Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 13.", in: La Bigarure, Vol.5\013 (1750), S. 97-104, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4688 [aufgerufen am: ].


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N.. <sic> 13.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Cela n’avoit point empêché ce dernier de composer une petite Comédie en Vers, dont on ne m’a point dit le titre. N’osant pas la mettre lui-même au jour, il la fit voir au Sieur Gardeil qui la trouva admirable. Après avoir fait, en apparence, tous ses efforts pour engager l’Auteur à la mettre au Théatre, celui-ci feignant, ou ayant peut-être réellement assez de modestie pour n’en rien faire, le Gascon profita de cette disposition pour satisfaire la démangeaison qu’il avoit de devenir, ou du moins de passer pour Auteur Dramatique. Six Louis d’Or, qu’il proposa, & qu’il paya comptants au véritable Auteur de la piéce lui aquirent, pour le moment, ce titre imaginaire.

Pour tirer promptement parti du marché qu’il venoit de faire, & n’être pas la dupe d’un honneur après le quel bien des gens aspirent aujourd’hui fort inutilement, il s’avisa d’un stratagême qu’il jugea admirable pour ne pas compromettre la réputation de Poëte qu’il vouloit & esperoit se donner dans le monde. Ce fut d’envoyer à la Comédie la piéce qu’il venoit d’acheter, par son Domestique, au quel il ordonna [98] de s’adresser à un des Acteurs, de le prier d’en lire quelque chose, & d’en dire son sentiment. Celui-ci prend la piéce, en lit, en-effet, deux ou trois pages, & demande au Valet, qui est son Maitre ? Le Domestique lui répond, qu’il desire n’être point connu, & qu’il le prie seulement de dire ce qu’il pense de la piéce. Hé bien, mon Ami, reprit le Comédien, allez, & dites à votre Maitre, s’il est Avocat, qu’il fera beaucoup mieux de plaider, que de faire des Comedies, & que, quand il aura des écus de reste, il pourra prendre un Maitre pour apprendre à faire des Vers.

Si ce jugement mortifia fort la vanité du Sieur Gardeil, la perte des six Louis, que lui avoit couté cette misérable Rapsodie, qui lui avoit paru si admirable, l’afligea encore bien d’avantage. En effet six Luis, pour un Cadet Gascon, sont un objet considerable, & très interressant. Rendre la piéce, & tâcher de retirer son argent, fut la première pensée qui lui vint dans l’esprit. Mais celui à qui il avoit affaire étoit un Normand qui n’avoit pas escamoté les six Louis au Cadedis dans l’intention de les lui rendre. Aussi les lui refusa-t-il lorsqu’il les lui redemanda. Il allégua pour raison de son refus, que le marché avoit eté conclu entre eux après une longue & mure délibération, & avec connoissance de cause. Le Gascon dupé jure, tempête, fulmine, & menace de l’exterminer lui & toute sa Nation s’il ne lui rend pas son argent. Le Normand rit de la fanfaronade & jure, de son côté, qu’il n’en fera rien, la restitution étant une chose, disoit-il, absolument deffendue par les loix de sa Province. Le Sieur Gardeil, après avoir un peu calmé ses premiers transports, propose un accommodement ; mais l’autre n’y veut point entendre, & dit que, s’il croit ses préten-[99]tions bien fondées, il n’a qu’à le faire appeler en Justice. C’étoit lui proposer une nouvelle sotise, & lui tendre un piége où il auroit laissé jusqu’à sa derniere obole, quand même il auroit en tous les tresors de Crœsus ; car vous savez, Madame, ce que c’est que la Chicane quand elle est conduite & dirigée par un Normand. Cette proposition fut plus terrible pour le Sieur Gardeil, & l’intimida mille fois plus que le Normand n’avoit été ému de la menace qu’il lui venoit de faire de l’exterminer avec toute sa Nation. Enfin, après bien des pourparlers entre les deux parties, on est convenu de s’en rapporter, pour le jugement de cette affaire, à la décision des Beaux Esprits du Caffé de Charpentier *1 . C’est dans ce respectable Tribunal que cette grande affaire se traite Comiquement, toutes les après-dinées, aux dépens des deux parties qui, par cette sotte incartade, & pour s’être voulu donner l’un & l’autre pour Poëtes, sont devenus, depuis ce tems, la fable & la risée du Public.

A propos de Comédies, de Comédiens, & d’Auteurs, je me souviens, Madame, de vous avoir rendu compte, dans une de mes Lettres, de La Force du Naturel, dernière piéce de M. Destouches. Cette Comédie a fait naitre à Mr. d’Argenson l’idée d’un Roman qu’il vient de donner au Public, & dont le sujet est diamétralement opposé à celui du Poëte. Il est intitulé La Force de l’Education. Ce n’est pas un Livre fait absolument dans toutes les formes ; il y a même des Romans modernes qui sont mieux écrits ; mais il y en a peu dans le quel les évé-[100]nements soient mieux amenez, & mieux conduits. Par cette raison il a reçu du Public le bon accueil qu’il mérite. En voici l’Analise.

