, si j’avois la feuille des Bénéfices, la meilleure façon de raisonner seroit de vous en appliquer un, & je vous clôrois mieux le bec, que ne fit onc <sic> le Patriarche Alexandre à ce célebre Arien . . . Je parierois, mon Docteur, que vous n’êtes pas bien à votre place, que trop de gens vous offusquent. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

(La Suite dans le N. suivant) ◀Ebene 1