Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXIX.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\069 (1723), S. 136-169, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4270 [aufgerufen am: ].


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Discours LXIX.

Zitat/Motto► Sed te, decor iste, quod optas
Esse vetat, votoque tuo tua forma repugnat.

Ovid.

Vos agréments mêmes vous empêchent de parvenir a cette réputation que vous souhaitez, & votre beauté s’oppose a vos vœux. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Le malheur d’etre sujet a la Calomnie, dit un Auteur judicieux, est un tribut que le merite paye au public, & Mylord Verulam remarque parfaitement bien, que ceux qui n’ont point de vertu ne sauroient la pardonner aux autres.

Je ne sai pas comment il se fait, que depuis que le monde est monde le beau sexe s’est distingué du coté de la médisance, & de la Calomnie ; Juvenal lui-[137]même ne traitte pas les femmes si mal, qu’elles se traittent mutuellement, & si l’on ramassoit les jugements qu’elles forment les unes des autres, on leur croiroit a toutes le plus afreux Caractere, que l’imagination puisse fournir.

Il y a certains Critiques trop hardis, selon moi, qui osent entreprendre de prouver, contre l’autorité de toutes les Histoires, que la Vertu de Lais égaloit ses charmes ; mais que les Phrynés de son temps choquées de cet assemblage odieux de beauté & de merite dans une meme personne de leur sexe, ont suborné les Historiens, pour la dépeindre a la posterité sous les traits d’une Courtizane avare.

Pour moi j’ai les plus tendres égards pour cette aimable partie du genre-humain, & je suis au desespoir qu’elle en ait si peu pour elle même ; un amour propre un peu raisonné devroit porter les femmes a ne rien negliger, pour s’entraider a soutenir leur reputation commune, mais par malheur un amour propre grossier leur fait faire presque a toutes les plus grands efforts, pour sapper leur propre réputation, en travaillant a detruire celle des autres.

[138] L’autre jour un des fils de Mylady Lizard demanda a sa Mere, qui pouvoit etre assez lache pour répandre des bruits si injurieux de Mademoiselle. . . Eh qui seroit-ce mon fils, repondit elle, sinon quelqu’une de ses bonnes amies. Un autre de ses fils lui dit là dessus, que Belise insinuoit par tout que Dorinde avoit des dents artificielles ; je ne m’en étonne pas, repartit Myladi ; c’est que Dorinde a répendu la premiere que Belise devoit la fraischeur de son teint, a une certaine eau dont elle seule avoit la Recette.

C’est ainsi que ces aimables babillardes épuisent leur esprit inventif a se rendre suspectes reciproquement, sans songer, qu’il y a parmi nous une troupe de malheureux, qui sont ravis de trouver la baze de leurs medisances dans les discours des Dames memes, charmez d’enlaidir les belles, & de noircir le Caractere de celles qui ont de la vertu.

La jeune Demoiselle, qui m’a fait l’honneur de m’écrire la Lettre suivante merite la Protection de notre sexe, puisqu’elle est traittée par le sien de la maniere la plus injuste, & la plus cruelle. Ce sont les hommes qui ont été la [139] cause innocente de son malheur, c’est aux hommes par conséquent a défendre son innocence contre les insultes de ses ennemis. S’ils avoient été plus chiches a lui donner des éloges, les femmes auroient été moins prodigues dans les calomnies, dont elles l’accablent.

