Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 11.", in: La Bigarure, Vol.5\011 (1750), S. 81-88, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4686 [aufgerufen am: ].


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N°. 11.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Allgemeine Erzählung► A Peine étoit-il dans la rue, pour s’en retourner chez lui, que les cinq Acteurs & les cinq Actrices commencerent leur rôles. Maris de gronder & de tempester ; & femmes de tâcher à s’excuser. Mais le moyen de se justifier. Le jeune homme de chez qui elles venoient avoit la réputation d’être galant, coquet, & même un peu libertin. Passer la nuit à boire & à festiner avec un pareil égrillard, quelles conséquences des Maris ne devoient-ils pas tirer d’une semblable incartade ? Un panache des plus hauts, & des mieux fournis, leur paroissoit un malheur inévitable. Le moyen de laisser passer tranquilement de pareilles fredaines ! Non, de semblables morceaux sont de trop dure digestion ; ils écoutent les gens ; & il faut absolument que le cœur débonde. Ce fut aussi ce que firent ces cinq Maris. Ils commencent par les reproches, continuent par les injures & les invectives, & finissent par les coups.

Leurs femmes mal-traitées crient comme des Aigles, & appellent le Guet à leur secours. Voilà, en un instant, tout le quartier en allarme. [82] Chacun se réveille en sursaut, & faute du lit en chemise croyant que le feu est dans sa maison. Revenu de cette premiere allarme, on court chez les voisins chez qui l’on croit qu’est l’embrasement ; de manière qu’en trois ou quatre minutes, à cette heure indue, la rue se trouve aussi pleine de monde, qu’elle le pouroit être en plein midi. Les uns, surtout les femmes, sans rien savoir du sujet de la querelle, vomissent des torrents d’injures contre ces maris qui maltraitent ainsi leurs cheres moitiez, pendant que les autres, mieux instruits du fait, en rient de toutes leurs forces. ◀Allgemeine Erzählung

Ne m’avouerez vous pas ici, Monsieur, qu’il ne faut être rien moins que sot & Badaut pour se venger si spirituellement ? Pour moi, quoique ne m’eveillant, ce matin, j’aye fort pesté contre cette allarme, je vous avouerai que je n’ai pu m’empêcher d’en rire ensuite de très bon cœur, lorsque j’ai appris ce qui l’avoit causée. Si toutes les femmes qui jasent sur le compte des autres, quoique bien souvent elles valent beaucoup moins que celles qu’elles déchirent, étoient traitées de cette manière, le nombre des Babillardes & des Coquettes ne seroit, assurément, pas si grand.

A cette Avanture Comique je vais joindre, Monsieur, une piéce sérieuse dont j’espere que vous ne serez pas mécontent.

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Epithalame.

Pour le Mariage de M. le Baron d’Ayl . . . .

Eveille-toi, lance tes traits vainqueurs,

Regne, Amour, sur deux tendres cœurs.

[83] Tranquille cependant aux rives de Cithere,

Ce Dieu, depuis long-tems exilé de la terre,
S’abandonne aux douceurs d’un aimable repos ;
Morphée à pleines mains lui verse ses pavots :
Tout reste aux environs dans un silence extrême,
Respectant le sommeil du Dieu qui fait qu’on aime.
Mille songes légers rapellent à ses sens
Ses triomphes passés & ses malheurs présens,
Ce cruel souvenir l’agite & l’inquiette,
Il s’éveille, il entend l’Echo qui lui répete :

Eveille-toi, lance tes traits vainqueurs,

Regne, Amour, sur deux tendres cœurs.

Qu’ai-je entendu, dit-il, quel importun prélude

Vient troubler aujourdhui ma douce solitude !
Evain, lâches Mortels, envain essayez vous
De m’attirer encor, je vous renonce tous.
Suivez, suivez les lois du vil Dieu qui vous guide,
Qu’au lieu de moi, chez vous, vôtre intérest décide,
Je n’en suis point jaloux, & suspens pour jamais
Au Temple du Repos & mon Arc, & mes traits :
Aimez, ou n’aimez point, j’en ris dans ma retraitte.
Il a beau murmurer, l’Echo toujours répette 
:

Eveille-toi, lance tes traits vainqueurs,

Regne, Amour, sur deux tendres cœurs.

