Discours CXII. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 02.05.2018 o:mws.6857 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome III, 88-95 Le Mentor moderne 3 112 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Autopoetische Reflexion Riflessione Autopoetica Autopoetical Reflection Reflexión Autopoética Réflexion autopoétique Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme France 2.0,46.0 Turkey 35.0,39.0

Dicours CXII.

Matronæ præter faciem nil cernere possisCætera, ni Catia est, demissa veste tegentis.

Horace.

Une Dame Romaine, à moins qu’elle ne soit galante de profession, ne montre jamais que son visage, & couvre le reste de son corps d’une Robbe, qui va jusqu’à terre.

On séme des bruits très desavantageux de mon Lion, à cause que pendant quelques jours il a suspendu ses rugissemens ; un de mes Amis me man-de de sa Province, qu’on lui a dit confidemment, que mon Lion est réduit au silence, par un ordre du Gouvernement. D’autres avancent, qu’on lui a détaché un Huissier, qui l’a saisi, avec tous les Papiers qu’il avoit sur lui, & qu’en les examinant on y a trouvé des choses très pernicieuses pour l’Etat.

Il y a encore certaines gens aussi ennemis du Lion que de son Maître, qui debitent dans le monde, qu’il meurt de faim, & qu’à peine il a avalé un seul bon morceau en quinze jours de tems. Je déclare ici, que tous ces rapports sont faux, & sans aucun fondement ; & puisque j’ose démentir la Voix publique, je dois encore protester au Lecteur, que l’Histoire du Billet de Banque de deux cens livres parvenu jusqu’à moi, par la gueule du Lion, est un Conte fait à plaisir. La véritable raison de son silence est celle-ci : Ses Sifleurs ne lui ont mis dans la bouche, que de vilaines paroles, qu’il n’auroit pas pu repeter après eux sans choquer les régles les plus communes de la Politesse, & de la Bienséance. Malgré les sages avis que j’ai donnez à mes Correspondans, plusieurs d’entr’eux lui ont glissé dans la gueule un tas d’imperti-nentes calomnies ; d’autres l’ont bourné d’obscenitez infames ; il y en a qui l’ont rempli jusqu’au nœud de la gorge, de choses destituées de sens-commun, & en le nourrissant ainsi de Chardons, ils semblent en avoir voulu faire un Ane. Lundi passé en l’examinant, je le trouvai un vrai Tory François, & le lendemain c’étoit le Whig le plus Anti-monarchique qui ait jamais songé à renverser l’heureuse forme de nôtre Gouvernement ; certaines gens ont porté leur noire malice assez loin, pour l’animer contre son propre Maître. Mais comme je me suis engagé à ne point souffrir qu’il attaque la réputation de quique ce soit, mes Lecteurs peuvent se persuader que j’aurai grand soin, qu’il ne se jette pas sur la mienne.

Pour donner cependant au Public une satisfaction aussi générale, qu’il me sera posible ; j’ai resolu de faire, d’une de chambres du Caffé, la Bibliotheque de mon Lion, & d’y placer les differens pacquets de Lettres, qu’on lui addresse, sans que je trouve à propos de les communiquer a mes Lecteurs, ce seront des Memoires secrets, qui auront leur prix avec le temps, & qui pourront donner de grandes lumiéres aux Historiens fu-turs, qui travailleront à débrouiller les affaires de nôtre Siecle. En voilà assez là-dessus ; voyons ce que mon Lion aura de bon à nous dire aujourd’hui ; Les Naturalistes nous assurent que ces Animaux ont de grands égards pour la chastete ; on a pu le remarquer dans le mien, qui a poussé des rugissements terribles contre les gorges découvertes ; si je le connois bien il n’en demeurera point là, & sa voix fera trembler les Dames, jusqu’à ce qu’elles songent tout de bon à réformer cet abus.

Lettre.

Monsieur,

Il faut que je vous dise, pour vôtre satisfaction, que vôtre Lion est devenu une espece d’Epouventail pour les Dames de nôtre ville. Quand mon Epouse revient du Jeu à une heure induë, je lui dis à l’oreille d’un ton entre serieux & badin, que je donnerai de ses nouvelles au Lion, & je vous assure, que cette menace n’est pas sans effet. Au nom de vôtre amour pour le Genre Humain, ne donnez point repos au beau Sexe, jusqu’à ce qu’il se soit réconcilié avec le tour de gorge ; n’est-il pas certain que les Femmes se condamnent elles-mêmes, de s’être trop dépouillées, en donnant le nom de Piéce modeste à une petite bande de Mousseline de la largeur d’un doit, foible barriere, que les plus sages d’entr’elles opposent encore à la nudité, qui gagne tous les jours du terrain ? Hélas ce pauvre reste du tour de gorge baisse continuellement, & qui sait où il voudra bien s’arrester <sic> à la fin.

