Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXXXI.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\081 (1723), S. 262-268, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4281 [aufgerufen am: ].


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Discours LXXXI.

Zitat/Motto► In sese redit. Virg.

Tout ce qu’il dit aboutit à lui-même. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Le premier qui se hazarda à travailler à l’instruction du public dans des feuilles volantes fut M. Bickerstaff d’illustre mémoire, mon proche parent, nous avons fumé force pipes ensemble, & il avoit tant d’amitié pour moi, qu’il me laissa à son décès une écritoire d’argent, une paire de Lunettes, & la lampe dont il se servoit dans ses doctes veilles.

Ce venerable Auteur fut remplacé par un de ses Parens extremement remarquable par la brieveté de son visage, [263] & de ses discours. Pendant deux années entieres ce bel-esprit Taciturne garda le silence, & communiqua ses pensées au public avec beaucoup de succès & avec un applaudissement general.

Comme j’ai l’honneur d’appartenir à ces Messieurs de fort près, j’ai trouvé à propos de succeder à leurs travaux & à leur gloire, me flattant d’être duement qualifié pour bien remplir un pareil emploi. On a observé que c’est un penchant particulier de toutes les differentes branches de notre famille d’aimer extremement à donner de bons conseils ; il est vrai qu’on a remarqué en même tems, que plusieurs d’entre nous étoient plus portez à les donner qu’a les recevoir.

Quoi qu’il en soit, je ne saurois réflechir sans une satisfaction orgœuilleuse sur le peu de réussite, que toutes les fœuilles volantes de cette nature ont eu jusqu’ici entre les mains de tous ceux, qui ne sont pas de notre ace. Je croi ne point exagerer, quand j’assure que plus de cent Auteurs ont échoué en voulant essayer d’écrire dans notre genre, quoi qu’ils fissent figure parmi les plus illustres écrivains de tou-[264]te la Nation, & qu’ils eussent réussi dans quelques ouvrages de longue haleine. Il est arrivé, je ne sai comment, qu’ils n’ont jamais pu attrapper le veritable gout de nos productions, & qu’après un petit nombre d’essais infortunez ils ont été obligez de renoncer à leur entreprise. Leur malheur me rappelle dans l’esprit un conte que m’a fait depuis peu un goguenard de mes amis, qui joue parfaitement bien du violon. Sa servante trouvant cet instrument sur la table de son Maitre, persuadée qu’il y avoit de la musique là dedans, & qu’il ne s’agissoit que de savoir l’en tirer, passa l’archet à differentes reprises sur toutes les parties de chaque corde, sans réussir à denicher cette Musique ; mon ami la trouva dans cette occupation ; eh que faites vous la mon enfant ? lui dit-il ; helas, Monsieur, repondit-elle, je cherche vos jolis airs dans votre violon, & quelque chose que je fasse je ne saurois trouver l’endroit où ils sont.

Quoiqu’il n’y ait qu’un autheur de notre famille, qui ait les épaules assez fortes pour soutenir tout le fardeau d’un pareil travail il est certain pourtant qu’il y en a assez d’autres dans le Royaume, qui ont la force necessaire pour [265] s’acquiter de notre emploi de temps, en temps. C’est la un essay de genie auquel j ai <sic> invité beaucoup d’apprentifs autheurs, qui par la m’ont procuré du profit, en s’acquerant de la réputation. Ma feuille volante est dans la Republique des Lettres une espece d’arc d’Ulisse, ou tout homme d’esprit & de savoir peut venir éprouver ses forces.

C’est une pierre de touche, qui peut faire connoître aux personnes trop modestes, pour se faire imprimer avant qui d’être surs leurs talents, si leur tour d’esprit & leurs lumieres s’accordent au gout du public.

Il me semble que c’est la un grand avantage pour des gens judicieux qui se defient toujours de la bonne opinion, qu'ils ont d’eux-mêmes, tant que le public n’y a pas mis le sceau de son approbation ; Zitat/Motto► J’en appelle au peuple, ◀Zitat/Motto disoit un excellent Dramatique de l’Antiquité ; quand des gens du metier, ou d’autres pretendus beaux-esprits s’avisoient de disputer avec lui, fur la régularité de ses pieces. Ce grand-homme avoit raison ; c’est une consolation fort mince pour un autheur, que la persuasion ou il est d’avoir suivi scrupuleuse-[266]ment les regles, lorsqu’il est le seul admirateur, qu’il a au monde. En verité dans un cas si mortifiant, la modestie la plus ordinaire devroit engager un pauvre autheur a soupçonner son propre jugement de partialité, & à croire, qu’il n’a pas trop bien appliqué les regles, dont il fait tant de cas.

Le public a toujours grand soin s’être quitte avec un autheur, qui n’a pas assez de consideration pour lui ; le mepris est bientôt reciproque ; Zitat/Motto► je me ris de tous ceux, qui se rient de moy, disoit un ancien Cynique ; Cela étant lui répondit un Philosophe, vous êtes l’homme d’Athenes, qui se divertisse le mieux. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Puisqu’il faut donc respecter le gout du Lecteur, rien n’est plus utile que mon ouvrage, qui donne aux plumes timorées occasion facile de sonder le gout du public avant que de s’y exposer ; je regarde ma feuille volente <sic> comme une espece de pepiniere d’autheurs, & je ne doute point, que ceux qui ont poussé ici quelques belles branches, ne portent un jour des flœurs, & des fruits dans un terrain plus étendu & plus régulier.

Après avoir rendu justice de cette maniere à ceux qui m’ont donné quel-[267]que secours, il me doit être permis de demander une seule grace au Lecteur benevole ; c’est que s’il trouve dans quelques uns de mes discours quelque chose de plat & de trop commun, ce qui n’arrivera pas souvent à ce que j’espere, il ait la bonté de croire, que ce n’est pas moi, qui en suis l’Auteur.

Je ne sai comment je m’y suis pris, pour m’engager à l’exemple de mes Predecesseurs dans un discours, qui roule presqu’entierement sur moi-même. Mais puisque c’est une affaire faite, il ne vaut pas la peine d’entamer une autre matiere, & j’ai envie de remplir ce qui me reste de vuide dans mon cahier, d’affaires qui concernent mon propre individu, & Messieurs mes Correspondans. Je les avertis ici que j’ai résolu d’ériger un Lion, à l’imitation de ceux de Venise, que j’ai décrit autrefois, & par la gœule desquels passent tous les avis secrets qu’on donne à cette sage République ; le jour que j’ai fixé, pour une solennité fi memorable, est le vingtieme du mois courant ; ce noble animal ou rira une gœule des plus larges afin de recevoir sans peine tout ce que mes Correspondans voudront me communiquer par ce canal, & je promets d’a-[268]voir un égard particulier pour tout ce qui parviendra jusques à moi, par cette route. Sous ledit Lion, il y aura une boete, qui sera le reservoir de tous les avis qu’on voudra me donner ; j’en garderai la Clef moi-même sans permettre qu’elle sorte jamais de mes mains. C’est moi qui digererai, pour le bien du public, tout ce que mon Lion aura avalé. Je croi que le Lecteur l’attendra avec impatience, mais il faut du tems pour le mettre dans un certain état de perfection, sur-tout puisque l’artisan m’a promis d’en faire un chef-d’œuvre, & d’imprimer sur son visage toute la Majesté, qui convient au Roi des bêtes. Il sera exposé aux yeux du public dans le Caffé de M. Button, qui aura toutes les instructions nécessaires pour enseigner aux jeunes Auteurs le moyen d’y glisser leurs ouvrages d’une maniere aussi sure, que secrete. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1