Etonné cependant de ce cri qui le flatte,

Une secrete joye en ses regards éclatte.
Déjà les Ris badins, les Jeux & les Plaisirs,
Les Graces, les Amours, les folâtres Zéphirs
Volent de toutes parts, petillans d’allégresse,
Et lui prouvent l’excès de leur vive tendresse.
La Nature s’unit elle-même à leurs vœux
Phebus sur l’horison brille de nouveaux feux.
[84] Des plus brillantes fleurs la Terre se couronne,
Et ce tendre refrain de tous côtés résone :

Eveille-toi, lance tes traits vainqueurs,

Regne, Amour, sur deux tendres cœurs.

Mais à mes sens charmés quels sons se font entendre !

De ce Char arrêté quel Dieu voi-je descendre !
Ciel ! . . . C’est l’Himen ! . . . l’Amour fremit à son aspect.
Cependant ce rival soumis, plein de respect,
Témoigne à ses genoux un repentir sincere ;
Ce trait du dieu d’Amour désarme la colere,
C’en est fait, lui dit-il, l’embrassant tendrement ;

Je te pardonne tout en cet heureux moment ;
Mais que viens-tu chercher dans ce séjour rustique ?
Charmé de cet accueil l’Hymen d’abord replique :

Eveille-toi, lance tes traits vainqueurs,

Regne, Amour, sur deux tendres cœurs.

Il dit, & de son Char, que l’Espérance guide,

Descend un jeune Epoux ; son Epouse timide,
S’appuïant sur son bras, en descend à son tour,
Il les mene aussi-tôt aux pieds du tendre Amour,
Qui charmé des transports de ce couple fidelle,
Reçoit avec bonté ses sermens & son zèle.
Toute la Cour bienôt seconde ses desirs ;
Sur les pas de l’Epoux voltigent les Plaisirs,
Les Graces suivent ceux de l’Epouse charmante,
Tout rit, Amours, Zephirs, tout folâtre, tout chante :

Eveille-toi, lance tes traits vainqueurs,

Regne, Amour, sur deux tendres cœurs.

Cependant tout s’acheve ; une Fête éclatante

Annonce à l'Univers cette union brillante,
[85] Mille chants d’allegresse élevés jusqu’aux cieux,
Marquent de ce grand jour le terme précieux.
Déjà brille partout le flambeau d’Hymenée ;
L’Estime, le Devoir conduisent l’Epousée,
L’impatient Epoux suit un brulant transport,
Junon les met au lit : c’en est fait, chacun sort,
Hors un fripon d’Amour qui sous la couverture
Les epie, & souvent à voix basse murmure :

Eveille-toi, lance tes traits vainqueurs,

Regne, Amour, sur deux tendres cœurs.

Envoi.

Tendres, heureux Epoux, quand l’Himen vous couronne
Que vos plaisirs sont doux ! L’Amour les assaisonne.
Dociles à vos vœux, que ces Dieux à jamais
Sur vos cœurs enchantés épuisent tous leurs traits !
Que chaque jour pour vous soit un jour d’Hymenée !
Que toujours votre vie heureuse & fortunée
Coule insensiblement au milieu des plaisirs !
Puisse le Ciel enfin, propice à vos desirs,
De ses faveurs bientôt combler votre tendresse :
Pour bâter ces momens de joye & d’allegresse,

Eveille-toi, lance tes traits vainqueurs,

Regne, Amour, sur deux tendres cœurs. ◀Ebene 3

Je vous ai promis la variété dans cette Lettre, Monsieur. Pour vous tenir parole, & la mieux bigarer encore, du tendre & du galant je passe à un sujet d’une espece bien différente pour le fond, & même diamétralement opposé à ce dont je viens de vous faire part. Vous sçaurez donc que M. de Vaugiraud, Evêque d’Angers, ayant suprimé, dans son Diocèse, la Fête d’un [86] Saint, le peuple de ce païs-là, qui avoit beaucoup de dévotion au Bienheureux, a beaucoup murmuré de cette supression. Pour en consoler le Prélat & ses Diocesains, on a fait, sur ce sujet, la petite piéce suivante.

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Epigramme.

