Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 4.", in: La Bigarure, Vol.5\004 (1750), S. 25-32, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4679 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. 4.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Il y a long-tems, Monsieur, qu’on a dit, pour la première fois, que Paris étoit le Centre & le grand Théatre de la Galanterie. Vouloir contester cette vérité, ce seroit soutenir qu’il ne fait pas jour en plein midi. Cent Avantures galantes, qu’on y voit arriver, tous les jours, démontrent que ce qu’on en dit n’est que trop vrai. Vous devez vous même en être convaincu par celles dont je vous fais part de temps en temps lorsqu’elles viennent à ma connoissance. En voici encore quelques unes qu’on vient de me raconter, & par les quelles vous connoitrez que le Sexe ne se dément point ici sur cet article. Au reste, Monsieur, ne vous imaginez pas que ce soit une chose particuliere à notre nation. La Femme est Femme partout. Partout foible, tendre, inconstante & volage, elle se laisse aller partout au penchant de son cœur ; & qui seroit exactement instruit de tout ce qui se passe à cet égard, à Rome, à Venise, à Gènes, à Londres, à Amsterdam, à Bruxelles, & dans tous les autres endroits du Monde, trouveroit que le Sexe, à peu de choses près, est partout le même. Ne concluons [26] donc de tout ceci rien qui soit particulierement au désavantage de nos Parisiennes. Elles sont Femmes ; donc elles sont, & doivent être, tendres, galantes, capricieuses, coquettes, jalouses, &c. &c. &c. &c.

Le Sexe est né volage ; en formant ces beaux corps,

La Nature prodigue épuisa ses trésors.
Mais l’homme eut éprouvé des transports trop étranges
Si le Ciel n’eut versé, par de sages meslanges,
Sous le vif incarnat, sous l’albâtre éclatant,
Le bizarre soupçon, le caprice inconstant,
Le cœur faux, & toujours prêt à changer de chaine

Quand vers un autre objet sa tendresse l’entraine.

Gardons-nous bien cependant, Monsieur, de conclure de-là, que la vertu doit être fort rare parmi les femmes. Rien de plus faux que cette conséquence. Cet aimable Sexe a eu, dans tous les tems, ses Héroïnes, comme le notre a eu ses Héros ; & s’il n’y a point de familles, parmi nous, dans lesquelles on ne voye quelques Coquettes, il n’y en a point aussi qui n’ait, ou du moins ne se flatte d’avoir une Pénélope.

Allgemeine Erzählung► Madame de S. André auroit été, sans doute, ici du nombre de ces dernieres si le sort lui eût donné un Epoux tendre, raisonnable, & surtout complaisant, comme le sont la plûpart de ceux de cette bonne Ville. Mais il lui refusa cette faveur qu’il accorde à tant d’autres. Heureusement pour elle, qu’il répara cette injustice, en lui procurant la connoissance du Marquis de . . . . . homme des plus aimables, & des plus galants. Aussi fit-il sur le cœur de la Dame une impression des plus vives. De son côté, le Marquis fut aussi frapé des charmes de la Dame, que son Epoux auroit dû l’être. Mais ces Messieurs ne connoissent pas toujours le mérite & le prix du bel objet qu’ils possedent, ou, pour par-[27]ler plus juste, la tranquille possession en efface tous les attraits à leurs yeux.

Ceux de Madame de S. André, ayant eu sur le cœur du Marquis tout l’effet qu’ils pouvoient & devoient s’en promettre, l’heureuse simpathie qu’ils sentirent l’un pour l’autre leur fit chercher les moyens de se voir souvent & sans témoins. Comme l’Amour rend ingénieuses les personnes à qui il se fait sentir, ces deux Amants ne mirent pas beaucoup de tems à les trouver. Ils liérent bientôt ensemble un commerce qui dura assez long-tems sans que Monsieur de S. André s’en apperçut. Peut-être l’auroit-il toujours ignoré sans un accident qui doit servir d’instruction aux Dames, lorsqu’elles se trouvent en pareil cas. Celle-ci avoit eu l’imprudence de garder une Lettre par laquelle le Marquis lui demandoit un rendez vous pour le soir. Cette Lettre étant malheureusement tombée de sa poche, sa femme-de-chambre la ramassa, & la remit à M. de S. André à qui elle crut qu’elle appartenoit. Elle n’auroit pas, sans doute, fait cette méprise si elle eût été instruite de ce que cette Lettre contenoit. En effet elle étoit pleine des protestations d’amour les moins équivoques. Le Mari, après l’avoir lue, la porta à sa femme à qui il reprocha son infidélité, dans les termes les plus durs.

