Continuez, Monsieur, impatientez-moi bien, vous me donnerez un prétexte honnête pour vous laisser là, vous & votre livre : & mais je voudrois bien sçavoir quel intérêt je dois prendre à votre tranquillité. Que vous soyez tourmenté, que l’on vous laisse en repos ; qu’est-ce que cela me fait, je vous prie ?
Si je ne déclare pas mon nom, vos Lecteurs me dédaigneront : & moi donc ! croyez-vous que je les admirerai ? je garderai mes cahiers, je les lirai moi-même : bien des Auteurs devroient prendre ce parti.
Les complimens que vous me faites autant de perdu. Je vous l’ai déja dit, moi, je vous trouve malhonnête, bizarre, ridicule. Bon, voilà parler, cela s’entend : ce langage naturel vaut cent fois mieux que ces belles phrases dans lesquelles l’esprit s’égare.
Je n’ai point d’esprit, Monsieur, je ne fais pas cas de l’esprit ; cet aveu est très-choquant pour vous ; mais fâchez-vous, ne vous fâchez pas ; cela m’est parfaitement égal. Çà, nous ne pouvons nous souffrir ; voilà un commencement de commerce qu’il ne faut pas négliger. Si le diable faisoit que je fusse une femme, il pourroit nous mener loin. Etes-vous beau, je crois que non ; comme je ne vous trouve pas le sens commun, je m’imagine que vous avez un minois de fantaisie, un masque ; je l’ai trouvé assez mauvais : dans la seconde, vous me traitez d’énigme : encore une épithete, & je vous enverrai promener : renoncez, je vous prie, à votre petit projet de découverte ; il ne me plaît pas de dire mon nom : on ne lit point les inconnus, voyez-vous cela ? & moi je ne lis pas beaucoup de gens, justement parce que je les connois ; mais accomodez-vous avec vos Lecteurs, & ne m’étourdissez pas de leurs plaintes.
Je voulois faire un Ouvrage raisonnable, mêler à une morale douce des récits amusans ; mais avec une maudite tête comme la vôtre, on ne peut suivre un plan sensé. Vous vous êtes épris de Madame de cœur, de foiblesse, d’illusions, d’espérances, de délire . . . oh ! de ce dernier, je vous en crois très-capable.
Pour cette fois-seulement je cede à votre priere importune ; voilà un cahier tout de lettres : mais ne vous accoutumez point à m’imposer des loix, je ne le souffrirois pas. L’Abeille est volontaire ; si vous l’obstinez, elle s’envolera, vous ferez en vain du bruit pour la ramener ; ou bien elle s’enferma dans sa ruche & ne se souviendra pas même si vous êtes au monde. Alors vous ne lui direz point, on ne vous lira pas. Adieu, Monsieur, faites vos réflexions sur ce que j’ai l’honneur de vous avancer.
Plus folle, plus étourdie que jamais (je parle de Madame de soins fâcheux, un besoin véritable de venir partager les plaisirs de la charmante société. Je finis la lettre, l’approuve & la remets sur la cheminée. Madame de cela est bien écrit, convenez-en ; très-bien : un style aisé ; oui, je ne sçais quoi de tendre, d’intéressant . . . je l’interromps, je passe à si indifférente, Madame ? & moi de m’étonner : quoi ! comment ! que signifie . . . à quel propos . . . vous ne voulez rien voir dans cette lettre ? qu’y verrois-je, Madame ? que le Marquis est passionnément amoureux ; amoureux ! lui ! eh, de qui donc ? devinez ; de vous, peut-être ? bon : de Madame de point du tout : de Madame de non : ah ! c’est de Madame de eh non : de ma sœur ? eh, mon non.
Lasse de me tromper, je cesse de chercher : j’appelle son chien, le caresse, me mets à jouer avec lui ; elle s’impatiente, un homme si aimable, n’inspirer rien, pas même de la curiosité ? Mais, Madame . . . c’est porter l’insensibilité à un excès condamnable. Eh ! lui dis-je, doucement, (car elle s’animoit) est-il fort important pour Marquis de quelle dureté, Madame, quel aveuglement volontaire ? c’est vous qu’il aime, & vous le sçavez bien : moi ! vous. Je suis restée muette & si fâchée de cette brusque confidence. . . fachée ? non ; troublée plutôt ; je ne puis définir ce que j’ai senti. Madame de ça, ma chere amie, parlons sérieusement : M. de n’est-il pas de la plus aimable figure ? je conviens de cela : n’a-t-il pas de l’esprit ? beaucoup : des talens ? oui : des sentimens nobles, élevés ? d’accord : une conduite sage ? on le dit : une sincérité rare ? je le crois : ne jouit-il pas de l’estime générale ? assurément : de la vôtre même ? je l’avoue : regarderez-vous comme une foiblesse impardonnable l’indulgence qui vous conduiroit ? . . . à quoi, Madame ? à souffrir qu’il vous aimât, à l’aimer vous-même. A l’aimer ! (me suis je écriée) & vous n’y songez pas : oubliez-vous que M. de est marié, voulez-vous dire . . . plaisant obstacle que sa femme : premierement on l’a forcé de l’épouser, qu’importe : elle est boiteuse, la belle raison : aigre, colere & dévote, . . . mais . . . toujours renfermée ; mais elle est . . . ennuyeuse, insupportable, une vraie bégueulle avec laquelle je me suis brouillée . . . . mais elle est sa femme : oh ! comme çà ; qu’appellez-vous comme çà ? sa fureur est d’avoir des héritiers : on l’avoit avertie que le troisieme la feroit périr, le pauvre Marquis la conjuroit de se conserver ; mais elle a rejetté ses prieres, méprisé la menace . . . eh bien ? eh bien, dans six mois nous en seront débarrassée. Elle tousse, ne peut se soutenir, elle mourra, j’en suis sûre : mon Médecin me l’a dit, il a soin d’elle, il la tuera, j’en réponds, vous dis-je.
