Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 5.", in: La Bigarure, Vol.5\005 (1750), S. 33-40, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4680 [aufgerufen am: ].


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N°. 5.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Je me suis quelquefois plaint, Monsieur, de l’état de langueur dans lequel notre République des Lettres se trouvoit depuis un tems. J’en ressentois un vrai chagrin pour les Amateurs des Sciences & des bons Livres ; Mais je me suis toujours flatté, au milieu de notre disette, qu’àprès tant de Romans, & d’autres Productions Littéraires qui ne sont guéres plus solides, elle nous régaleroit enfin de quelque bon ouvrage, qui seroit véritablement digne d’elle. Graces aux soins, aux travaux, & aux lumieres de Messieurs De Buffon & Daubenton, mon esperance n’a point été trompée. Ces deux sçavants hommes, tous deux Membres des premieres & principales Académies de l’Europe, & tous les deux employez par le Roi à l’étude des Sciences qui ont la Nature pour objet, après s’y être long-tems appliquez avec succès, viennent de nous faire part du fruit de leurs travaux par la publication d’un excellent ouvrage vraiment digne d’eux, & du grand Ministre par l’ordre du quel ils l’ont entrepris *1 .

[34] C’est, Monsieur, celui que, je vous ai annoncé il y a quelque tems, & dont je vous marquois que M. de Hondt, Libraire à la Haye, nous préparoit une nouvelle Edition. Il a pour titre : Histoire naturelle, générale & particulière, avec la Description du Cabinet du Roi, Tome I. II. & III. Ornés de figures gravées par J. Vander Schley, Eleve distingué du célebre Picard le Romain.

Avant que de donner à ce Livre, & à ses Auteurs, les éloges qui leur sont dus, vous ne trouverez pas mauvais, Monsieur, que je vous en expose ici le plan, & vous en donne une idée. Par-là mes louanges vous seront moins suspectes, puisque cet extrait vous mettra à portée de juger vous même s’ils les méritent.

Ebene 3► Le premier Tome commence par un Discours sur la manière d’étudier & de traiter l’Histoire Naturelle. On y donne des régles pour bien conduire son esprit dans l’étude de cette Science. On explique ce que c’est que ces Méthodes ; s’il y en a de générales ; s’il peut y en avoir de particulieres. On compare ensuite les différentes Méthodes qu’ont suivi divers Auteurs, & on en fait voir les erreurs, tant de principe, que de détail. L’Auteur expose ensuite celle qu’on a suivie dans cet Ouvrage. Il rapporte les raisons qu’il a eu de la préférer aux autres, & il finit par des reflexions sur la Méthaphysique des Sciences, & sur la maniere de se conduire dans la recherche de la Verité.

Ce premier Discours est suivi d’un second, dans lequel l’Auteur entre en matière. Il a pour titre Histoire & Théorie de la Terre. C’est la Clef de l’Histoire Naturelle Générale. Il faut en effet prendre des idées des Opérations de la Nature en grand avant que de l’examiner en petit dans ses productions. Il faut connoitre le Globe Terres-[35]tre, tant à l’extérieur qu’à l’interieur, soit pour la forme de ses parties, soit pour l’arrangement des matieres qui le composent. Sans le secours de ces connoissances on ne peut se former aucun Systême Général sur l’Histoire Naturelle.

