Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours CIII.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\103 (1723), S. 418-521, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4303 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Discours CIII.

Zitat/Motto► Nec magis expressi vultus per ahena signa. Horat.

Leur charactere est aussi bien attrappé, que le plus habile Sculpteur sait attrapper les traits d’un visage. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► Je dois encore au public le reste de la Fiction ingenieuse de Strada, & je ne veux pas differer plus long-temps a lui payer cette dette. Ceux qui connoissent les Poëtes mêmes sur lesquels l’Autheur en question exerce sa judicieuse Critique ne peuvent qu’être charmez de les voir characterisez ici d’une maniere si juste & si vive : mes Lecteurs non Lettrez n’y trouveront pas le même plaisir, faute de s’être familiarisés avec les nobles originaux, dont Strada a fait de si agréables, & de si fidelles copies ; mais du moins ils en tireront cet avantage, qu’ils pourront se former une idée exacte de [419] ces grands hommes, dont ils entendent si souvent parler avec eloge. Ce qui m’a porté sur-tout a donner au public le systheme de cette fiction, c’est le desir de faire voir, comment un grand Genie, tel que devroit être tout Critique sait tirer son art de sa secheresse naturelle, & le rendre agréable & interessant. ◀Metatextualität

Suite de la Fiction de Strada.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Le Poete, qui devoit jouer le rolle d’Ovide prit pour sujet l’Aimant d’Or, c’est a dire l’aimant, qui, a ce qu’on prétend, attire l’or, comme l’aimant ordinaire attire le fer. Afin de mieux imiter le tour d’esprit & la maniere décrire de son modelle, il derive la vertu de cet aimant, d’une metamorphose poetique. Voici comme il s’y prend :

Ebene 4► Lorsque étant encore enfant j’étois assis auprez d’un ruisseau, j’y laissai tomber par hazard une bague d’or ! je racontai ce malheur a mon Pere, qui attachant aussi tôt une pierre, a une ligne a pêcher, la fit voltiger sur l’endroit ou je lui dis que ma bague étoit [420] allée a fond ; a peine cette pierre toucha-t-elle la superficie de l’eau, que ma bague s’y attacha & que mon pere la tira de l’eau, de la même maniere qu’un Pecheur en fait sortir un poisson. Voyant que j’étois surpris de ce Phenomene, il me fit l’Histoire suivante : Ebene 5► Fabel► quand Deucalion & Pyrrha parcoururent la terre pour y rétablir le genre-humain en jettant des pierres par dessus leurs têtes, les hommes qui naquirent de la prirent tous des inclinations conformes a la nature des Lieux, ou ces cailloux étoient tombez. Ceux, qui avoient été jettez dans les campagnes, devinrent Laboureurs, & Bergers ; ceux qui étoient tombez sur les rivages furent changez en Pecheurs & en Mariniers, & ceux, qui avoient touché la terre dans les bois, & dans les forets, furent metamorphosez en Chasseurs. Quelques uns, entre autres tomberent sur les Montagnes, qui cachoient dans leur sein l’or, l’argent, & les autres metaux ; les hommes qui en sortirent furent d’abord animez par un penchant invincible à la recherche de ces précieux tresors. Mais la nature indignée de les voir devenir la proye de cette [521] nouvelle race d’humains, trouva à propos de les retirer dans les entrailles les plus profondes de la Terre. L’avarice des hommes bien loin de se rebuter, ne fut qu’irritée par cet obstacle, & elle poussa ses hardis desseins jusqu’à ouvrir une route au centre de la terre. La Déesse ne put plus supporter l’insolence de ces Mineurs. Elle excita un épouventable tremblement de terre, qui fit crouler les routes des Mines, & qui ensevelit ces audacieux sous leurs propres ouvrages. Les flammes du Stix, qui étoit près de ces lieux sortirent en même tems par des crevasses, & la violence de leur chaleur reduisit en cendres les cadavres & la terre qui les environnoient. Ces cendres se mélêrent ensemble, & durcies par la continuation de ces flammes, elles se changerent en pierres. Les corps de ceux, qui avoient travaillé dans les mines de fer, devinrent des Aimans ordinaires, mais ceux, qui avoient voulu dépouiller la Déesse de son or furent changez en Aimans, qui attirent ce metail, & jusques à ce jour ils gardent encore leurs anciennes inclinations. ◀Fabel ◀Ebene 5 ◀Ebene 4

Toute l’assemblée ne fut pas du mê-[422]me sentiment sur le merite de ce Poete ; quelques uns étoient si charmez de sa maniere aizée d’ecrire, & s’étoient tellement formez sur son gout, qu’il leur étoit impossible d’approuver des vers qui n’avoient pas le charactere du genie d’Ovide. D’autres étoient d’une opinion tout opposée, mais il fut décidé à la fin à la pluralité des voix, que ce Poete meritoit sans doute dans un degré eminent le titre d’homme d’esprit ; mais que son tour de Phrase étoit plûtôt commun qu’aisé, & qu’il étoit fort éloigné de ce qu’on appelle le Langage des Dieux. On convint, que tout ce qui se peut dire de plus fort contre les ouvrages, & contre la conduite de ce Poete, c’est qu’il y paroit trop d’esprit, & qu’il auroit mieux réussi dans l’un & dans l’autre, si pour gouverner son genie il s’étoit servi plûtôt de frein que d’Eperons.