Quelle tête ! peut-on être plus extravagante ? sur la foi du Médecin de Madame de
En relisant vos dernieres lettres qu’on m’a rendues ensemble, mon premier mouvement a été de me fâcher contre vous ; je les ai quittées, reprises, rejettées & puis examinées. Ensuite j’ai pensé qu’un ami si tendre n’avoit pas eu dessein de me desobliger, encore moins de m’offenser. La vérité révolte souvent, mais elle persuade toujours un esprit raisonnable. J’ai suivi votre conseil : la sonde à la main, je suis descendue dans le profond secret de moi-même ; j’ai interrogé mon cœur ; hélas ! il m’a parlé comme vous.
Eh bien, mon cher Comte, je suis foible & malheureuse ; voilà l’aveu que vous desiriez : il me coûte, il m’humilie, mais je le dois à l’amitié, à
Si comme vous me le dites le Chevalier de
Mon amant, quel nom ! avez-vous pu l’ecrire. Moi, mon cher Comte, j’aurois un amant !
Ce titre dans sa véritable signification ne blesseroit peut-être pas ma délicatesse : j’ai des idées sur l’amour qui vous surprendroient ; mais ce n’est pas le tems de vous les développer ; mon esprit n’est pas plus libre que mon cœur.
M. de il est aimable, il est charmant, rien ne l’égale, il vous adore : je le regarde, je l’écoute, & je trouve qu’il est difficile de le louer assez pour lui rendre justice.
Vous m’assuriez qu’il me plairoit : ah ! oui ; il me plaît : je vous le dis sans détour : quand j’ai rougi devant moi, je ne crains pas de rougir devant un autre.
Après avoir refusé des partis si convenables, résisté à des soins si pressans, sauvé mon cœur des piéges les plus dangereux, j’ai trouvé le point fatal où ma raison devoit m’abandonner, où mon bonheur se détruiroit, où s’arrêteroit cette confiance orgueilleuse que j’osois mettre dans mes propres forces.
Ne me plaindrez-vous pas, mon cher Comte ? ma situation est cruelle : que puis-je attendre d’une passion inutile, d’un penchant que je dois me reprocher, d’un sentiment que l’amer-
Il falloit fuir d’abord : eh, mon Dieu ! je l’ai voulu ; mais un charme puissant m’a retenue : & puis, comment éviter M. de
Il est bien sûr, au moins, qu’un espoir téméraire ne me l’attache pas : non, il ne me confond point avec ces femmes imprudentes . . . hélas ! que sçais-je ? ma prévention est son seul garant, elle lui prête des vertus peut-être . . mais non, tout le monde convient des qualités superieures de son ame ; mais il m’aime, il n’est pas libre & s’efforce de me plaire . . . je
Vous m’allez demander, que ferez-vous ? je n’en sçai rien en vérité ; mais je ne puis plus écrire. Adieu, mon
Félicitez-moi, mon cher Comte, j’ai passé l’écueil si redouté : le Marquis de
Lundi dernier Madame de tendre épouse, répond Madame de
Une maison charmante, un grand feu, beaucoup de lumieres, un appartement gai nous inspirent la joie, & nous voilà à rire de tous nos amis, à nous représenter leur surprise. Madame de elle n’y est pas ? non : on ne l’attend pas ? non : ni demain, ni après ? . . non : on ne sçait où elle est ? non : je suis mort, & le Suisse, toujours non : ah ! la cruelle. Ensuite nous nous le peignons courant chez moi ; personne : chez est raisonnable, il prendra patience. Mon mari me fera enfermer, dit Madame de eh bien, nous irons vous voir au Couvent : je l’assure que ma sœur sera mettre le scellé chez moi, tant mieux, nous plaiderons la précieuse : & tout de suite, faisons des couplets contr’eux & contre nous, sur-tout ne nous ménageons pas. Cette belle proposition est applaudie, nous nous rangeons autour d’une table ; chacune prend une plume ; on rêve ; on s’applique ; l’une tape du pied, l’autre se décoëffe, Madame de
Au fort de cette occupation, un bruit de chevaux se fait entendre dans un peu de silence.
