Discours CXX. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 02.05.2018 o:mws.6865 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome III, 155-162 Le Mentor moderne 3 120 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Sitten und Bräuche Costumi Manners and Customs Costumbres Mœurs et coutumes Gesellschaftsstruktur Struttura della Società Structure of Society Estructura de la Sociedad Structure de la société Männerbild Immagine di Uomini Image of Men Imagen de Hombres Image de l'homme Saudi Arabia 45.0,25.0 France 2.0,46.0

Discours CXX.

Quis fuit horrendos primus, qui protulit enses ?Quam ferus, & vere Ferreus ille fuit.

Tibull.

Qui est ce qui à le premier fait briller l’Epée ?Il falloit que ce fut un homme bien farouche, un veritable homme de fer.

Quoi qu’il y ait une pointe assez platte dans le second vers du Poëte Latin, le sujet, qu’il me fournit ne laisse pas d’être très serieux & d’une fort grande importance. Je traiterai aujourd hui un article qui interesse le repos, & peut-être bien la vie d’un grand nombre d’honnêtes gens d’une humeur pacifique, & qui ne demandent, comme l’on dit, qu’amour & simplesse. Il m’est venu des plaintes de tous les Caffez de la ville touchant une race nombreuse de jeunes gens, qui ont l’insolence de se promener dans nos rues, en plein jour, à la face du Ciel & de la terre, avec des épées d’une longueur excessive qu’elles jettent l’épouvante dans l’ame d’un grand nombre de bons & loyaux sujets de sa Majesté. Il n’y a même rien de plus incommode pour les gens, qui ne sont pas si faciles à émouvoir, que de rencontrer dans une ruë un peu étroite une demi-douzaine de ces sortes de Fanfarons dont les brettes, quand une fois vous y êtes engagé, vous empêchent également d’aller en avant & de reculer.

Lors que M. Lizard le Théologien quitta pour la premiere fois l’université, pour nous venir voir en ville, il se crut obligé en conscience de laisser la l’Ecolier, & de se donner des airs aussi Cavaliers qu’il étoit possible. Je m’apperçus de son noble dessein, quand il me rendit la premiere visite, par une barre de fer terrible, qu’il trainoit après lui, & qui le suivoit avec un bruit épouvanta-ble, lors qu’il descendoit les degrez. Sa Sœur Annabelle le guerit bien-tôt de cette fantaisie, en lui disant, que son épée étoit admirable & d’un grand secours quand il vouloit monter un Escalier, ou une Colline, mais qu’elle le soupçonnait fort de l’avoir volé dans la Cuisine de son College.

Mais revenons aux plaintes du Public, il est fort remarquable, que cette Confrairie de la brette ait pris naissance, lors de la Suspension d’Armes & que ce corps se soit augmenté considerablement du côté du nombre & de la longueur des épées, depuis la conclusion formelle de la Paix. J’ai entendu dire, que ces gens d’une bravoure mal placée, qui affectent un air militaire, dans la paix, & qui ont la valeur de se rendre épouvantables à leurs amis, & à leurs Concitoyens, ont resolu de former une Societé sous le nom de la Cotterie Terrible. On m’a dit même, qu’ils se flattent, d’obtenir la permission de tenir leurs Diétes dans le grand Magazin d’Armes de la Tour. Là-dessus je me suis fait une affaire de découvrir toutes les particularitez du projet formé par ces Fierabras, & par le secours de mon Lion j’ai trouvé des informations, qui me mettent, à ce que je crois, en état de contreminer leur impertinent dessein. Ce n’est pas tout il m’est tombé entre les mains, par un heureux hazard, une Copie de quelques articles fondamentaux de cette societé future, dressez par trois de ses Matadors, pour être proposez à la premiere seance, qui se tiendra le premier de Janvier, à moins qu’on y mette empêchement ; je m’en vais rendre ces articles publics, simplement, pour faire voir à ces Messieurs, que j’ai l’œil ouvert sur leur conduite, & qu’ils tâcheront en vain de la derobber à ma vigilance.

1. La Coterie s’assemblera à minuit dans le grand Magazin d’Armes, (si l’on en peut obtenir la permission,) le premier Mardi de chaque mois.

