Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 7.", in: La Bigarure, Vol.5\007 (1750), S. 49-65, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4682 [aufgerufen am: ].
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N°. 7.
Ebene 2► Brief/Leserbrief► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Allgemeine Erzählung► « Quoique l’innocence du Pasteur de Monte-dell’-Olmo fût pleinement constatée par la Déclaration authentique de son Accusatrice, il avoit été denoncé, saisi, & détenu dans les prisons du S. Office : par cette seule raison il étoit devenu criminel. Toute la faveur que ce Tribunal crut pouvoir lui accorder, en conséquence de la justification, fut de lui faire grace de la vie, que l’intention de ses ennemis étoit de lui faire perdre. Malgré leurs pressantes sollicitations, & tous les ressors qu’ils firent jouer pour cela, l’Inquisiteur de Fermo ne put se résoudre à porter l’injustice & la complaisance pour eux jusqu’à ce point. Mais s’il refusa de se prêter à ce crime pour l’amour d’eux, en revanche il leur procura un moyen de se venger du Pasteur d’une manière mille fois encore plus cruelle que la Mort. En effet, après l’avoir laissé languir encore quelque tems dans les prisons, il le condamna enfin à perdre son Bénéfice, lui interdit toutes les fonctions Ecclésiastiques, & le condamna à être enfermé, pour le reste de ses jours, dans la prison Claustrale des Freres Mineurs de Monte-dell’-Olmo où on le feroit jeuner au pain & à l’eau trois fois la semaine, sçavoir le Lundi, le Mercredi, & le Vendredi.
[50] Cette Sentence injuste, s’il en fut jamais, a été d’autant plus sévérement exécutée, que les deux Religieux qui la lui avoient attirée s’étoient eux-mêmes chargés de l’éxécution. Jugez, Monsieur, après ce que je vous ai marqué ci-dessus de ces deux Révérends, s’ils étoient hommes à en adoucir la rigueur. C’est assurément ce qu’ils n’ont pas fait ; & par-là, vous devez juger des souffrances de ce digne Pasteur qui, après vingt ans d’un suplice mille fois plus cruel que la Mort, est enfin allé récevoir dans le Ciel la récompense que l’Evangile a promis à tous ceux qui souffrent persécution pour la Justice. » ◀Allgemeine Erzählung ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3
Voila, Monsieur, une de ces Avantures dont il seroit à souhaiter, que tout l’Univers fut instruit, pour de très bonnes raisons. Elle constate, d’une manière bien évidente, la vérité de ce que je vous ai dit, au commencement de ma Lettre, de la férocité de l’Homme lorsqu’il est animé par les fureurs & la rage de l’Amour. La Poste d’Italie, qui m’a apporté celle que vous venez de lire, m’en a aussi aporté une autre dans la quelle vous verrez une Histoire encore plus terrible sur ce sujet. Après de pareils événements, serez-vous encore étonné de la description naïve, & sincére qu’un de nos Poëtes a faite de la manière dont est gouverné l’Etat que l’Eglise, ou le Saint Pere, possède en Italie ? Trouverez-vous encore qu’il ait eu si grand tort de dire, comme il a fait, que
Zitat/Motto► Ces beaux lieux du Pape bénis
Semblent habitez par les Diables,
Et leurs habitants misérables
Sont damnez dans le Paradis *1 ◀Zitat/Motto
Vous venez de voir, Monsieur, un échan-[51]tillon de la Luxure & de la Vengeance des Moines ; dans l’Histoire suivante vous verrez d’une part, à quel point ceux de ce païs-là portent le libertinage & la scélératesse, & de l’autre, combien le Tribunal du S. Office, qui est si rigoureux & si injuste pour les Séculiers qui ont le malheur de tomber entre ses mains, est indulgent pour les plus grands Criminels, lorsqu’ils ont le bonheur d’être revetus du Froc Monacal. En voici la preuve.
