Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 2.", in: La Bigarure, Vol.3\02 (1750), S. 9-16, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4633 [aufgerufen am: ].


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N°. 2.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► La solemnité de nos Fêtes vient de finir ; & les scandales recommencent. Vous n’en serez nullement étonné, Monsieur, vous qui sçavez le train ordinaire du monde. C’est un vieux Pécheur dont vous connoissez l’endurcissement. Il y a bientôt six mille ans qu’on le prêche ; peut-être le prêchera-t-on encore aussi long-tems ; malgré cela, tel qu’il fut dans son commencement, tel il est encore aujourdhui, & tel vraisemblablement il sera toujours, quand même sa durée devroit être éternelle. Pourquoi cette obstination ; d’où vient cette incorrigibilité, me demanderez vous peut-être ici ? . . . . Pourquoi ? . . . C’est que l’homme fut, est, & sera toujours fonciérement mauvais.

Ebene 3► Les Vices sont unis à l’humanine nature,

Et nous ne devons pas être plus offensez
De voir des gens méchants, fourbes, interressez,
Que de voir des Vautours affamez de carnage,
Des Singes mal faisants, & des Loups pleins de rage
*1 . ◀Ebene 3

Voila le portrait qu’a fait de notre belle espèce l’homme du monde qui la connoissoit le mieux & le plus capable de la corriger si la chose étoit au pouvoir de l’Humanité. Mais comment cela seroit-il possible, puisque ce que l’on a pu imaginer de plus fort & de plus efficace, je veux dire la Religion, n’est pas encore capable d’arrêter le cours désordonnée des Passions ? Voulez-vous des preuves toutes nouvelles de cette vérite ? Lisez les trois histoires suivantes. Vous y ver-[10]rez ce que c’est véritablement que l’homme, & que ce frein Sacré n’est rien moins que suffisant pour dompter la fougue de ses desirs criminels.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Comme la Vertu n’est point héréditaire dans les familles, il s’en faut aussi de beaucoup qu’elle soit généralement pratiquée dans les Corps & les Sociétéz qui en font la profession la plus exemplaire. Tel est depuis long-tems, dans l’Eglise, l’Ordre respectable de S. Benoit, dans lequel on peut dire que les scandales ne sont pas, à beaucoup près, si fréquents, que dans beaucoup d’autres. Leurs Cloitres cependant ne sont pas inacessibles au Vice, qui se glisse partout ; & dans ce vénérable Troupeau il se trouve, de tems-en-tems, des Loupes revétus de la peau des Agneaux. Fremdportrait► De cette dernière espèce etoit Don Bernard L . . Religieux de l’Abbaїe de . . . . . Moine jeune, bien fait, spirituel, fringant, & beaucoup plus propre, dans le fonds, à faire un Mousquetaire, qu’un Anachorete. Exemplum► C’étoit, pour le bien peindre, un second Prevôt ; ◀Exemplum ◀Fremdportrait Aussi son Histoire peut elle servir de pendant à celle de cet aimable & spirituel défroqué qui fait ici, depuis plusieurs années, les délices de nos Beaux-Esprits, comme il s’est fait aimer, dans tous les endroits où il a voyagé par ceux qui l’ont connu & fréquenté.

Fremdportrait► Don L. . . . aussi mauvais Bénedictin que celui-ci le fut autrefois, avoit beaucoup plus de penchant & de goût pour le monde & ses plaisirs, que pour l’Abstinence, le jeune, la priére, la haire, la discipline. Engagé par l’étourderie, ou par la nécessité, comme beaucoup d’autres, dans un état dont il ne connoissoit point, ou n’étoit pas capable de remplir les devoirs, à peine les premiers moments de sa serveur furent-ils passez, qu’il commença à les négliger. ◀Fremdportrait Le dégoût suit de près la négligence & la tiédeur, qui sont bientôt suivis de la Molesse, & enfin du Libertinage & du Scandale ; car

Zitat/Motto► Quiconque a pu franchir les bornes légitimes,
Eut violer enfin les droits les plus sacrez ;
Ainsi que la Vertu le Crime a ses degrez
*2 . ◀Zitat/Motto