2. Le President sera assis sur un tambour, au haut bout de la table, armé d’un Espadon, & ayant pour armes défensives un Casque, & une veste de peau de bufle.

3. Le Président aura soin, que le plat capital soit toûjours un Pâté de chair de Taureau cuit dans un Bouclier approprié exprez à cet usage.

4. Les Membres de la Coterie se ser-viront, de Bayonettes, pour couper leurs viandes.

5. Chaque membre sera obligé de manger, sans quitter son Chappeau, son épée, & ses gands.

6. Toute la Liqueur, qu’on boira sera du Punch dont l'eau-de-vie sera animée par quelques bonnes poignées de poudre à Canon.

7. Cette Liqueur sera servie dans un mortier du premier Calibre.

J'ai vu la Semaine passée au caffé de Button un certain homme, qui selon toutes les apparences est un Membre de cette noble Societé. Il étoit assis vis à vis du Lion, à qui il paroissoit vouloir disputer l’honneur d’avoir le regard terrible. Sa taille n’étoit pas des plus grandes, mais il avoit dans toute son action quelque chose de si vif & de brusque, qu’à chaque fois qu’il se remuoit il sembloit tomber en convulsion. Il portoit un chapeau large & roide à l’épreuve de la canne la plus forte, enrichi d’un bord d’or de trois pouces tout au moins, & retroussé à la dragonne. Ce Chapeau effrayant étoit enfoncé dans une Perruque noire très moderement frisée, & ramassée, près des oreilles, dans deux nœuds épais. Son habit étoit court & tres riche en galon d’or décousu ; ses narines & sa levre de dessus étoient couvertes d’une grosse croute de tabac, qui relevoit merveilleusement son air breteur. J’esprois d’abord que les amis de ce Cavalier étoient trop sages, pour lui confier des armes, mais je fus bien-tôt détrompé là-dessus ; en le voulant examiner par en bas je lui vis une Rapiere d’une taille furieuse ; Elle lui pendoit negligeamment au dessous du genouil gauche accompagnée & embellie de deux houpes d’or, qui lui tomboient jusques sur le Soulier.

J'avouë que la valeur de ces Messieurs les Epouventables m’est terriblement suspecte ; je leur demande pardon, si je ne saurois m’empêcher de croire, qu’une longue épée, & un Chapeau retroussé à la Diable sont la livrée ordinaire & le deguisement favori d’un cœur lâche ; ces gens ne veulent faire peur aux autres, que parce qu’ils les craignent ; ce n’est qu’à cause qu’ils tremblent, qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour inspirer de la frayeur à tout ce qui aproche d’eux, & ils ne paroissent dangereux, que pour se mettre à l’abri du danger. Ils sont dans l’état de simple nature, où chacun doit craindre tout le monde. Si l’on pouvoit penetrer dans leurs cœurs, on y trouveroit peut-être un desir de s’armer de pied en cap, & l’on verroit qu’ils ne s’y hazardent, que de peur de trop faire connoitre leur excessive poltronnerie.

Un brave homme seroit fâché de porter des armes capables de lui donner le moindre avantage son sur prochain, il met sa gloire à ne point craindre, & à n’être point craint.

Je me souviens d’avoir vû dans mes voyages une Comedie, où la rare poltronnerie d’un Capitan excitoit mille éclats de rire dans tout le Parterre ; mais la scene qui paroissoit la plus divertissante étoit celle, où armé d’une Brette, qui alloit d’un bout du Theatre à l’autre, il fut mis en fuite par un petit homme, qui n’avoit que quatre pieds de hauteur & dont l’Epée étoit à peine longue de deux. Le souvenir de cette force me rappelle à l’esprit ce que j’ai lu quelque part d’un Roi d’Arabie ; ayant montré à ses Courtizans une très riche épée ils dirent unanimement, qu’elle n’avoit d’autre defaut que d’être trop courte ; Mais le fils du Prince ne fut pas de leur avis ; il soutint que jamais Epée n’étoit trop courte pour un brave homme, puis qu’il n’avoit qu’à faire un pas de plus pour la rendre assez longue.