Ebene 3► Le Comte de Saint-Eugene, étant passé en Angleterre, par l’ordre du Cardinal Mazarin, pour quelques affaires d’Etat, y changea de nom, & s’y fit passer pour un Anglois. Là il devint amoureux, & amant aimé, de la fille d’un des plus riches Negociants de Londres, de la quelle il eut un fils quelque temps après son départ. Le Cardinal, pour le recompenser des services qu’il avoit rendus à l’Etat, le désigna Ambassadeur dans une grande Cour, & lui fit épouser Mademoiselle de Villemare qui, un an après son Mariage, lui donna une fille. Cet enfant fut donné à élever à une femme nommée Jodet, qui étoit accouché, deux mois avant la Comtesse, d’une fille, la quelle avoit été nomme Angélique. Mademoiselle de S. Eugene avoit été nommée Adelaïde. Au bout de deux ans on la retira de chez la Jodet.

Le fils que le Comte avoit eu de sa premiere Maitresse fut envoyé par sa Mere dans les païs étrangers où elle comptoit qu’il pouroit trouver son Père. Il débarqua, & vint chez un Banquier au quel il étoit adressé pour en avoir des nouvelles ; mais celui-ci l’assura qu’il n’avoit jamais entendu parler du Baron de Cromstadt dont il se disoit le fils. C’étoit le nom qu’avoit pris le Comte de S. Eugene lorsqu’il étoit en Angleterre. Le jeune homme, sans pousser plus loin ses recherches, s’attacha au Commerce, & demeura chez le Banquier qui, quelque tems après ayant une somme considérable à payer au Comte de St. Eugene, la lui envoya par son fils. Le Comte, trouvant à ce jeune homme une phisionomie, un esprit, & des manieres nobles, s’informa de sa pa-[101]trie. Le lendemain il envoya chercher le Banquier par qui il se fit raconter toute l’histoire de son jeune Commis. Dès qu’il l’eut entendue, il ne douta pas un instant que ce ne fût son fils, il le prit chez lui, & le mit au nombre de ses Pages. A quelque tems de-là, le Comte ayant été rapellé de son Ambassade, obtint, pour le jeune Cromstadt, une Lieutenance de Cavalerie, le logea chez lui, & continua tous les soins qu’il étoit naturel qu’il prit d’une personne qui lui étoit si chere, mais sans que Cromstadt sçut quel en étoit le motif.

De son côté Adelaïde croissoit à vuë d’oeil, devenoit belle, grande, spirituelle, vertueuse, & possedoit toutes les belles qualitez qu’on peut souhaiter dans une Demoiselle de son rang. D’une autre part, Cromstadt ne démentoit point le sang qui l’avoit fait naitre. Il étoit généreux, bien-fait, sincére, & brave. Il aima Adelaïde ; mais ses sentiments s’étouferent dans la reconnoissance qu’il avoit pour son bienfaiteur.

La Jodet, étant venue voir son éleve, lui amena sa sœur de lait, qui étoit une petite Païsanne assez jolie, laquelle, faute d’éducation, étoit méchante, querelleuse & grande babillarde, inventant, & concluant toujours le mal sur les plus légéres aparences. Adelaïde, qui étoit la bonté même, la retira auprès d’elle, lui fit donner toute l’éducation convenable ; Mais tandis qu’elle lui donnoit mille témoignages de sa bonté & de son estime, la méchante Angelique la déchiroit continuellement parmi les Domestiques. Le Baron de Cromstadt ne manqua pas de lui faire quelques agaçeries. Le Marquis d’Anglure, qui recherchoit Mademoiselle de S. Eugene, lui en fit aussi quelques unes. Le Marquis lui plut davantage. Ce dernier, qui s’embarrassoit peu [102] du caractere de la femme qu’il auroit, pourvu qu’elle fût riche, ne tenoit pas grand compte de la vertu de Mademoiselle de S. Eugene. Angelique s’étant aperçue que Cromstadt voyoit de très bon œil la jeune Comtesse, en donna avis au Marquis, ce qui occasionna entre eux une querelle qu’il falut vuider par la voye des armes. Pour prévenir par la suite de semblables inconvenients, Angelique fut mise dans un Couvent. D’un autre côté le Comte de S. Eugene, craignant que la passion de Cromstadt ne fit tort à sa fille, leur déclara à l’un & à l’autre, qu’ils étoient freres & sœurs ; & il fit la même déclaration à la Comtesse son Epouse. On se hâta de conclure le mariage d’Adelaïde avec le Marquis d’Anglure ; & on retira Angelique du Couvent pour la donner à Cromstadt.

