Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 6.", in: La Bigarure, Vol.5\006 (1750), S. 41-48, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4681 [aufgerufen am: ].
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N°. 6.
Ebene 2► Brief/Leserbrief► De tous les Animaux que Dieu a mis sur la Terre il n’y en a point de plus féroce, ni de plus furieux, que l’Homme lorsqu’ils est animé par l’Amour & par la Jalousie. Ces deux Passions excitent, en effet, en lui des transports qui le rendent capable des plus grands excès, & des crimes les plus enormes. Aussi les Annales de Cythere ne sont-elles presque remplies que des malheurs qu’elles ont occasionné dans le monde. Mais si ces excès sont inexcusables dans les hommes ordinaires, combien ne doivent-ils pas paroitre monstrueux dans les personnes qui se sont particulierement consacrées à Dieu par une profession publique, & qui, par cette raison, doivent être des modelles de vertu ? Peut-être me direz vous ici, Monsieur, que ces dernieres en sont incapables. Lisez ce qui suit ; & vous verrez ce qui en est. Cette Nouvelle me vient de l’Etat de l’Eglise, païs où les hommes devroient être meilleurs qu’ailleurs si la sainteté & la vertu avoient un domicile fixe & particulier sur la Terre.
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[42] Lettre
Ecrite d’Italie (a)1 le 15. Août 1750.
Monsieur,
« Nous venons de perdre, dans ces quartiers, un très digne Pasteur dont la mort a enfin terminé les malheurs & le long suplice. Victime de son devoir & de la vengeance Monastique, il a souffert, pendant vingt ans, un Martire qui a dû lui être d’autant plus méritoire, aux yeux de Dieu, que jamais homme ne merita moins le traitement indigne qu’il a essuyé pendant tout ce temps, & qui n’a fini qu’avec sa vie. Voici ce qui le lui avoit attiré.
Allgemeine Erzählung► En 1729, un Frere Mineur (b)2 nommé Frere Bonaventure, Sacristain du Couvent que les Religieux de cet Ordre ont dans le Bourg de Monte dell’Olmo, qui n’est qu’à quelques milles d’ici, entretenoit un commerce criminel avec une très jolie fille dont il avoit séduit l’innocente jeunesse. Il y avoit déja plus d’un [43] an que cette galanterie duroit, lorsque l’élection du feu Pape Clement XII. qui succeda en 1730. à Benoit XIII. occasionna, selon l’usage, un Jubilé dans toute la Chrétienté.
Je ne sçai, Monsieur, si toutes les autres Nations Catholiques ont beaucoup de foi à cet article de notre croyance ; mais je ne crois pas que vous ignoriez que nos Italiens, & sur-tout ceux qui habitent dans les Etats du Pape, regardent cette grace, que S. S. leur fait à son avénement au Trône de S. Pierre, comme une des plus grandes faveurs qu’ils puissent recevoir du Ciel. Aussi n’y a-t-il rien qu’ils ne fassent pour la mériter. Prieres, Jeunes, Stations, Pellerinages, Aumônes, Confessions, Communions, &c ; tout est mis ici en œuvre pour mériter la bienheureuse Indulgence du Très Saint Pere.
La jeune Maitresse du Frere Sacristain, quoique accoutumée aux Sacriléges par son Galant, ne put résister au bon exemple que tout le monde lui donnoit en cette rencontre. Elle voulut absolument gagner le Jubilé. Il faloit pour cela aller à confesse. Elle y alla, & quoique le péché de la chair soit peut-être le seul article sur l’aveu du quel le Sexe a de la discrétion, quoiqu’elle eût caché jusqu’alors à son Pasteur, auquel elle se confessoit, le commerce criminel qu’elle avoit avec le Frere Bonaventure, elle ne put s’étourdir plus long-tems sur les reproches que sa Conscience lui faisoit à ce sujet. Elle fit donc la Confession de son crime au digne Ecclésiastique qui, après lui en avoir inspiré toute l’horreur qu’elle en devoit avoir, & l’avoir exhortée à la repentance, ne lui en promit l’absolution que lorsqu’elle auroit entierement rompu tout commerce avec [44] le Moine par qui elle s’étoit laissé séduire.
