Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 11.", in: La Bigarure, Vol.3\11 (1750), S. 81-88, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4642 [aufgerufen am: ].


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N°. 11.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Je vous ai promis quelque chose de bon, Monsieur, la premiere fois que je vous parlerois de notre Littérature. Grace à Monsieur le Chevalier de Solignac, qui vient de la réveiller un peu de sa Létargie ; je suis en état de vous tenir aujourdhui ma promesse. Il s’agit d’une Histoire de Pologne dont ce Chevalier vient de nous donner les cinq premiers Volumes, & dont il nous promet la suite en cinq autres qui ne se feront pas, dit-on, long-temps attendre. Cet Ouvrage manquoit, dans notre langue, à la République des Lettres. Nous n’avions en effet que celui de Massuet, qui est moins une Histoire, qu’une Rapsodie à laquelle il lui a plu de donner ce nom, & les Révolutions arrivées dans ce païs, par l’Abbé Desfontaines, révolutions extrêmement seches. Il est vrai qu’on doit moins s’en prendre à ce dernier Ecrivain, qu’à sa matiere, qui ne lui a pas fourni des sujets fort interressants par eux-mêmes. Tout le monde sçait que l’Histoire n’est pas un Roman ; & que celui qui l’écrit ne peut y mettre que ce qu’elle lui présente. Il est malheureux, sans doute, pour un Auteur, & pour ses Lecteurs, que les Polonois, Nation libre, brâve & courageuse, n’offrent pas à l’un, & aux autres des scènes plus vives, & plus variées, qu’on ne remarque guéres dans leurs anciennes Annales, que des actions d’imprudence, ou de férocité, & que dans tout le reste ils n’ayent été que des hommes ordinaires. On peut juger par-là de la peine qu’à dû couter à M. le Chevalier de Solignac l’Ou-[82]vrage qu’il vient de donner au Public, & qui en a été très bien reçu. C’est principalement dans ces sortes de rencontres que brillent le génie & les talents d’un Ecrivain ; & à cet égard tous les Lecteurs doivent être fort satisfaits de celui-ci. Le Stile de sa narration est léger & agréable ; ses réflexions sont solides ; les Portraits y sont travaillez avec beaucoup de soin, & les harangues, qui choquent ordinairement les Lecteurs dans la plûpart des autres Histoires, sont très bien placées dans celle-ci. Voici une petite idée de ce Livre dont les cinq premiers Volumes contiennent ce qui s’est passé de plus interressant dans ce païs-là depuis la fondation de la Monarchie jusqu’à l’annee 1575, que Henri de Valois abandonna ce Trône pour monter sur celui de France devenu vacant par la mort de Charles IX. son Frere.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► L’Auteur, après une Description Géographique de la Pologne, dont l’étendue étoit autrefois beaucoup plus vaste qu’elle n’est aujourdhui, passe à l’origine des Polonois. Ils viennent des anciens Sarmates, que les Auteurs Grecs & Romains confondoient avec les Scythes ; nom qu’ils donnoient indifféremment aux nations Septentrionales. On croit que les Venedes, une de ces Nations, s’étendirent dans la Sarmatie après que les Goths, les Vandales, & les Lombards l’eurent abandonnée. Ils changerent leur nom en celui de Slaves, ou Sclaves, d’une Ville qu’ils bâtirent près d’un Lac qu’on nomme ainsi. Ebene 4► « Ces peuples inquiets, audacieux, & téméraires, dit l’Auteur, ne connurent bientôt d’autres droits que la Violence. A force de piller & de voler, ils effayerent de devenir Conquerants. Ils attaquerent souvent les peuples de la Baviere & du Frioul qui n’étant alors ni moins valeureux ni moins fiers, furent garder leurs frontiéres, & même entamer celles de leurs Aggresseurs. Ils parurent craindre les Francs ; ils leur firent néanmoins rédouter leurs armes ». ◀Ebene 4

Les Polonois n’eurent d’abord pour Chefs que des Ducs, ou Généraux d’Armée ; ils eurent ensuite des Rois ; puis encore des Ducs qui furent ensuite remplacés par des Rois dont le titre n’a plus varié depuis. On [83] divise communément ces Chefs en quatre Classes ; la premiere, depuis Lek jusqu’à Popiel II, c’est-à-dire, depuis le VI. Siécle jusqu’au IX. La seconde est la race des Piasts jusqu’à Casimir le Grand, au XIV. Siécle. La troisième doit comprendre les Jagellons, Grand Ducs de Lithuanie ; elle commence par le Regne d’Uladislas, & finit à la mort de Sigismond Auguste, Enfin la dernière Classe est composée de plusieurs Rois de diverses maisons depuis Henri de Valois jusqu’à Stanislas I.