Apres un exposé succinct, mais pompeux, de ce que l’extérieur du Globe Terrestre offre de plus frappant à nos yeux, le savant Auteur, pour établir un sistême sur sa formation, ouvre en quelque façon le sein de la Terre, & en examine la contexture intérieure. Entrant dans un plus grand détail, dit Mr. de Buffon, je vois que la premiere couche qui envelope le Globe est partout d’une même substance qui sert à faire croitre & à nourrir les Vegetaux & les Animaux, & qui n’est elle même qu’un composé de parties Animales & Végétales détruites, ou plutôt reduites en petites parties dans lesquelles l’ancienne organization n’est pas sensible. Pénétrant plus avant je trouve la vraie terre. Je vois des couches de sable, de pierres à chaux, d’argille, de coquillages, de marbre, de gravier, de plâtre, &c ; & je remarque que ces couches sont toujours posées parallellement les unes sur les autres, & que chaque couche a la même épaisseur dans toute son étendue. Je vois que, dans les collines voisines, les mêmes matières se trouvent au même niveau, quoique les collines soient séparées par des intervalles profonds & considérables. J’observe que dans tous les lits de Terre, & même dans les couches les plus solides, comme dans les rochers, dans les carrieres de marbre & de pierre, il y a des fentes perpendiculaires à l’horison, & que dans les plus grandes, comme dans les plus petites profondeurs, c’est une espece de régle que la Nature suit constamment. Je vois de plus, que dans l’intérieur de la Terre, sur la cime des monta-[36]gnes, & dans les lieux les plus éloignez de la mer, on trouve des bancs de coquilles dont la longueur & la largeur s’étendent à plus de vingt & trente lieues, des squelettes de poissons de mer, des plantes marines, &c. qui sont entierement semblables aux coquilles, aux poissons, aux plantes actuellement vivantes dans la mer, & qui en effet sont absolument les mêmes. Je remarque que, de ces Coquilles, il y en a une quantité prodigieuse de pétrifiées, qu’on en trouve dans une infinité d’endroits, qu’elles sont renfermées dans l’intérieur des rochers, & des autres masses de marbre & de pierre dure, aussi bien que dans les crayes, & dans les terres, & que non seulement elles sont enfermées dans ces matières, mais encore qu’elles y sont incorporées, pétrifiées, & remplies de la substance même qui les environne ; enfin je me trouve convaincu, par des observations réïtérées, que les Marbres, les Pierres, les Crayes, les Marnes, les Argiles, les Sables, & presque toutes les matieres terrestres sont remplies de Coquilles & d’autres débris de la mer, & cela par toute la Terre, & dans tous les lieux où l’on a pû faire des observations exactes.

De toutes ces observations, Mr. De Buffon tire les conséquences suivantes, & raisonne ainsi. Les chargements, dit-il, qui sont arrivés au Globe Terrestre depuis deux, & même trois mille ans, sont fort peu considérables en comparaison des révolutions qui ont dû se faire dans les premiers tems après sa création : Car il est aisé de démontrer que, comme toutes les matieres terrestres n’ont acquis de la solidité que par l’action continuée de la gravité, & des autres forces qui raprochent & réunissent les particules de la matière, la surface de la Terre devoit être, au com-[37]mencement, beaucoup moins solide, qu’elle ne l’est devenue par la suite ; & que par conséquent les mêmes causes, qui ne produisent aujourdhui que des changements presque insensibles dans l’espace de plusieurs siécles, devoient causer alors de très grandes révolutions dans un petit nombre d’années. En effet il paroit que la partie de la Terre, qui est actuellement seche & habitée, a été autrefois sous les eaux de la mer, & que ces eaux étoient supérieures aux sommets des plus hautes montagnes, puisqu’on y trouve des productions marines, & des coquilles qui, comparées avec les coquillages vivants, sont précisément les mêmes. Il paroit aussi que les eaux de la mer ont séjourné quelque tems sur cette Terre, puisqu’on trouve, en plusieurs endroits, des Bancs de Coquilles si prodigieux, & si étendus, qu’il n’est pas possible qu’une aussi grande multitude d’animaux ait été vivante tout à la fois & en même tems. Cela semble prouver aussi que, quoique les matières qui composent la surface de la Terre fussent alors dans un état de molesse qui les rendoit susceptibles d’être aisément divisées, remuées, & transportées par les eaux, ces mouvements ne se sont pas faits tout à coup, mais successivement & par degrez ; & comme on trouve quelquefois des productions de la mer à mille & 1200 pieds de profondeur, il paroit que cette épaisseur de terre, ou de pierre, étant si considérable, il a falu des années pour la produire ; Car quand on voudroit supposer que, dans le Déluge Universel, tous ces coquillages auroient été enlevés du fond des mers, & transportez sur toutes les parties de la Terre, outre que cette supposition seroit difficile à établir, il est clair que, comme on trouve ces coquilles pétrifiees <sic> & incorporées dans les marbres & dans les rochers des plus hautes montagnes, il faudroit donc supposer que ces marbres & ces rochers auroient tous été formez en même tems & précisement dans l’instant du Déluge, & qu’avant cette grande révolution il n’y avoit sur la Terre, ni montagnes, ni marbres, ni rochers, ni craye, ni aucune autre matiere semblable à celles que nous connoissons, qui presque toutes contiennent des coquilles, & d’autres débris des productions de la mer. D’ailleurs, la surface de la Terre devoit avoir acquis, au tems du Déluge, un degré considérable de solidité, puisque la gravité avoit agi sur les matieres qui la composent pendant plus de seize siécles, & par conséquent il ne paroit pas possible que les eaux du Dé-[38]luge ayent pu bouleverser les terres à la surface du Globe jusqu’à d’aussi grandes profondeurs, dans le peu de tems que dura l’inondation universelle.

