Le pauvre est par tout méprisé.
C’est une occupation très digne d’une créature raisonnable, d’entrer dans les penchans, qui ont été enracinez dans les cœurs des hommes pour les lier les uns aux autres, & de se servir de cette utile connoissance, pour augmenter le bon Naturel, & pour échauffer la charité du genre-humain. Telle est sans doute l’Etude favorite de l’Au-
Monsieur,
Je lis avec plaisir vos feuilles volantes, quelle qu’en puisse être la matiere ; mais, il n’y en a point dont la Lecture me charme d’avantage, que celles, où vous vous efforcez, à ranimer la charité des hommes, en leur mettant devant les yeux des tableaux frappans de la misere humaine. J’entre alors dans vos vues avec la plus grande ardeur, & je me sens animé du zêle le plus vif, pour contribuer avec vous à l’exécution d’un dessein si généreux. Vous le savez comme moi, Monsieur, un manque d’Esprit & de lumieres n’est pas le défaut de notre siecle : c’est le honteux usage qu’on fait de son genie, & de ses connoissances, qui constitue le vice dominant de notre âge. Ceux, qu’on appelle encore honnêtes-gens parmi nous, souhai-riches, & habiles, uniquement pour l’amour de la richesse, & de l’habileté ; au lieu qu’une personne d’un vrai mérite ne considere les biens de la fortune & de la nature, que comme les moiens d’être meïlleur, & plus utile, <sic> C’est cette derniere disposition, que je voudrois fortifier dans mon ame par des Réflexions continuelles, quoique je doive me contenter de la vertu toute une depourvue comme je le suis du bien & de la sagesse, qui peuvent, la rendre brillante & avantageuse aux autres hommes. Qu’il est triste pourtant quelquefois de n’être pas riche ! Je l’ai sentî avec toute la force imaginable il y a quelques jours. Vous saurez, Monsieur, que je fais de tems en tems des Promenades de Mortification, & que j’employe quelquefois des journées entiéres, a me procurer une tristesse vertueuse. C’est alors que je visite tous les Hopitaux, qui se trouvent dispersez dans cette grande ville, & je commence d’ordinaire par celui, qui nous offre les objets les plus dignes de compassion, en nous mettant devant les yeux les différens égaremens d’une raison em-
Je finis ma derniere promenade de cette nature, par visiter incurable. Mon cœur fut abimé dans la plus profonde affliction, en songeant à ce que pourroit devenir ce malheureux Enfant, qui, à ce qu’on me dit, n’avoit ni Pere, ni Mere, ni parens, ni aucun ami au monde, dont il pût espérer le moindre secours. Ce pauvre Garçon lut ma douleur dans tout mon air : il s’approcha de moi, il me conjura de parler pour lui, & de faire en sorte qu’il pût mourir dans l’Hôpital.
Incurables, pour l’amour de ceux dont les maux ne sont pas desespérez. Chaque année, un bon nombre de personnes ont le même sort que le malheureux Enfant, dans je viens de parler, & qui, selon toutes les apparences, traine encore son cadavre vivant dans nos rues. S’il y a quelque chose au monde, qui puisse inspirer de la sensibilité à l’inhumanité même, c’est la situation, que je viens de depeindre, & dont il n’est pas possible d’exprimer toute l’horreur.
Selon moy, les Necessiteux ont un droit incontestable au superflu des Tuteur de la Nation. Servez-vous des couleurs les plus fortes, pour faire un tableau touchant de l’affreux Etat des Incurables, afin de porter les hommes les moins durs à se procurer la satisfaction la plus noble, en soulageant un petit nombre de personnes, dont les miseres sont jusqu’ici hors de la sphere de la charité publique.
