Amusement LII. Laurent Angliviel de la Beaumelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Anna Karnel Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 25.09.2018 o:mws.6664 La Beaumelle, Laurent Angliviel de: La Spectatrice danoise, ou l'Aspasie moderne, ouvrage hebdomadaire. Tome I. Copenhague: s.i. 1749, 441-450 La Spectatrice danoise 1 052 1749 Dänemark Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Teatro Literatura Arte Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Filosofía Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Imagem humana Germany Berlin Berlin 13.41053,52.52437 Roman Empire 12.48499,41.8925 France 2.0,46.0 Grizzly Summit -121.27413,39.85683 Egypt 30.0,27.0 Norway 10.0,62.0 Denmark 10.0,56.0 Greece 22.0,39.0 Europe 9.14062,48.69096 Italy 12.83333,42.83333 Iceland -18.0,65.0 United Kingdom England England -0.70312,52.16045 France Paris Paris 2.3488,48.85341 Russia Moscow Moscow 37.60667,55.76167 Sweden 15.0,62.0 Finland Lapland Lapland 27.0,68.0 Germany 10.5,51.5 Denmark Copenhagen Copenhagen 12.56553,55.67594

Amusement LII.

Toujours sous les grands Rois nâquirent les grands Hommes.

I.

Il est d’heureux siécles, ou les arts & les sciences brillent avec éclat. Ces siécles privilégiés voient naître à la fois les Héros & les Sçavans, comme si lorsque la Nature forme un grand Prince, elle formoit en mème temps des Sçavans & de Beaux Esprits pour l’immortaliser.

On a remarqué, que les grands Hommes en tout genre, dans le Militaire, dans la Politique, dans les Arts, dans les Sciences, sont ordinairement contemporains, comme s’ils s’étoient donné le mot pour orner tous ensemble l’Univers. En Grèce Periclès, Alcibiade, Arisitde, Apelle, Lisippe, Platon, Aristote, Démosthène, Thucydide, Xénophon, Euripide, Méandre &c. à Rome, Pompée, César, Cicéron, Virgile, Horace, Tite-Live, Labienus, Térence, Ovide, Agrippe, & c. en France, Condé, Turenne, Mansard, la Quintinie, Fléchier, Bourdaloüe, Bossuet, Mignard, Racine, Corneille, Vauban, Boileau, Moliere &c. ont vécu à peu près dans le mème tems. Combien de grands hommes ces trois siécles n’ont-ils pas porté ? Vit-on rien de plus accompli ? Aléxandre, Auguste & Loüis XIV. ont été témoins de ces merveilles. Ces trois Monarques n’étoient pas dans le fonds plus grands que les autres Princes. Mais ils savoient le grand art d’encourager les Talens ; & les Talens, qui se tiennent tous, pour ainsi dire, par la main, qui tirent les uns des autres un secours mutuel, s’empressoient à briller tous à la fois, parcequ’un certain goût de Perfection, qui se répandoit de proche en proche, se communiquoit à toutes les Professions.

II.

Qu’il régne une espèce de simpathie entre l’Héroїsme & les Talens, c’est ce que l’Histoire démontre. Les grands Princes ont toujours aimé, favorisé, protégé les Arts ; & les Arts on toujours immortalisé les grands Princes.

Les Guerriers sur tout ont eu beaucoup d’inclination pour les Lettres. Condé étoit un parfait connoisseur, & s’appliquoit aux belles lettres dans sa Solitude. Vendôme se plaisoit à rassember les Talens à sa Table, & avoit de Beaux Esprits à ses gages. Villars aimoit à se délasser dans l’Académie Françoises, le temple des Muses, des exploits fameux auxquels la France devoit son salut.

Si nous remontons plus haut, nous trouverons César aussi grand Ecrivain que grand Capitaine, & maniant également bien la plume & l’épée ; Lucullus, vainqueur de Mitridate, couronné du Laurier de Mars & de l’Olive de Minerve, faisant une Académie de son Palais ; Annibal écrivant divers Traités à ses heures de loisir ; Periclès, écolier, puis amant, enfin époux de l’éloquente Aspasie ; Aléxandre aiant toujours son Epée & les Poёmes d’Homère sous son chevèt.

