Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 10.", in: La Bigarure, Vol.5\010 (1750), S. 73-80, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4685 [aufgerufen am: ].
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N°. 10.
Ebene 2► Brief/Leserbrief► Après vous avoir entretenu, dans mes précédentes Lettres, *1 des funestes effets de l’Amour, je commence celle-ci, Monsieur, par une piéce de Vers sur ce sujet. Comme elle m’a paru fort belle, j’ai cru qu’elle vous feroit plaisir. La voici.
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Ode
Contre l’amour.
Qu’entens-je ! quels nouveaux Orphées
Forment ces aimables accents ?
Pour qui sont ces brillans Trophées ?
Quel Spectacle enchante mes sens ?
Je vois les ris, les jeux, les graces :
Un Enfant marche sur leurs traces,
C’est l’Amour, c’est lui, je le vois.
Pour mieux établir sa puissance,
Il prend les traits de l’innocence ;
Mortels, n’écoutez point sa voix.
Et toi dont la fausse lumiere
Aveugle les plus éclairés,
Fils de Venus, dans ta cariere
Serons-nous toujours égarés ?
Jusques à quand, par tes caprices,
[74] Verrons-nous d’affreux précipices
S’ouvrir sous les pas des Mortels,
Et les cœurs soumis à tes chaines,
Malgré la rigueur de leurs peines,
T’élever encor des autels ?
Les partisans de ton empire
Te nomment le Dieu des plaisirs,
Et ceux qui ta faveur attire
Pour toi seul forment des desirs.
Triste erreur qui cache à leurs ames
Que l’ardeur dont tu les enflames
Est la source des plus grands maux !
Dangereux plaisirs que j’abhore,
Heureux le cœur qui vous ignore ;
Il goute un tranquile repos !
C’est à toi, Sagesse Divine,
D’éclairer les foibles humains.
Qu’ils osent suivre ta doctrine,
Le vrai bonheur est en leurs mains.
Viens, par ta lumiere Céleste,
Percer le nuage funeste
Dont l’Amour obscurcit leurs yeux.
Fais les marcher sous tes auspices ;
Fais leur voir mille précipices
Couverts d’appas délicieux.
Quoi ! je me verrois, vil Esclave,
Orner le char d’un tel Vainqueur !
Je pourrois aux fers que je brave
Asservir lâchement mon cœur !
Je croirois qu’au sein des allarmes,
Parmi les peines & les larmes,
Réside la félicité,
Et benissant mon Esclavage,
[75] Je pourois nommer avantage
Une triste Captivité ?
C’en est fait, une heureuse Etoile,
Amour, guide à present mes pas.
Ton regne à mes yeux se dévoile
Et j’en déteste les appas.
Je n’y vois qu’erreur, que foiblesse,
Que cœurs vaincus par la molesse
Et soumis à d’indignes loix.
Epris d’une yvresse fatale
Je vois Hercule aux pieds d’Omphale,
Démentir ses nobles exploits.
De ces traits que ma raison blâme,
Mortels, tirez une leçon ;
Voiez une imprudente flame
Causer la perte de Samson.
Avant sa honteuse défaite
Considérez ce Roi Prophéte
De l’Esprit Divin animé,
Humain, pieux, sage, équitable,
Son cœur n’est point été coupable
Si son cœur n’avoit point aimé.
Combien d’exemples déplorables
Frappent mes regards tour à tour !
Combien de Héros mémorables
Succombent aux traits de l’Amour !
Voions sur ce vaste Théatre
Le fier Amant de Cléopatre,
Il veut subjuguer les Romains ;
L’Amour paroit, & dans son ame
Allume une servile flame ;
Je vois le dernier des humains.
Vous donc que l’Amour sollicite
A devenir ses favoris,
[76] Insensés ! voiez à sa suite
Les soins fâcheux, les noirs soucis.
Si les jeux souvent le précedent
Combien de chagrins lui succedent ?
Fuyez, évitez ses douceurs.
Sous une image séduisante
Une Déïté malfaisante
Tend des embuches à vos cœurs.
Pourquoi, tranquile indifférence,
N’ai-je point écouté ta voix !
Quand, par sa flateuse apparence,
L’Amour m’engageoit sous ses loix,
J’étois éblouï de ses charmes ;
Mais enfin par d’utiles armes
La raison a brisé mes fers.