Vous saurez, Monsieur, que je fais Commerce en Marchandises de Turquie, & que j’ai passé une bonne partie de ma jeunesse dans cet Empire où les Femmes ne montrent absolument que leurs yeux ; vous ne croiriez jamais jusqu’à quel point je fus étonné à mon retour ici de voir mes belles Concitoyennes si prodigues de leurs beautez les plus agaçantes, quoique dans ce temps-là elles ne parussent qu’à l’ombre d’un Tour de gorge d’une raisonnable largeur. Peu de temps après j’épousai une très jolie personne, mais qui a le defaut de pousser toûjours la mode, jusqu’à la derniere extrémité ; j’étois ravi de penser, que mon titre de Mari, me feroit faire tous les jours chez mon aimable Femme quelque nouvelle découverte cachée au reste du monde ; mais je me suis bien trompé dans mon calcul, & graces à cette abominable mode, les yeux de tous les hommes sont aussi familiers avec ses charmes, que les miens. Je puis vous protester, qu’en trois années sa gorge est cruë de huit bons pouces ; mais ce qui me fait trembler quand j’y pense, c’est que son joli petit pied, & une bonne partie de sa belle jambe, sont exposez aux regards de tout le monde ; Beautez, qui ne devroient être que pour les Epoux, & qui me causoient des extases de joye ; lors que je m’en vis l’heureux Proprietaire. Comme le rideau se leve de plus en plus, je suis sur qu’un tas de jeunes Débauches promet déja à leur imagination libertine quelques nouvelles décorations.

Mais voici quelque chose de bien plus chagrinant pour moi. Au lieu d’être plus familier que tout autre avec les charmes de ma Femme, il se trouve que je le suis moins. Quand elle est au logis, elle est affublée d’un tas prodigieux de Cornettes, de Mouchoirs & de robbes de Chambres, & ce n’est que l’après dînée qu’elle se dépouille, pour s’étaler en public. Ce n’est qu’à force de se dépouiller qu’elle s’habille, & elle se croit à moitié ajustée lors quelle s’est debarassé des guenilles, qui la dérobboient à son mari.

Permettez-moi de vous dire, Monsieur, qu’il y a de vôtre faute à tout cela. Vous vous y êtes mal pris ; ce n’étoit pas en decouvrant ce que cette mode a de contraire à la pudeur, que vous deviez songer à la réformer. Si vous voulez que les femmes deviennent vos Proselytes, prouvez leur, que si elles veulent attrapper des Maris il ne faut pas qu’elles montrent tous leurs apas, avant le Mariage ; je suis sur, que si ma Femme avant que je l’eusse épousée, avoit été habillée, comme elle l’est à présent, la grande moitié de ma curiosité auroit été satisfaite. Bien des gens ont été détournez de dépenser leur argent à quelque spectacle par les tableaux, qu’ils voyoient devant la porte. J’ai vû plus d’une fois des personnes tellement attentives à ces objets, qu’elles pouvoient voir pour rien, qu’à peine prêtoient-elles l’oreille au maitre du jeu, qui s’egosilloit à crier : Entrez donc, Messieurs, Entrez.

Je vous ai dit au commencement de ma lettre jusqu’où les Mahometantes portent la modestie de leur habillement, & vous nous avez informez des bornes que sa Sainteté a trouvé bon de prescrire aux Gorges des Dames Romaines. J’espere qu’à la fin nos belles Bretonnes voudront bien aussi entendre raison sur ce chapitre ; il est vrai qu’elles ont les plus belles peaux du monde, mais pourtant elles ne seroient pas trop mal de n’en faire voir que ce qui appartient precisement au vigase <sic>, aux mains, & à la gorge proprement dite ; si elles sont tout à fait belles, il ne s’en suit pas, qu’elles doivent être tout à fait nuës.

Vous savez, Monsieur, qu’au commencement du dernier siecle, il y avoit parmi nous une Secte d’hommes, qui s’appelloient Adamites, & qui marchoient dans les ruës sants <sic> habits ! Si vous n’y mettez ordre, cette Heresie pourroit bien s’emparer de l’autre sexe, puisque deja nous voyons par tout un si grand nombre de Femmes, qui paroissent avoir un vif penchant à se rendre Evites.