Enfin, c’est une vérité attestée par l’expérience de tous les âges, qu’il y a une étroite amitié entre les Talens qui font les Héros, & les Talens qui célèbrent leurs belles actions. S’il étoit nécessaire d’en donner d’autres preuves, je pourrois citer trois Ministres d’Etat, Mylord Chesterfield, M. le Comte de Maurepas, & M. Le Comte de Brülh ; & deux Capitaines, M. de Saxe & M. de Leutrum, qui aiment & protègent les Lettres.

III.

La Prusse mérite un article à part ; c’est le païs des arts & des sciences. Elle ne pouvoit manquer de le devenir, étant gouvernée par un Roi, qui fait plus d’honneur à la Couronne que la Couronne ne lui en fait. L’Académie de Berlin ne pouvoit qu’être mise sur un bon pié par un Prince, qui, sim-ple Particulier, auroit pu être lui seul une Académie entiére. Politique, Philosophe, Mathématicien, Poete, Orateur ; que n’est-il pas ? De ce qu’il a de superflu, on pourroit faire plusieurs Sçavans & plusieurs grands Rois. La Capitale de ses Etats est le Centre du bon goût & le rendés-vous des talens de l’Europe ; car la Patrie d’un homme de mérite n’est pas celle où il a pris naissance ; c’est celle où le mérite est récompensé & perfectionné.

IV.

L’honneur, l’émulation, les récompenses contribuent infiniment à former les grands Génies. Ce n’est pas le mérite qui manque aux Princes : C’est la protection des Princes, qui manque au mérite. La Nature sème en tout païs un certain nombre de grands hommes. C’est aux Souverains d’arroser ces semences.

Il y a deux siécles, que la France étoit dans la plus profonde ignorance. François I. monte sur le thrône, cultive les Lettres, encourage les Arts, protège l’Université de Paris. Tout change de face : un jour lumineux se répand sur tout son Roiaume. Le bon goût commence à reparoître. Ce Prince, appellé avec justice le Restaurateur des Lettres & le Pére des Sçavans, traita généreusement les Muses. L’Histoire nous a conservé la réponse qu’il fit à ses Courtisans surpris de le voir pleurer Léonard de Vinci. « Vous avés tort d’ètre étonnés, leur dit-il ; je puis en un instant faire mille Seigneurs comme vous : mais il n’appartient qu’à Dieu de faire un Peintre pareil à celui que je perds. » Parler & agir ainsi, c’est certainement se faire autant d’honneur à soi-mème, qu’à ceux dont on relève la <sic> mérite.

Auguste connoissoit bien le prix de cette gloire. « Pourquoi, écrivoit-il à un sçavant, pourquoi ne parlés-vous pas plus souvent de moi dans vos ouvrages ? Craignés-vous, que la Postérité ne vous reproche votre amitié pour moi ? »

Quand on écrit sur ce ton-là, on est bien jaloux de sa réputation. Qu’il est glorieux pour les Lettres, que le Maitre du Monde ait fait des avances si flatteuses à ceux qui les cultivoient !

Ce sage Tyran travailloit pour lui-mème en pensionant Horace & Virgile. Il savoit, que sa gloire dépendoit d’eux. L’estime des Princes annoblit, illustre les Arts : mais les Arts, qui sont toujours reconnoissans envers leurs Protecteurs, s’acquittent à leur tour en transmettant à la postérité la plus reculée les actions des Princes. C’est placer ses fonds à gros intérèts, que de les placer sur les vrais Sçavans.

V.

Louis le Grand est le Roi qui a le plus favorisé les Arts. Sous son regne, le mérite littéraire devint un patrimoine. Colbert le plus grand homme que la France ait eu, & excellent juge des hommes, sembloit ètre né pour le bien de sa Patrie. Il avoit des espions pour découvrir le mérite naissant ou caché ; & la Pension suivoit de près la découverte.