La vie des Princes de la premiere Classe n’est qu’un assemblage informe de fictions dont la plûpart même n’ont pas la moindre vraisemblance. M. de Solignac n’a raporté que les faits qui répugnent le moins au bon sens ; encore ne leur donne-t-ils pas plus d’autorité qu’ils n’en méritent. Il raconte que Lek, premier Duc, voulant se bâtir un Château, ou pour mieux dire une simple maison, qui ne pouvoit être alors que de troncs d’arbres, tels qu’on les tiroit des forêts, & posez sans arts les uns sur les autres, trouva un nid d’Aigle dans l’endroit qu’il avoit choisi pour sa demeure, & qu’il l’appella Gnesne, mot dont les Polonais se servent pour exprimer un nid. De-là viént que la Pologne a toujours porté un Aigle dans ses Armes. Après Lek I, les Polonois se mirent sous la conduite, de douze Palatins, ou Vaivodes ; c’étoit proprement des Généraux d’Armée. Leur Gouvernement Tirannique finit à l’élection de Crocus auquel succéda Lek II, son fils, puis Venda, sa fille, Princesse d’une beauté parfaite. Les charmes de celle-ci ayant inspiré de l’amour à un Prince Allemand, nommé Ritiger, ce Prince la demanda en mariage ; mais elle le dédaigna ; ce qui le jetta dans un si grand désespoir, qu’il vint avec une Armée pour se faire accorder par la force ce que cette Princesse avoit refusé à sa passion. Venda fit prendre les armes aux Polonois, se mit à leur tête, & sur de nouvelles propositions que lui fit faire Ritiger, répondit à ce Prince, qu’elle connoissoit trop le prix du Trône qui lui étoit échu, pour le partager jamais avec aucun homme ; que de Maitresse qu’elle étoit de ses Sujets, elle ne vouloit point devenir l’Esclave d’un Epoux qui, de [84] quelque caractère qu’elle pût le choisir, seroit toujours plus amoureux de son pouvoir que de sa personne. Cette réponse, portée dans le Camp des Allemands, y excita une sedition contre Ritiger qui, se voyant abandonné de tout le monde, se tua lui même. Venda, après avoir triomphé de ses ennemies sans avoir eu la peine de les combattre, en rendit graces à ses Dieux, après quoi elle prit la funeste résolution de finir ses jours en se précipitant dans la Vistule, pour éviter tout accident pareil à celui qui venoit de troubler son repos, & celui de ses peuples. En elle finit la race de Cracus. Les Palatins se saisirent du Gouvernement & leur mésintelligence engagea les Hongrois à en profiter.

Un des plus beaux traits de cette Histoire du moins de ce qui en paroit, est celui de Prémislas, homme sans nom & sans crédit, qui par une ruse trouva le moyen de sauver sa Patrie, & de la délivrer des Hongrois. Le massacre général qu’il en fit & la victoire complette qu’il remporta sur eux, lui mériterent la Royauté. Après sa mort on résolut de donner la Couronne à celui qui vaincroit les autres à la course. Pour l’obtenir, Leszek, un des Concurrents, eut recours à la fourberie, en semant des cloux pointus dans l’Arène où se devoit faire cette Course. La fourberie ayant été découverte peu de tems après par un jeune homme le très basse extraction, tout Roi qu’étoit Leszek, les Polonois, par un caprice qui marque la simplicité dé ces bons vieux tems, & en même tems quelles étoient alors droiture & leur bonne foi, le mirent en piéces, & défererent la Couronne au jeune homme qui avoit découvert la trahison ; & qui prit le nom de Leszko.