J’ajoûterai à cette remarque qu’il n’y a point d’armes assez longues pour un poltron, qui ne se croira jamais en sûreté tant qu’il verra la pointe de son Ennemi ; qu’y a-t-il de plus naturel par conséquent que de conseiller aux gens, qui ne sont courageux qu’à une certaine distance, & qui ne laissent pas d’aimer leur réputation, de réduire leur rapieres à un volume plus commode, & en même tems plus propre à leur faire honneur.

Discours CXX. Quis fuit horrendos primus, qui protulit enses ?Quam ferus, & vere Ferreus ille fuit. Tibull. Qui est ce qui à le premier fait briller l’Epée ?Il falloit que ce fut un homme bien farouche, un veritable homme de fer. Quoi qu’il y ait une pointe assez platte dans le second vers du Poëte Latin, le sujet, qu’il me fournit ne laisse pas d’être très serieux & d’une fort grande importance. Je traiterai aujourd hui un article qui interesse le repos, & peut-être bien la vie d’un grand nombre d’honnêtes gens d’une humeur pacifique, & qui ne demandent, comme l’on dit, qu’amour & simplesse. Il m’est venu des plaintes de tous les Caffez de la ville touchant une race nombreuse de jeunes gens, qui ont l’insolence de se promener dans nos rues, en plein jour, à la face du Ciel & de la terre, avec des épées d’une longueur excessive qu’elles jettent l’épouvante dans l’ame d’un grand nombre de bons & loyaux sujets de sa Majesté. Il n’y a même rien de plus incommode pour les gens, qui ne sont pas si faciles à émouvoir, que de rencontrer dans une ruë un peu étroite une demi-douzaine de ces sortes de Fanfarons dont les brettes, quand une fois vous y êtes engagé, vous empêchent également d’aller en avant & de reculer. Lors que M. Lizard le Théologien quitta pour la premiere fois l’université, pour nous venir voir en ville, il se crut obligé en conscience de laisser la l’Ecolier, & de se donner des airs aussi Cavaliers qu’il étoit possible. Je m’apperçus de son noble dessein, quand il me rendit la premiere visite, par une barre de fer terrible, qu’il trainoit après lui, & qui le suivoit avec un bruit épouvanta-ble, lors qu’il descendoit les degrez. Sa Sœur Annabelle le guerit bien-tôt de cette fantaisie, en lui disant, que son épée étoit admirable & d’un grand secours quand il vouloit monter un Escalier, ou une Colline, mais qu’elle le soupçonnait fort de l’avoir volé dans la Cuisine de son College. Mais revenons aux plaintes du Public, il est fort remarquable, que cette Confrairie de la brette ait pris naissance, lors de la Suspension d’Armes & que ce corps se soit augmenté considerablement du côté du nombre & de la longueur des épées, depuis la conclusion formelle de la Paix. J’ai entendu dire, que ces gens d’une bravoure mal placée, qui affectent un air militaire, dans la paix, & qui ont la valeur de se rendre épouvantables à leurs amis, & à leurs Concitoyens, ont resolu de former une Societé sous le nom de la Cotterie Terrible. On m’a dit même, qu’ils se flattent, d’obtenir la permission de tenir leurs Diétes dans le grand Magazin d’Armes de la Tour. Là-dessus je me suis fait une affaire de découvrir toutes les particularitez du projet formé par ces Fierabras, & par le secours de mon Lion j’ai trouvé des informations, qui me mettent, à ce que je crois, en état de contreminer leur impertinent dessein. Ce n’est pas tout il m’est tombé entre les mains, par un heureux hazard, une Copie de quelques articles fondamentaux de cette societé future, dressez par trois de ses Matadors, pour être proposez à la premiere seance, qui se tiendra le premier de Janvier, à moins qu’on y mette empêchement ; je m’en vais rendre ces articles publics, simplement, pour faire voir à ces Messieurs, que j’ai l’œil ouvert sur leur conduite, & qu’ils tâcheront en vain de la derobber à ma vigilance. 1. La Coterie s’assemblera à minuit dans le grand Magazin d’Armes, (si l’on en peut obtenir la permission,) le premier Mardi de chaque mois. 2. Le President sera assis sur un tambour, au haut bout de la table, armé d’un Espadon, & ayant pour armes défensives un Casque, & une veste de peau de bufle. 