Ses libéralités s’étendoient jusques sur les Talens Etrangers ; &, comme le dit Fontenelle, alloient jusques dans le fonds du Nord chercher un Savant surpris d’être connu. Il scût enlever Cassini à l’Italie, Homberg à l’Allemagne, & peu s’en fallut qu’il n’enlevât Newton à l’Angleterre. Il acquit à la France ** Fabricant Hollandais, dont la Manufacture subsiste encor à Abbeville. Van Robais, & avec Van Robais des richesses immenses. Durant le cours de son Ministère, il y eut un fonds d’un million de Livres, dont le produit étoit emploié en pensions annuelles pour les Artistes, les Beaux-Esprits & les Sçavans.

On n’a point d’éxemples d’une pareille générosité ; mais aussi on n’en a point d’un <sic> production de grands hommes en tout genre, pareille à celle qui parût alors en France.

Loüis XIV. se trouva bien de l’appui qu’il donna aux talens. Son régne en devînt le régne le plus glorieux qu’il y ait jamais eu : & ce Prince surpasseroit tous les Héros de l’Antiquité, s’il n’avoit terni sa gloire, en dépeuplant ses Etats, & porté coup à ses beaux établissemens en forçant ses sujèts à les faire passer dans l’Etranger. Cette tâche doit ètre ineffaçable, puisqu’elle subsiste encore, malgré tous les Panégiriques qu’on a fait de ce mauvais trait de Politique Dévote.

VI.

Les Sciences & les Arts suffiroient seuls pour rendre un Païs florissant & un Régne glorieux. Ils étendent la gloire d’une Nation peut-ètre plus que ne l’étendent les succès des armes. L’esprit, l’application & l’industrie, en lui donnant l’empire flatteur & utile du goût & du génie, attirent chés elle une foule d’Etrangers, qui l’énrichissent par leur curiosité, qui y apportent le Commerce, qui contractent peu à peu ses manières & ses idées, qui, en s’attachant à ses interèts, deviennent pour elle de nouveaux citoiens.

Ainsi, mettant mème à l’écart & l’utilité & le mérite réel des Talens, la saine Politique demande qu’on les protège. Un Gentilhomme, qui n’a d’autre relief, que de faire la révérence de bonne grace, que de s’enorgüeillir de la vertu de ses aieux, que de promener son ennuieuse & ennuiée figure de maison en maison dans un leste équipage, est parfaitement inutile à l’Etat. Mais le Fils d’un Serf, qui excelle dans quelque art, dans un art mème superflu aus <sic> besoins de la vie, mérite de la protection ; parcequ’il fait réellement honneur à sa Patrie.

VII.

Les grands hommes, en quel genre que ce soit, seront d’une rareté extrème en tout paїs, où les Arts & les Sciences seront sans protection & sans encouragement. Jamais, par éxemple, un Roiaume n’aura d’habiles Généraux, si les fruits du Génie n’y sont pas cultivés. Car, à ce que j’entends dire, le Généralat, outre l’expérience, demande un nombre infini de connoissances, telles que l’étude de l’Histoire, de la Géometrie, des Fortifications, de la Tactique &c. connoissances qu’on ne peut guéres acquérir, que dans un Paїs, où les Lettre fleurissent.

