Zitiervorschlag: Jacques-Vincent Delacroix (Hrsg.): "XIe Discours.", in: Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire, Vol.1\011 (1794), S. 98-105, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4605 [aufgerufen am: ].


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XIe Discours.

Sur l’Énergie populaire.

Ebene 2► Je ne me lasse pas d’observer les contrastes qu’offre la révolution dont nous sommes les acteurs et les témoins. On ne peut pas révoquer en doute que la très-grande majorité du peuple ne soit devenue idolâtre de la liberté. Elle l’environne, la surveille, la défend comme son unique divinité ; les sacrifices qu’elle lui fait journellement semblent accroître son zèle. Les pères lui immolent leurs enfans ; les jeunes gens lui dévouent leurs bras, leurs loisirs, leurs amours ; les femmes lui consacrent leurs parures, leurs habitudes, leurs idées religieuses. Les privations ne coûtent rien à ces vrais républicains ; les mets les plus grossiers leur semblent toujours assez bons, s’ils sont assaisonnés par le sentiment qui les enivre. Assurez-leur du pain noir et l’égalité, ils ne demandent rien de plus à l’autorité qu’ils ont créée et qu’ils croient partager.

[99] Il semble si beau au mercenaire d’aller d’un pas égal avec le riche, de siéger, de délibérer avec lui, de lui parler du ton le plus familier ; d’intimider celui qui l’humilioit de ses titres, de ses privilèges, de son faste, de lui voir partager son service, ses corvées ! Une pareille révolution, il faut l’avouer, doit le combler de joie, relever son ami si long-temps abattue, et lui faire braver tous les dangers pour maintenir des avantages aussi inespérés. Mais combien est différent le sentiment qu’éprouvent ceux qui sont retombés de l’esprit de domination et des prétentions de la vanité dans une nullité absolue ! Avec quelle indignation ils se voient ravalés au dessous d’une classe d’hommes qui n’excitoient que leur pitié ou leur dédain ! Ils frémissent de leur impuissance et baissent, en rugissant, leur tête sous une égalité qui leur est odieuse ; ils voudroient pouvoir entraîner tous ceux qui s’en parent dans un abîme de remords et de douleurs. Ils sont disposés à en durer l’esclavage, les tourmens de la faim pourvu que leur systême triomphe, et que leurs vœux s’accomplissent. Trompés chaque jour dans leur attente, ils [100] marchent d’imprudence en imprudence, et sont sans cesse victimes de leur indiscrète fureur. Lorsqu’ils vont au supplice, ce n’est pas la perte de la vie qui excite leurs regrets ; quel charme auroit-elle pour eux ! c’est de voir la révolution leur survivre ; c’est de traîner à l’échafaud le doute d’une prompte vengeance.

Cette foule qui se montre si ardente d’exécutions, cherche sur les visages des condamnés les traits de la douleur et du repentir ; mais ceux ci affectent une joie qui ne peut exister au fond de leur cœur ; on en voit qui provoquent la multitude par leurs gestes et leurs imprécations ; d’autres, sous un silence dédaigneux, offrent une ame impassible. Ce qu’il y a de plus étonnant dans cette dernière lutte du partie subjugué contre la multitude triomphante, c’est la vue de la beauté, de la jeunesse et presque de l’enfance, disputant de fermeté avec les hommes les plus exercés à braver la mort : si l’on en excepte cette trop fameuse courtisanne dont l’ame étoit amollie par les voluptés, et ne sut pas conserver après la mort de son amant, dans une réserve décente, le reste d’éclat attaché à son an-[101]cienne faveur ; toutes les femmes qui périssent, victimes de leurs opinions, conservent, après leur jugement, une tranquillité qu’on croyoit au dessus de leur sexe.

Que faut-il conclure de ces contrastes ? que c’est ici un combat entre le sentiment naturel à l’homme et celui que les préjugés ont fortifié dans son cœur ; que ce combat sera long, parce qu’on sera en guerre lors même qu’on paroîtra avoir posé les armes ; que la victoire demeurera à celui des deux partis qui persistera avec le plus de constance dans le sentiment qui l’exalte, qui offrira le plus d’ensemble, et arrachera de l’ame de son adversaire jusqu’à l’espérance de pouvoir jamais lui résister.

Lettre d’une ex-Religieuse.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Déjà depuis long-temps je sentois au fond de mon cœur que j’avois été beaucoup trop docile aux conseils de mes parens et aux insinuations de mes supérieures, lorsqu’à seize ans j’avois juré d’être, toute ma vie, chaste, pauvre et soumise. Il me sembloit que la virginité qui ne faisoit le bonheur de personne ne pouvoit être une vertu : [102] que l’Etre suprême auquel j’avois fait hommage de la mienne étant, par sa nature, le créateur universel, ne me sauroit pas un grand gré de demeurer une créature stérile.

