Discours CI. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Veronika Mussner Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 27.04.2018 o:mws.6733 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome II, 402-408 Le Mentor moderne 2 101 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme Moral Morale Morale Moral Morale United Kingdom -2.69531,54.75844 France 2.0,46.0

Discours CI.

Arma dedi Danais in Amazonas. Ovid.

Jai <sic> fourni aux Grecs des armes contre les Amazones.

Lettre.

Monsieur,

Des que vous aurez erigé votre Licorne, il est certain, que le beau sexe ne negligera rien, pour l’agacer contre nous & que nous courons risque de recevoir de lui de furieux coups de corne. Il me semble que nous ne ferions pas trop mal de prevenir les belles, & de faire rugir notre Lion de toutes ses forces contre les irregularitez de leur conduite. Parlons sans Metaphores ; je m’étonne, Monsieur, que leur fureur pour le jeu ait échappé jusqu’ici a vos censures. Peut-être que ne frequentant gueres que la famille modeste des Lizards vous n’aurez par <sic> seulement une idée de ces femmes Cavalieres, de ces amazones, qu’on prendroit, en les voyant jouer, pour des Cadets aux gardes déguisez ; que diriez-vous, Monsieur, si vous voïez votre aimable Brillante, passer des nuits entieres a remuer le bras d’un air dragon, & a faire sortir des dez d’un cornet qui fît retentir la table par des coups redoublez ? Quelle opinion auriez vous de Myladi elle même, si son carosse allant a toute bride reveilloit les voisins aprez minuit en ramenant la Dame d’une accademie de jeu ! J’ai le malheur d’être l’Epoux d’une de ces joueuses de profession, & ses detestables plaisirs me coutent mon repos & mon argent ; qu’elle gagne ou non, je perds toujours a coup sur ; elle lit vos discours, & si vous vouliez bien en faire un sur cette matiere, vous rendriez un grand service & à elle & à votre très-humble serviteur, &c.

Je ne meriterois pas le nom de Mentor de la Grande Bretagne, si je ne tachois de détourner mes éleves femelles, d’un des plus honteux excès, où elles puissent donner. Les mauvaises suites que ce desordre traine après lui sont trop nombreuses, pour être placées seulement dans une de mes feuilles volantes. Aussi n’ai-je garde de m’engager à épuiser ici cette matiere ; je n’y ferai que quelques réflexions, que je partagerai en deux classes ; je considererai le jeu excessif par rapport à ses effets, sur leur corps.

Si nous pouvions penetrer jusques dans l’ame d’une joueuse, nous verrions cette ame infortunée toute remplie de Matadors. Ses rêves ne lui representent que les as noirs ; si elle s’éveille en sursaut, c’est que dans un rêve elle vient de perdre codille. Quand elle est seule, sa chambre est hantée par des Rois, des Dames, & des valets. Le tems lui pêse sur les épaules jusqu’à-ce que l heure <sic> du jeu arrive. C’est alors que pendant plusieurs heures toutes ses facultez sont employées à mêler les Cartes, à les couper, ou à les partager entre les joueurs, c’est alors que dans son ame soi-disant raisonnable, il n’y a point d’autres idées, que celles de quelques figures grossierement peintes. Quoi ! c’est dans cette vue, que la raison cette partie divine de nous mêmes nous a été donnée du Createur ? Est-ce ainsi que nous croyons pouvoir étendre, affermir, & orner la plus noble faculté de notre ame ? Que penseroit une intelligence pure, si elle contemploit la si-tuation où se trouve, chez une joueuse, le talent de comprendre & de réflechir, destiné à l’élever au dessus des brutes, & à la faire participer à la nature des Anges.

Puisque les femmes ont de telle maniere l’imagination occupée de cartes & de fiches, je ne m’étonne point d’avoir entendu raconter depuis peu, qu’un Enfant venoit de naitre marqué du cinq de trefles. J’en conclus seulement, que la Mere avoit fait une bête considerable, par ce qu’elle avoit ce malheureux cinq au lieu du six. La chose est piquante ; c’est un cas à se pendre en public.