Quelques Officiers font consister tout le fin de leur Art dans un Battaillon quarré. Parlés leur des ouvrages de Quincy, de Vauban, de Follard, de Puiségur ; ils vous diront, que le savoir guerrier ne peut s’apprendre dans le Cabinet, & que l’experience est l’unique maître. Il faut convenir, que la Théorie seule ne suffit pas, & que pour en tirer tous les avantages qu’elle produit, elle doit ètre jointe à la Pratique. Il est encor vrai, qu’un officier subalterne, dont toute l’ambition se borne à obéir, peut-ètre bon officier & un franc ignorant tout ensemble : Mais il est très certain, qu’un homme, qui, dès sa jeunesse, se sera apliqué à la Géographie, à l’Histoire des grands Généraux, aux parties des Mathématiques nécessaires à son métier ; qui possédera bien les principes du Genie, & la science de l’Artillerie ; qui, plein de préceptes de Follard & de Puisegur, se sera fait un sistème suivi de son Art ; il est, dis-je, certain qu’un tel officier sera plus capable en quatre ou cinq campagnes de commander, qu’un homme sans étude ne peut l’ètre en soixante années d’expérience. Car, dites moi, à quoi peut servir l’expérience à cet homme, dont l’Esprit a toujours été comme endormi, & la raison comme assoupie ? Otés à l’expérience la justesse & la réflexion ; elle n’a qu’une vuё foible & bornée ; elle fait de l’homme un automate. Turenne etoit, à trente ans, Marechal de France. Qui ose-roit mettre en parallèle le vieux Maréchal de Noailles avec le jeune Prince de Conti, dont toute l’Europe a admiré, dans cette Guerre, la valeur & la conduite ? N’est-ce pas l’étude, qui fit de Condé un grand Général à la fleur de son âge ? On peut comparer un officier, qui n’a que de l’expérience, à un homme, qui croiroit étre habile Horloger, quoiqu’il ne sçut, que monter éxactement sa Montre.

Mais je m’écarte insensiblement de mon sujet. Disons, pour y revenir, que, vu l’étroite liaison, qu’il y a entre l’Héroisme & les Arts, on verra peu de Héros par tout où ils ne seront pas cultivés ; qu’ils ne seront point culitivés, si le Prince ne les protège ; & que le Prince ne les protégera pas, s’il ne sait regner. Il n’appartient qu’aux grands Rois d’ètre obéïs par de grands hommes.

VIII.

Quelques-uns imaginent, qu’il y a de certaines contrées, disgraciées de la Nature à l’égard de Talens comme à l’égard des productions nécessaires à la vie. C’est une erreur, c’est un préjugé sans fondement. Toutes les Nations ont le cerveau disposé de la mème maniére ; & toute la différence qui est entr’elles, ne gît que dans la différence de l’éducation & du Gouvernement.

Les Grecs vivoient dans l’ignorance, tandis-que l’Egipte fourmilloit de grands hommes. Les Romains étoient grossiers, tandis que la Gréce étoit une pépinière de Génies supérieurs. Les Gaulois étoient plongés dans une espéce de stupidité, tandis que les Lettres fleurissoient en Italie. La Moscovie n’a-t’elle pas été débarbarisée par Pierre le Grand ? Je suis persudée, que la Laponie, qui est aujourd’hui ensévelie dans les plus épaisses ténèbres, produiroit en cent ans d’ici d’aussi grands hommes, que l’Angleterre & la France en pro-duisent, si l’Esprit des Lapons étoit cultivé de la mème maniere & encouragé par les mémes récompenses. La froide & stérile Norwège ne nous a t’elle pas donné deux ou trois bons Génies ? L’Islande n’étoit-elle pas la patrie des Scaldes ? La Nature n’a traité aucuns Peuples en marâtre. Elle a donné la mème Raison aux habitans de tous les climats. Mais cette Raison est un Diamant brut, que les Muses doivent polir ; c’est un Marbre dont leur main industrieuse doit trouver les taches & découvrir les veines. Les Princes n’ont qu’à vouloir : le mérite est toujours prèt à paroitre.

Un Auguste aisément peut faire des Virgiles.

IX.

« Des Virgiles ! dira quelquun, dont l’ignorance se venge par le mépris : vraiment ! on en a bien à faire ! A quoi bon tous ces Artistes, tous ces Sçavans, tous ces Beaux-Esprits, »

** La Fontaine. « Toujours logés à la Troisiéme chambre ;Vétus au mois de Juin comme au mois de Decembre,Aians pour tout Laquais leur ombre seulement :La République a bien à faireDe gens qui ne dépensent rien ;Je ne sçai d’homme nécessaireQue celui, dont le Luxe épand beaucoup de bien. »

J’avoüe qu’un Virgile, un homme dont toute l’occupation est de mettre de l’Esprit dans des silabes cadencées ; un Raphaël, un Poussin, un Corelli n’enrichissent point un Païs : mais, outre que l’expérience prouve, que ces hommes inutiles ne brillent jamais, que dans les Païs, où le Commerce fleurit, il est certain, qu’en l’état où sont les choses, les Muses font autant d’honneur à un Roi, & beaucoup plus de plaisir à ses Sujets, que la gloire des Armes. Ajoutés à cela qu’elles adoucissent les mœurs, perpétuent le bon goût, entretiennent l’émulation.