[11] Don Bernard L. . . . ayant passé suc essivement <sic> par tous ceux que je viens de dire, étoit parvenu jusqu’à entretenir à l’insçu de ses Supérieurs, un commerce criminel avec la femme d’un Garde du Corps, assez belle & assez aimable pour faire tourner la tête à un jeune Moine. Il y avoit déjà six mois que ce commerce duroit ; & ce qui paroitra plus singulier, c’est que cette femme étoit aussi éprise de lui, qu’il l’étoit d’elle. Apparemment que les galanteries Monastiques ont quelque chose de plus séduisant pour certaines femmes, que celles d’un Militaire. Quoiqu’il en soit, s’ils s’aimoient réciproquement, & d’un amour d’autant plus vif & plus piquant, qu’il étoit criminel. La seule chose qui les importunoit étoit la contrainte où ils se trouvoient tous deux, l’un sous la discipline de S. Benoît, & l’autre sous la dépendance d’un Mari qui leur auroit fait assurément à l’un ou à l’autre, & peut-être à tous les deux, un fort mauvais parti s’il avoit été instruit de ce qui se passoit.

Pour se garantir de ce danger, qui est la suite assez ordinaire du crime, & pour se procurer une liberté que leur folle passion leur faisoit trouver indispensable, ils forment ensemble le dessein, l’un d’abandonner son Ordre, & l’autre son Mari. Comme on ne vit pas d’Amour, & qu’il n’y avoit aucune ressource pécunieuse à attendre du côté du Moine, son Amant prit la résolution d’y pourvoir, du moins pour un tems, en vendant tout ce qu’elle avoit. La chose lui étoit d’autant plus aisée à éxécuter, que son Mari, qui étoit alors de quartier chez le Roi, étoit absent ; ce qu’elle fit avec une diligence d’autant plus grande, que celui ci dont le tems de service étoit presque expiré, se disposoit à revenir passer, à l’ordinaire, le reste de l’année auprès d’elle. Elle se hâta donc de vendre non seulement ses meubles & tout ce qui pouvoit lui appartenir, mais même tout ce qui étoit à son Mari, à la reserve d’un de ses habits, & de quelques autres nipes dont elle revêtit son Galant enfroqué avec lequel elle prit la suite un des jours de la semaine dernière que nous nommons la Sainte par excellence.

A peine ce couple criminel eut-il disparu, que les [12] Benedictins, surpris de ne point voir leur Religieux revenir au Couvent, firent de grandes perquisitions pour tâcher de découvrir ce qu’il pouvoit être devenu. De son côté le Garde du Corps, à son retour de la Cour, ne trouvant point sa femme, la fit chercher partout. Persuadé que, selon la coutume de ces sortes de gens, ils avoient pris la route des Païs étrangers, ou celle de la Mer, comme etant la plus promte & la plus sure pour des fugitifs, on écrit, & l’on donne avis de ce qui s’est passé aux Maîtres des Postes, & dans les Ports de Mer ; l’on envoye des Ordres pour les arrêter au passage, en un mot en ne néglige aucun des moyens usitez dans ces sortes de rencontres. Mais si toutes ces démarches n’ont point eu le succès qu’en espéroient ceux qui les faisoient, elles en ont eu un autre auquel personne ne s’attendoit, ni même ne pensoit. Tout habile que vous êtes à devenir, je suis persuadé, Monsieur, qu’il vous surprendra, & que vous ne serez pas des derniers à en rire.

Pendant que l’on guétoit au passage, comme je viens de vous le marquer, le Benedictin Apostat & sa criminelle Compagne, il se présente à un Bureau de Poste une jeune Demoiselle accompagnée d’un égrillard assez ressemblant à Don Bernard L . . . . On les arrête, & on les fait reconduire au Couvent. Les Benedictins & le Garde-du-Corps, à qui on en fait donner avis, accourent aussi-tôt pour reconnoitre chacun ce qui leur appartient ; mais ils sont également surpris de voir deux personnes qui ni l’un, ni les autres ne connoissoient, & que selon toutes les apparences ils n’avoient jamais vu. Cette confrontation faite, on conduit les deux fugitifs devant le Magistrat qui, après quelques perquisitions, découvre que ce nouveau Couple étoit un Cordelier, nommé le Père P . . . & un Religieuse Ursuline du Couvent de C . . . d’où ce Moine l’a enlevée il y a trois ans ; qu’il a voyagé avec elle pendant tout ce tems, de ville en ville, faisant, pour subsister, un commerce aussi honteux qu’infame des faveurs de cette charmante Nonne. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Que pensez vous de cette Avanture, Monsieur ? Ne [13] nous donne-t-elle pas une belle idée de la Vertu, de la Religion, & de la Chasteté de ces deux Religieux ? Ce que j’y trouve de singulier & de divertissant, c’est la bisarerie & le caprice du sort qui a fait tomber entre les mains de la Justice ce couple de Criminels qu’elle ne cherchoit pas, & qui fait échapper ceux après lesquels on couroit, & qui auroit, peut-être au prémier Jour, la même destinée. Voilà bien à la lettre l’accomplissement de ce qui est dit dans ces Vers que je vous ai assez souvent entendu chanter.