Il est des Consciences timorées que la Religion & l’amour de la Vertu ramenent bientôt dans le bon chemin dont elles ont eu le malheur de s’écarter. Telle etoit celle de la jeune fille. Les tendres & patétiques exhortations de son Pasteur lui firent verser un torrent de larmes sur ses égarements passez, & prendre la résolution de renoncer à son péché. Elle le fit, & congedia effectiveemnt le Moine qui ne fut pas peu étonné de ce changemens inopiné. Tout autre auroit profité de cet exemple édifiant ; mais on peut dire, à la confusion du Clergé, tant Régulier que Séculier (& l’Expérience ne le prouve que trop tous les jours) que ceux d’entr’eux qui donnent dans le libertinage ne sont susceptibles ni de scrupules, ni de remords ; ou que s’ils en ressentent quelque fois, ils les étouffent presque toujours dans leur naissance. La corruption du cœur du Frere Bonaventure alloit encore plus loin. Après avoir inutilement tenté de renouer avec sa Belle, n’ayant pu en venir à bout, il résolut de se venger, d’une manière terrible, du Pasteur qu’il soupçonna être l’Auteur de sa disgrace.
Pour mieux réussir dans sa vengeance, il dissimula son ressentiment, & pour le satisfaire, il eut recours à une de ces Créatures d’une vertu médiocre, dont on ne manque nulle part, & qui, pour de l’argent, sont toujours prêtes à tout faire. Le Moine s’étant donc concerté avec cette malheureuse, ils convinrent ensemble que, moyennant une somme assez considérable, elle lui joueroit le tour suivant. Cette fille, prenant un extérieur modeste & un air dévot, sous prétexte de vouloir gagner [45] le Jubilé comme les autres, vint se confesser à ce même Pasteur au quel elle se présenta au milieu d’une foule de peuple qui attendoit autour de lui que leur tour vint pour en faire autant. Là cette scélérate s’accuse, ou feint de s’accuser de ses péchez. Mais au moment qu’on s’y attendoit le moins, elle se leve tout en colere, & fort brusquement du Confessionnal, contrefaisant l’effrayée comme le pouroit être une Vestale, des plus chastes, qu’un Libertin des plus effrontez solliciteroit au crime. Elle accusa en effet le Pasteur, à qui elle venoit de se confesser, de vouloir attenter à son honneur, & de lui avoir fait, dans le Tribunal Sacré de la Penitence, les propositions les plus infames.
Dans toutes les affaires qui ont le moindre raport avec la Religion, le peuple de ce Païs-ci entend encore moins raison qu’ailleurs ; je veux dire, qu’il ne l’entend point du tout, & ne veut pas même l’entendre. Toujours crédule, & toujours prêt à prendre feu pour les moindres bagatelles qu’il regarde comme sacrées, il ne consulte plus alors que sa superstition & son ressentiment, qui en est toujours la suite. Quoique la conduite du Pasteur fût irreprochable sur cet article, & qu’il fût d’ailleurs d’un âge qui met ordinairement les hommes à couvert de ces sortes d’accusations, les assistants, persuadez par les cris redoublez de cette malheureuse qui l’accusoit toujours de l’avoir sollicitée au crime dans la Confession, commencerent à murmurer contre ce prétendu Sacrilége. Leurs plaintes & leurs murmures augmentent à mesure que cette créature continue son infame jeu. Enfin le scandale & la rumeur sont poussez si loin, que le Vicaire de [46] l’Inquisition, ayant été informé, par le Sacristain, de ce qui se passoit, envoya saisir le Pasteur qu’il fit partir, quelques jours après, pour Fermo où il fut mis dans les prisons que le S. Office a dans cette Ville Archi-episcopale de la Marche d’Ancone. Il est bon que vous sachiez, Monsieur, que ce Vicaire que l’Inquisition entretient à Monte-dell’-Olmo, est toujours un Religieux du Couvent que les Freres Mineurs ont dans ce Bourg. J’ajouterai encore ici qu’on a apris depuis, que ce Vénérable Père Vicaire partageoit avec le Frere Bonaventure les faveurs de la jeune innocente dont je vous ai parlé ci-dessus, & qu’ils avoient tous deux seduite.
On peut juger, par ces deux circonstances, si le Pasteur, qui avoit arraché cette tendre brebis de la gueule de ces deux Loups, qui l’auroient peut-être ensuite prostituée à tout le Monastere, pouvoit échapper à la vengeance de ces deux Héros en Luxure. Pour mieux s’assurer de leur victime, le Vicaire, après avoir reçu les dépositions de son accusatrice, & celles des témoins du scandale arrivé dans l’Eglise, bâtit sur ces fondements une procédure criminelle qu’il envoya, avec le prisonnier, à l’Inquisiteur de Fermo.