De plus, il est extrèmement avantageux à un Etat, que le souvenir des grandes vertus y soit conservé. Les Citoiens sont portés au beau & au grand par l’espérance qu’ils ont, que la postérité prendra soin de leur mémoire & admirera leurs vertus. Les éxemples domestiques sont très propres à soutenir un mérite naissant dans la carrière de l’honneur. Combien de Héros le sont devenus, parcequ’ils ont voulu partager les louanges qu’ils entendoient donner aux actions des grands hommes ? Il est donc constant que les Arts servent infiniment à nourrir dans les belles Ames l’amour de la gloire.

Quant aux Sciences, leur utilité est reconnuë. L’Astronomie, que le vulgaire regarde comme une sublime extravagance, a beaucoup perfectionné la Navigation qui est l’Ame du Commerce, & par ses observations a sauvé la vie à une infinité de Navigateurs. Sans la Géometrie on n’aura jamais de bons Ingénieurs ; & sans de bons Ingénieurs, aura t’on jamais de Frontiéres bien fortifiées ou bien défendues ? L’étude de la Botanique a perfectioné la Médecine ; & la Chimie a decouvert des Specifiques infaillibles. Quelles obligations la Chirurgie n’a-t’elle pas à l’étude de l’Anatomie ? n’est-elle pas plus sure dans ses opérations ? Sans l’Algèbre, tireroit-on les Bombes avec la justesse d’aujourd’hui ? Les Mechaniques sont absolument nécessaires à la Société. L’étude de la Jurisprudence a mis dans tour <sic> son jour le Droit Naturel, à l’aide du flambeau de la Filosofie.

Quand les Arts & les Sciences n’auroient d’autre utilité, que de tirer l’homme des bras l’erreur, de l’ignorance & de l’oisiveté, cela seul justifiroit les dépenses & mème les profusions de leurs Protecteurs.

X.

Je souhaiterois, que notre jeune Noblesse réfléchît sur cette pensée de Voltaire : « Le Portrait d’un Ministre d’Etat est est <sic> sur la cheminée de son Cabinet. J’ai vu celui de Pope dans vingt maisons. »

Espérons, que les Sciences & les Arts fleuriront enfin en Dannemarc ; que la Société Littéraire de Copenhague égalera un jour celle de Suéde ; & que les Talens trouveront dans Sa Majesté un Auguste, & dans ses sages Ministres, de généreux Mécènes !