Ebene 3► Cette Avanture nous prouve

Qu’il arrive en certains cas
Que sans y penser on trouve
Ce que l’on ne cherchoit pas. ◀Ebene 3

Une autre singularité qui ne frape pas moins, & qui n’est pas moins risible, c’est que, pour la première fois de sa vie qu’un Benedictin se mesle de galanterie, il a l’esprit de duper un Mari des plus fins, & d’échaper à ses Argus, pendant que des Cordeliers, qui y sont, dit-on, si experts, viennent, comme des Papillons, se bruler à la chandelle. Car la capture de celui ci, quoique imprévue, a été déclarée de bonne prise par le Juge ; & les deux coupables ont été livrez à leurs Supérieurs qui ne manqueront pas de leur faire expier leur crime. Ces derniers aprendront par cette Histoire à veiller un peu mieux qu’ils ne sont sur conduite des Sujets qui sont commis à leur garde, & qui ne donneroient certainement pas ces Scènes scandaleuses à l’Eglise, s’ils leur tenoient la bride un peu plus haute.

Au reste, Monsieur, ne croyez pas qu’il n’y ait que nos Moines auxquels on soit en droit faire cette Mercuriale : S’ils nous donnent, de tems-en-tems, des scandales, ils ne sont pas encore, à beaucoup près, aussi fréquents, que dans quelques autres Etats Catholiques, & dans ceux mêmes où ils devroient être les plus rares, attendu qu’ils sont beaucoup plus près du païs de la Sainteté, Je ne doute point que vous n’ayez entendu parler quelquefois du débordement de ceux d’Italie. [14] Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Un de mes Amis, qui réside actuellement à Bruxelles, m’a envoyé l’Histoire scandaleuse d’un certain Moine Dominicain qui y vient de passer avec une femme qu’il a de même enlevée à son Mari, nommé Pietro Costa, Marchand Chapelier à Tortone, dans le Milanès. Ce Moine, qui se nomme le très Révérend Pere Agilli, & qui exerçoit dans la même ville la Charge de Secretaire de la très Sainte Inquisition, ayant séduit cette femme, l’emmena d’abord avec lui à Geneve où lui fit abjurer sa Religion, comme il le fit lui même peu de jours après. Avant que de faire cette démarche, le Révérend Pere Apostat s’étoit imaginé, & avoit persuadé à sa Compagne, que cette nouvelle Canaan seroit pour eux un Terre où couleroit le Lait & le Miel, & que toute l’Eglise Génévoise s’empresseroit à faire la fortune de ces deux nouveaux enfans de Calvin. Mais il y a déja long-tems que les Pasteurs Protestants ne sont plus la dupe de ces prétendues Conversions dont le Libertinage & la Fainéantise sont les motifs les plus ordinaires. Le Signor Agilli, & la Dona Costa, abandonnez par le Consistoire, sur lequel ils avoient fondé leur fortune, & réduits à leurs sçavoir-faire, qui étoit un peu au dessus du rien, furent bientôt obligés de quitter Geneve où ils ne trouverent personne qui fut d’humeur de les entretenir dans l’Oisiveté. Ils traversent donc l’Allemagne, vinrent à Francfort où notre Profélite, pour tâcher de subsister, se fit annoncer sur les Gazettes comme un Précepteur qui cherchoit quelque éleve.

Il faut être aussi neuf dans le monde, que l’est un Moine, pour s’imaginer que des parents, qui ont quelque ombre de bon sens iront confier une chose aussi précieuse que l’est l’éducation de la jeunesse, à des hommes à qui l’esprit de libertinage & de débauche ont fait enfreindre ce que la Religion a de plus sacré. Le Signor Agilli s’en étoit flaté, comme s’en flattent tous ses pareils ; mais il éprouva bientôt le contraire. Toute sa charlatanerie ne lui servit de rien ; & il se vit obligé de quitter au plutôt la ville de Francfort, comme il avoit fait celle de Geneve, pou<sic>f ne n’y pas mourir de faim. Il jetta les yeux sur la Hollande, le réceptacle ordinai-[15]re de ces sortes de gens, & vint avec sa chere Helene à Amsterdam, & delà à la Haye, où il ne se flatoit de rien moins que d’être choisi pour Précepteur & Gouverneur du jeune Prince Héréditaire ; mais il eut la douleur de voir que les habitants de ces deux villes, rebutez depuis long-tems par les importunitez de ces sortes de gens dont la plûpart ne leur aportent que des scandales, de l’ignorance, & de la misère, n’en voulurent seulement pas pour aprendre à lire à leurs Domestiques. Il ne restoit au Secrétaire Apostat d’autre parti à prendre dans ce païs pour y subsister, que celui d’être Soldat ; ce qu’on m’a assuré qui arrivoit très souvent à ces prétendus Convertis. Mais celui-ci n’étant pas de taille à l’etre, la Providence, pour le punir de son crime, lui ôta même cette triste ressource.