Le cœur d’une joueuse n’est pas moins sujet au dérangement que son esprit, & son imagination. On tourne une Carte ; qu’elle foule de passions déreglées n’éclate pas dans une conjoncture si importante ? joye, douleur, satisfaction, desespoir, tous ces mouvemens du cœur varient à la foi les visages, pour faire honneur à un morceau de papier, & pour deshonorer l’ame humaine.

Le moyen de considerer sans indignation, une femme, qui sacrifie au desir de faire sa levée tous les sentimens de son cœur, qui devroient être consacrez à son époux, & à sa famille ? pour moi je suis afligé sensiblement, quand je vois la douleur, qui a une source si méprisable, regner sur un beau visage, & les traits d’un ange dérangez par les mouvements convulsifs d’un Furie.

Le cœur humain est fait de maniere a se livrer entierement a ses plaisirs favorits ; par la il est aisé de comprendre, que le jeu s’empare absolument d’une joueuse de Profession.

Elle est mal a son aise chez elle ; elle ne trouve pas le moindre plaisir dans les caresses d’un aimable enfant objet naturel de sa plus vive tendresse, & spadille a plus de charmes pour elle que son Epoux. Mon ami Theophraste, le meilleur des Maris & des Peres, s’est plaint mille fois a moi, les larmes aux yeux, de ce qu’il est obligé d’attendre sa femme une bonne partie de la nuit, s’il veut jouïr de sa conversation. Si elle revient au logis d’un air gay, me dit il, sa joye ne vient pas de la satisfaction, qu’elle a, de revoir son Epoux, mais de la fortune qui la favorise au jeu. A-t-elle perdu, je suis doublement malheureux. Elle est de mauvaise humeur, tout la choque, tout l’aigrit ; ce que je lui dis de plus obligeant l’irrite ; elle me fait souffrir mort & martire, & pourquoi, c’est qu’elle vient de me ruiner en partie. Qu’elles compagnes pour toute la vie, quelles Meres de famille peut on se flatter de trouver parmi nos femmes du grand air ? Peut-on attendre d’elles une race de gens de bien, de grands hommes, & de Heros !

J’en viens aux funestes effets, qu’un jeu excessif doit de necessité produire sur le Corps d’une femme. La providence a tellement dirigé les choses, que tout ce qui avilit l’ame derange, & ruine le corps ; Les mêmes moyens détruisent la beauté de l’une, & de l’autre ; Cette consideration devroit être d’un poids terrible auprez de beau sexe, qui paroit fait exprez pour plaire a l’autre moitié du genre humain, & pour lui inspirer de la tendresse. Qu’il sache cet aimable sexe que rien n’est plus pernicieux pour un beau-visage que les veilles du jeu accompagnées de tout ce que les passions ont de plus rongeant & de plus iniquiet <sic>.

Des yeux creux & hagards, une extinction de teint, une paleur livide sont les marques frappantes, auxqu’elles on reconnoit une joueuse ; quelques heures du sommeil prises sur le jour ne sont pas capables, de lui rendre sa frai-scheur, & de conserver son embonpoint. J’ai vu un <sic> femme qu’on emportoit a moitié morte d’uue <sic> table de Bassette, j’en ai vu d’autres evanouies dans leur chaises a porteur, & representer des spectres a la lueur des flambeaux, qui les environnoient ; En un mot, je n’ai jamais connu une femme, qui s’étant livrée, tout de bon, au Demon du jeu conserve sa beauté seulement pendant deux années.

Les corps d’une joueuse court encore un autre danger qui devroit lui paroître bien plus terrible ; on fait que les dettes du jeu, sont des dettes d’honneur, qu’il faut payer au plus vîte, ou en monoye courante ou en bon gages : l’homme qui perd au dela de son revenu engage ses terres, mais quand la femme va dans le jeu au dela de son argent mignon, il faut bien qu’elle trouve des gages d’une autre nature ; l’Homme peut disposer de son bien, & la femme de sa personne ; mais quand le corps femelle est une foi Hypothequé, & qu’elle a affaire avec un Creancier un peu pressant, quelles en sont les Consequences ? il n’est pas difficile de le deviner.

