Daunia in latis alit Esculetis
Nec Jubæ tellus generat Leonum Arida nutrix.
Monstre plus terrible que tous ceux que l’ nourrit dans ses montagnes, & que l’ Mere des Lions enfante dans ses déserts arides.
Je ne doute pas que je ne surprenne beaucoup mes Lecteurs de la Campagne, en leur disant que depuis quelques années notre bonne ville de
Pour expliquer cette Enigme aux honnêtes-gens de la Province, je leur dirai que nous autres gens de Cour nous donnons le titre de Lion à tous espion aux gens du prémier rang. Dans ma qualité de Directeur géneral des mœurs, je me sens obligé de faire connoitre un animal si dangereux, & de précautionner par là les honnêtes gens contre ses attaques. C’est à ce dessein salutaire, que je consacrerai toute cette feuille, qui ne contiendra qu’un essai, sur le Lion Politique.
Je commencerai par l’Etymologie, à l’exemple de presque tous mes confreres les auteurs d’Essais. Il m’en a couté un tems infini, & des efforts d’imagination incroyables pour découvrir la source du Titre en question ; mais, après d’exactes recherches, & des conjectures très profondes, j’en ai trouvé à la fin deux raisons, qui me paroissent assez naturelles. Voici la prémiere Doge plusieurs grands Lions de marbre artistement travaillez, & qui semblent attendre leur proye la gueule beante. Ceux, qui veulent donner au Sénat quelque avis, touchant les choses, qui se passent dans la Ville, ne font que glisser un billet dans la gueule de ces Lions seuls, qui découvrent tout, & il n’y a pas la moindre irrégularité dans la conduite d’un Officier de la République, pas un mot séditieux laché imprudemment dans une compagnie, que le Sénat n’en soit aussi-tôt informé. Nos savants n’ont par conséquent pas tort, s’ils tirent de là l’origine du titre qu’on donne parmi nous aux Espions des prémieres têtes du Royaume.
Cette Etymologie est assez plausible, & je m’en suis contenté pendant plusieurs années ; mais, j’ai été assez heureux à la fin, pour trouver un petit manuscrit, qui dérive la dénomination dont il s’agit, d’une source Domestique, qui me paroit bien plus naturelle, que celle qu’on va chercher jusqu’au Palais de St. Marc. Sous le regne de la fameuse Reine
Lion, qu’il n’eut toutes les qualitez nécessaires pour en bien remplir tous les devoirs. Il est vrai, que ses contemporains ont dit de lui, qu’il ne les estimoit pas d’avantage pour les services qu’il en tiroit ; & que souvent, bêtes feroces, il avoit une véritable estime pour les vrais hommes. Il ne se contentoit pas de respecter & de chérir leurs belles qualitez, & leurs lumieres : il les honoroit des marques les plus fortes de sa générosité ; il les accabloit de graces, sans aucune vue d’intérêt : & un honnête homme, quoi qu’ennemi déclaré de Peste soit de ce Il ferme la bouche à tout le monde : il ne veut pas seulement ne permettre à un honnête homme de le haïr dans son petit particulier.
Il est vrai que par le moyen des courses, des regards, & des rugissemens de ses Lions, il apprenoit les routes de tous les cœurs, & les moyens sûrs de gagner tous les hommes, à qui la fortune n’étoit pas absolument indifférente. Il avoit des Lions furieux pour le service de la sainte Eglise, & des Lions couchans propres à être mis aux pieds de la Reine sa Maitresse ; mais, il les avoit si bien dressez, que dans l’espace de vingt-quatre heures ils passoient les uns dans le caractere des autres sans forcer en aucune maniere leur naturel.
Il est certain, que la connoissance de tant de secrets devoit répandre de grands agrémens sur la vie d’un homme aussi spirituel & aussi capable de réfléxion, que Lions, dont il affamoit les uns, & nourissoit bien les autres, selon leur differentes constitutions.
Après avoir donné au Lecteur cette idée précise & nécessaire de Lions. Depuis que l’habile Secretaire d’Etat, tous nos Ministres, n’ont rien négligé pour conserver la race de ses Bêtes utiles. Sachant que le Lion est un des supports de la Couronne de la
Un Lion, ou espion du prémier rang, ne manque jamais d’avoir sous lui quelques bêtes de proye subalternes, qui vont à la chasse des particularitez détaillées propres à entrer dans le rapport general. Pour lui il trouve son vrai gibier dans les Caffez & dans les Cabarets, & il arrive bien rarement qu’il en revienne à vuide.
Son rugissement articulé à une force secrets à qui il donne la chasse avec plus d’ardeur, que ceux, qui font décapiter, pendre, & mettre en quartiers. S’il flaire de loin un discours, ou une action, qui semblent tendre au bien de l’Etat, il sent d’abord que ce n’est pas là ce qu’il lui faut, il tourne sa course ailleurs, & se met sur la piste de quelque gibier plus savoureux.
On ne sauroit s’imaginer les tours adroits dont il se sert, pour reüssir dans sa chasse. Il sait faire le chien couchant ; &, par mille sauts badins, il attire sa proye, & tache de la faire venir à la portée de ses griffes meurtrieres. Il a encore un talent merveilleux : c’est d’imiter en perfection la voix de chaque animal, qu’il cherche à attrapper ; & qui trompé par ces sons croit avoir à faire à une bête de sa propre espece.
Rarement trouve-t’on une troupe de nouvellistes, qu’il n’y ait au milieu d’elle un de ces Lions à figure humaine.
Jamais il ne manque de se placer dans les lieux publics, auprès de ces petits fanfarons Politiques, qui s’érigent en Orateurs dans tous les endroits, où l’on
J’ai toujours rémarqué, que tous ces Lions sont grands amateurs de toutes sortes de feuilles volantes : ils y jettent les yeux, de l’air du monde le plus attentif, quoi que toute leur attention soit concentrée dans leurs oreilles ; & j’en ai vu, qui après s’être saisi d’une gazette mouchoient la chandelle à tout moment, pour pouvoir mieux entendre tout ce qui se disoit dans leur voisinage. Ils rumineront pendant deux heures d’Orloge sur un seul paragraphe de vieilles nouvelles, pourvû qu’on parle pendant tout ce tems autour d’eux ; & leurs réflexions sur ces sortes de matieres ne s’épuisent qu’avec le babil des assistans.
Après avoir dépeint ces monstres avec toute l’éxactitude dont je suis capable dans le dessein de garantir de leurs dents certaines personnes imprudentes, qui ne s’en défient pas, il ne sera pas hors d’œuvre que je leur dise un mot à eux-mêmes. Je voudrois les prier de Archers, & les Bourreaux, sont absolument nécessaires dans un état, & peut être en est-il de même des Bêtes féroces, dont il s’agit ici. Cependant, jusqu’à quel point les hommes qui se chargent d’emplois si Barbares, ne sont-ils pas odieux & méprisables aux yeux de leurs compatriotes ? Il n’y a point d’individu humain presque, à qui on ne fit tort, en le comparant à ces vils suppots de la justice ; mais, en mettant en parallele avec eux un de nos Lions Politiques, on lui fait encore trop d’honneur, puisqu’il est en même tems le tentateur, le délateur, & le destructeur, des autres hommes.