Tout le monde sçait, & vous ne l’ignorez pas sans doute, Monsieur, que dans le Tribunal du S. Office, pour peu que les accusations ayent la moindre lueur de vraisemblance, elles y sont aussi-tôt regardées comme de véritables preuves. Vous sçavez d’ailleurs qu’il n’est pas permis à qui-que-ce-soit de s’interesser en la moindre chose pour l’accusé, fût il l’innocence même. Le Pasteur, ainsi accusé publiquement, dans une Eglise, dans une des [47] plus saintes fonctions de son Ministere, en présence de plusieurs centaines de personnes qui avoient toutes été témoins du scandale, ayant de plus été transferé à vint cinq milles de-là, dans une Ville où il n’avoit peut-être ni amis, ni connoissances, se vit abandonné du monde entier, & livré à toutes les horreurs qui sont ordinaires dans toutes les prisons du S. Office. Il les suporta pendant deux ans avec une patience vraiment Angelique, se flatant que Dieu, qui abandonne rarement dans ce monde l’innocence à la méchanceté des hommes, les feroit enfin cesser.
Il avoit tout lieu de l’esperer ; & la chose seroit infailliblement arrivée si ses Juges avoient eu tant soit peu d’amour pour la Justice & pour l’Humanité. En effet, pendant qu’il languissoit ainsi dans la prison, Dieu frapa la malheureuse Créature, qui avoit été le premier instrument de sa perte, d’une maladie qui la conduisit aux portes du tombeau. La vue & la frayeur de la Mort lui dessillerent alors les yeux. Elle regarda le peril où elle se trouvoit comme un châtiment du crime qu’elle avoit commis en opprimant l’innocent. Pour tâcher d’appaiser la colere de Dieu dont elle sentit que le bras s’apesantissoit sur elle, & réparer le mal qu’elle avoit fait, elle fit apeller ses Parents, deux Pasteurs du Voisinage, & un Notaire Apostolique. Alors elle dévoila, en leur presence, toute la détestable intrigue dans laquelle on l’avoit engagée, & dont elle reconnoissoit que Dieu la punissoit par une mort prématurée dont elle sentoit les aproches. Elle déclara qu’elle lui en demandoit sincérement pardon, & protesta, devant lui, & devant tous les assistants, que le Pasteur de Mon-[48]te-dell’-Olmo étoit absolument innocent des choses dont elle l’avoit accusé à la sollicitation du R. P. Vicaire, & du Sacristain du Couvent des Freres Mineurs. Elle ajouta que la somme d’argent qu’ils lui avoient donnée pour cela lui avoit fait commettre ce crime ; que, pour l’expier, elle faisoit présent aux pauvres de la Paroisse de Monte-dell’-Olmo, de tout ce qu’elle possedoit dans le monde, & les suplioit, en reconnoissance, de prier Dieu pour le salut & le repos de son ame. A peine eut-elle fait cette déclaration authentique, & recommandé qu’on l’envoyat promtement au S. Office de Fermo, qu’elle mourut, dans les sentiments de la plus vive & la plus sincere répentance.
Il n’y a personne, Monsieur, qui, après avoir lu ceci, ne se persuade qu’il va voir le Curé de Monte-dell’-Olmo sortir triomphant des prisons du S. Office, & que ce digne Pasteur va être rendu à son Troupeua. La chose seroit effectivement arrivée dans tous les Tribunaux du monde, dans ceux même où l’on ne se pique pas le plus de bien administrer la Justice. Mais il n’en va pas tout-à-fait de même dans celui de la Très Sainte Inquisition. Une des Maximes fondamentales de ce redoutable Tribunal est, que tous ceux qui tombent entre ses mains, fussent-ils l’innocence même, doivent toujours être coupables de quelque crime, plus ou moins grand, & conséquemment qu’ils n’en doivent point sortir sans subir quelque punition, ne fût-ce que la perte de leurs biens & de leur honneur. ◀Allgemeine Erzählung ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2
(La suite dans le No. suivant)
Jeudi 3 Septembre 1750.
◀Ebene 1
1(a) On a suprimé, à dessein, le lieu particulier de la datte de cette Lettre, parceque, venant d’un païs d’Inquisition, elle auroit pu compromettre avec ce redoutable Tribunal la personne qui l’a écrite. C’est ce qu’on aura toujours grand soin d’eviter, comme on l’a promis, à toutes les personnes qui voudront bien faire le plaisir au Libraire qui imprime cette feuille de lui communiquer leurs Avantures, & celles de leurs amis & connoissances, &c. Elles peuvent être dans une parfaite sécurité sur l’article du secret & de la discretion. Note de l’Editeur.
2(b) C’est l’ancien nom que portoient autrefois les Religieux de S.François avant que leur Ordre se fut partagé dans les quatre branches qui portent aujourdhui quatre noms differents. Ceux dont il est ici question se nomment Conventuels.