Discours CI. Arma dedi Danais in Amazonas. Ovid. Jai <sic> fourni aux Grecs des armes contre les Amazones. Lettre. Monsieur, Des que vous aurez erigé votre Licorne, il est certain, que le beau sexe ne negligera rien, pour l’agacer contre nous & que nous courons risque de recevoir de lui de furieux coups de corne. Il me semble que nous ne ferions pas trop mal de prevenir les belles, & de faire rugir notre Lion de toutes ses forces contre les irregularitez de leur conduite. Parlons sans Metaphores ; je m’étonne, Monsieur, que leur fureur pour le jeu ait échappé jusqu’ici a vos censures. Peut-être que ne frequentant gueres que la famille modeste des Lizards vous n’aurez par <sic> seulement une idée de ces femmes Cavalieres, de ces amazones, qu’on prendroit, en les voyant jouer, pour des Cadets aux gardes déguisez ; que diriez-vous, Monsieur, si vous voïez votre aimable Brillante, passer des nuits entieres a remuer le bras d’un air dragon, & a faire sortir des dez d’un cornet qui fît retentir la table par des coups redoublez ? Quelle opinion auriez vous de Myladi elle même, si son carosse allant a toute bride reveilloit les voisins aprez minuit en ramenant la Dame d’une accademie de jeu ! J’ai le malheur d’être l’Epoux d’une de ces joueuses de profession, & ses detestables plaisirs me coutent mon repos & mon argent ; qu’elle gagne ou non, je perds toujours a coup sur ; elle lit vos discours, & si vous vouliez bien en faire un sur cette matiere, vous rendriez un grand service & à elle & à votre très-humble serviteur, &c. Je ne meriterois pas le nom de Mentor de la Grande Bretagne, si je ne tachois de détourner mes éleves femelles, d’un des plus honteux excès, où elles puissent donner. Les mauvaises suites que ce desordre traine après lui sont trop nombreuses, pour être placées seulement dans une de mes feuilles volantes. Aussi n’ai-je garde de m’engager à épuiser ici cette matiere ; je n’y ferai que quelques réflexions, que je partagerai en deux classes ; je considererai le jeu excessif par rapport à ses effets, sur leur corps. Si nous pouvions penetrer jusques dans l’ame d’une joueuse, nous verrions cette ame infortunée toute remplie de Matadors. Ses rêves ne lui representent que les as noirs ; si elle s’éveille en sursaut, c’est que dans un rêve elle vient de perdre codille. Quand elle est seule, sa chambre est hantée par des Rois, des Dames, & des valets. Le tems lui pêse sur les épaules jusqu’à-ce que l heure <sic> du jeu arrive. C’est alors que pendant plusieurs heures toutes ses facultez sont employées à mêler les Cartes, à les couper, ou à les partager entre les joueurs, c’est alors que dans son ame soi-disant raisonnable, il n’y a point d’autres idées, que celles de quelques figures grossierement peintes. Quoi ! c’est dans cette vue, que la raison cette partie divine de nous mêmes nous a été donnée du Createur ? Est-ce ainsi que nous croyons pouvoir étendre, affermir, & orner la plus noble faculté de notre ame ? Que penseroit une intelligence pure, si elle contemploit la si-tuation où se trouve, chez une joueuse, le talent de comprendre & de réflechir, destiné à l’élever au dessus des brutes, & à la faire participer à la nature des Anges. Puisque les femmes ont de telle maniere l’imagination occupée de cartes & de fiches, je ne m’étonne point d’avoir entendu raconter depuis peu, qu’un Enfant venoit de naitre marqué du cinq de trefles. J’en conclus seulement, que la Mere avoit fait une bête considerable, par ce qu’elle avoit ce malheureux cinq au lieu du six. La chose est piquante ; c’est un cas à se pendre en public. Le cœur d’une joueuse n’est pas moins sujet au dérangement que son esprit, & son imagination. On tourne une Carte ; qu’elle foule de passions déreglées n’éclate