La porte est forcée, les voleurs se précipitent dans le salon, c’est M. de
Voilà Madame de
Ne croyez-vous pas que j’allois être d’une humeur horrible ? point du tout, envisagez moi sous mon air le plus ouvert, le plus riant : j’ai toujours entendu dire qu’il falloit cacher son épouvante à l’ennemi ; qu’une contenance timide lui donnoit de l’avantage : oh ! je me suis très-bien conduite, vous allez voir.
Le Marquis cherchoit à s’approcher de moi, je ne l’évitois pas ; à me parler, je lui prêtois une obligeante attention ; à me servir, je le laissois faire. Le premier jour il a vanté mes charmes, mon esprit ; je n’ai répondu que par une légere inclination de tête : le lendemain il a exagéré le bonheur de celui qui me feroit renoncer à ma cruelle indifférence ; j’ai souri : le jour d’après il m’a demandé mon amitié, ma tendre amitié, je la lui ai accordée : le jour suivant il m’a suppliée que cette amitié fut intime, sans réserve : j’y ai consenti . . . cela vous paroît fort ? bon ; ce n’est encore rien, écoutez.
Le dernier jour nous nous promenions seuls, il m’aidoit à marcher . . . mon ami ceci est terrible, vous m’allez voir bien foible, bien imprudente . . . vous me gronderez peut-être . . . n’importe, vous sçaurez tout.
Le Marquis étoit sérieux : je vais donc vous quitter ? a-t-il répété plusieurs fois ; je n’aurai plus la douce liberté de vous voir à tous momens, de vous entretenir ; je voudrois bien au moins . . . oui, Madame . . . je voudrois . . . il s’est tu. Incertain, inquiet, il sembloit craindre de parler ; il m’a demandé de l’indulgence pour ce qu’il avoit à m’apprendre, & puis il ne m’a rien dit : j’étois embarrassée, émue, ah ? Madame, que celui qui vous aime, & peut vous l’avouer, vous demander du retour, en attendre, en esperer, est un homme heureux ! & sans être cet heureux homme, il m’a dit . . . oui, en vérité, il m’a parlé de son amour . . . mais, quels sentimens il m’a montrés ! aussi desintéressés, que vifs, aussi respectueux que tendres !
Une noble franchise lui a fait condamner aussi-tôt la hardiesse de cet aveu : il m’a prié de l’oublier, il n’en attend qu’un généreux pardon, il se taira, il se taira toujours ; mais je trouverai en lui un amant passionné, constant, fidele (hélas, mon cher Comte, fidele !) dont la conduite m’offrira seulement un ami zélé, prêt à s’immoler lui-même à ma gloire, à mon bonheur, aux loix que je daignerai lui prescrire.
Je ne sçai comment je me rappelle ses discours; j’étois si troublée en l’écou-oui : eh bien j’ai pardonné à M. de j’oublirai son amour, l’aveu qu’il m’en a fait, j’ai promis, j’ai juré d’être à jamais son amie : je souffrirai ses soins, ses assiduités, je permettrai ses visites, je recevrai ses lettres, j’y répondrai . . . eh mon Dieu ! que n’ai-je pas promis ? & tout cela par un bon motif, par une sage prévoyance, pour lui cacher mes sentimens, dans la crainte qu’il ne se doutât des dispositions trop favorables de mon cœur : comment trouvez-vous ma prudence ?
Il est des momens dans la vie où la moindre bagatelle devient un événement. Une bien petite aventure me cause une très-grande agitation ; le croiriez-vous ? mon cher Comte, je suis presque brouillée . . . oui, en vérité, presque brouillée avec M. de ami tel que lui est un étrange ami.
Hier j’étois chez Madame de rien ne l’égale. Le Chevalier l’a laissé, il s’est assis : on lisoit alors ; un trait sur l’amitié lui a fait reconnoître la carte sur laquelle j’avois écrit ; il l’a demandée avec vivacité ; Madame de
Etourdiment j’ai trouvé cela bon ; mon compliment a enchanté le Marquis ; plus étourdiment j’ai mis la carte dans ma poche.
Arrivée chez moi, mon premier soin a été de relire ces Vers ; ils m’ont paru une légere infraction de nos traités, pardonnable pourtant ; il étoit tard, je me suis couchée, & tout en y rêvant je me suis endormie.
Ce matin pendant qu’on me coëffoit, ces maudits Vers me sont revenus dans l’esprit ; revenus ? je ments près son heure pour me voir ; j’étois occupée, fort occupée à s’il l’avoit prévu . . . mais on ne pense pas, on se trompe . . . & croyez-vous qu’il me regarde en parlant ? non, en vérité, il ne me fait pas cet honneur ; ses yeux sont fixés sur ces petits papiers semés autour de nous. Pendant qu’il les contemple, je m’impatiente ; je voudrois presque qu’il devinât ce qui m’occupoit, puis je me fâche, je me dis