Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 37.", in: La Bigarure, Vol.4\037 (1750), S. 129-136, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4671 [aufgerufen am: ].


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N°. 37.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Dans une de mes dernieres Lettres je vous ai fait, Monsieur, le portrait de nos Financiers, & le détail de la vie que la pluspart menent ici, dans la personne d’un de leurs confreres. Nous avons encore ici une autre espece de gens qui ne font pas moins de fracas, & qui ne valent guére mieux pour la naissance, la probité, & la conduite. Ces gens-là, qu’on nomme Tabellions dans nos Bourgades, Notaires dans nos Villes de Province, se donnent ici le fastueux nom de Conseillers Garde-Notte, titre à la faveur duquel ils se donnent les plus grands airs, & font la plus magnifique depense, le tout aux fraix du Public qu’ils ne volent guére moins que nos Maltotiers. Mais ce qui nous les rend encore plus insuportables, c’est le sot orgueil dont il <sic> sont, presque tous, bouffis, vice qui leur sied d’autant moins, que la plûpart ne font, dans leur origine, que des gens de néant. Aussi est-on charmé quand il leur survient quelque humiliation qui les force à rentrer en eux-mêmes, & à se ressouvenir de leur premier état.

Fremdportrait► C’est ce qui vient d’arriver ici à un de ces Messieurs qu’on ne m’a point nommé, mais qu’on m’a suffisamment désigné en me disant, qu’il a une Sœur Actrice au Théatre de l’Opera où elle remplit parfaitement bien ce rôle dans toute son étendue. Une profession si deshonorante, & si justement décriée, n’annonce pas une fille d’une grande vertu, ni d’une grande extraction. Aussi celle-ci n’est-elle que la fille d’un Soldat invalide [130] qui est encore actuellement au service du Roi dans une de ces vieilles Forteresses à demi-ruinées, dans lesquelles les Soldats impotents que l’on y met n’ont rien à craindre, & moins encore à faire. Ce bon homme, tout glorieux d’avoir ici un fils qui y a été long-tems Clerc de Notaire, n’a jamais manqué de le faire complimenter par ses Camarades, toutes les fois qu’il en venoit quelqu’un dans cette Capitale *1 .

Je ne sҫais, Monsieur, si ce fils étoit aussi sensible qu’il le devoit être à cette attention plus que paternelle. Mais ce que je puis assurer ici, c’est qu’il se seroit très bien passé des derniers compliments que le bon homme lui a fait faire. Lorsqu’il les reҫut, il étoit en très nombreuse Compagnie, régalant ce jour-là ses confreres, parmi lesquels il venoit d’être aggrégé. Un Soldat invalide, qui s’étoit chargé de s’aquitter de la commission du Pere, ayant appris cette derniere circonstance, qui lui fut confirmée par l’excellente odeur qui s’exhaloit de la cuisine, n’eut garde de manquer cette franche lippée. Dans cette vue, sans donner au Valet le tems de l’annoncer, il entre dans la Sale où tous les convives étoient à table, & fait au Maitre du Logis ce discours aussi naïf, que Laconique. Monsieur, lui dit ce Soldat d’un air & d’un ton vieux Grénadier, Je me suis chargé, le D. . . m’emporte, de vous faire les compliments de votre Pere mon Camarade de chambrée. Il m’a prié de vous venir voir ; & comme vous voyez, m’y voici, en honnête homme. Il m’a encore chargé de vous dire qu’il alloit faire un petit commerce de peignes, de cuillieres, de siflets, & autres Marchandises semblables. Il est assez bien, le bon homme ; nous buvons quelquefois bouteille ensemble, lorsque notre petite finance nous le permet.