Allgemeine Erzählung► Dans le grand Duché de Toscane, à quelques milles de . . . . *2 , est une Bourgade, appellée Sarono, dans laquelle des Augustins ont un petit Couvent de leur Ordre. Ces petits Monasteres de Vilage, en Italie, comme partout ailleurs, sont ordinairement, pour les Moines, des Maisons de plaisir, & quelquefois même de débauche. Comme ils y sont en petit nombre, sous le risible prétexte que, par cette raison, ils ne peuvent pas y pratiquer leur Régle dans toute son étendue, ils n’en observent que ce qui leur paroit absolument indispensable. Une Messe Conventuelle, ditte à la hâte, & que chacun d’eux célebre à son tour, est ordinairement le seul exercice de piété qu’on leur voit pratiquer dans ces petits Couvents. Les autres devoirs Monastiques, tels que le jeune, la retraite, la priere, la célébration de l’Office Divin (si l’on en excepte les jours de Dimanche & de Festes, pour ce dernier article) y sont totalement inconnus. La récitation même du Breviaire, en particulier, y est souvent renvoyée dans ce que les Moines appellent par raillerie le Grenier du Pape, c’est-à-dire, que souvent ils ne se donnent pas la peine de le réciter. Le moyen, en effet, de résis-[52]ter à une si terrible fatigue ! A ces devoirs, que nous regardons, nous autres gens du monde, comme essentiels dans des personnes qui se sont particulierement consacrées à Dieu & à la Religion, on a substitué, dans ces retraites champêtres, la chasse, la pêche, le jeu, la bonne chere, les parties de plaisir, les voyages, les visites, la fréquentation du Sexe, en un mot tout ce que nous appellons, par ironie, une vraie vie de Moines. J’ajoute encore que ces petits Couvents sont ordinairement fort recherchez par les Religieux qui ont du goût pour l’Epicureïsme, je veux dire, cette vie douce & voluptueuse dans la quelle les sens trouvent tout ce qui peut les satisfaire.
Fremdportrait► Du nombre de ces heureux Mortels étoit un Augustin, nommé le R. P. Felici, Siennois de nation, & vrai Libertin de profession. Né de parents sans biens, & devenu orphelin dès sa plus tendre enfance, il fut élévé par deux vieilles Dévotes de ses parentes qui lui firent faire ses études, lorsqu’il fut en âge, dans la vue de le consacrer à Dieu, comme elles s’étoient elles mêmes dévouées à son service. Elles n’épargnerent pour cela ni soins, ni dépenses ; Heureuses s’il en avoit mieux profité ! Mais le penchant qu’il eut toujours pour le plaisir, fortifié par l’indulgence excessive qu’avoient pour lui ces bonnes filles, qui l’aimoient aussi tendrement que s’il eut été leur fils, l’entrainoit dès-lors dans le vice. Croyant l’en garantir, elles l’engagerent de bonne heure à embrasser l’Etat Monastique qu’elles regardoient comme un Port assuré contre les tentations qu’il auroit à essuyer dans le monde s’il y demeuroit.
Felici, à qui ses parents n’avoient laissé aucun bien pour y subsister, sentit bien qu’il n’y avoit pour lui d’autre parti à prendre, que celui que lui proposoient les deux vieilles [53] Dévotes. Aussi n’eut-il aucune peine à s’y résoudre. Il ne fut question que de choisir l’Ordre dans lequel il s’enrôleroit. Le plus doux, c’est-à-dire, celui dans lequel on vit le plus à son aise, lui parut le meilleur. Grace au relachement des Relgieux d’aujourdhui, l’on n’est guére embarrassé sur le choix. Le jeune Felici crut qu’il trouveroit dans celui des Augustins ce qu’il cherchoit. Il semble en effet que les Moines de cet Ordre ayent pris pour leur Regle la premiere partie de la vie de leur Patriarche, telle qu’il nous l’a lui-même représentée dans les premiers Livres de ses Confessions. Felici, y ayant été reçu, conserva pendant les premieres années un reste de ce Vernis d’hypocrisie que les jeunes Moines prennent dans leur Noviciat, mais qui n’est pas de longue durée.