On ne peut donc douter que les eaux de la mer n’ayent séjourné sur la surface de la Terre que nous habitons, que par conséquent cette même surface de notre Continent n’ait été pendant quelque tems le fond d’une mer dans laquelle tout se passoit comme tout se passe actuellement dans la mer d’aujourd’hui. D’ailleurs les differentes couches des matières qui composent la Terre, étant posées parallellement & de niveau, il est clair que cet arrangement est l’ouvrage des eaux qui ont amassé & accumulé peu à peu ces matières, & leur ont donné la même situation que l’eau prend toujours elle même, c’est-à-dire, cette situation horizontale que nous observons presque partout ; car dans les plaines les couches sont exactement horizontales. Il n’y a que dans les montagnes où elles soient inclinées, comme ayant été formées par des sédiments déposés sur une base inclinée, c’est-à-dire, sur un terrain penchant. Or je dis que ces couches ont été formées peu-à-peu, & non pas tout d’un coup, par quelque révolution que ce soit, parce que nous trouvons souvent des couches de matiere plus pesante, posées sur des couches de matière beaucoup plus légére, ce qui ne pouroit être si, comme le veulent quelques Auteurs, toutes ces matières avoient été dissoutes & mêlées en même tems dans cet élément, parce qu’alors elles auroient pris un tout autre arrangement que celui qu’elles ont. Les matieres les plus pesantes seroient descendues les prémieres, & au plus bas ; & chacune se seroit arrangée, selon sa gravité spécifique, dans un ordre relatif à leur pesanteur particuliere ; & nous ne trouverions pas des rochers massifs sur des arenes légéres, non plus que des charbons de terre sous des argiles, des glaises sous des marbres, & des métaux sur des fables.

De ces raisonnements & ces observations, M. de Buffon conclut que toutes les parties du Globe Terrestre qui se trouvent aujourdhui au dessus des eaux de la mer, non seulement en ont été couvertes autrefois, mais il pretend que ce sont encore ces mêmes eaux dont le flux & reflux, & les agitations violentes ont donné aux matieres qui en composent l’interieur, l’arrangement que nous voyons qu’elles ont, & qui ont produit les rochers, les montagnes, les vallées, en un mot toutes les inégalitez que l’on voit sur la surface extérieure de la Terre. C’est ce qu’il explique fort au [39] long dans la suite de ce second Discours.

Mais comme ce n’est pas assez que d’imaginer & de hazarder des Systêmes, & qu’ils ne trouvent aujourd’hui de créance, qu’autant qu’ils sont apuyez sur des observations & sur des faits incontestables, le sçavant Auteur donne ensuite les preuves de la Théorie du sien. Ces preuves sont distribuées en dix neuf Articles qui font comme autant de petits Traitez séparez, autant de morceaux d’Histoire détaillés, autant de suites de faits particuliers qui servent à prouver les faits généraux de l’Histoire de la Terre.