Lettre a l’Auteur.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Monsieur,

Fremdportrait► J’ignore a quel âge vous bornez la premiere flœur de la jeunesse d’une fille, mais je sai bien qu’a peine suis-je sorti de ma quinzieme année ; mon Pere, qui est mort il y a trois ans m’a laissée sous la direction d’une tendre Mere, avec un bien, sinon considerable, au moins tel, que je puis esperer un jour d’etre avantageusement établie dans le monde. Dès que la bien-séance nous eut permis de sortir de la rétraite, où les premieres semaines du deuil nous avoient condamnées, ma Mere toujours attentive a me procurer quelque plaisir, me mena avec elle dans toutes les compagnies, qu’elle frequentoit ; elle fit plus ; persuadée [140] queces <sic> sortes de divertissements n’étoient pas assez vifs pour une personne de mon age, elle me permit d’accompagner mes parentes aux spectacles, qui malgré leur innocence ne lui convenoient pas a cause de son veuvage. Deux années s’écoulerent de cette maniere dans les plaisirs, qui doivent faire les plus fortes impressions sur une imagination novice, sur tout quand aucun chagrin n’y mêle la moindre amertume. Tout le monde m’accabloit de caresses, les Dames avancées en age se faisoient un devoir de me dire a l’envi les unes des autres, que je ne faisois que croitre & embellir, & les jeunes se disputoient ma compagnie comme un plaisir & comme une espece d’honneur ; Mais a peine fus-je entrée dans la troisieme année de cette vie delicieuse, que mes parentes commencerent a dire a ma Mere, que Mademoiselle Julie n’étoit plus un Enfant, & qu’elle devenoit grande fille. Je m’apperçus moi-même que je m’attirois les regards des jeunes Cavaliers, & que par tout ils me distinguoient avantageusement de mes amies ; mais je remarquai, qu’à me-[141]sure des progrez que je faisois dans l’estime des hommes, je reculois dans la faveur des femmes ; celles, qui m’avoient honorée de l’amitié la plus intime ne me marquoient plus que de l’indifference & que le froid le plus glacé ; d’autres prestants de la malice a toutes mes expressions, me faisoient dire des choses, qui ne m’étoient jamais venues dans l’esprit, & de la elles prenoient occasion de rompre avec moi tout commerce. J’entendois dans tous les lieux a l’entour de moi des murmures, dans lesquels je ne comprenois, sinon que j’étois une petite Demoiselle, qui avoit bien ses petites humeurs, & d’autres sens vagues de la même nature, dont il m’étoit impossible de faire voir la fausseté ; aussi ne m’en mettois-je gueres en peine ; j’avois un fier mépris pour toutes ces malignes insinuations, jusqu’à ce que la semaine passée ma Mere revint au logis en me disant, qu’il couroit un bruit dans la ville, qui devoit me ruiner de réputation en qualité de Belle-fille ; j’eus beau lui demander ce que c’étoit, mais craignant de me chagriner trop, elle me refusa opi-[142]niatrement de m’éclaircir la dessus, & peutestre ne l’aurois-je jamais deviné, sans une rencontre, que j’eus hier dans une assemblée de Messieurs & de Dames.

Il y avoit entre autres un Cavalier très spirituel, qui après avoir badiné ingenieusement avec la plûpart des autres Dames, en les raillant & en leur contant fleurettes s’adressa à la fin à moi ; pour vous, Mademoiselle, dit-il, je ne saurois rien vous dire de plus juste qu’en vous appliquant ces vers de Mr. Prior.

Sa taille qui se perd par degrez dégagée

Ravit par sa proportion,
Et sa molle démarche avec art négligée
Charme par son expression.

A peine eut-il prononcé ces vers que je remarquai une grimace maligne sur le visage de plusieurs Dames, qui la séconderent par cette partie de l’exercice de l’éventail, qui exprime le dédain. Une d’entr’elles voulant me mortifier d’une maniere plus sensible demanda à ce Cavalier, s’il ne se souvenoit pas de ce que Congreve dit sur la taille d’Aurelie ; il ne repondit rien ; mais dans l’in-[143]stant méme il déclama ces vers d’un ton, & d’un air qui marquoient qu’il y entendoit finesse.

Le Cyclope qu’Etna cache dans son Enfer se courbe,

Et s’en laidit, dans le tems qu’il travaille
A tirer avec art d’une masse de fer
Ces corps, qui d’
Aurelie embellissent la Taille.

Il n’étoit pas difficile de remarquer la maligne satisfaction que ces vers répandirent dans la compagnie. Toutes les Dames les unes après les autres se firent un plaisir de répeter les deux dernieres lignes, sous pretexte d’admirer la justesse & la force des expressions ; tout en les prononçant elles me montroient les unes aux autres du coin de l’œuil, & je vous avoue, Monsieur, que ma confusion fut aussi grande, que si ce passage m’étoit appliquable avec toute l’exactitude possible.