L’orsqu’on <sic> publia les bans, & qu’on demanda à la Jodet son consentement pour ce dernier mariage, cette femme, par l’instigation de son Curé, se crut obligée de déclarer le crime qu’elle avoit commis. Elle vint donc avouer au Comte, que celle de ces deux enfans qu’il regardoit comme sa fille ne l’étoit pas, mais que c’étoit l’autre ; que, quelques jours après qu’on la lui avoit donnée à nourrir, elle étoit tombée dans le feu ; que dans la crainte d’être punie de son peu d’attention, elle n’avoit jamais osé depuis cet accident, la présenter à ses parents comme leur fille ; mais qu’elle leur avoit toujours presenté la sienne. Le Comte & la Comtesse furent bien surpris, & encore plus afligez de l’échange. Les mariages néanmoins se conclurent. La véritable Adelaïde fut donné au Marquis d’Anglure ; & la vraye Angelique épousa Cromstadt qu’elle aimoit déja beaucoup. ◀Ebene 3

Le Roman dont je viens de vous rendre comp-[103]te n’est pas le seul, Madame, dont on nous ait régalées. On nous a donné un second contenant les faits Merveilleux du Chevalier de S. Michel, Officier Ecossois au service de France sous le regne de Louis XIV. Mais il s’en faut de beaucoup que celui-ci vaille l’autre. Les Avantures qu’il contient sont très mal imaginées, & la Morale & les bienséances n’y sont pas des mieux observées. Le stile en est, à la vérité, assez coulant ; mais l’Auteur a trop affecté d’y employer les expressions ridicules des Petits-Maitres.

Un troisiéme Roman, dont on nous a encore régalées, a pour titre Les Amours de Mahomet, écrits par une de ses femmes. L’Auteur de cet Ouvrage a très bien fait d’avertir qu’il ne contient pas tous les merveilleux événements qu’on a attribuez à ce faux Prophéte. Bien loin qu’il en contienne seulement une partie, il ne contient rien du tout. Mahomet, cet homme qu’il nous donne pour si galant, s’amuse ici à raconter l’histoire de la parente d’une femme qu’il a aimée. Cette parente, qu’on apelle Zelima, aime un jeune homme que son père ne veut pas qu’elle épouse. Il lui en propose un autre qu’elle haït. Le premier meurt de douleur, & l’autre, piqué des refus grossiers que lui fait son amante, se retire. Le père, fâché d’avoir contraint sa fille, est prêt à mourir de douleur ; mais il paroit que ni la fille ni le père ne sont point assez afligez pour se laisser mourir pour si peu de choses.

Ce roman ne fait aucun plaisir à la lecture ; du moins ne m’en a-t-il donné aucun ; & toutes nos Dames, que j’ai consultées là-dessus, m’ont avoué qu’il les a fort ennuyées. Vous voyez par là, Madame, que nous ne sommes guére plus heureuses en Romans qu’en Comédies, [104] quoiqu’il en paroisse ici par douzaine ; Mais c’est peut-être aussi par cette raison que ces Ouvrages ne valent rien, pour la plupart. Dans les productions d’esprit, la bonté se trouve rarement avec l’abondance.

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 12 Septembre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux

Qui se vendent à la Haye chez Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R.

Abregé de Geographie Historique des Sept Provinces-Unies, par J. F. Fabre, 8. Haye 1750.

Le Magnifique Comedie en deux Actes, 8. Haye, 1750.

Memoires pour servir à l’Histoire de l’Europe depuis 1740. jusqu’à la Paix Generale signée à Aix la Chapelle le 18 Octobre 1748. 12. 4 vol. Amst. 1749.

Theorie des Sentimens Agreables, où, après avoir indiqué les regles que la nature suit dans la distribution du plaisir, on établit les Principes de la Theologie Naturelle & ceux de la Philosophie Morale, 8. Londres, 1750.

Recueil d’Observations Curieuses, sur les Mœurs, les Coutumes, les Usages, les differentes Langues, le Gouvernement, la Mythologie, la Chronologie, la Geographie Ancienne & Moderne, les Ceremonies, la Religion, les Mechaniques, l’Astronomie, la Medicine, la Physique Particuliere, l’Histoire Naturelle, le Commerce, la Navigation, les Arts & les Sciences de differens peuples de l’Asie, de l’Afrique & de l’Amerique, 12. 4 vol. Paris 1749.

Negotiations à la Cour de Rome, & en differentes Cours d’Italie, de Messire Henri Arnault Abbé de S. Nicolas, depuis Evêque d’Angers, 12. 5 vol. 1748.

Loisir Philosophique, ou Pieces diverses de Philosophie, de Morale & d’Amusement, 8. Geneve, 1747.

Ouvrages divers sur les Belles Lettres, l’Architecture Civile & Militaire, les Mechaniques & la Geographie, 8. Berlin 1747.

Jeudi ce 17 Septembre 1750.

◀Ebene 1

1* Il est à la descente du Pont neuf, sur le quai de l’Ecole.