Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 34.", in: La Bigarure, Vol.4\034 (1750), S. 105-112, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4668 [aufgerufen am: ].


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N°. 34.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Il y a parmi nous un espece d’hommes qui ont de tout tems été chargez de l’indignation publique ; & l’objet éternel de notre Satire & de nos railleries. Vous m’allez, sans doute, demander ici, Monsieur, qui sont ces gens si odieux.

Fremdportrait► Vous les reconnoitrez au sort dont ils jouissent.

A ces brillants plaisirs qui chez eux retentissent,

Ces bruyants Pharaons où l’or qu’ils ont volé

Roule sur une Carte & brille accumulé.

Ces repas où, des tems plus la misere augmente,

Plus on trouve, en tout genre, une chere abondante,

Où le vin coule exquis, où le gibier, le fruit Echapé des hivers, qui l’ont ailleurs détruit.

Fait croire que pour nous, si dures, si stériles,

Les saisons, pour eux seuls, roulent toujours fertiles.

Nous fouillons dans la boue où nous les sҫavons nez ;

Et quand on parle d’eux, instruits de leur famille :

Celui-ci, disons-nous, a porté la Mandille ;

Cet autre eut pour Ayeul un Maréchal serrant ;

Et mon Domestique est de cet autre parent. ◀Fremdportrait

A ce portrait, Monsieur, vous n’aurez pas de peine, je crois, à reconnoitre nos Financiers,

[106] Fremdportrait► Gens que de leur fumier le pillage a tirez,

Qui ne sont dans le monde aimez, considérez

Que d’hommes qui, comme eux, sont sortis de la crasse,

Et qui, dans leurs plaisirs, n’ont d’autres compagnons

Que d’un pareil fumier les subits Champignons. ◀Fremdportrait

Allgemeine Erzählung► Un de ces Messieurs, nommé Mr. de Maison-rouge, (nom qui désigne assez bien la noble origine du personnage) fait ici non seulement l’occupation de nos Curieux de Nouvelles, mais encore de nos Magistrats. Ses vices, & se mauvais traitements qu’il a faits à son Epouse ont forcé celle-ci à demander séparation de Corps & de Biens par devant le Juge Civil. On sҫait assez que, dans ces sortes d’occasions, chacun s’invective toujours plaisamment, & que les Avocats, qui plaident de part & d’autre ne demandent qu’à s’égayer sur le compte de leur partie adverse. C’est ce qui fit autrefois dire au fameux Demosthene, que celui qui, dans ces rencontres, parloit le moins, étoit le moindre Calomniateur. Quoiqu’il en soit du fonds de cette affaire, on s’en divertit beaucoup ici ; & je crois qu’elle pourra vous amuser. En voici l’exposé. Le fonds de la Cause porte sur les Vices de M. Maison-rouge, sur ses mauvais traitements, sur ses cruautez, sur ses injustices, & sur les différentes diffamations dont il s’est efforcé de noircir son Epouse.

Depuis l’année 1744. jusqu’à present, M. & Me. de Maison-rouge avoient vécu séparez volontairement, comme ne pouvant suporter réciproquement leurs humeurs ; Mais dans le fonds c’est que M. de Maison rouge avoit déjà formé des inclinations & des habitudes étrangeres qui alienoient l’esprit de sa femme pour laquelle il témoignoit plus que du mépris. Depuis ce tems il n’a point cessé de la persécuter, soit en lui ôtant ses Domestiques, soit en la privant des compagnies qu’elle avoit coutume de voir, & en la forҫant de recevoir des gens qu’elle n’avoit jamais ni vus, ni connus, des Médecins, des Chirurgiens, & quelques parents avec lesquels elle n’avoit jamais été bien. Il [107] a été plus loin. Dans la crainte que son ordre ne fut pas exécuté fidellement, il a donné à son Portier la liste des personnes qu’il vouloit qui eussent entrée chez son Epouse, & deffendu qu’il en laissât entrer aucune autre, si elle n’étoit munie d’une permission de sa part. Aussi-tôt qu’il a sҫu que quelque Domestiques s’étoit attaché à cette Dame, il ne s’est point donné de repos qu’il n’ait trouvé moyen de le faire sortir, & par-là de la priver de toute a consolation que pouvoit lui fournir une semblable habitude.