Devenu Prêtre, il jouit des Priviléges attachez à ce grade dans l’état Monastique. Le Confessionnal le mit au fit de bien des sotises, & le dévot Sexe, à la direction du quel il donna une application particuliere, lui fit trouver, dans cette séduisante moitié de nous-mêmes, des charmes qu’il n’y avoit pas encore connus. Le fruit qu’il retira de ce dévot travail fut un amour des ordonné <sic> pour cet aimable Sexe, amour qui causa bientôt du scandale, ce qui n’est rien moins qu’extraordinaire parmi les Moines. Pour l’étouffer, & en prevenir les suites, on fit disparoitre le P. Felici qui fut envoyé par ses Superieurs dans le petit Couvent de Sarone. On ne pouvoit lui donner de pénitence plus agréable. Dans cette retraite champêtre il goûta, comme ses Confreres, les plaisirs pour lesquels il s’étoit toujours senti beaucoup de penchant. Un seul lui manquoit. C’étoit celui pour lequel il avoit été relegué à Sarono. La crainte qu’il eut d’être transféré de cette charmante retraite dans une autre qui n’auroit pas eu pour lui les mêmes agréments le rendit plus circonspect qu’il ne l’avoit été. Pour ne donner à ses confreres ni scandale, ni ombrage, ni jalousie, dans quelques voyages qu’il fit dans les Villes & Bourgades voisines, il chercha ce qui lui manquoit, & il l’eut bientôt trouvé, rien n’étant moins rare dans le monde que cette sorte de marchandise.
Le P. Felici se livra alors tout entier au penchant qu’il avoit à l’Amour. Par malheur pour lui, l’objet de sa passion étoit une de ces femmes qui n’aiment pas gratuitement, quoiqu’elles ne mettent pas absolument leurs faveurs à prix d’argent. Celle-ci, après avoir attiré le Moine dans ses filets, lui fit sentir, quelque [54] tems après, que le commerce qu’ils avoient ensemble ne seroit pas de longue durée, s’il n’avoit que des soupirs à lui donner. Felici, qui n’entendit que trop ce qu’elle vouloit lui dire, & qui en étoit éperdument amoureux, fut au désespoir de se voir à la veille de perdre l’idole de son cœur. La crainte qu’il eut de tomber dans ce malheur, l’entraina dans un autre bien plus affreux, & lui fit commettre le plus enorme de tous les crimes.
Je vous ai dit, Monsieur, que ce Moine avoit été élevé par deux vieilles Dévotes aux quelles il étoit redevable de tout ce qu’il étoit. Tant qu’il ne s’étoit point plongé dans le libertinage, il avoit été fort reconnoissant de ce bienfait. Il leur en avoit témoigné sa gratitude par des visites qu’il leur rendoit de tems en tems, & dans lesquelles elles lui faisoient tout l’accueil imaginable. Pour avoir moins de communication avec le monde, dont la fréquentation n’est pas toujours des plus utiles au Salut, ces deux bonnes filles s’étoient rétirées dans une campagne qui étoit à dix-huit milles de Sarono, où elles vivoient tranquillement & dans une grande piété. Comme elles y faisoient très peu de dépense, quoiqu’elles jouissent d’un bien fort honnête, le Moine amoureux en conclut qu’elles devoient avoir beaucoup d’argent. Cette idée, jointe à la conduite de sa Maitresse qui affectoit du refroidissement pour lui, par les raisons que je viens de dire, lui fit former le plus horrible projet qui soit peut-être jamais entré dans le cœur humain. Ce fut d’aller égorger & voler ces deux bonnes vieilles filles qui n’avoient presque plus qu’un soufle de vie. En effet, l’une étoit agée de quatre vingt onze, & l’autre de quatre vingt treize ans.
Plein de son abominable projet, le Moine Felici part, une aprèsdinée, de Sarono, pour aller l’exécuter. Il arrive, dans ce dessein, sur les dix heures du soir, dans le Village où demeuroient ces bonnes filles qui étoient prêtes à se coucher, & qui lui firent l’accueil ordinaire. Comme il étoit extrêmement échaufé, & paroissoit très fatigué, elles lui offrirent des rafraichissements ; & pour cet effet la moins agée des deux alla elle-même à la Cave lui tirer du Vin. Ce malheureux Moine saisit ce moment, & prenant un couteau qui étoit sur la table, sous prétexte d’aller au Buffet couper quelque chose pour manger, il vient par derriere la Vieille qui étoit restée avec lui, la prend par la tête comme pour l’embrasser, & lui coupe la gorge, d’un seul coup, sans qu’elle eût le tems de le sentir, [55] ni même de s’en apercevoir. Cette premiere expedition faite, il descend aussi-tôt à la Cave où l’autre vieille étoit occupée à lui tirer du Vin. Après lui en avoir fait autant, il remonte, se saisit des clefs, prend tout l’argent qu’il trouve dans la maison, mange un morceau à la hâte, laisse là les deux vieilles sans vie & noyées dans leur sang, fort du logis, en referme la porte, s’en retourne, & va trouver sa malheureuse Maitresse qu’il ne quitte point tant que dure l’argent qui vient de lui couter le plus grand des crimes.