A ce compliment, qui pensa pétrifier le nouveau Conseiller Garde-Notte, un de ses vieux confreres repliqua au Soldat ; qu’il falloit qu’il se fut mépris ; qu’ils con-[131]noissent tous la famille de leur nouveau Confrere, & qu’ils n’étoient pas gens à recevoir dans leur illustre Corps des personnes d’aussi bas alloy <sic> que celui dont il apportoit les compliments. Le vieux Grenadier, piqué du peu de cas qu’on faisoit en sa présence de la noble profession des armes, dans laquelle il avoit blanchi. J’ignore, de part tous les D. . . bles, lui repliqua-t-il avec vivacité, quels gens vous y recevez ; mais j’ai connu, il y a vingt ans, lorsque j’étois ici dans les Gardes, plusieurs de vos Confreres dont les Peres avoient porté, les uns les Sabots, & les autres la Livrée. C’étoient d’assez bons D. . . bles ; & ils n’avoient pas la fierté, que me paroissent avoir ceux d’aujourd’hui. A ces mots le vieux Notaire, qui étoit lui même fils d’un de ceux dont le Soldat parloit, rougit ; & toute la Compagnie rit sous cape, & de la naïveté du vieux Grenadier, & de l’humiliation du Notaire. Peut-être le premier auroit-il continué à discourir avec la même franchise sur le compte de quelques autres des assistants : Mais le Maitre du Logis, plus prudent que son Confrère, pour le faire taire & le congédier honorablement, l’envoya à la Cuisine, & ordonna qu’on lui donnât bien à boire & à manger ; chose dont le Soldat s’aquita si bien, qu’il s’enyvra à force de boire à la santé du Pere, du Fils, de la Sœur, & de toute la famille. ◀Fremdportrait

Voila, Monsieur, de l’orgueil bien rabatu; & vous m’avouerez qu’il seroit à souhaiter que ces Messieurs, & tous ceux qui leur ressemblent, reҫussent, de tems en tems, de pareilles leçons. Ils ne s’oublieroient, & ne se méconoitroient pas tant qu’ils le font.

L’Homme est homme partout ; par son bonheur flatté,

Bientôt par quelque endroit il en est infecté,

Et si vers son néant le sort ne le rappelle,

Il s’éleve Orgueilleux, & s’oublie infidelle.

Croyez vous, Monsieur, qu’on ne reprimeroit pas de même la pétulante lubricité de nos Abbez de Paris (par ces Messieurs j’entends nos Petits-maitres à rabat) & qu’ils seroient aussi coquets, & aussi libertins qu’ils le sont, pour la plûpart, si dans leurs galanteries ils [132] avoient toujours le sort de celui dont je vais vous raconter l’avanture ?

Allgemeine Erzählung► Une certaine Dame, qui se fait nommer ici la Baronne Du Plessis, étant allé voir, il y a quelques jours, un Cordelier qu’elle dit être son frere, y fit rencontre d’un Abbé ami de ce Religieux. Sa visite finie, le Cordelier remit sa Sœur (vraie ou soi-disante) entre les mains de l’Abbé, le priant de vouloir bien l’accompagner dans une promenade qu’elle désiroit faire dans le Jardin du Palais du Luxembourg, qui n’est qu’à quelques pas de leur Couvent. Comme ils étoient ensemble à cette promenade, qui est le rendez-vous de tous les petits collets de ce quartier-là, ils rencontrent un autre Abbé, beaucoup plus friand de jolies femmes que de Bréviaire. Ce dernier, trouvant la Baronne fort à son gré, il se faufile bientôt dans la compagnie, & la conversation s’anime. La Dame, qui est séparée de son mari, & n’est pas des plus à son aise, la fit tomber insensiblement sur ce point. Elle raconta aux deux Abbez une partie de ses infortunes, leur laissant cependant entrevoir qu’elle avoit encore de quoi se tirer d’affaire. Comme il n’est point de personnes plus compatissantes pour le Beau-Sexe, que les gens d’Eglise, nos deux petits collets plaignirent beaucoup la Baronne ; le dernier ne put s’empêcher de lui témoigner qu’il prenoit beaucoup d’intérêt à sa fâcheuse situation. Il se restreignit d’abord à lui demander la permission de l’aller voir, pour concerter avec elle les moyens de lui rendre service. Devenu ensuite plus hardi, il lui proposa de se loger en même maison, & de manger à la même table. Pour apuyer cette proposition galante, il allégua l’ennui & le chagrin que l’on essuye ordinairement dans les chambres garnies, où l’on est, dit-il, si souvent exposé à la Médisance & à la Critique, & où l’on n’est que trop souvent confondu avec les gens sans aveu. D’ailleurs l’ambition qu’il avoit de se trouver avec d’honêtes gens, & des personnes d’un certain rang, le portoit à faire cette démarche dont il se flattoit qu’elle n’auroit pas sujet d’être mécontente.