La Dame de Maison-rouge, étant tombée dangereusement malade, on lui persuada qu’elle devoit se racommoder avec son Mari ; Elle lui écrivit en conséquence, & le prioit de la venir voir. Il lui fit reponse, qu’elle n’étoit point encore assez malade pour cela. Il y vint cependant ; mais ce ne fut que pour enlever ses diamants & ses bijoux dont il fit present à une Actrice de l’Opera, nommée la Romainville, dont il a fait sa Maitresse. Quelqu’un lui ayant demandé un jour à l’Opera comment se portoit son Epouse, il répondit : Est-ce de ma P. . . . legitime que vous parlez, ou est-ce de l’autre ? Mais toutes ces choses ne sont rien en comparaison de la Lettre humiliante & indigne que son Mari a voulu l’obliger de lui écrire pour lui arracher une piéce qui la condamnât à jamais. C’étoit à cette condition qu’il offroit de lui rendre ses diamants, de lui laisser ses Domestiques, & la liberté de loger à part ; & si elle refusoit de la lui écrire, il lui marquoit qu’il prétendoit qu’elle quittât sa maison, & vint loger chez lui, & qu’elle renvoyât son Domestique. Voici cette belle Lettre.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Je me trouve obligé de vous dire, Monsieur, que je vous haïs, & que je n’ai jamais eu que de l’Antipathie pour vous. Ce n’est pas que je n’aye lieu de me louer de vos politesses & de votre générosité, & que je ne sache très bien que, quoique mes biens montent, au plus, à dix ou onze mille livres, vous avez néanmoins la complaisance de m’en payer jusqu’à vingt mille. Mais tout cela ne peut m’empêcher de vous avoir en horreur. Je ne vous ai jamais aimé, & ne vous aimerai de ma vie. Ce sont mes [108] parents qui ont fait entendre aux Votres que je vous convenois, non pas moi qui ai consenti à vous prendre pour mon Mari. Soyez donc bien persuadé que jamais je ne vous aimerai, & que si vous me forcez à rentrer chez vous, vous m’obligerez à exécuter le projet que j’ai déja manqué une fois. Je suis &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

L’Original de cette Lettre, qui est écrite de la main de M. de Maison-rouge, est déposé chez un Notaire. Que prétendoit-il insérer de cette Lettre ? Que Me. de Maison-rouge, qui jouit de quarante cinq mille livres de rente, n’en avoit effectivement que dix ou onze mille, & que le surplus lui venoit de ses libéralitez. Il vouloit être reconnu pour un mari bienfaisant lorsqu’il étoit inhumain. Il vouloit paroitre se raccommoder avec sa femme lorsque, dans le fonds de son cœur, il en étoit bien éloigné. Il vouloit jetter sur sa conduite un soupçon infame qu’il n’a pu faire réussir. A ces mots de projet manqué, il a voulu donner des sens différents. Tantôt cela signifioit, selon lui, une menace de séparation, tantôt une menace de poison dont on avoit eu le bonheur de se garantir, & dont un Chat étoit mort. Mais la vue de l’Original dissipe toutes les tenebres.

Incontinent après que la Dame de Maison-rouge eut presenté sa Requête en Séparation, son Mari, ayant subi un interrogatoire, requit que sa femme fut pareillement interrogée sur trois cents faits & articles qui étoient autant de piéges qu’on lui tendoit pour la faire trebucher. Entre autres choses on lui demandoit si elle n’avoit pas eu des hauteurs & des mauvaises humeurs avec son Mari. Elle a répondu qu’oui, mais qu’étant cruellement tourmentée par son Epoux, elle n’avoit pas cru devoir souffrir ses indignitez sans se révolter. Voilà des Moyens qui paroissent bien plausibles, & auxquels l’Avocat de la partie adverse n’a répondu que par des bons mots, bien choisis, & d’éloquence ; ce qui a fait dire qu’on ne jugeroit point la Cause, mais l’homme.

C’est un Principe reçu, disoit-il, que dans le Mariages les humeurs reciproques des parties ne font pas [109] moins part de la société, que les biens. Il n’est question que de sҫavoir si les humeurs de M. & de Me. de Maison-rouge sont réellement incompatibles & absolument insuportables ; & dans le cas où il y auroit de l’inhumanité, la Justice doit interposer son autorité, & ordonner la séparation. A l’entendre, le Sieur de M. R. est le Mari du monde le plus respectable. Il a expulsé, dit-il, les Domestiques de sa femme, parce que c’étoient des gens qui abusoient de sa facilité, & qui dissipoient ses biens ; il lui a enlevé ses bijoux, parce qu’il étoit outré de voir qu’elle n’en faisoit aucun usage, qui lui fit honneur ; il regle la compagnie qui doit aller chez elle, parce qu’il lui importe que ceux qu’elle fréquentera ne jettent pas de mauvais soupçons sur son compte.