Un des Directeurs de cet Hopital m’a dit, que si l’on proposoit d’établir une retraite à part, pour ceux qui n’ont plus rien à faire dans le monde, que de se préparer à une mort prochaine, il croyoit que la chose seroit aussi-tôt faite que dite. Je ne trouve pas de moyen plus aisé de faire une pareille Proposition au public, qu’un papier comme le vôtre ; &, je vous conseille de ne le
Il faut avoüer à l’honneur de cette grande Ville, qu’en la parcourant d’un bout à l’autre, on ne sauroit assez s’étonner des nombreux effets d’une charité Heroïque, qui frappent les yeux de tous côtez. On a songé à la correction des méchants, à l’instruction de la jeunesse, à l’habillement & à la nourriture des gens âgez ; en un mot, à tous les besoins, où les différentes Classes d’hommes peuvent être sujets. Ce qu’il y a de triste, c’est qu’on ne doit gueres tous ces secours, qu’à l’humanité de ceux qui sont dans une condition médiocre. Les personnes distinguées par leur naissance, par leur rang, & par leur bien, sont trop élevez au dessus de notre Espece, pour prendre la moindre part à nos miseres. Bien loin d’en être touchées, elles ne les connoissent pas seulement. Que cette dureté de cœur est monstrueuse ! Est-il possible, que le retour de la faim, & de la soif, que ses gens, ne regardent, que comme gloire, & de la grandeur, qu’une opinion malheureuse attache à la richesse, qui semble placer ceux qui la possedent au dessus du sort des humains ; On diroit que toutes les qualitez, qui doivent rendre l’homme digne d’estime, ou de mépris, soient renfermées dans l’opulence, & dans la pauvreté. Les Thrésors prêtent de la grace, & du prix, à tout ce que leurs possesseurs peuvent dire ou faire. La disette, au contraire, repand un air odieux & meprisable, sur les actions, les discours, & les entreprises des pauvres. Celui qui rempe dans la Nécessité, n’a ni mains, ni langue, ni esprit, pour son propre bien, ni pour celui de ses amis. Il est dans le même état, qu’un léthargique ; avec cette difference, que peu de gens daignent soulager ses maux, & que ceux qui le font, lui marquent plus de mépris que de compassion. Dans cette malheureuse conjoncture, toutes les vertus, tous les talens, tout le mérite, pauvre Horos doit compter sur des guenilles, comme un pauvre scélérat sur le Gibet. Accablé sous le fardeau de la disette, un homme parle d’une voix tremblante : la timidité accompagne ses entreprises, l’irrésolution les fait échoir. S’il parle, personne ne lui prête l’oreille : il se trouve parmi la multitude, sans qu’on l’apperçoive : il éxiste, pour ainsi dire, sans occuper de terrain. On l’affronte, on l’injurie, impunément. Les loix n’ont rien déterminé en sa faveur. Mais, qui sont ceux, qui le traitent d’une maniere si indigne ? Ce sont des créatures, qui lui sont semblables en tout, qui sont sujets aux mêmes besoins, à la même disette naturelle que lui, & qui ont seulement le bonheur de posséder tout ce qui peut les remplir. Cependant, telle est l’insolence de ces hommes, qu’ils refusent de voir en lui leur propre nature, & de reconnoitre que celui qui satisfait avec facilité à tous ses besoins est naturellement dans le même cas, qu’un malheureux qui est privé des mêmes se-Il a du bien, nous voilà d’abord amis de celui dont on fait ce panégyrique, qui concentre en lui tous les éloges imaginables. Jamais vous n’attirerez à quelqu’un un mépris parfait, jamais vous ne le placerez au plus haut dégré d’infamie, si vous ne le décriez en qualité de pauvre : ce sont-là les expressions les plus fortes, & les plus significatives, dont il soit possible de se servir. Les hommes ont oublié avec tant de stupidité leur pauvreté & leur impuissance naturelles <sic>, que la disette & la richesse ont occupé dans leur imagination, la place de l’innocence & du crime.
En vérité, ces sortes de Réflexions ne sauroient qu’humilier un honnête-homme & le remplir d’indignation contre la barbarie du siecle. Heureux encore, si ces sentimens douleureux pouvoient apporter quelque remede à un