Soit que le Baronne fut réellement dans le besoin, [133] soit qu’elle se sentit flattée par cette proposition, soit enfin qu’elle voulut se divertir de l’Abbé, elle ne lui opposa que de foibles raisons. Elle se contentat de lui dire, qu’elle ne pouvoit rien décider là-dessus sans l’avis de son frere à qui elle en parleroit, & qu’elle s’en tiendroit à ce qu’il décideroit sur cette affaire. L’Abbé, flatté par cette reponse, trouva qu’elle ne contenoit rien de sinistre pour son amour, & en conҫut de très bonnes esperances.

La promenade étant finie, il propose à la Dame une Collation dans sa chambre. Elle est acceptée. Tout y fut galant. En cela il n’y a rien que de fort naturel. On sҫait que ces Messieurs, qui n’auroient aucune ressource dans les occasions où il faudroit du génie, en ont toujours plus que d’autres quand il s’agit d’intrigues galantes, & font les premiers hommes du monde pour le bon goût & la délicatesse des mets & l’assaisonnement des plaisirs. A la collation succéda le jeu que l’on fit durer jusqu’à minuit, après quoi l’on soupa. La Baronne, qui a du monde, & même du grand monde, qui est d’une humeur fort enjouée, & qui sҫait très agréablement badiner, amusa les deux petits collets par le recit de mille jolis petits contes, & avantures Romanesques, dont elle avoit la bonté de charger sa conscience ; car ils n’avoient d’existence & de réalité que dans son imagination.

Cependant celui de ces Messieurs qui lui avoit fait les galantes propositions que j’ai raportées ci-dessus, s’échaufoit visiblement pour elle. Il lui tira fort galamment du doigt sa bague qu’il admira, qu’il loua & qu’il lui remit ensuite au doigt pour avoir occasion de lui baiser la main, ce qu’il fit en lui disant mille douceurs. La Dame feignit de ne pas s’apercevoir, ni de rien entendre de tout cela. Il continua donc de lui parler sur le même ton. Point de réponse. Le galant Abbé en tire un bon augure pour son amour. Il tâche donc de s’insinuer plus avant, & des paroles il essaye de passer aux libertez, & même à la plus grande licence. Mais quel triste revers pour cet Amant passionné ! Malheureusement pour lui, la Dame se trouva pour [134] lors montée sur le ton de l’Héroïsme. Au lieu de répondre à la tendresse qu’il lui faisoit paroitre, elle se servit de toutes ses forces pour lui décharger sur le visage une douzaine des plus terribles souflets qui ayant jamais été appliquez sur la face humaine.

Un de nos Poëtes Lyriques a dit fort galamment que

Zitat/Motto► L’Amour au désespoir se change en fureur. ◀Zitat/Motto

A ces caresses, qui étoient des plus imprévues, l’amour du galant Abbé se convertit en rage. Il alloit la décharger sur la charmante Baronne qui, un instant auparavant, faisoit l’objet de ses plus tendres desirs. Peut-être n’auroit-il pas eu dans ce combat l’honneur de la Victoire. En effet la moderne Lucrece, à la chasteté de laquelle ce nouveau Tarquin avoit voulu attenter, étoit dans ce moment moins une femme qu’un Furie. Heureusement pour lui que la Maitresse de la maison, entendant le grand bruit qu’elle faisoit (car elle ne parloit de rien moins que de l’étrangler, & elle se mettoit même en devoir de le faire) accourut à tems pour le tirer de ses mains. On les sépara. La Baronne se retira chez elle, en jurant contre l’insolente Luxure de Messieurs les Abbez ; & ce fut tout le remerciment & toute la récompense que celui-ci en reҫut pour la collation & le souper qu’il venoit de lui donner.