Enfin dévoré par la faim & accablé de misère, semblable à l’Enfant Prodigue dont il avoit si bien imité les déréglements, il se jetta dans les bras d’un Ambassadeur, le conjurant de faire sa paix avec ses anciens Supérieurs, & promettant de se soumettre à toutes les pénitences qu’ils lui voudroient imposer, pourvu qu’ils lui fissent seulement la grace de le laisser rentrer dans leur Ordre, grace que ce charitable Ministre lui a obtenu.

Ebene 4► Belle Conclusion & digne de l’exorde ! *3 ◀Ebene 4 ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Puissent tous nos Moines luxurieux, qui seroient tentez d’imiter la conduite du T. R. P. Agilli, Secrétaire de la tres Sainte Inquisition de Tortone, profiter de la lecture de cette Histoire que mon ami me marque qu’il tiens d’un des premiers Curez de la ville de Bruxelles, où ce Moine étoit il n’y a pas encore trois semaines, & qui l’avoit aprise de lui-même.

Ebene 3► En toute chose il faut considerer la fin (a4 ) ◀Ebene 3

a dit un de nos Poëtes. Si les Moines sçavoient quel est, pour l’ordinaire, le terme fatal de leur Apostasie, [16] si toutes les malheureuses qu’ils séduisent étoient instruites des suites fâcheuses & souvent funestes qu’ont les démarches que leur fol amour leur fait faire, les uns & les autres n’ecouteroient pas si volontaires le Démon de la Concupiscence qui, pour les faire tomber dans ses filets, leur presente les objets dans une perspective toute difference de ce qu’ils sont dans la réalité. C’est à eux à profiter de la lecture de ces deux Histoires que je vous prie de faire lire à tous ceux que vous pouvez connoitre. . . .

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► A-Propos de Moines qui enfreignent & violent leurs engagements sacrez, je vous dirai pour Nouvelle, que la fameuse Demoiselle de Moras, dont on a tant parlé, il y a quelques années, & qui a déja fourni la matière d’un assez bon Roman, vient de faire abjurer les Vœux à un Chevalier de Malthe, en contractant mariage avec lui. Il est un peu etonnant qu’ayant été enlevée dans sa jeunesse par M. De la Roche-Courbon, elle ait eu encore, étant déja sur le retour, assez de mérite pour faire faire une pareille démarche à ce Chevalier que l’on nomme le Chevalier de Beau-champ. Quoique bien des gens trouvent ici à redire à ce Mariage, il est néanmoins à présumer, du moins cette Dame s’en flatte-t-elle, qu’il sera plus heureux que le premier qu’elle avoit contracté, & dont vous avez sçu, dans le tems, les tristes & funestes suites. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris, ce 2 Avril 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux.

Qui se vendent à la Haye, dans la Boutique de Pierre Gosse, Junior, Libraire de S. A. R. à la Haye.

Le Tribut de l’amour ou les Causes Célebres de Cythere par le Chavalier de la B * * * 8. 2 parties à Cythere 1750.

Bi-bi, Conte Traduit du Chinois par un François, première & peut-être dernière Edition, 12. à Mazuli.

Lettres Philosophiques contre la Doctrine de L’Eglise Romaine sur l’Eucharistie, addressées en 1735. au R. P. Tournemine Jesuite par M. André Pierre Leguai de Premontval, 8. Londres 1750.

Jeudi le 9 Avril 1750.

Il y aura aujourdhui un Extraordinaire. ◀Ebene 1

1* Moliere, dans la Comédie du Misantrope, Acte I. Scène I.

2* Racine, dans la Tragédie de Phedre & Hippolite, Acte IV. Scène 2.

3* Racine, Comedie des Plaideurs, Acte III. Scène 3.

4(a) La Fontaine, Fable du Bons & du Renard