Je formerois un volume de lettres, si je publiois toutes celles que je reçois des diverses prisons de la capitale et des départemens. Quel spectacle que celui d’une république où les principaux édifices suffisent à peine pour contenir la foule des captifs qu’on y amène des cités et des campagnes ; où le noble, où le cultivateur, où l’artisan, où l’homme de loi se trouvent mêlés, confondus comme dans un vaste sépulcre ; où celui qui arrête, qui garde est lui-même dans la crainte d’être arrêté et gardé à son tour ; où l’on commence par se rendre dénonciateur pour n’être pas dénoncé ; où chacun s’observe et se redoute ; où le maître
Que d’individus lurent autrefois avec indifférence mes lettres, mes discours sur les prisons, et regardoient ce sujet comme étranger à leur existence superbe, qui ont senti la vérité de mes réflexions ! Ils me reprochoient de l’exagération ; ils voient combien j’étois demeuré au dessous de la réalité.
J’étois loin de prévoir alors que j’aurois pour appuis de mes pensées une reine, une sœur de roi, des princes du sang royal, des maréchaux de
(I) Voyez la lettre d’un prisonnier, dans ). Ces représentans, qui ne représentent plus qu’eux seuls, partagent les gênes, les oppressions, les terreurs de ceux dont ils ont provoqué la détention. S’ils sont un jour rendus à la liberté et réintégrés dans leurs fonctions, que d’abus, que de crimes ils auront à dénoncer ! Des espions soudoyés pour exprimer les pensées du captif trop confiant ; des pièges tendus au desir si naturel de recouvrer sa liberté ; des vengeances à l’égard de l’opprimé qui ose murmurer contre l’injustice ; des malades dont d’exécrables infirmiers accélèrent la fin pour s’enrichir de leurs dépouilles.
Qui le croiroit ! c’est là que des actes de la vertu la plus rare réconcilient avec l’humanité. On y voit la jeunesse compatir au besoin du vieillard ; d’anciens militaires étonnés des témoignages de respect et de
Que d’accusés, avant de se rendre au tribunal le plus redoutable qui ait jamais existé, ont consolé, rassuré ceux qui répandoient des larmes sur eux, et leur disoient un éternel adieu ! Pourquoi faut-il que l’homme ait besoin du malheur pour devenir sensible et bon ? S’il n’est que riche et puissant, le bonheur l’endurcit, il se croit au dessus des atteintes du sort. Aujourd’hui que ses coups sont si multipliés, combien ne voyons-nous pas encore de citoyens abuser d’une autorité éphémère, rejetter avec un sang-froid cruel les sollicitations d’une mère, d’une épouse, les touchantes instances d’une fille éplorée, refuser à leur douleur une parole consolante ? Homme féroce ! demain tu partageras ces fers que tu rends si pesans, et tes souffrances seront la consolation du misérable dont tu auras repoussé les prières.
Avant que la république fût décrétée en
Pourquoi ressemblons-nous trop à des enfans qui se sont affranchis de leur maître, et brisent dans leur première ivresse tout ce qui est à leur usage, au lieu de le conserver pour s’en servir utilement ? c’est parce que nous avons passé de la servitude à la liberté avant d’être formés pour elle : on diroit que nous n’avons pas la certitude de nous y maintenir, et que nous voulons au moins
Occupons-nous d’en assurer la durée, et elle ne nous échappera pas. Commençons par lui donner des bases plus solides que celles du despotisme. Il n’en est pas de plus inébranlables que la justice et la félicité publique. Pour établir l’une, il faut concilier les principes du droit naturel avec l’intérêt général. Pour faire régner l’autre, gardons-nous de l’asseoir sur les richesses numéraires. Par-tout où il existe beaucoup d’individus réunis en société, le plus grand nombre doit nécessairement manquer de ce faux signe de l’opulence. Il faut donc que l’industrie et l’amour du travail en tiennent lieu. Dans une bonne république, l’indigent doit être sans excuse et n’inspirer que du mépris, au lieu d’avoir droit à la pitié de ses semblables. Eussiez-vous à votre disposition tous les trésors des deux mondes, si vous ne donnez au misérable que de l’or, loin de détruire la misère vous ne ferez que l’accroître ; mais si vous considérez l’Etat comme un sol productif dont tous les points doivent être mis en valeur,
Il sied au républicain d’avoir la contenance de l’égalité avec tous ses concitoyens ; mais cette noble attitude doit être l’effet de sa propre estime. Pourquoi s’humilieroit-il devant les autres, lorsqu’il se sent élevé à ses propres yeux ? Il est moins riche : qu’importe, s’il ne demande rien qu’à son travail, et sait vivre de son salaire ? Il s’énonce mal : en est-il moins honnête, s’il pense toujours bien ? Malheureusement beaucoup d’hommes crient à l’égalité pour avoir des inférieurs ; beaucoup d’autres déclament contre les riches, parce qu’ils ne savent pas s’honorer de leur pauvreté. Ils ont à la bouche le mot de fraternité, et ils traitent leurs semblables en ennemis ; ils se parent d’un faux zèle, parce qu’ils sont incapables d’en avoir un réel. Quant à moi, je le déclare, tous ces exagérateurs ne m’en imposent pas ; je juge de leurs pensées secrètes en sens contraire de leurs discours. Si je m’attache à leur vie privée, je découvre bientôt que ces hommes si sévères ont
Une république ne pourroit pas subsister avec des démocrates qui n’auroient ni justice, ni humanité dans le cœur ; ils ne tarderoient pas à s’entre-détruire, en admettant que les autres peuples les abandonnassent à leur propre fureur. Aussi mon espérance se fonde t-elle principalement sur la génération qu’une bonne éducation aura formée aux vertus républicaines ; elle sera courageuse sans cruauté, laborieuse sans cupidité, éloquente par sentiment, généreuse par affection, docile par raison ; sa politesse sera franche, parce qu’elle sera sans intérêt.
O combien de pères auroient besoin des leçons qu’on donne à leurs enfans ! Ce qui peut arriver de plus heureux, c’est qu’ils n’étouffent pas, par leurs discours et leurs exemples, les semences de vertu que ré-