Autant, me disois-je, auroit-il valu qu’il ne m’eût pas douée d’une volonté, puisque je me suis engagée à ne jamais suivre que celle d’une autre : n’est ce pas rejetter le plus beau don du ciel, celui de la raison, que de renoncer à s’éclairer par elle ?

Si Dieu est le consolateur des pauvres, n’est-il pas aussi la source de toutes les richesses ? Quel mérite y a-t-il à refuser ce qu’il envoie, et de s’interdire la plus heureuse faculté, celle de secourir la misère ?

Cependant la faute étoit faite ; je ne pouvois plus paroître m’en repentir sans me couvrir de honte, et m’exposer à des dangers. A force d’imposer silence à mon cœur et à mes sens, j’étois parvenue à cette nullité physique et morale qui forme, disoit-on, la perfection de l’état monastique, lorsqu’un décret inattendu a brisé les cages où de pauvres colombes gémissoient. Nous avons toutes pris notre essor, les unes en traînant l’aile, les autres en planant avec joie dans la région de la liberté. Pour moi [103] j’ai dirigé mon vol vers l’ancien asyle de mon enfance, espérant voir partager à mes parens le plaisir que j’éprouvois à me réunir à eux : mais je n’ai pas tardé à m’appercevoir que mes sœurs, qui étoient sur le point de se marier, regardoient mon retour au monde comme un accident ; il les contrarioit d’autant plus qu’il sembloit que j’arrivasse tout exprès pour prendre part à la succession d’une mère qui venoit de mourir, et recueillir bientôt celle d’un père octogénaire qui descendoit lentement au tombeau ; elles poussèrent l’injustice jusqu’à murmurer des soins que je reudois à ce vénérable vieillard ; il sembloit qu’il ne me fût pas permis de lui montrer la tendresse d’une fille, et d’adoucir le court trajet qui lui restoit à faire. Cependant touché de mon assiduité et des larmes que je m’efforçois de lui dérober, ce bon père soulevoit ses bras vers moi et disoit d’une voix éteinte : hélas ! je le vois, je n’avois qu’une fille, et je l’ai sacrifiée ; les autres ne sont pas mes enfans ; elles ne veulent être que mes héritières.

Mes sœurs n’ont que trop justifié l’idée que mon père avoit de leurs sentimens pour lui : à peine ses yeux étoient-ils fermés [104] qu’elles se sont occupées de suivre les mouvemens de leur cœur, et ont rejetté sur moi seule le deuil et les regrets de la piété filiale.

Aujourd’hui un citoyen, jeune, bien élevé, qui a fait ses preuves de courage et d’intelligence, se présente et semble attacher son bonheur à l’idée d’obtenir ma main. Mes sœurs, qui ont contracté l’habitude d’hériter, m’environnent de vieilles dévotes et de tristes cagots : celles-ci me disent du ton le plus doucereux que les loix humaines ne peuvent rompre l’engagement que j’ai contracté avec le ciel ; ceux-ci s’écrient : malheur à celle qui se dégraderoit jusqu’à devenir la femme d’un homme, après avoir été l’épouse d’un Dieu! J’avoue que je n’ai pas la vanité de croire que Dieu ait daigné associer à sa gloire une créature aussi chétive que moi, ni qu’il regardera comme une infidélité l’union que je contracterai avec un être dont l’existence est bien plus rapprochée de la mienne. Il me semble que si mes sermens, sans être profitables à la Divinité, ne nuisent qu’à moi, c’est une folie de leur sacrifier le bonheur de deux individus qui en feront de plus conformes aux loix divines et humaines : comme je [105] connois votre impartialité, je m’adresse à vous pour m’éclairer et dissiper les scrupules qu’on cherche à m’inspirer. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Réponse.

Brief/Leserbrief► Votre raison vous a mieux parlé que je ne pourrois le faire ; ne croyez ni celles qui invoquent le ciel lorsqu’il s’agit de remplir les devoirs imposés aux habitans de la terre, ni ceux qui offensent la Divinité en lui offrant des victimes humaines. Dieu n’a pu agréer des sermens opposés à la loi qu’il a gravée dans tous les cœurs sensibles et purs : aimez celui qui est digne de votre amour ; communiquez à d’autres la vie que vous avez reçue ; la stérilité n’est un bien que chez les méchans, il faut qu’ils meurent tout entiers, et que les bons se survivent dans leur postérité ; c’est un dédommagement qu’ils doivent à l’humanité, elle seroit trop à plaindre en les perdant. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1