3. Le Président aura soin, que le plat capital soit toûjours un Pâté de chair de Taureau cuit dans un Bouclier approprié exprez à cet usage. 4. Les Membres de la Coterie se ser-viront, de Bayonettes, pour couper leurs viandes. 5. Chaque membre sera obligé de manger, sans quitter son Chappeau, son épée, & ses gands. 6. Toute la Liqueur, qu’on boira sera du Punch dont l'eau-de-vie sera animée par quelques bonnes poignées de poudre à Canon. 7. Cette Liqueur sera servie dans un mortier du premier Calibre. J'ai vu la Semaine passée au caffé de Button un certain homme, qui selon toutes les apparences est un Membre de cette noble Societé. Il étoit assis vis à vis du Lion, à qui il paroissoit vouloir disputer l’honneur d’avoir le regard terrible. Sa taille n’étoit pas des plus grandes, mais il avoit dans toute son action quelque chose de si vif & de brusque, qu’à chaque fois qu’il se remuoit il sembloit tomber en convulsion. Il portoit un chapeau large & roide à l’épreuve de la canne la plus forte, enrichi d’un bord d’or de trois pouces tout au moins, & retroussé à la dragonne. Ce Chapeau effrayant étoit enfoncé dans une Perruque noire très moderement frisée, & ramassée, près des oreilles, dans deux nœuds épais. Son habit étoit court & tres riche en galon d’or décousu ; ses narines & sa levre de dessus étoient couvertes d’une grosse croute de tabac, qui relevoit merveilleusement son air breteur. J’esprois d’abord que les amis de ce Cavalier étoient trop sages, pour lui confier des armes, mais je fus bien-tôt détrompé là-dessus ; en le voulant examiner par en bas je lui vis une Rapiere d’une taille furieuse ; Elle lui pendoit negligeamment au dessous du genouil gauche accompagnée & embellie de deux houpes d’or, qui lui tomboient jusques sur le Soulier. J'avouë que la valeur de ces Messieurs les Epouventables m’est terriblement suspecte ; je leur demande pardon, si je ne saurois m’empêcher de croire, qu’une longue épée, & un Chapeau retroussé à la Diable sont la livrée ordinaire & le deguisement favori d’un cœur lâche ; ces gens ne veulent faire peur aux autres, que parce qu’ils les craignent ; ce n’est qu’à cause qu’ils tremblent, qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour inspirer de la frayeur à tout ce qui aproche d’eux, & ils ne paroissent dangereux, que pour se mettre à l’abri du danger. Ils sont dans l’état de simple nature, où chacun doit craindre tout le monde. Si l’on pouvoit penetrer dans leurs cœurs, on y trouveroit peut-être un desir de s’armer de pied en cap, & l’on verroit qu’ils ne s’y hazardent, que de peur de trop faire connoitre leur excessive poltronnerie. Un brave homme seroit fâché de porter des armes capables de lui donner le moindre avantage son sur prochain, il met sa gloire à ne point craindre, & à n’être point craint. Je me souviens d’avoir vû dans mes voyages une Comedie, où la rare poltronnerie d’un Capitan excitoit mille éclats de rire dans tout le Parterre ; mais la scene qui paroissoit la plus divertissante étoit celle, où armé d’une Brette, qui alloit d’un bout du Theatre à l’autre, il fut mis en fuite par un petit homme, qui n’avoit que quatre pieds de hauteur & dont l’Epée étoit à peine longue de deux. Le souvenir de cette force me rappelle à l’esprit ce que j’ai lu quelque part d’un Roi d’Arabie ; ayant montré à ses Courtizans une très riche épée ils dirent unanimement, qu’elle n’avoit d’autre defaut que d’être trop courte ; Mais le fils du Prince ne fut pas de leur avis ; il soutint que jamais Epée n’étoit trop courte pour un brave homme, puis qu’il n’avoit qu’à faire un pas de plus pour la rendre assez longue. J’ajoûterai à cette remarque qu’il n’y a point d’armes assez longues pour un poltron, qui ne se croira jamais en sûreté tant qu’il verra la pointe de son Ennemi ; qu’y a-t-il de plus naturel par conséquent que de conseiller aux gens, qui ne sont courageux qu’à une certaine distance, & qui ne laissent pas d’aimer leur réputation, de réduire leur rapieres à un volume plus commode, & en même tems plus propre à leur faire honneur.