Pendant que la bile de Monsieur de S. André s’exhaloit ainsi en invectives, son Epouse, conservant cette presence d’esprit que les femmes galantes sçavent si bien garder en certaines rencontres, lisoit ce papier aussi froidement que si elle n’eût point été du-tout interressée dans l’affaire : « Hé bien, Monsieur, lui dit-elle lorsqu’il fut las <sic> d’invectiver, avez-vous fini ? Continuez si vous avez encore quelque chose à dire ; [28] Mais faites-moi auparavant la grace de me dire ce qu’ont de commun avec moi toutes les sotises que vous venez de vomir ? Vous me présentez une Lettre sans signature, sans adresse, dans laquelle je ne suis pas même nommée. Quel rapport cela a-t-il avec moi, s’il vous plait ? On y parle d’un Mari soupçonneux, jaloux, brutal & bisare. Suis-je la seule qui aye le malheur d’en avoir un de cette espece ? Est-ce pour vous une raison de vous oublier jusqu’à me traiter comme vous venez de faire ? »

A ces solides raisons Mr. de S. André répondit par de nouveaux reproches dont le résultat fut, que dès le lendemain il fit partir son Epouse pour sa Terre, qui est fort éloignée de Paris, & où il crut que son honneur seroit à couvert des atteintes qu’il avoit déja reçues. Mais il en est du C . . age comme de tous les autres accidents de la vie, dont toute la prudence humaine ne sçauroit nous garantir lorsqu’ils doivent nous arriver. La Dame, après avoir fait route assez heureusement toute la journée, se trouva, le soir, dans un fort mauvais chemin d’où tous les efforts de ses chevaux ne purent la tirer, & dans lequel son Carosse se rompit. Restée seule avec sa femme-de-chambre dans ce bourbier, elle attendoit avec impatience du secours pour en sortir, lorsqu’elle vit passer, à quelques pas de-là, une Chaise de Poste, d’où sortit une personne qui vint leur faire offre de ses services. Quelle fut l’agréable surprise de la Dame, quand, dans ce charitable Voyageur, elle reconnut le Marquis son Amant ! Il la pria de se servir de sa Chaise, qu’elle accepta. Pour lui, ayant pris le cheval de son Valet-de-chambre, il suivit la Chaise à qui il fit prendre le chemin de la Ter-[29]re où alloit Madame de S. André. Ils y passerent ensemble, dans les plus délicieux plaisirs, tout le tems qu’ils voulurent, & rirent beaucoup de la crédule simplicité du Mari qui, croyant avoit traversé leurs amours, les avoit, au contraire, favorisez, & pour ainsi dire, mis sa femme à la discrétion de son Galant. ◀Allgemeine Erzählung

Voila, Monsieur, l’Avanture telle qu’on vient de me la raconter. Le Comte de M . . . : de qui je la tiens, grand amateur de ces sortes d’événements, qu’on appelle ici Bonnes Fortunes, nageoit dans la joye en me la racontant, comme si elle lui étoit arrivée à lui même, & approuvoit en tout la conduite du couple amoureux. Pour moi, Monsieur, qui ne suis pas tout-à-fait si fou que lui, je ne suis pas aussi tout-à-fait de son avis sur ces sortes d’affaires, & dis avec notre bon Ami De la Fontaine, que

Zitat/Motto► Le nœud d’Himen veut etre respecté,

Veut de la foi, de la fidélité.
Si par malheur une atteinte un peu forte
Le fait clocher d’un ou d’autre côté,
Comportez-vous de manière & de sorte
Que ce secret ne soit point éventé.
Gardez de faire aux dehors banqueroute ;
Mentir alors est digne de pardon.
Je donne ici de beaux conseils sans doute ;

Mais plairont-ils aux Maris jaloux ? . . . Non. ◀Zitat/Motto

Allgemeine Erzählung► Je suis même assuré qu’ils seront aussi peu de leur goût, que la réponse qui fit, il y a quelques jours, un Avocat de cette Ville à une grosse fermiere de Vilage dont on vient de me raconter aussi l’Avanture. Cette Païsanne, femme d’aussi bon appétit, & aussi appétissante dans son espece, que pouvoit l’être Madame de S. André, dans la sienne, ayant entendu dire que le Seigneur de sa Paroisse avoit été déclaré impuissant, & qu’en [30] conséquence de cette déclaration, sa femme avoit obtenu le pouvoir de prendre un autre Mari, cette Païsanne, dis-je, n’eut rien de plus pressé que d’accourir ici pour demander la même faveur à la Justice. Elle s’adressa, pour cet effet, à un de nos plus fameux Avocats auquel elle dit, qu’elle venoit demander à être démariée, par la raison que son Mari étoit, disoit-elle, impuissant.