Comment faire, Monsieur, pour me tirer de cet embarras. Quel moyen peut-il y avoir au monde pour moi, de convaincre le public de la fausseté d’une pareille Calom-[144]nie ! Helas, c’est bien peu de chose que la beauté, puisqu’elle attire de pareils malheurs à celles, qui la possédent ; la Nature ne m’a-t-elle donc prodigué ses faveurs, que pour m’accabler de disgraces ; les hommes m’ont rabatu les oreilles mille fois de la finesse aizée de ma taille, du brillant de mes yeux, de l’incarnat de mes levres, du juste mélange des lis & des Roses, qui brille, à ce qu’ils pretendent, sur mon teint ; mais il voudroit mieux pour moi que mon visage n’eut simplement rien de desagréable, que ma voix fut ni rude, ni douce, & qu’il n’y eut rien de choquant dans tout mon corps ; alors je pourrois mener une vie tranquille, sans m’attirer l’amour & l’admiration de votre sexe, & par là la haine & la calomnie du mien. ◀Fremdportrait Je suis, &c.

Julie. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Tout ce que je puis répondre à ma belle Correspondante, c’est qu’elle doit se consoler par la considération que voici ; les femmes qui répandent d’elle des bruits si injurieux, sont persuadées elles-mêmes que ces bruits sont faux ; el-[167]les pourront persuader à d’autres femmes, qu’ils ont quelque fondement, mais les hommes sont assez au fait du tour d’esprit du beau-sexe, pour n’être pas les dupes de sa malice. Ayez bon courage, ma charmante Demoiselle, cette malignité n’est qu’un tribut, que des tailles plus massives, & moins aizées, payent à la délicatesse de la vôtre ; suivez le conseil d’un bon vieillard, au lieu d’être mortifiée de ces calomnies, riez-en de tout votre cœur ; c’est le veritable moyen de les détruire ; on ne cherche qu’à vous donner du chagrin, vangez-vous-en en ne vous chagrinant point ? Je serois au desespoir, que pour vous mettre à l’abri de pareilles sottises, vous voulussiez renoncer à une seule ligne de proportion dans votre taille, ni à la soixantieme partie d’un de vos traits, quand même les charmes, qui vous resteroient seroient capables de rendre cette perte insensible. Continuez seulement à vous montrer dans les assemblées les plus brillantes ; paroissez-y d’un air aisé & naturel, & bientôt tout le monde sera desabusé sur une si noire imposture ; il n’est pas fort difficile de distinguer entre les graces, que donne la nature, & cel-[168]les que prête un corps de fer.

Metatextualität► Je finirai par le recit d’un fait, qui a une grande rélation avec la matiere de ce discours : ◀Metatextualität Allgemeine Erzählung► Un jeune Gentilhomme de la Province devint, il y a quelques années, éperdument amoureux d’une personne qui étoit dans la prémiere flœur de son age, & qui passoit dans tout le Païs pour une beauté achevée ; après qu’il lui eut fait la cour assez long-tems, avec toute l’ardeur possible, elle méprisa plusieurs partis plus considerables que ce jeune amant, & elle résolut de le rendre heureux ; jamais joye ne fut égale à celle du Cavalier : mais à peine eut il été douze mois tranquille possesseur de tant de charmes, qu’il commença à y devenir insensible ; son dégout prit tous les jours de nouvelles forces, mais ne voulant rien négliger pour le cacher à sa malheureuse Epouze, il résolut de faire diversion à son chagrin en quittant pour quelques mois la campagne pour la ville ; cependant, pour que ce petit voyage n’allarmât pas la tendresse de sa femme, il trouva à propos de la mener avec lui. Après y avoir passé quelques jours il fut mené dans une compagnie, où il étoit inconnu. La conversation y tom-[169]ba sur son Epouze, & plusieurs Dames se mirent à parler d’elle avec tout le mépris possible ; Eh voilà donc cette Pecque Provinciale dont on a tant fait de bruit ; comment a-t’elle pu faire pour s’eriger en beauté ; il faut que les hommes de ce Païs-là ait les yeux plaisamment batis. Je crois avoir l’œuil aussi bon, qu’un autre, mais j’ai bien de la peine à découvrir le moindre trait passable dans tout son visage ? voilà un precis de leurs discours, qui donnerent à notre jeune Epoux la plus grande satisfaction. Dès qu’il fut de retour chez lui, il embrassa sa femme avec transport, en lui disant, que ce n’étoit que depuis ce jour-là qu’il étoit persuadé, qu’elle avoit des charmes infinis, puisque les autres femmes, ne vouloient pas lui en accorder la moindre dose. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2 ◀Ebene 1