Belles, qui ne voulez point passer pour Coquettes,

Si vous traitiez ainsi tous les jeunes Muguets,

Qui du matin au soir vous vont contant fleurettes,

Vous disent des douceurs & gentils Quolibets,

Ma foi, nous n’en verrions pas tant à vos Toilettes,

Et l’on ne feroit pas sur vous tant de caquets. ◀Allgemeine Erzählung

Dans l’Avanture que je viens de vous écrire, vous venez de voir l’Amour prêt à ôter la vie à un de ses plus fidelles & de ses plus zélés supôts. En voici une autre, Monsieur, dans laquelle ce Dieu va la sauver à un de ses jeunes sujets qui lui doit bruler une belle chandelle, & qui ne sauroit trop rendre homage au Beau-Sexe, quand même il vivroit aussi longtems que le vieux Nestor. Voici le fait. Allgemeine Erzählung► Je vous ai rendu comte, il y a quelque tems, des émeutes arrivées dans cette [135] capitale, & des suites fâcheuses qu’elles ont eu les Coquins qui les avoient occasionnées *2 . Comme les séditions, quelque juste & raisonnable qu’en puisse être le motif, sont toujours condamnables, elles entrainent toujours aussi après elles le châtiment de quelqu’un souvent plus malheureux que coupable. Le hazard a voulu que, dans la derniere qui s’éleva dans le Fauxbourg St. Germain, ceux qui furent envoyés pour l’appaiser saisirent un jeune homme âgé d’environ dix sept ans, fait au tour, & beau comme un Adonis. Cet étourdi, entrainé par l’exemple de la multitude, se laissa emporter à l’esprit de sedition, jusqu’au point d’aller chercher du feu pour incendier la maison du Commissaire La Fosse. Ce jeune homme, qui est le fils d’une Marchande du Palais où il est fort connu, fut aussi-tôt conduit dans la prison, où il a été detenu, & visité par toutes ses parentes, voisines, & connoissances, pendant tout le tems qu’on a travaillé à l’instruction de son procès. L’Amour, qui les y avoit conduites, & qui y étoit entré avec elles dans ce triste séjour, vient de faire un Miracle digne de lui ; & voici comment il s’y est pris.

Le Parlement s’étant assemblé, ces jours derniers, pour prononcer sa sentence, le beau prisonnier alloit être condamné à la mort, lorsque toutes les Marchands du Palais, & leurs filles de boutique, touchées de compassion pour cet aimable malheureux, vinrent au nombre de plus de cent, se jetter aux pieds du premier President. Une d’entr’elles, qui conduisoit la bande, harangua ce Magistrat en des termes si touchants, que le President ne pouvant resister à leurs pressantes instances, & craignant, peut-être, encore plus que son refuse n’allumât dans cette Ville une nouvelle sédition, accorda au Criminel une surséance de quinze jours, pour leur donner le tems d’aller faire sur ce sujet leurs representations à la Cours. Il leur conseilla de s’adresser sur-tout à Me. la Dauphine, pour engager cette Princesse à demander la grace du jeune Prisonnier au Roi qui, dans l’état où elle est, [136] ne pourra guére la lui refuser, pour peu qu’elle s’y interesse (a)3 . ◀Allgemeine Erzählung

Je finis, Monsieur, par des Vers que je viens de recevoir, & que je vous envoye. J’espere que vous les trouverez aussi bons que quelques autres, du même Auteur, dont je vous ai fait part dans mes précédentes Lettres.

Ebene 3►

A Mademoiselle * *.

En lui envoyant un Bouquet, le jour de sa Fête.

L’Amour, au lever de l’Aurore,

Avoit dans les Jardins de Flore,
Cueilli ces fleurs, fait ce Bouquet,
Il vouloit te l’offrir lui-même ;
J’en aurois été satisfait ;
Mais il est d’un babil extrême.
J’ai craint qu’il ne fut indiscret,
Et n’allat dire que je t’aime.
Ce compliment eut ennuyé,
Peut-être excité ta colere.
Pour éviter de te déplaire,
Je l’ai remis à l’Amitié.
C’est de sa main discrete & sage,
Belle **, qu’en ce beau jour
Tu recevras mon tendre homage.
S’il obtient ton heureux sufrage,
Mon cœur t’assure au retour.
Mais cependant, pour mon message,
J’aurois bien mieux aimé l’Amour
.

Par Mr. D. H. M.

◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 1 Août 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux

Qui se vendent chez Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R. à la Haye.

Miroir sans fard, Opera Comique, 8. Haye 1750.

Le Temple de la Paix Poëme par Mr. de Montfalcon, 4. Londres 1750.

Jeudi ce 6 Août 1750.

◀Ebene 1

1* Le Roi Louis XIV., de guerroyante mémoire, à fait bâtir à Paris un magnifique & superbe Hôtel, pour les Soldats invalides, dans lequel ils sont parfaitement bien entretenus, & fournis de tout.

2* Voyez les N. 21, 22, 23, 33, de ce IV. Volume.

3(a) Cette Princesse, qui n’a point encore eu d’enfans, est actuellement prête à accoucher.