De ces divers petits Traitez, qui sont tous plus curieux & plus savants les uns que les autres, Mr. De Buffon tire les consequences suivantes, qui paroissent toutes fort naturelles ; sçavoir, que les Continentes Terrestres ont été autrefois couverts par les eaux de la mer, dont le flux & reflux, & les autres mouvements détachent continuellement des côtes, & du fond de la mer même, des matières de toute espece, & des coquilles qui se déposent ensuite quelque part, & tombent au fond de l’eau comme des sédiments ; que c’est-là l’origine des couches parallelles & horizontales qu’on trouve par toute la Terre. Que les Montagnes, & autres inégalitez du Globe n’ont pas d’autre cause que celle du mouvement des eaux de la mer qui a produit, par l’amas successif & l’entassement des sediments, les motagnes & les differents lits des matieres dont elles sont composées ; que les Courants, qui ont d’abord suivi la direction de ces inégalitez, leur ont donné ensuite à toutes la figure qu’elles conservent encore aujourd’hui ; que la plus grande partie des matières que la mer a détachées de son fond & de se côtes étoient en poussière lorsqu’elles se sont précipitées en forme de sédiments, & que cette poussiere impalpable a rempli l’intérieur des coquilles lorsque ces matières se sont trouvées ou de la nature même des coquilles, ou d’une autre nature analogue ; que les couches horizontales, qui ont été produites successivement par le sediment des eaux, & qui étoient d’abord dans un état de mollesse, ont acquis de la dureté à mesure qu’elles se sont desséchées, & que ce dessechement a produit des fentes perpendiculaires qui traversent les couches horizontales ; enfin qu’il est arrivé une infinité de révolutions, de boulversements, de changements pariculiers, & d’altérations sur la surface de la Terre, tant par le mouvement naturel des eaux de la mer, que par l’action [40] des pluyes, des gelées, des eaux courantes, des vents, des feux souterrains, des tremblements de Terre, des inondations, &c. & que par conséquent la mer a pu prendre la place de la Terre, surtout dans les premiers tems après la Création, où les matières terrestres étoient beaucoup plus molles qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Après avoir exposé & établi toutes ces veritez, M. De Buffon termine son premier volume par ces réflexions qui sont très solides Zitat/Motto► « Il faut avouer, dit-il, que nous ne pouvons juger que très imparfaitement de la succession des révolutions naturelles ; que nous jugeons encore moins de la suite des accidents, des changements & des alterations ; que le défaut des monuments Historiques nous prive de la connoissance d’une quantité immense de faits qui pouroient nous instruire. D’ailleurs il nous manque de l’expérience & du tems. Nous ne faisons pas réflexion que ce tems, qui nous manque, ne manque point à la Nature. Nous voulons rapporter à l’instant de notre existence les siécles passez & les âges à venir, sans considérer que cet instant, & la vie de l’homme, étendue même autant qu’elle peut l’être par l’Histoire, n’est qu’un point dans la durée, & un seul fait dans l’Histoire des faits de Dieu. » ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Voila, Monsieur, le plan & un échantillon du premier Tome de l’Histoire Naturelle. Il faut le lire en entier pour se faire une juste idée de la profonde erudition & de l’étendue du génie de son Auteur, au travail & à la pénétration duquel il sera, après cela, impossible de refuser les justes éloges que l’un & l’autre merite. Les deux volumens suivants ne sont ni moins curieux, ni moins interressants. En attendant que je vous rende compte de ce qu’ils contiennent,

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 27 Août 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux

Qui se vendent à la Haye, chez Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R.

Memoires pour servir à l’Histoire de Brandenbourg, 12. seconde partie 1750.

Lettres de Ninon Lenclos au Marquis de Sevigné, 12. Haye 1750.

Jeudi ce 3 Septembre 1750.

◀Ebene 1

1* M. le Comte de Maurepas, ci-devant Ministre.