Quand Vaugiraud vous retranche une Fête,
Peuple dévot qui vous rompez la tête,
Ne criez pas que tout est confondu ;
Consolez-vous ; vous n’avez rien perdu.
Un jour viendra (que bien vous en souvienne)
Pour l’en punir, qu’on chommera la sienne. ◀Ebene 3

Si cet éloge, qui me paroit un peu équivoque, est ironique, ou bien sincere, c’est, Monsieur, ce que je ne puis vous assurer ici. Je laisse décider ce point à ceux qui connoissent ce Prélat plus particulierement que moi. Je dirai seulement que, si la punition dont on le menace dans cette Epigramme doit un jour avoir lieu, bien des gens le trouvent à plaindre. En effet la Sainteté ne s’aquiert pas aussi aisément qu’on se l’imagine. J’en sçai même, dont le nombre est très grand, qui aimeroient beaucoup mieux n’être jamais mis dans le Calendrier des Saints, après leur mort, que de s’assujettir, pendant leur vie, à tout ce qu’on prétend que doivent faire tous ceux qui aspirent à ce rang glorieux auquel si peu de personnes parviennent. Encore si ces dernieres étoient sûres d’y rester à perpétuité, ce ne seroit que demi mal ; Mais par l’exemple du Saint que M. de Vaugiraud vient de dénicher du Paradis où ce Prelat s’ennuyoit apparemment de le voir depuis plusieurs siécles qu’on l’y avoit placé, il est démontré que l’on [87] ne doit compter sur rien dans ce monde qui n’est qu’une vicissitude continuelle dont les Bienheureux mêmes, qui sont dans l’autre, ne sont pas plus exempts que nous.

Voici une autre petite piéce, faite sur un vieux Prélat qui a été des plus célébres il y a quelques années, & qui, au jugement de la plûpart de nos François, ne court aucun risque d’essuyer un affront pareil à celui que Mr. De Vaugiraud vient de faire à son Saint. Vous n’aurez pas de peine à le reconnoitre dans ces Vers qui me paroissent être les meilleurs qui ayent jamais été faits à son sujet.

Ebene 3►

Epitaphe.

Du Cardinal de F * *

Fuyant la richesse & l’éclat,

Se bornant au pouvoir suprême,
Il ne vécut que pour lui-même,
Et mourut, à la fin, pour le bien de l’Etat. ◀Ebene 3

Courage . . . Allons ma plume . . . Voilà qui ne va pas mal . . . N’aurez-vous point encore quelque trait Satirique à lâcher contre quelqu’un ? . , . justement . . . Voici une seconde Epigramme qui m’arrive dans le moment & qui pourra vous faire d’autant plus de plaisir, Monsieur, que vous avez souvent vu & connu ici le personnage sur qui elle roule. C’est ce mauvais petite Musicien qui nous a souvent ennuyé par ses sottes & sales Chansonnettes, par ses fades & ridicules plaisanteries, & par ses contes à dormir de bout dont il assomme ceux qui ont la patience de l’écouter. Croiriez-vous, Monsieur, que ce petit homme, qui n’a jamais eu d’autre talent, ni d’autre occupation, pendant vingt cinq ans, que [88] de courir le cachet de porte en porte, s’est avisé, depuis quelque tems, d’élever une Ecole Académique de Pension dans notre Vilage de Vincennes ? Ce projet risible, & la manière dont il s’y est pris pour l’exécuter, ont occasionné la petite piéce suivante.

Ebene 3►

Epigramme

Sur un Maitre d’Ecole de Pension.

Claude, pour se mettre en pratique,
Dit partout qu’il sçait la Rhetorique,
L’Orthographe, l’Arithmetique,
La Morale & la Politique ;

Jamais Morel ne posseda si bien

Le Blason & l’art Poëtique,
La scienece Géographique,
Les Belles-Lettres, la Musique,
L’Histoire & la Métaphysique.
Au plus grand Théologien
Son profond sçavoir Mathematicien
Près de lui n’est qu’une Bourique ;

En un mot, à l’entendre, il n’ignore de rien.

Mais, malgré le Panégirique
Que Claude fait de ses talens,
Claude se trouve sans chalants,

Et personne ne veut lui donner sa pratique . . . . .
Pourquoi ? . . . C’est que Claude est un vrai Claude *1 en touts sens. ◀Ebene 3

Paris ce 4 Septembre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi ce 10. Septembre 1750.

◀Ebene 1

1* Tous ceux qui entendent la langue Françoise sçavent ce que c’est qu’un vrai Claude.