Je suis.

Dicours CXII. Matronæ præter faciem nil cernere possisCætera, ni Catia est, demissa veste tegentis. Horace. Une Dame Romaine, à moins qu’elle ne soit galante de profession, ne montre jamais que son visage, & couvre le reste de son corps d’une Robbe, qui va jusqu’à terre. On séme des bruits très desavantageux de mon Lion, à cause que pendant quelques jours il a suspendu ses rugissemens ; un de mes Amis me man-de de sa Province, qu’on lui a dit confidemment, que mon Lion est réduit au silence, par un ordre du Gouvernement. D’autres avancent, qu’on lui a détaché un Huissier, qui l’a saisi, avec tous les Papiers qu’il avoit sur lui, & qu’en les examinant on y a trouvé des choses très pernicieuses pour l’Etat. Il y a encore certaines gens aussi ennemis du Lion que de son Maître, qui debitent dans le monde, qu’il meurt de faim, & qu’à peine il a avalé un seul bon morceau en quinze jours de tems. Je déclare ici, que tous ces rapports sont faux, & sans aucun fondement ; & puisque j’ose démentir la Voix publique, je dois encore protester au Lecteur, que l’Histoire du Billet de Banque de deux cens livres parvenu jusqu’à moi, par la gueule du Lion, est un Conte fait à plaisir. La véritable raison de son silence est celle-ci : Ses Sifleurs ne lui ont mis dans la bouche, que de vilaines paroles, qu’il n’auroit pas pu repeter après eux sans choquer les régles les plus communes de la Politesse, & de la Bienséance. Malgré les sages avis que j’ai donnez à mes Correspondans, plusieurs d’entr’eux lui ont glissé dans la gueule un tas d’imperti-nentes calomnies ; d’autres l’ont bourné d’obscenitez infames ; il y en a qui l’ont rempli jusqu’au nœud de la gorge, de choses destituées de sens-commun, & en le nourrissant ainsi de Chardons, ils semblent en avoir voulu faire un Ane. Lundi passé en l’examinant, je le trouvai un vrai Tory François, & le lendemain c’étoit le Whig le plus Anti-monarchique qui ait jamais songé à renverser l’heureuse forme de nôtre Gouvernement ; certaines gens ont porté leur noire malice assez loin, pour l’animer contre son propre Maître. Mais comme je me suis engagé à ne point souffrir qu’il attaque la réputation de quique ce soit, mes Lecteurs peuvent se persuader que j’aurai grand soin, qu’il ne se jette pas sur la mienne. Pour donner cependant au Public une satisfaction aussi générale, qu’il me sera posible ; j’ai resolu de faire, d’une de chambres du Caffé, la Bibliotheque de mon Lion, & d’y placer les differens pacquets de Lettres, qu’on lui addresse, sans que je trouve à propos de les communiquer a mes Lecteurs, ce seront des Memoires secrets, qui auront leur prix avec le temps, & qui pourront donner de grandes lumiéres aux Historiens fu-turs, qui travailleront à débrouiller les affaires de nôtre Siecle. En voilà assez là-dessus ; voyons ce que mon Lion aura de bon à nous dire aujourd’hui ; Les Naturalistes nous assurent que ces Animaux ont de grands égards pour la chastete ; on a pu le remarquer dans le mien, qui a poussé des rugissements terribles contre les gorges découvertes ; si je le connois bien il n’en demeurera point là, & sa voix fera trembler les Dames, jusqu’à ce qu’elles songent tout de bon à réformer cet abus. Lettre. Monsieur, Il faut que je vous dise, pour vôtre satisfaction, que vôtre Lion est devenu une espece d’Epouventail pour les Dames de nôtre ville. Quand mon Epouse revient du Jeu à une heure induë, je lui dis à l’oreille d’un ton entre serieux & badin, que je donnerai de ses nouvelles au Lion, & je vous assure, que cette menace n’est pas sans effet. Au nom de vôtre amour pour le Genre Humain, ne donnez point repos au beau Sexe, jusqu’à ce qu’il se soit réconcilié avec le tour de gorge ; n’est-il pas certain que les Femmes se condamnent elles-mêmes, de s’être trop dépouillées, en donnant le nom de Piéce modeste à une petite bande de Mousseline de la largeur d’un doit, foible barriere, que les plus sages d’entr’elles opposent encore à la nudité, qui gagne tous les jours du terrain ? Hélas