Amusement LII. Toujours sous les grands Rois nâquirent les grands Hommes. I. Il est d’heureux siécles, ou les arts & les sciences brillent avec éclat. Ces siécles privilégiés voient naître à la fois les Héros & les Sçavans, comme si lorsque la Nature forme un grand Prince, elle formoit en mème temps des Sçavans & de Beaux Esprits pour l’immortaliser. On a remarqué, que les grands Hommes en tout genre, dans le Militaire, dans la Politique, dans les Arts, dans les Sciences, sont ordinairement contemporains, comme s’ils s’étoient donné le mot pour orner tous ensemble l’Univers. En Grèce Periclès, Alcibiade, Arisitde, Apelle, Lisippe, Platon, Aristote, Démosthène, Thucydide, Xénophon, Euripide, Méandre &c. à Rome, Pompée, César, Cicéron, Virgile, Horace, Tite-Live, Labienus, Térence, Ovide, Agrippe, & c. en France, Condé, Turenne, Mansard, la Quintinie, Fléchier, Bourdaloüe, Bossuet, Mignard, Racine, Corneille, Vauban, Boileau, Moliere &c. ont vécu à peu près dans le mème tems. Combien de grands hommes ces trois siécles n’ont-ils pas porté ? Vit-on rien de plus accompli ? Aléxandre, Auguste & Loüis XIV. ont été témoins de ces merveilles. Ces trois Monarques n’étoient pas dans le fonds plus grands que les autres Princes. Mais ils savoient le grand art d’encourager les Talens ; & les Talens, qui se tiennent tous, pour ainsi dire, par la main, qui tirent les uns des autres un secours mutuel, s’empressoient à briller tous à la fois, parcequ’un certain goût de Perfection, qui se répandoit de proche en proche, se communiquoit à toutes les Professions. II. Qu’il régne une espèce de simpathie entre l’Héroїsme & les Talens, c’est ce que l’Histoire démontre. Les grands Princes ont toujours aimé, favorisé, protégé les Arts ; & les Arts on toujours immortalisé les grands Princes. Les Guerriers sur tout ont eu beaucoup d’inclination pour les Lettres. Condé étoit un parfait connoisseur, & s’appliquoit aux belles lettres dans sa Solitude. Vendôme se plaisoit à rassember les Talens à sa Table, & avoit de Beaux Esprits à ses gages. Villars aimoit à se délasser dans l’Académie Françoises, le temple des Muses, des exploits fameux auxquels la France devoit son salut. Si nous remontons plus haut, nous trouverons César aussi grand Ecrivain que grand Capitaine, & maniant également bien la plume & l’épée ; Lucullus, vainqueur de Mitridate, couronné du Laurier de Mars & de l’Olive de Minerve, faisant une Académie de son Palais ; Annibal écrivant divers Traités à ses heures de loisir ; Periclès, écolier, puis amant, enfin époux de l’éloquente Aspasie ; Aléxandre aiant toujours son Epée & les Poёmes d’Homère sous son chevèt. Enfin, c’est une vérité attestée par l’expérience de tous les âges, qu’il y a une étroite amitié entre les Talens qui font les Héros, & les Talens qui célèbrent leurs belles actions. S’il étoit nécessaire d’en donner d’autres preuves, je pourrois citer trois Ministres d’Etat, Mylord Chesterfield, M. le Comte de Maurepas, & M. Le Comte de Brülh ; & deux Capitaines, M. de Saxe & M. de Leutrum, qui aiment & protègent les Lettres. III. La Prusse mérite un article à part ; c’est le païs des arts & des sciences. Elle ne pouvoit manquer de le devenir, étant gouvernée par un Roi, qui fait plus d’honneur à la Couronne que la Couronne ne lui en fait. L’Académie de Berlin ne pouvoit qu’être mise sur un bon pié par un Prince, qui, sim-ple Particulier, auroit pu être lui seul une Académie entiére. Politique, Philosophe, Mathématicien, Poete, Orateur ; que n’est-il pas ? De ce qu’il a de superflu, on pourroit faire plusieurs Sçavans & plusieurs grands Rois. La Capitale de ses Etats est le Centre du bon goût & le rendés-vous des talens de l’Europe ; car la Patrie d’un homme de mérite n’est pas celle où il a pris naissance ; c’est celle où le mérite est récompensé & perfectionné. IV. L’honneur, l’émulation, les récompenses contribuent infiniment à former les grands Génies. Ce n’est pas le mérite qui manque aux Princes : C’est la protection