Ces sortes d’Avantures & de Causes sont ordinairement de vrayes Comedies pour ces Messieurs qui, après s’en être bien réjouis, ne manquent pas d’en divertir le Public par le tour plaisant qu’ils leur donnent, Le Jurisconsulte, la voyant fraiche, vermeille, & d’un embonpoint succulent (ce qui n’est pas ordinaire aux femmes qui se trouvent dans le cas qu’elle venoit d’exposer) se douta qu’il y avoit dans l’exposition du fait, de l’équivoque, ou de la simplicité. Pour s’en éclairci, il lui fit plusieurs questions des plus gaillardes, dont vous me dispenserez, s’il vous plait, Monsieur, de vous donner ici le détail. Je m’en tiendrai à la derniere : « Combien avez-vous eu d’enfans de votre Mari lui démanda-t-il enfin ? . . . . Trois, Monsieur, lui répondit la Païsanne, & pourtant il y a deja trois ans que nous sommes mariez. L’Avocat se mettant à rire, . . « Et vous dites, continua-t-il, que votre Mari est impuissant ? » Assurément, Monsieur, lui repartit la Païsanne, il est impuissant, & même très impuissant ; car ma Sœur, voyez vous, m’a dit que le sien faisoit quatre fois plus de besogne que le mien, aussi a-t-elle mis au monde cinq beaux enfans en deux ans. Par cette différence, & par tout le reste que je vous ai dit, vous voyez bien qu’il faut que notre Blaise soit très impuissant. Cela est clair & positif. « Oui-da, reprit l’Avocat, si l’impuissance des Maris se mesuroit sur [31] les desirs de leurs femmes. Mais l’intention de la Justice n’est pas de séparer de leurs époux toutes les femmes qui n’en sont pas entierement satisfaites. Elle auroit trop d’occupation : ses soins ne s’étendent pas jusque-là ; & quand un homme a assez de vertu pour avoir des enfans avec sa femme, elle n’écoute point celles qui les accusent d’impuissance ». Ah, Pardi <sic> ! Voilà une grande Merveille ! dit la Païsanne en s’en allant tout en colere. On voit bien, continua-t-elle, que ce sont les hommes qui ont fait la Justice. Si c’étoit les femmes, ça n’iroit pas comme ça. Mais patience, notre tour viendra peut-être aussi queuque <sic> beau jour ; & vous verrez alors si les Maris impuissants ne sont pas véritablement ceux qui n’ont pas la puissance de contenter leurs femmes. ◀Allgemeine Erzählung

Que dites-vous de cette naïveté, Monsieur ? Ne vous paroit-elle pas divertissante ? C’est, du moins, parce que je l’ai trouvée telle, que j’ai cru devoir vous en faire part.

Puisque, pour vous amuser & vous plaire, j’ai pris le ton & le stile galant, dans cette Lettre, par la même raison je la continuerai, & finirai de même. Voici, pour cet effet, une Chanson, ou Vaudeville nouveau, qui m’a paru très joli, tant pour les paroles, que pour la Musique. Je l’ai reçu dernierement de la Haye (en Hollande) où l’on me marque que le sage Gouvernement du Sérénissime Prince Stadtbouder de cette puissante Republique a ramené la joye & les plaisirs que la terreur de nos armes, & le triste fleau de la Guerre, en avoient ci-devant chassez.

Ebene 3►

[32] L’innocente,

Vaudeville Nouveau.1

Colin, un jour, sur la fougere,

fit rencontre d’une Bergere;
D’elle aussi-tôt il s’approcha,
Et lui fit offre de service.
Mais la Belle etoit si novice,
Qu’à son approche elle cria :
Ha ! Ha ! Qu’est-ce-là ?
Qu’est-ce donc qu’il me dit là ?

2. Près de la naïve Brunette

Il s’assit sur la molle herbette,
Tendres propos il étala ;
Mais il perdit sa Rhétorique.
A chaque galante réplique
Toujours la Belle riposta :
Ha ! Ha !
Qu’est cela ?
Qu’est-ce donc qu’il me dit là ?

3. Ta présence, belle Thémire,

Plonge mon cœur dans un délire. . . . .
Non, jamais amour n’égala
Celui que pour toi je respire.
Des ses Misteres viens t’instruire, . . . .
Viens. . . . . L’innocente répliqua :
Ha ! Ha !
Qu’est cela ?
Qu’est-ce donc qu’il me dit là ?

4. Colin, que rendoit téméraire

L’innocence de la Bergere,
Avec elle s’emancipa,
Il souleva sa Gorgerette.
Sa main curieuse indiscrette
Sans obstacle s’insinua . . . , . .
Ha ! Ha !
Qu’est cela ?
Qu’est-ce donc qu’il cherche là ?

5. Le Berger, toujours vif & preste,

Du sein passa bientôt au reste ;
Le doux plaisir en résulta ;
La Bergere en sentit l’yvresse,
De ses sens à peine Maitresse,
La Belle en soupirs bégaya : . . . .
Ha ! Ha !
Qu’est cela ?
Qu’est-ce donc qu’il me fait là ?

6. Colin instruisant la Bergere,

Trois fois expliqua le mistere ;
Trois fois ! . .  & pas ne contenta
Toute son ardeur à s’instruire . . . . .
Que trois leçons, lui dit Thémire,
Quand gentille Ecoliere on a !
Ha ! Ha !
Qu’est cela ?
N’en sçais-tu que jusque-là ? ◀Ebene 3

Les Paroles & la Musique sont de M. D. H. M.

Paris ce 13 Août 1750. J’ai l’honneur d’être &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi 27 Août 1750.

◀Ebene 1

1Note des éditeurs de l’édition digitale: Dans le texte original, cette chanson est accompagnée des notes que nous n’avons pas pu copier dans cette représentation numérique.