On ne sҫait pas encore en faveur de qui se décidera ce Procès ; mais il n’est pas difficile de voir, au travers de tout ceci, de quel côté est le tort & l’injustice. Le Public le donne totalement au Sieur de Maison-rouge. Il se fonde pour cela sur deux raisons qui sont très-solides & très-valables. La premiere est l’experience journaliere que l’on a du libertinage & de la grossiereté, presque toujours brutale, de ces supôts de Plutus, qui étant sortis, pour la plûpart, du néant, n’ont jamais eu la moindre éducation, & ne peuvent, conséquemment, avoir que de très mauvais procédez avec des femmes bien élevées & vertueuses qui veulent les mettre dans le bon chemin. La seconde raison sur lequel le Public s’appuye encore, est que, dans tout le procédé du Sieur de Maison-rouge, il reconnoit le manége ordinaire aux filles de l’Opera, lequel est de commencer toujours par brouiller les sots qui les aiment, avec leurs femmes, s’ils sont mariez. A la faveur de ces discordes Domestiques, ces Créatures pêchent toujours en eau trouble, ou, pour parler encore plus juste, elles grugent le poisson qu’elles ont pris & tiennent dans leurs filets. Il n’y a point à douter que la Romainville ne suive en cela l’exemple de ses dignes compagnes ; & les bijoux de la Dame de Maison-rouge, que son débauché de Mari a prêtez à celle-ci, courent grand risque d’avoir, entre ses mains, le sort de ceux [110] que le Sieur D. L. de très-luxurieuse & très-prodigue mémoire, prêta de même, il y a quelques années, à la Chanteuse Pelissier, laquelle aima mieux le faire prendre en effigie, & faire rompre vif, en place de Grêve, un de ses Valets de chambre, que de lui en rendre un seul. ◀Allgemeine Erzählung

Pour moi, Monsieur, je crois que, pour remédier à de pareils abus, la Justice ne seroit pas mal d’en user avec ces Donzelles de la même manière qu’elle vient d’en agir avec quelques confreres & quelques consœurs de notre fameuse Abbesse Madame Paris dont je vous ai parlé dans mes précédentes Lettres. Outre cette grande Communauté Privilégiée, il s’en étoit encore établi ici secrettement, & à l’insҫu de la Police, quelques autres petites, dont le Chef & les Membres, pour quelque irrégularité qu’on a sans doute trouvé dans leur conduite, viennent donner à nos bons Parisiens un spectacle des plus Burlesques. Les unes & les autres, ayant été condamnées à être marquées & fouettées aux Carrefours de cette Ville, voici la marche singuliere, & l’ordre qui se sont observez dans cette Tragi-Comique cérémonie. Les Valets de l’Executeur de la Justice précédoient le cortege. Ensuite venoit la Supérieure de la Communauté, montée à rebours sur un Ane dont elle tenoit la queue en main, en guise de bride. Elle étoit suivie des filles de sa Communauté qui marchoient à pied, & que les Boureau, qui les tenoit toutes liées & garottées, les mains derriere le dos, caressoit, de tems en tems, à grands coups de verges. La cérémonie finie, & après qu’elles ont eu toutes reҫu, sur les épaules, les armes de sa Majesté, elles ont été renfermées dans le grand Hôtel de la Salpetriere, leur retraite ordinaire, où elles doivent rester pendant trois ans, pour être chassées, au bout de ce terme, hors du Royaume. Ce Spectacle n’a guére moins attiré de monde que le Rhynoceros, quoique il fut composé d’Animaux aussi communs ici, que cet autre y est rare.