Pour toi seule mon cœur soupire,
Sous la douceur de ton empire
Je ne craindrai point de revers. ◀Ebene 3
Voila bien du sérieux, & bien de la Morale tout de suite, me direz vous peut-étre, Monsieur . . . Hébien, égayons un peu notre stile, & varions nos matières ; Aussi-bien ne nous manquent-elles pas, (grace à la sotise du genre humain) malgré la stérilité des Nouvelles publiques, & non-obstant l’absence de nos grands Acteurs qui, pour la plûpart, sont actuellement occupez à donner la Comédie à leurs Vassaux, dans leurs Terres & Maisons de plaisance. L’aproche de l’hiver, qui nous les ramenera tous ici, me fournira, à leur retour, de ces grandes & interressantes scenes qui vous font tant de plaisir, & à toute votre aimable societé. En attendant, daignez vous amuser avec nos Bourgeois qui, toujours aussi bons dans une saison que dans l’autre, nous offrent tous les jours quelque chose de nouveau & de divertissant.
[77] Je ne sçai cependant, Monsieur, si je dois mettre, en mon particulier, au nombre des Avantures plaisantes, celle que je vais vous raconter. Du-moins est-il certain qu’elle m’a fait beaucoup murmurer, & m’a mis, ce matin, de fort mauvaise humeur. Peut-on être en effet autrement, lorsque les cris redoublez de toute une populace vous reveillent entre deux ou trois heures du matin ?
Est-ce donc pour veiller qu’on se couche à Paris ?
Voilà, Monisieur, quelle a été ma premiere exclamation en m’eveillant ce matin en sursaut. Je dis ce matin, & pourois dire cette nuit ; car c’étoit deux heures, au-moins, avant le jour, que la chose m’est arrivée. Et quel en étoit le sujet ? . : . . Vous ne le devineriez jamais, tant il est singulier . . . . . C’étoit cinq Maris, de mon voisinage qui, comme s’ils se fussent donné le mot, battoient tous leurs femmes, en même tems, & pour la même cause. Voici l’Avanture qui poura vous divertir autant qu’elle m’a fait pester contre ces Femelles, & leurs brutaux d’Epoux.
Allgemeine Erzählung► Un bon & véritable Enfant de Paris, je veux dire, un jeune Parisien, grand amateur du Beau-Sexe, fréquentoit, & recherchoit en mariage, une Demoiselle fort estimable, & très estimée dans son quartier. Quoique, généralement parlant, on soit ici fort peu curieux des affaires de ses voisins, dont on ne s’occupe guére, il y a néanmoins toujours, dans le Sexe Babillard, quelques Commerces dont l’Esprit tracassier, le caractere médisant, les oreilles & la langue toujours en l’air, ne sçauroient se contenir. Cinq de ces Commeres, bonnes langues, & bien pendues, ayant entendu parler de la recherche que le Galant faisoit de cette Demoiselle dauberent d’importance cette vertueuse fille [78] qu’elles ne connoissoient certainment pas : Car si elles eussent sçu ce qu’elle étoit véritablement, elles en auroient parlé d’une toute autre façon. Mais la Medisance ne cherche jamais à connoître les personnes qu’elle veut déchirer.
Leurs discours passant de bouche en bouche, a l’ordinaire ;
Car qu’une femme jase, une autre jasera,
Et toutes jaseront, autant qu’il en viendra.
Leurs discours, dis-je, ayant couru dans tout le quartier, vinrent enfin aux oreilles de la jeune Demoiselle qui, s’en étant plaint à celui qui la recherchoit, le pria de suprimer à l’avenir ses visites. La raison qu’elle lui en donna fut, qu’elles fournissoient aux personnes du quartier un prétexte pour déchirer sa réputation, & elle lui raconta, à ce sujet, tous les caquets qui couroient sur son compte.
Je ne sçait, Monsieur, quel est le premier Satirique qui s’est avisé de donner à nos Parisiens la choquante Epithete de Badauts, titre sous lequel on les distingue & les caractérise dans les Provinces. Peut-être est-ce une vengeance, ou une represaille, de ce que ceux-ci, par dérision, n’appellent les autres que Provinciaux, terme qui équivaut bien à la premiére Epithete. Quoiqu’il en soit, & quoiqu’en puisse dire la Satire, nos bons Bourgeois ne manquent pas plus ici d’esprit, qu’on n’en manque ailleurs. En voici la preuve. Un des plus grands & des plus beaux Esprits de nos Academies auroit peut-être été fort embarrassé de trouver un moyen de se venger d’une façon éclatante du pétulant caquet de ces Commeres ; Car comment faire donner dans le panneau, des personnes d’un Sexe qui est la malice même. Notre Parisien, avec son Badaudisme, en est venu cependant à bout. Voici de quelle manière il s’y est pris.
