Nil conscire sibi
Une bonne Conscience est une muraille d’Airain.
Il y a dans le monde une sorte de Chevaliers errants, qui different beaucoup de ceux, dont les Romans nous donnent le charactere ; ces derniers entreprenoient presque toutes leurs avantures, pour vanger l’honneur de filles, au lieu que les autres font leurs avantures principales de tromper l’innocence, & de ruiner d’honneur les <sic> belles, qui se fient à la tendresse seductrice de ces imposteurs.
Je me suis étonné plus d’une fois de ce que ces ennemis de l’innocence, quoique inaccessibles aux sentimens du veritable honneur, ne soient pas arrestez du moins par un reste d’humanité. Comment peut-on se resoudre à repandre la douleur & l’infamie sur toute une famille, à percer le cœur d’une tendre Mere, & à recompenser la tendresse credule d’une fille abusée, par un deshonneur ineffaçable qu’on repand sur toute sa vie? Il me paroit qu’une legere
Mere a écrite a un grand seigneur, par qui sa fille a eté deshonorée. L’autre me vient d’un Cavalier, qui a trouvé bon de me communiquer la prémiere. J’avoue que dans celle-ci il y a des sentimens que je ne saurois approuver ; mais il me semble pourtant qu’on peut les pardonner a un cœur, qui n'est pas encore revenu des premiers mouvements, de la plus sensible affliction. Quoiqu’il en soit, le lecteur y verra la plus vive image de la
Voici la Lettre du Cavalier.
Monsieur,
Il y a quelques jours que j’allai voir un de mes fermiers, dont la femme qui a servi dans notre famille, & qui a eu même éducation avec ma Mere, se distingue par ses manieres & par ses sentimens de toutes les personnes de sa sorte ; je trouvai cette femme infortunée baignée dans ses larmes, & accablé d’une douleur, qui alloit jusqu’à la stupidité. Ses yeux paroissoient éteints, & tout son air exprimoit nieux <sic> l’Etat afreux de son ame, que l’auroient pu faire les termes les plus pathetiques. Elle s’appuioit sur une table ayant devant elle une lettre qu'elle venoit d'écrire a un homme de qualité, qui s’est attiré une affreuse reputation par son habileté à debaucher des jeunes villagoises. Elle voulut bien me faire lire cette lettre, & j’y vis avec douleur, que sa fille infortunée etoit du nombre de celles que ce seigneur a sacrifiées a ses passions. Je vous en envoye
Seconde Lettre.
Monseigneur,
Je n’ai découvert que de hier le cruel affront que vous avez fait a ma fille. Il faut donc que vos abominables plaisirs d’un moment répandent une amertume éternelle sur ma vie, sur la vie d’une personne, dont vous n'avez jamais reçu la moindre offense ? Cette seule consideration auroit du detourner une ame noble d'une action si indigne & si lâche ; mais qu’est-ce que c’est encore que mon malheur au prix de celui où vous precipitez ma fille infortunée, que vous punissez si afreusement de sa tendresse aveugle pour vous ? Une affliction aussi durable que son infamie doit être son partage inevitable. A moins quelle <sic> ne s’arrache à ce malheur, par un malheur infiniment plus grand, en renonçant Pairie ? est-ce afin que cette dignité vous servit d’intriguante dans vos passions brutales, & quelle vous donnast <sic> le privilege funeste d’opprimer l’innocence, & de deshonorer ceux qui sont hors d'état de se défendre contre vous ? S’il en est ainsi, nos Loix, si elles sont sages, doivent renverser l’ordre des recompenses. Elles doivent reduire les gens de mérite à la mendicité ; afin que leurs descendants forcez à se soûtenir par leur industrie & par leurs talents soient garentis du vice, & ne songent point à plonger des familles entieres dans un abîme de malheurs. Que deviendrai-je, Mere infortunée ! un enchainement de pensées affligeantes s’étendra sur tous les jours de ma vie ; que dis-je ? vôtre crime mexpose <sic> au peril d’être malheureuse dans toute l’Eternité ; comment oserai-je demander à
En tâchant de soulager ma douleur par des reproches, que vous meritez si bien, je n’ai pas peur d’éxciter dans vôtre ame une repentance, qui puisse vous faire obtenir le pardon de vôtre crime. Vous vous repentiriés en vain ; vous n’avez pas seulement violé les Loix Divines, vous m’avez fait encore une offense cruelle, un affront irréparable ; & si je ne vous pardonne point, n’attendez pas votre pardon du juste Juge de l’Univers.
Monseigneur,
Votre Conscience vous dira qui je suis.