Le lendemain, la Païsanne qui venoit faire leur petit ménage, etonnée de n’avoir point vu les deux vieilles Dévotes à la Messe de leur Pasteur, à laquelle elles assistoient tous les jours, le fut encore bien plus quand on ne les vit point paroitre de toute la journée, ni le jour suivant. On s’informe ce qu’elles pouvoient être devenues ; & comme on n’en entend aucune nouvelle, on enfonce leur porte. Le premier objet qui se presenta fut la plus âgée qu’on trouva egorgée sur sa chaise. Comme sa sœur ne se trouvoit point dans la maison on s’imagina d’abord, que ce pouvoit être elle qui avoit commis le crime. Mais un des Païsans, s’étant avisé de descendre dans la Cave, la trouva noyée dans son sang & dans le vin qui n’avoit point cessé de couler jusqu’à ce que le tonneau, où elle en tiroit lorsque le malheureux P. Felici l’egorgea, fut entierement vuide.
On chercha long tems qui pouvoit être l’Auteur de ce double meurtre, sans qu’on put sçavoir à qui l’attribuer. Enfin, à force de recherches & de perquisitions, un jeune enfant du Vilage, en ayant entendu parler, dit qu’il avoit vu, un soir, le P. Felici entrer chez ses parentes. Sur cet indice, le Juge du lieu fit informer secrettement si ce Religieux s’étoit absenté ce jour-là de son Couvent. Il apprit que non seulement le fait étoit vrai, mais encore qu’il n’y avoit point reparu depuis ce tems. Non content de cette première découverte, il le fit chercher partout, découvrit enfin le lieu de sa retraite. Il en fit aussi-tôt avertir le Magistrat, qui envoya sur le champ saisir le Luxurieux Moine qu’on trouva dans les bras de sa Maitresse.
Dès que le Supérieur de Sarono fut informé de ce qui venoit d’arriver, il en écrivit à son Provincial qui pria aussi-tôt l’inquisiteur de réclamer son Religieux, en vertu des Priviléges Ecclésiastiques, & de le tirer, à quelque prix que ce fût, des mains de la Justice Séculiére. Celle-ci fit quelque difficulté de le rendre, & ne le lâcha qu’après avoir tiré de l’inquisi-[65]teur une promesse solemnelle qu’il en feroit lui même justice.
Peut-être allez-vous vous imaginer, Monsieur, que le gibet, la roue, le feu, & les supplices les plus cruels vont être mis en usage pour la punition d’un crime aussi enorme que celui du P. Felici. Il est vrai que l’Inquisition n’auroit pu en trouver d’assez rigoureux si le Criminel avoit été quelque Ecclesiastique Séculier ; Mais la Sainte Mandille a des Priviléges qu’elle sçait bien faire valoir dans l’occasion, comme on l’a vu dans celle-ci. En effet, tout ce qu’on a fait soufrir à ce malheureux Moine, après avoir long tems, & inutilement, cherché les moyens de le justifier, est que la très-Sainte Inquisition l’a condamné à servir, pendant trois ans, en qualité de Forçat, sur les Galeres du Grand Duc à Livourne où il a été conduit. ◀Fremdportrait ◀Allgemeine Erzählung Ne voilà-t-il pas, Monsieur, une punition bien proportionnée à l’énormité du crime ? Belle matiere à réflexions ! Je vous les laisse faire, & suis très sincérement, &c.
Paris ce 30 Août 1750. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2
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Jeudi ce 3. Septembre 1750.
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