ce pauvre reste du tour de gorge baisse continuellement, & qui sait où il voudra bien s’arrester <sic> à la fin. Vous saurez, Monsieur, que je fais Commerce en Marchandises de Turquie, & que j’ai passé une bonne partie de ma jeunesse dans cet Empire où les Femmes ne montrent absolument que leurs yeux ; vous ne croiriez jamais jusqu’à quel point je fus étonné à mon retour ici de voir mes belles Concitoyennes si prodigues de leurs beautez les plus agaçantes, quoique dans ce temps-là elles ne parussent qu’à l’ombre d’un Tour de gorge d’une raisonnable largeur. Peu de temps après j’épousai une très jolie personne, mais qui a le defaut de pousser toûjours la mode, jusqu’à la derniere extrémité ; j’étois ravi de penser, que mon titre de Mari, me feroit faire tous les jours chez mon aimable Femme quelque nouvelle découverte cachée au reste du monde ; mais je me suis bien trompé dans mon calcul, & graces à cette abominable mode, les yeux de tous les hommes sont aussi familiers avec ses charmes, que les miens. Je puis vous protester, qu’en trois années sa gorge est cruë de huit bons pouces ; mais ce qui me fait trembler quand j’y pense, c’est que son joli petit pied, & une bonne partie de sa belle jambe, sont exposez aux regards de tout le monde ; Beautez, qui ne devroient être que pour les Epoux, & qui me causoient des extases de joye ; lors que je m’en vis l’heureux Proprietaire. Comme le rideau se leve de plus en plus, je suis sur qu’un tas de jeunes Débauches promet déja à leur imagination libertine quelques nouvelles décorations. Mais voici quelque chose de bien plus chagrinant pour moi. Au lieu d’être plus familier que tout autre avec les charmes de ma Femme, il se trouve que je le suis moins. Quand elle est au logis, elle est affublée d’un tas prodigieux de Cornettes, de Mouchoirs & de robbes de Chambres, & ce n’est que l’après dînée qu’elle se dépouille, pour s’étaler en public. Ce n’est qu’à force de se dépouiller qu’elle s’habille, & elle se croit à moitié ajustée lors quelle s’est debarassé des guenilles, qui la dérobboient à son mari. Permettez-moi de vous dire, Monsieur, qu’il y a de vôtre faute à tout cela. Vous vous y êtes mal pris ; ce n’étoit pas en decouvrant ce que cette mode a de contraire à la pudeur, que vous deviez songer à la réformer. Si vous voulez que les femmes deviennent vos Proselytes, prouvez leur, que si elles veulent attrapper des Maris il ne faut pas qu’elles montrent tous leurs apas, avant le Mariage ; je suis sur, que si ma Femme avant que je l’eusse épousée, avoit été habillée, comme elle l’est à présent, la grande moitié de ma curiosité auroit été satisfaite. Bien des gens ont été détournez de dépenser leur argent à quelque spectacle par les tableaux, qu’ils voyoient devant la porte. J’ai vû plus d’une fois des personnes tellement attentives à ces objets, qu’elles pouvoient voir pour rien, qu’à peine prêtoient-elles l’oreille au maitre du jeu, qui s’egosilloit à crier : Entrez donc, Messieurs, Entrez. Je vous ai dit au commencement de ma lettre jusqu’où les Mahometantes portent la modestie de leur habillement, & vous nous avez informez des bornes que sa Sainteté a trouvé bon de prescrire aux Gorges des Dames Romaines. J’espere qu’à la fin nos belles Bretonnes voudront bien aussi entendre raison sur ce chapitre ; il est vrai qu’elles ont les plus belles peaux du monde, mais pourtant elles ne seroient pas trop mal de n’en faire voir que ce qui appartient precisement au vigase <sic>, aux mains, & à la gorge proprement dite ; si elles sont tout à fait belles, il ne s’en suit pas, qu’elles doivent être tout à fait nuës. Vous savez, Monsieur, qu’au commencement du dernier siecle, il y avoit parmi nous une Secte d’hommes, qui s’appelloient Adamites, & qui marchoient dans les ruës sants <sic> habits ! Si vous n’y mettez ordre, cette Heresie pourroit bien s’emparer de l’autre sexe, puisque deja nous voyons par tout un si grand nombre de Femmes, qui paroissent avoir un vif penchant à se rendre Evites. Je suis.