[79] Comme il connoissoit parfaitement bien ces cinq Babillardes, il alla les inviter toutes, séparément, de la part de sa Mere, de vouloir bien être d’un petit régal qu’elle vouloit leur donner, avec quelques unes de ses amies, & dans lequel elle avoit arrêté qu’il n’y auroit que des femmes. Comme chacune d’elles connoissoit cette Dame, elles promirent toutes, en particulier, de s’y rendre ; & par une d’elles ne manqua de s’y trouver.
Cette invitation de la part de la Mere étoit un piége que le Galant avoit imaginé pour les attirer plus surement chez lui. En effet il y avoit plus d’un mois, que la bonne Dame étoit à sa Campagne où elle devoit encore passer le reste de la belle saison. Quoiqu’il en soit, elles donnerent toutes dans le pannera, & vinrent chez le Galant sans leurs Maris, à qui même elles ne communiquerent rien de ce Cadeau Feminin. Elles furent un peu surprises d’abord de ne point voir la Mere paroitre à table avec la compagnie ; Mais le fils, ayant aussi-tôt pretexté une affaire pour la quelle elle avoit, dit-il, été obligée de repartir sur le champ pour sa Campagne, après avoir affecté d’en être un peu mortifiées, elles ne laisserent pas d’y prendre chacune leur place. La chere étoit friande & délicate, le vin excellent & en abondance ; aussi nos cinq Commeres, aussi bien pourvues de bon appetit que de bonnes langues, s’en donnerent elles tant & plus. On voulut se retirer sur le coup de minuit ; Maïs le Galant qui étoit, & qui les avoit mises, de fort bonne humeur, les engagea à rester encore chez lui ; si bien que de propos en propos, de rasade en rasade, & d’Encore en Encore, elles y demeurerent jusqu’à deux heures du matin. Le Galant auroit bien voulu les retenir jusqu’au grand jour, afin que la vengeance & [80] la Comedie qu’il méditoit fussent plus complettes ; mais il eut beau les en presser, il n’y eut pas absolument moyen de les retenir plus long-tems.
Cependant les cinq Maris, qui ne sçavoient ce qu’étoient devenues leurs femmes, & qui les attendoient avec une impatience qu’il est plus aisé de se figurer que de bien exprimer, pestoient, juroient, & blasphémoient contre leurs cheres moitiés. Une absence si longue, & qui avoit été si mistérieuse, fit naître à ces bonnes gens des idées qui n’étoient pas des plus gracieuses . . .
« Où peut-elle être allée ? si disoient-ils chacun à eux-mêmes . . . . Voilà sept, huit, neuf, dix, onze heures sonnées . . . Minuit ! . . . Quoi ! . . . Minuit ! Et ma femme n’est point encore rentrée . . . Oh ! pour le coup ! j’en tiens. La Gingeole est un nom que je n’entendrai plus ; Et l’on me nommera Seigneur Cornelius.
Ah Chienne ! Ah Gaupe ! Ah Carogne ! Me jouer de ces Diables de tours ! à moi, ton cher petit Mari, à moi qui suis idolâtre, à moi qui suis fou de ta personne ! . . . Oh ! que tu me le payeras cher ! . . . Eh, Oui ; je te le conseille, de t’imaginer que je garderai, comme cela, tranquilement les Manteaux, toute la nuit, pendant que tu la passeras avec ton Galant ! . . . Va, va . . . reviens seulement, & tu verras comme je te recevrai . . . Tu verras si je suis aussi sot que l’ont été mon Père & mon grand Père qui . . . » L’arrivée de Madame G . . . . qui fut la premiere que le Galant reconduisit, interrompit ces chagrinantes réflexions. L’accueil sombre & colérique que son Mari lui fit, aussi bien qu’à son conducteur, fut comme une espece de Prologue qui lui annonça la Comédie qui s’alloit jouer. Il se hâta de reconduire de même les autres qui, toutes, furent accueillies à peu près de même par leurs Maris. ◀Allgemeine Erzählung ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2
(La suite dans le No. suivant)
Jeudi ce 10 Septembre 1750.
◀Ebene 1
1* Voyez les Num. 6. & 7. préced.