Si ce Prince & Popiel I, son fils, qui lui succéda, userent bien de l’autorité souveraine, leur fils, & petit fils Popiel II. en abusa d’une manière étrange. Violent & emporté dans ses passions, on lui donna une femme que l’on crut capable de les modérer ; mais ceux qui avoient fait ce mariage s’étoient lourdement trompez dans leur projet. En effet cette femme, voyant les Oncles de son époux, qui étoient au nombre de vingt, à la tête d’un parti qui se formoit dans le Royaume, elle résolut de [85] les faire tous mourir. Compagne & Ministre d’un Prince cruel, elle lui fit aprouver sa résolution, & pour l’exécuter, lui persuada de feindre une maladie. Il entra dans toutes ses vues, affecta d’être à l’extrémité, & voyant autour de lui ses Oncles, que son Epouse avoit mandez, il les pria, comme pour lui faire leurs derniers adieux, de boire tour à tour d’une coupe, dont il fit semblant de boire le premier, & que la Princesse, qui paroissoit accablée de douleur, leur presenta elle même. Elle y avoit mis du poison qui fit d’abord son effet. Tous ces Princes moururent en même tems ; & par leur mort & par celle de Popiel même & de sa cruelle femme, l’administration du Royaume retomba entre les mains des Palatins qui prétendirent qu’elle leur appartenoit au préjudice des Héritiers. C’est ici que finit la première Classe des Princes qui gouvernerent la Pologue <sic>. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Je crois, Monsieur, que cet échantillon vous sufira pour juger de cette Hisoire. J’ajouterai seulement qu’á mésure que l’Auteur s’éloigne de ces Siécles d’ignorance & de ferocité il devient plus inter<sic>ssant. Je ne doute point, que dans les cinq derniers Volumes qu’il promet de nous donner incessamment, nous n’ayons de la Pologne une Histoire aussi complette que la notre.

A cette Production Littéraire je vais en joindre une seconde qui ne vous fera pas moins de plaisir, & que nous pouvons revendiquer comme notre bien quoiqu’elle nous vienne de la Haye (en Hollande) d’où un de mes Amis me l’a envoyée. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Ce sont les Antiquitez Romaines expliquées dans les Mémoires du Comte de B * * *. Si l’Auteur ou l’Editeur de ce Livre ne se fut borné qu’à une simple explication de ces curieuses & respectables Antiquitez, il est certain, Monsieur, que nos Libraires n’en auroient pas été frustrez, & qu’ils ne l’auroient pas laissé passer chez leurs voisins ; mais on n’en est plus étonné lorsqu’on lit dans la suite du titre les paroles suivantes, contenant ses Avantures, & un grand nombre d’Histoires Anecdotes très curieuses de ce tems, &c. A la première ouverture que l’on fait de ces [86] Mémoires on y voit qu’ils ne pouvoient être mis au jour que dans quelque République, je veux dire dans quelqu’un de ces heureux païs où regnent la Liberté & la Vérité, & d’où cette dernière se répand ensuite dans le reste de l’Univers, où elle ne manque pas d’être bien reçue du Public, sur-tout lorsqu’elle est annoncée avec tous les ménagements dus aux personnes d’un certains rang qui peuvent y être interressées.

