Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXXXXIX.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\099 (1723), S. 388-394, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4299 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Discours LXXXXIX.

Zitat/Motto► Largitor ingenii Venter. Perse.

Le ventre est bien souvent la source de l’esprit. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Je suis charmé d’apprendre que mon Lion s’est attiré les applaudissemens de tous ceux, qui l’ont vu, & qu’il a l’honneur de recevoir plus de visites, qu’aucun de ses freres qui sont logez à la tour. Je suis allé voir ce matin ce qu’il avoit dans le ventre, & entre au-[389]tres alimens j’y ai trouvé les mets délicieux que voici.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

Je ne manque jamais un seul jour à lire vos feuilles volantes, j’ai prêté une très grande attention à celle qui traite du tour de gorge, aussi-bien qu’à un de vos derniers discours, ou vous vous engagez à veiller sur toute la figure femelle, & à regler le beau sexe depuis la tête jusqu’aux pieds. Cette matiere est très interessante pour moi ; je suis couturiere de profession, & j’ai l’honneur de servir les Dames les plus qualifiées de la ville ; Elles me donnent un libre accez chez elles à toute heure du jour, & j’ai la prérogative de les voir en négligé, aussi-bien qu’ajustées. Vous voyez, Monsieur, qu’une connoissance comme la mienne ne sauroit vous être inutile, d’autant plus que j’ai grande envie de vous être bonne à quelque chose. Si vous voulez bien mettre à profit mes lumieres & mes bonnes intentions, je suis toute prête à vous servir en qualité de Lionne. Les Dames du premier rang me laissent entrer dans tout le secret de leurs modes ; si vous [390] êtes d’avis de m’employer, j’examinerai leurs vues de près, & je suis sure que je serai en état de vous fournir des mémoires, qui pourront vous être d’un très grand secours.

Comme je suis la premiere de mon metier, qui vous ait fait une semblable proposition, je me flatte, que vous me donnerez la préference, & que vous voudrez bien du moins m’entendre rugir, avant que de traiter avec quelque autre. Pour vous donner une échantillon de mon savoir faire, je vous avertis ici à tems du nouvel accroissement que vous découvrirez au premier jour dans les plus belles gorges de la ville. Oui, Monsieur, en dépit de vos graves remontrances, les beautez du prémier ordre ont résolu unanimement de se découvrir de plus en plus ; je crains bien même que dans peu ma Profession ne devienne entierement inutile, & que je ne meure de faim, dans le tems que nos Dames mourront de froid.

Avant que d’aller plus loin, il sera necessaire de vous donner l’idée d’une espece de couverture ou plûtôt d’ornement de la gorge, où vous semblez n’avoir pas fait attention jusqu’ici. C’est une bande étroite de mousseline qui s’é-[391]tend en falbala sur le haut du corps precisement au dessus de la poitrine, mais qui ne va pas jusqu’aux épaules. Comme c’est une partie du tour de gorge, qu’on a conservé jusqu’à present, pour ne montrer pas le sein entierement a découvert, nos belles l’ont appellé avec beaucoup d’esprit la Piece modeste. Après cet éclaircissement je vous dirai, que dans une assemblée des Dames du grand air, il a été resolu depuis peu d’abattre ce dernier rempart de la modestie. Ce n’est pas tout, on a formé en même tems le dessein de aisser <sic> considerablement lecorps <sic>, & rien n’en a retardé l’éxécution, que le mauvais tems, qu’il a fait ces derniers jours. Il est vrai que quelques membres de cette societé se sont opposez à cette résolution, mais elle n’a pas laissé de passer à la pluralité des voix ; c’est une affaire faite, & pour me servir de la phraze ingenieuse de ces belles, elles vont razer tout leur 1 Parapet, pour n’avoir d’autre défense, que leur vertu. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

[392] Autre Lettre.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Sage Mentor.

L’Estime, que les Naturalistes font des Lions, comme des plus genereuses brutes de l’univers, & la figure majestueuse, qu’ils font dans la Poesie, où souvent ils representent les plus grands Heros, m’ont fait toûjours croire qu’on profanoit leur nom en le donnant à certains hommes, qui rodent par tout pour chercher qui devorer. Il est vrai que vous avez rectifié mes idées à cet égard, en développant l’origine d’un titre, qui paroit d’abord si choquant & qui ne semble pouvoir être donné, que par contreverité à des traitres, dont l’unique emploi est de vendre leurs compatriottes.

Neanmoins, vos éclaicissemens, n’ont pas été capables jusqu’ici de m’empêcher de me mettre en colere contre l’usage, qui a donné la vogue à cette dénomination ; mais mon dépit a fait place à une vive satisfaction, quand j’ai vu que vous vous occupiez à réhabiliter les Lions dans leur dignité primitive, & que vous vouliez produire un animal de [393] cette espece, bien intentionné pour la Patrie, & propre à réformer nos mœurs. Faites le rugir de toutes ses forces, mon cher Mentor ; ses rugissemens vaudront, pour les gens de bien, la plus agréable musique, & il aura bientôt le sort du Lion de Sampson, dont les entrailles étoient pleines de miel, & chez qui la force produisoit la douceur.

Dans le tems que je félicite l’Empire des bêtes, de l’honneur, que vous faites à leur Roi, je ne puis que déplorer le sort de ceux, qui comme moi, sont trop éloignez de la Capitale pour lui payer leurs respects avec assiduité.

Ayez pitié de nous autres Provinciaux, Monsieur, & fournissez-nous quelque moyen commode de lier un commerce réglé avec le noble animal, qui est sous votre direction. Cette proposition ne sera peut être pas extremement de votre gout, nous en avons fait quelquefois d’une nature assez semblables à des Personnes de votre profession, qui n’ont point été acceptées, avec toute l’avidité possible ; le Bel-esprit de la Province est un peu décrié chez vous autres gens de Cour ; nous ne le savons que trop, mais l’amour-propre qui nous empeche d’avoir du mépris pour nos [394] propres productions, est assez subtil Sophiste, pour nous persuader en dépit de l’experience, que tout le monde doit être de notre sentiment. Quelle satisfaction pour nous, Monsieur, si un homme comme vous daignoit nous accorder notre demande, & nous persuader par cette faveur, que notre vanité n’est pas tout-à-fait mal fondée. Je suis. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Parapet veut dire proprement, Défense de la Poitrine.