des Princes, qui manque au mérite. La Nature sème en tout païs un certain nombre de grands hommes. C’est aux Souverains d’arroser ces semences. Il y a deux siécles, que la France étoit dans la plus profonde ignorance. François I. monte sur le thrône, cultive les Lettres, encourage les Arts, protège l’Université de Paris. Tout change de face : un jour lumineux se répand sur tout son Roiaume. Le bon goût commence à reparoître. Ce Prince, appellé avec justice le Restaurateur des Lettres & le Pére des Sçavans, traita généreusement les Muses. L’Histoire nous a conservé la réponse qu’il fit à ses Courtisans surpris de le voir pleurer Léonard de Vinci. « Vous avés tort d’ètre étonnés, leur dit-il ; je puis en un instant faire mille Seigneurs comme vous : mais il n’appartient qu’à Dieu de faire un Peintre pareil à celui que je perds. » Parler & agir ainsi, c’est certainement se faire autant d’honneur à soi-mème, qu’à ceux dont on relève la <sic> mérite. Auguste connoissoit bien le prix de cette gloire. « Pourquoi, écrivoit-il à un sçavant, pourquoi ne parlés-vous pas plus souvent de moi dans vos ouvrages ? Craignés-vous, que la Postérité ne vous reproche votre amitié pour moi ? » Quand on écrit sur ce ton-là, on est bien jaloux de sa réputation. Qu’il est glorieux pour les Lettres, que le Maitre du Monde ait fait des avances si flatteuses à ceux qui les cultivoient ! Ce sage Tyran travailloit pour lui-mème en pensionant Horace & Virgile. Il savoit, que sa gloire dépendoit d’eux. L’estime des Princes annoblit, illustre les Arts : mais les Arts, qui sont toujours reconnoissans envers leurs Protecteurs, s’acquittent à leur tour en transmettant à la postérité la plus reculée les actions des Princes. C’est placer ses fonds à gros intérèts, que de les placer sur les vrais Sçavans. V. Louis le Grand est le Roi qui a le plus favorisé les Arts. Sous son regne, le mérite littéraire devint un patrimoine. Colbert le plus grand homme que la France ait eu, & excellent juge des hommes, sembloit ètre né pour le bien de sa Patrie. Il avoit des espions pour découvrir le mérite naissant ou caché ; & la Pension suivoit de près la découverte. Ses libéralités s’étendoient jusques sur les Talens Etrangers ; &, comme le dit Fontenelle, alloient jusques dans le fonds du Nord chercher un Savant surpris d’être connu. Il scût enlever Cassini à l’Italie, Homberg à l’Allemagne, & peu s’en fallut qu’il n’enlevât Newton à l’Angleterre. Il acquit à la France ** Fabricant Hollandais, dont la Manufacture subsiste encor à Abbeville.Van Robais, & avec Van Robais des richesses immenses. Durant le cours de son Ministère, il y eut un fonds d’un million de Livres, dont le produit étoit emploié en pensions annuelles pour les Artistes, les Beaux-Esprits & les Sçavans. On n’a point d’éxemples d’une pareille générosité ; mais aussi on n’en a point d’un <sic> production de grands hommes en tout genre, pareille à celle qui parût alors en France. Loüis XIV. se trouva bien de l’appui qu’il donna aux talens. Son régne en devînt le régne le plus glorieux qu’il y ait jamais eu : & ce Prince surpasseroit tous les Héros de l’Antiquité, s’il n’avoit terni sa gloire, en dépeuplant ses Etats, & porté coup à ses beaux établissemens en forçant ses sujèts à les faire passer dans l’Etranger. Cette tâche doit ètre ineffaçable, puisqu’elle subsiste encore, malgré tous les Panégiriques qu’on a fait de ce mauvais trait de Politique Dévote. VI. Les Sciences & les Arts suffiroient seuls pour rendre un Païs florissant & un Régne glorieux. Ils étendent la gloire d’une Nation peut-ètre plus que ne l’étendent les succès des armes. L’esprit, l’application & l’industrie, en lui donnant l’empire flatteur & utile du goût & du génie, attirent chés elle une foule d’Etrangers, qui l’énrichissent par leur curiosité, qui y apportent le Commerce, qui contractent peu à peu ses manières & ses idées, qui, en s’attachant à ses interèts, deviennent pour elle de nouveaux citoiens. Ainsi, mettant mème