Les petits hommes ne laissent pas d’avoir leur agrément.
Une des meilleures regles de conduite est celle qui veut, que nous cherchions notre bonheur dans l’art de nous accommoder à la na-
Monsieur,
Je me souviens de vous avoir entendu dire en parlant des gens, dont la figure est renfermée dans de bornes étroites, que souvent on ne prendroit pas garde à leur petitesse, si toutes leurs manieres n’annonçoient pas un petit homme, qui en-
Il faut avouer pourtant que tous les hommes ne sont pas coupables au même degré d’une si impertinente affectation, & vous serez bien aize d’apprendre que de concert avec quelques autres Pigmées comme moi j’ai formé une cotterie, & que nous avons resolu d’être hardiment petits. Oui, Monsieur, nous sommes tous entré dans une conjuration formelle, pour soutenir la dignité de notre petitesse sous la moustache de ces Colosses du genre-humain, de ces Hyperboles de notre espece, de ces geants qui croient valoir mieux que nous, parce qu’ils nous regardent de haut en bas.
Le jour de notre établissement a été le 21. de Decembre, le jour le plus court de l’année, dans lequel nous celebrerons desormais l’anniversaire de cette heureuse institution, en mangeant ensemble un plat de chevrettes.
la petite place ; & ce qui nous a surtout déterminé, à preferer ce quartier à tout autre, c’est qu’il nous met dans le voisinage de l’opera des Marionettes, pour les acteurs duquel nous sentons tous une tendresse fraternelle.
La premiere fois que nous nous y trouvames en corps, une bonne vieille nous amena son fils, en disant qu’elle seroit bien aize qu’il fut elevé dans notre Ecole, par ce qu’il y avoit des garçons si posez & si jolis : ce petit accident ne nous a point découragez ; nous n’avons pas laissé d’inviter a être des nôtres tous ceux dont la stature n’excede pas cincq pieds, mais ils nous ont envoyé pour la plupart faire leurs excuses, sous pretexte qu’ils n’étoient pas duement qualifiez pour etre membres de notre Cotterie.
Un d’entre les invitez nous a fait dire qu’en effet il n’avoit pour à present que cinq pieds, mais que son cordonnier & son perruquier lui avoit promis à eux deux le surcroit de deux pouces.
mesure, & d’autres au lieu de repondre, comme il falloit, à notre politesse nous ont informé de certaines personnes plus petites qu’eux ; en un mot tous les petits hommes de cette bonne ville, excepté un nombre fort limité, ont désavoué la bassesse de leur taille, & nous ont recommandé quelque voisin, ou quelque parent, qu’ils regardoient comme plus petit qu’eux. Qu’elle honte, que des gens atteints & convaincus par leur barbe d’être hommes faits se rendent coupables d’autant de tricheries, qu’on en découvre dans des Enfans ridiculement ambitieux, quand on veut les mesurer l’un contre l’autre.
Nous avons achevé depuis peu siege vacant. Notre table d’ailleurs étoit si élevée, qu’un homme entrant par hazard dans la sale lorsque nous étions sur le point de souper, & voyant nos mentons presque appuiez sur nos assiettes nous prit pour une troupe de personnes, qui attendoient une douzaine de barbiers pour se faire razer. Il arriva une autre fois qu’un membre de no-
Vous voyez bien, Monsieur, que ce sont là des raisons plus que suffisantes pour changer de meubles ; nous nous sommes encore résolus à une autre réforme, qui n’est pas d’une moindre importance ; c’est de baisser tellement la porte que tout homme qui excede cinq pieds de hauteur n’y sauroit passer sans se heurter le front ; de cette maniere elle n’est propre que pour les gens qui ont la petitesse requise pour avoir l’honneur d’être de notre corps.
Voici quelque statuts de notre societé.
Si un de nos membres, quelque duement qualifié qu’il soit, s’efforce à s’élever au dessus de lui-même par la maniere de s’étendre, ou de trousser son chapeau ; si dans une grande foule il marche sur la pointe des pieds pour paroitre aussi grand qu’un autre, ou s’il met furtivement sous son coussin quelque chose qui le hausse sans sa chaise, il sera condamné
Si un membre tire avantage de sa perruque, de son chapeau, de ses souliers, ou quelque autre partie de son ajustement, pour paroitre plus grand, ou plus gros qu’il n’est, il sera obligé de porter des talons rouges, & un plumet de la même couleur, afin que sa stature réelle soit bornée par des limites remarquables, & qu’on le demêle facilement d’avec ses souliers & son chapeau.
Si un membre achete pour son propre usage un cheval de main, haut de plus de quatorze paumes & demie, le dit cheval sera vendu ; on lui donnera à la place un petit coursier Ecossois, & le surplus de l’argent sera employé à regaler la compagnie.
Si quelque membre ose fouler aux pieds les loix fondamentales de la Cotterie, jusqu’à s’élever sur plus d’un pouce & demi de talon, il sera regardé comme coupable du crime de leze petitesse, & il sera chassé de la societé sans aucun delai. Nota bene ; le formulaire dont on se servira en exilant un des membres sera conçu en ces mots : sors d’entre nous, & sois grand, si tu peux.
Le sentiment unanime de la societé est, que puisque c’est un fait incontestable que la race humaine est diminuée en stature depuis le commencement du monde jusqu’à present, l’intention de la nature doit être que l’homme soit petit ; nous inferons de là que nous sommes plus excellens que les autres mortels, & que nous ne faisons que devancer le Genre-humain dans la perfection jusqu’à laquelle il doit s’abaisser un jour.
Je suis à la lettre
Votre très-humble &
très petit serviteur