Allgemeine Erzählung► Puisque je suis en train, Monsieur, de vous décrire ici les suites fâcheuses du libertinage, je vais joindre encore aux Histoires précédentes celle de quatre Officiers. Ces Messieurs, qui étoient de quatre Corps dif-[111]férents, venoient de passer la nuit du Dimanche dernier au Lundi dans quelque lieu de débauche, & se retiroient chez eux sur les cinq heures du matin, vomissant mille ordures contre les personnes qu’ils rencontroient. Les premiers objets qui les ont essuyées ont été quelques Servantes qui alloient à la premiere Messe des Cordeliers, Non contents de les insulter, ces Libertins vouloient encore en venir aux voyes de fait avec ces filles, lorsqu’un Garҫon Boucher, qui alloit à son travail, s’étant rencontré-là par hazard, voulut prendre la deffense de ces pauvres insultées. Il le fit en effet ; mais quatre épées, qu’il vit d’abord tirer & pointer contre lui, lui firent promptement prendre la fuite. Heureusement pour les filles, que ces insolents se mirent à poursuivre leur deffenseur ; de sorte que sa fuite leur donna le tems de se réfugier dans l’Eglise. Mais celui-ci étant entré dans la rue des Boucheries, qui n’en est qu’à quelques pas, appella à son secours quelques-uns de ses compagnons. Il en accourt aussi-tôt une vingtaine, armez de bâtons, qui commence par tomber sur les Officiers. Après avoir fait voler en éclats leur epées, ils font tomber sur eux un gresle terrible de coups dont trois de ces Messieurs n’evitent une partie qu’en gagnant au pied, & en s’enfuyant à toutes jambes. Le quatrieme, qui ne pouvoit trouver moyen de leur échapper, auroit été assommé sur la place, si quelques Bouchers, moins cruels que leurs garҫons, ne fussent accourus pour faire cesser les coups ; mais ceux-ci ne l’ont point voulu relâcher, qu’ils ne l’ayent auparavant obligé de faire amande honorable, à genoux, à celui de leurs Camarades qu’ils avoient d’abord attaqué. Il n’y avoit pas moyen de reculer. Un bras, qu’ils lui avoient cassé, l’avoit mis hors de deffense. D’ailleurs la crainte où il étoit qu’ils ne lui ôtassent la vie, comme ils en étoient les maitres, l’avoit rendu souple & obeïssant. Il croyoit en être quitte pour cette petite humiliation qu’il ne méritoit que trop, mais ces gaillards, pour le mortifier davantage, le baloterent ; & dès que l’un étoit content, l’autre lui faisoit recommencer la même cérémonie, qui dura jusqu’à sept heures du matin. Le Guet, ayant alors [112] été averti de ce qui se passoit, vint avec un Carosse enlever l’Officier blessé dont l’exemple doit apprendre à ses Confreres combien des pareilles infamies sont indignes d’un Corps aussi respectable que l’est celui du Militaire où l’honneur & la vertu doivent être encore plus en recommandation, que dans les autres. ◀Allgemeine Erzählung

Je finis, Monsieur, par quelques Stances que je viens de recevoir, & qui m’ont paru mériter de trouver place dans cette Lettre. Les voici.

Ebene 3►

Stances sur l’amour.

A Mademoiselle F * *.

L’amour, dont tant de fois on vous fit la peinture,

Qu’on vous representa sous des traits si puissans,
N’est autre que ce feu qu’attise la Nature,
Et que l’attrait du Sexe allume dans nos sens.
Ce n’est pas la beauté qui toujours nous enflame,
Mais le besoin d’aimer plus puissant sur les cœurs,
Mais cet instinct secret, ce mouvement de l’Ame
Qui soumet les plus fiers à ses charmes vainqueurs.
Ne vous y trompez as, adorable Orthénice,
Loin du Sexe, il n’est point d’amoureuses ardeurs,
C’est lui qu’on cherche ; envain, entouré d’artifice,
Feint-on un pur Amour, on court à des faveurs.
Oui, joüir est un bien où tout Amant aspire :
Ne vous offensez pas, Belles, de nos désirs.
La Nature elle même a nos cœurs les inspire,
Et c’est pour les remplir qu’elle fit les plaisirs
.

De Hautemer. ◀Ebene 3

Paris ce 21 Juillet 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux

Qui se vendent chez Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R. à la Haye.

Histoire Naturelle Generale & Particuliere, avec la Description du Cabinet du Roi, 4. 3 vol. fig. Haye, 1750.

Le Cosmopolite, ou le Citoyen du Monde, 8. Haye 1750.

Théatre de la Haye, ou nouveau Recueil Choisi & Meslé des meilleures Pieces du Théatre Franҫois & Italien, 8. 3 vol. Haye, 1750.

Lucina fine Concubitu, ou Lettre addressée à la Societé Royale de Londres, dans laquelle il est pleinement demontré par des preuves tirées de la Theorie & de la Pratique qu’une femme peut concevoir & enfanter sans le commerce de l’Homme, 8. Londres, 1750.

Histoire de Bertholde, contenant ses Avantures, Sentences, Bons Mots, Reparties Ingénieuses, ses tours d’Esprit, l’Histoire de sa Fortune, & son Testament, 8. Haye 1750. ◀Ebene 1