pas dans une conjoncture si importante ? joye, douleur, satisfaction, desespoir, tous ces mouvemens du cœur varient à la foi les visages, pour faire honneur à un morceau de papier, & pour deshonorer l’ame humaine. Le moyen de considerer sans indignation, une femme, qui sacrifie au desir de faire sa levée tous les sentimens de son cœur, qui devroient être consacrez à son époux, & à sa famille ? pour moi je suis afligé sensiblement, quand je vois la douleur, qui a une source si méprisable, regner sur un beau visage, & les traits d’un ange dérangez par les mouvements convulsifs d’un Furie. Le cœur humain est fait de maniere a se livrer entierement a ses plaisirs favorits ; par la il est aisé de comprendre, que le jeu s’empare absolument d’une joueuse de Profession. Elle est mal a son aise chez elle ; elle ne trouve pas le moindre plaisir dans les caresses d’un aimable enfant objet naturel de sa plus vive tendresse, & spadille a plus de charmes pour elle que son Epoux. Mon ami Theophraste, le meilleur des Maris & des Peres, s’est plaint mille fois a moi, les larmes aux yeux, de ce qu’il est obligé d’attendre sa femme une bonne partie de la nuit, s’il veut jouïr de sa conversation. Si elle revient au logis d’un air gay, me dit il, sa joye ne vient pas de la satisfaction, qu’elle a, de revoir son Epoux, mais de la fortune qui la favorise au jeu. A-t-elle perdu, je suis doublement malheureux. Elle est de mauvaise humeur, tout la choque, tout l’aigrit ; ce que je lui dis de plus obligeant l’irrite ; elle me fait souffrir mort & martire, & pourquoi, c’est qu’elle vient de me ruiner en partie. Qu’elles compagnes pour toute la vie, quelles Meres de famille peut on se flatter de trouver parmi nos femmes du grand air ? Peut-on attendre d’elles une race de gens de bien, de grands hommes, & de Heros ! J’en viens aux funestes effets, qu’un jeu excessif doit de necessité produire sur le Corps d’une femme. La providence a tellement dirigé les choses, que tout ce qui avilit l’ame derange, & ruine le corps ; Les mêmes moyens détruisent la beauté de l’une, & de l’autre ; Cette consideration devroit être d’un poids terrible auprez de beau sexe, qui paroit fait exprez pour plaire a l’autre moitié du genre humain, & pour lui inspirer de la tendresse. Qu’il sache cet aimable sexe que rien n’est plus pernicieux pour un beau-visage que les veilles du jeu accompagnées de tout ce que les passions ont de plus rongeant & de plus iniquiet <sic>. Des yeux creux & hagards, une extinction de teint, une paleur livide sont les marques frappantes, auxqu’elles on reconnoit une joueuse ; quelques heures du sommeil prises sur le jour ne sont pas capables, de lui rendre sa frai-scheur, & de conserver son embonpoint. J’ai vu un <sic> femme qu’on emportoit a moitié morte d’uue <sic> table de Bassette, j’en ai vu d’autres evanouies dans leur chaises a porteur, & representer des spectres a la lueur des flambeaux, qui les environnoient ; En un mot, je n’ai jamais connu une femme, qui s’étant livrée, tout de bon, au Demon du jeu conserve sa beauté seulement pendant deux années. Les corps d’une joueuse court encore un autre danger qui devroit lui paroître bien plus terrible ; on fait que les dettes du jeu, sont des dettes d’honneur, qu’il faut payer au plus vîte, ou en monoye courante ou en bon gages : l’homme qui perd au dela de son revenu engage ses terres, mais quand la femme va dans le jeu au dela de son argent mignon, il faut bien qu’elle trouve des gages d’une autre nature ; l’Homme peut disposer de son bien, & la femme de sa personne ; mais quand le corps femelle est une foi Hypothequé, & qu’elle a affaire avec un Creancier un peu pressant, quelles en sont les Consequences ? il n’est pas difficile de le deviner.