Outre cette raison, qui assure à ces Mémoires un accueil favorable, le stile de l’Auteur, la justesse de ses réflexions, le sel dont sa narration est assaisonnée, l’intérêt qui regne dans tout l’Ouvrage, la délicatesse & la vivacité des sentiments, les solides instructions qui y sont répandues, enfin l’érudition qui regne dans la troisième partie ; tout cela ne peut que le faire estimer & rechercher de tout le monde qui y trouvera de quoi profiter. On voit, dans les deux premières, les bons effets d’une excellente éducation, confirmez par le recit de quantité d’événements très curieux & très interressantes arrivez depuis peu dans Paris ; l’on y trouve un grand nombre de très bonnes instructions sur la conduite qu’un jeune homme doit tenir en entrant dans le monde ; enfin l’Auteur de ce Livre est une espèce de Mentor dont la sagesse n’a point l’air triste & lugubre, encore moins rebutant, tel que l’ont la plûpart des Moralistes. Celui-ci prêche la Vertu, mais en homme du monde, & non en Philosophe, ni en Pédant ; & les agréables & solides réflexions qu’il fait, coulent, comme de source, des événements mêmes qu’il raconte. Accoutumé à réfléchir sur tout, il tire non seulement de ses propres Avantures, mais de plusieurs autres encore dont il a été témoin, des instructions qui frappent d’autant plus, qu’elles sont moins attenduës. Telles sont celles que lui ont fourni les Antiquitez mêmes de Rome, & un grand nombre d’autres de la même nature. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Pour justifier l’idée que je vous donne ici de ce Livre & de son Auteur, je vais, Monsieur, vous faire part de quelques-unes de ces réflexions & de ces instructions, sur lesquelles vous pourez juger des autres. [87] Ebene 3► Allgemeine Erzählung► « L’homme, dit-il, semblable en ce point à certaine Insectes (permettez-moi cette comparaison qui, dans sa bassesse apparente, n’exprime que trop bien la vérité) l’Homme, dis-je, dans le cours de sa vie, éprouve, comme eux, quatre Métamorphoses, qui en font, pour ainsi dire, quatre Créatures différentes. Ces Métamorphoses sont les quatre Ages par lesquels la Nature le fait successivement passer, & dont il seroit à souhaiter pour lui qu’elle lui épargnât la première & la dernière. Dans la première en effet, il n’est point encore Homme ; & dans la Dernière, qui est la Vieillesse, il ne l’est plus. L’Homme, c’est-à-dire, ce Composé admirable de l’Animal, & de ce rayon de la Divinité qui l’anime, ne commence à faire véritablement honneur à celui qui l’a créé, que dans l’âge où vous allez entrer. Etrange condition, & bien humiliante pour nous ! Du peu de jours que la Providence nous destine sur la Terre, nous n’en pouvons compter que la moitié, & souvent beaucoup moins, où nous puissions nous glorifier, avec quelque justice, d’être véritablement ce que nous devons être, c’est-à-dire, Raisonnables. Qu’est-ce en effet que la Raison dans l’Homme jusqu’à l’âge de vingt ou vingt cinq ans ; & qu’est-ce que cette même Raison depuis soixante, ou soixante & dix ans, jusqu’à ce qu’ils entre dans le Tombeau ? Dans le premier de ces deux periodes, ceste Divine étincelle se laisse à peine apercevoir ; elle se dévelope ensuite à mésure que le corps se forme, & se fait enfin voir dans toute sa force & dans tout son éclat. Dans le second, elle s’affoiblit insensiblement ; elle s’obscurcit, & s’éteint à la fin, à proportion que les Organes s’affoiblissent & que le Corps dépérit. Vous avez déja passé la première de ces Révolutions, & si le Ciel vous réserve une lingue vie, vous éprouverez la dernière ; mais si celle dans laquelle vous allez entrer est la plus brillante, & fait ordinairement le plus d’honneur à l’Homme, combien en voit-on de milliers qui ne tendent, ni ne parviennent jamais, à ce but ? Em-[88]portée par les passions, qui se font sentir alors dans toute leur violence, dans quels écarts la jeunesse inconsidérée ne donne-t-elle pas tous les jours ; écarts d’autant plus dangereux, qu’ils influent ordinairement sur le reste de la vie, &c. » ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Voila, Monsieur, des réflexions qui, à ce que je me persuade, seront de votre goût, & de celui de toutes les personnes qui pensent. En voici encore quelques autres qui ne me paroissent pas moins sensées. Ebene 3► « Si c’est un mal que de se livrer à l’Amour, ce n’est que lorsque cette passion ne s’accorde pas avec la Raison & les loix de l’honneur. Exceptez ces deux cas qui, à la vérité, sont assez fréquents, l’Amour est la plus belle de toutes les passions, & la plus digne de l’Homme. Son cœur, fait pour aimer, ne goûte de vraïe félicité que dans cet exercice qui lui est si essenciel, qu’il doit faire, dit-on, même après sa mort, son occupation éternelle. » ◀Ebene 3

En voilà assez, Monsieur, pour vous donner une idée du Livre que je vous annonce. J’ajouterai seulement ici, qu’il est orné de plus de cent Estampes d’une grande beauté, qui représentent au naturel tous les Monuments de l’Ancienne Rome qui subsistent encore actuellement dans cette Capitale. Ils sont expliqués & détaillés, dans la troisième partie de ces Mémoires, d’une manière à ne point ennuyer les Lecteurs ; chose bien essencielle, & dans laquelle n’ont pas toujours réussi les Sçavants dont les nombreux & énormes Volumes, qu’ils ont composez sur cette matière, ne se lisent plus depuis long-tems.

J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris ce 2 May 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1