A peine cette Sentence fut elle prononcée, que Stace se leva, & que s’avançant d’une démarche fiere & Théatrale, il se mit à faire un discours sur le sujet suivant.

Ebene 4► Allgemeine Erzählung► A un siege de Vienne un Allemand, & un Portugais ayant eu de frequentes disputes sur la valeur des deux Nations [423] étoient sur le point de decider la question par un duel, quand tout d’un coup les assiegeants donnerent un furieux assaut à la Ville. Les deux guerriers résolurent là-dessus de sacrifier au bien public leur animosité particuliere, & de se disputer le prix de la valeur en se signalant contre l’Ennemi commun. Ils firent l’un & l’autre des miracles de valeur, & ne se quittant jamais ils précipiterent de differens endroits du rempart, les infidelles, qui s’en croioient déja les maitres. L’Allemand fut enveloppé à la fin d’une troupe entiere des Turcs, où il se défendit comme un Lion, jusqu’à-ce qu’un coup de cimeterre lui emporta le bras, où il tenoit son bouclier. Le Portugais voyant la triste situation où se trouvoit son genereux Concurrant vole à son secours, fend la presse, & écarte les ennemis de son rival qui étoit à terre affoibli par sa blessure, & par la fatigue ; dans le tems que celui-ci revient de sa foiblesse, & qu’il se releve pour soutenir la valeur du Portugais, il voit le bras droit de son intrépide competiteur tomber à terre avec son Epée. Il auroit même perdu la vie, si l’Allemand n’avoit percé un Turc, qui étoit sur le point de passer [424] son Javelot à travers du corps du Portugais. Les voilà, l’un uniquement capable de soutenir le bouclier, & l’autre de manier l’Epée ; ils ne font plus ensemble qu’un seul Combatant ; les voilà étroitement unis par les obligations mutuelles. Le Portugais ne songe qu’a couvrir l’Allemand, & l’Allemand répand la frayeur, & la mort parmi ceux qui les environnent ; à la fin trouvant leurs forces épuisées par la perte de leur sang & résolus de perir noblement, ils s’avancent tous deux vers la partie de la muraille la plus ébranlée, & avec elle ils se précipitent sur la tête des assiegeans. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4

Lorsque Stace eut fini, on vit renaitre dans l’assemblée les anciennes disputes sur sa maniere d’écrire : Il reçut de plusieurs les mêmes aplaudissemens, qui lui avoient été donnez par ses contemporains. Ils déclarerent, que c’étoit le seul Poete, qui ait attrappé le véritable stile heroique, & qu’il devoit surpasser tous les Poetes Latins en réputation, comme il leur étoit superieur en mérite. D’autres le censurerent comme un homme, dont les images & les expressions ne reconnoissoient point de bornes ; ils se moquerent de la singularité [425] de ses pensées, du soin bruiant de ses nombres, & de la pompeuse & effrayante enflure de sa Diction. Il y eut pourtant des personnes d’un gout fin & juste, dont la décision s’éloignoit également de ces deux extrémitez. Ils furent d’opinion, que dans son stile il y a beaucoup de feu Poetique, mais assez de fumée en même tems pour enveloper la lumiere d’un feu si beau. Qu’il y a dans ses vers de la majesté, mais que c’étoit plûtôt la Majesté d’un Tyran, que d’un Roi ; qu’il s’élevoit quelque fois jusqu’aux nues, mais qu’il y rencontroit souvent le sort d’Icare ; enfin qu’il étoit parmi les Poetes, ce qu’Alexandre le Grand étoit parmi les Heros, également distingué par ses défauts, & par ses vertus.

Virgile fut le dernier qui parut sur la Scene. Le sujet, qu’il prit, fut l’Histoire de Theutilla, qui a trop de conformité avec celle de Judith, pour qu’il soit nécessaire de s’y étendre. Il suffira de dire que toute l’illustre compagnie trouva les Ouvrages de ce Poete Epique plûtôt un sujet d’admiration que d’applaudissement ; la plûpart soutinrent, que s’il y a quelques fautes dans sa Poesie, il faut les attribuer aux li-[426]mites de son art, & non pas aux bornes de son génie. Il ne laissa pas de se lever dans l’assemblée quelques murmures envieux, qui attaquoient plusieurs de ses vers comme destituez de feu, & de nerfs, & plûtôt sans deffauts, qu’ornez de quelques beautez réelles ; mais ces censures peu judicieuses furent rejettées avec une indignation generale. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Strada met enfin des bornes à sa Fiction par l’ouvrage d’un Poete Italien moderne ; ce Poeme petille dans toutes ses parties de ces traits d’esprit & de ces Concetti qui se sont glissez dans la Poesie qu’on admire le plus depuis quelques siecles.

Metatextualität► Au reste ceux de mes Lecteurs, qui ont du savoir, auront remarqué sans peine, que le sujet du Poeme de Stace, a un très grand rapport à ce qui est raconté dans les Commentaires de Cæsar de deux Soldats Romains. ◀Metatextualität ◀Ebene 2

Fin du II. Tome. ◀Ebene 1