à l’écart & l’utilité & le mérite réel des Talens, la saine Politique demande qu’on les protège. Un Gentilhomme, qui n’a d’autre relief, que de faire la révérence de bonne grace, que de s’enorgüeillir de la vertu de ses aieux, que de promener son ennuieuse & ennuiée figure de maison en maison dans un leste équipage, est parfaitement inutile à l’Etat. Mais le Fils d’un Serf, qui excelle dans quelque art, dans un art mème superflu aus <sic> besoins de la vie, mérite de la protection ; parcequ’il fait réellement honneur à sa Patrie. VII. Les grands hommes, en quel genre que ce soit, seront d’une rareté extrème en tout paїs, où les Arts & les Sciences seront sans protection & sans encouragement. Jamais, par éxemple, un Roiaume n’aura d’habiles Généraux, si les fruits du Génie n’y sont pas cultivés. Car, à ce que j’entends dire, le Généralat, outre l’expérience, demande un nombre infini de connoissances, telles que l’étude de l’Histoire, de la Géometrie, des Fortifications, de la Tactique &c. connoissances qu’on ne peut guéres acquérir, que dans un Paїs, où les Lettre fleurissent. Quelques Officiers font consister tout le fin de leur Art dans un Battaillon quarré. Parlés leur des ouvrages de Quincy, de Vauban, de Follard, de Puiségur ; ils vous diront, que le savoir guerrier ne peut s’apprendre dans le Cabinet, & que l’experience est l’unique maître. Il faut convenir, que la Théorie seule ne suffit pas, & que pour en tirer tous les avantages qu’elle produit, elle doit ètre jointe à la Pratique. Il est encor vrai, qu’un officier subalterne, dont toute l’ambition se borne à obéir, peut-ètre bon officier & un franc ignorant tout ensemble : Mais il est très certain, qu’un homme, qui, dès sa jeunesse, se sera apliqué à la Géographie, à l’Histoire des grands Généraux, aux parties des Mathématiques nécessaires à son métier ; qui possédera bien les principes du Genie, & la science de l’Artillerie ; qui, plein de préceptes de Follard & de Puisegur, se sera fait un sistème suivi de son Art ; il est, dis-je, certain qu’un tel officier sera plus capable en quatre ou cinq campagnes de commander, qu’un homme sans étude ne peut l’ètre en soixante années d’expérience. Car, dites moi, à quoi peut servir l’expérience à cet homme, dont l’Esprit a toujours été comme endormi, & la raison comme assoupie ? Otés à l’expérience la justesse & la réflexion ; elle n’a qu’une vuё foible & bornée ; elle fait de l’homme un automate. Turenne etoit, à trente ans, Marechal de France. Qui ose-roit mettre en parallèle le vieux Maréchal de Noailles avec le jeune Prince de Conti, dont toute l’Europe a admiré, dans cette Guerre, la valeur & la conduite ? N’est-ce pas l’étude, qui fit de Condé un grand Général à la fleur de son âge ? On peut comparer un officier, qui n’a que de l’expérience, à un homme, qui croiroit étre habile Horloger, quoiqu’il ne sçut, que monter éxactement sa Montre. Mais je m’écarte insensiblement de mon sujet. Disons, pour y revenir, que, vu l’étroite liaison, qu’il y a entre l’Héroisme & les Arts, on verra peu de Héros par tout où ils ne seront pas cultivés ; qu’ils ne seront point culitivés, si le Prince ne les protège ; & que le Prince ne les protégera pas, s’il ne sait regner. Il n’appartient qu’aux grands Rois d’ètre obéïs par de grands hommes. VIII. Quelques-uns imaginent, qu’il y a de certaines contrées, disgraciées de la Nature à l’égard de Talens comme à l’égard des productions nécessaires à la vie. C’est une erreur, c’est un préjugé sans fondement. Toutes les Nations ont le cerveau disposé de la mème maniére ; & toute la différence qui est entr’elles, ne gît que dans la différence de l’éducation & du Gouvernement. Les Grecs vivoient dans l’ignorance, tandis-que l’Egipte fourmilloit de grands hommes. Les Romains étoient grossiers, tandis que la Gréce étoit une pépinière de Génies supérieurs. Les Gaulois étoient plongés dans une espéce de stupidité, tandis que les Lettres fleurissoient en Italie. La Moscovie n’a-t’elle pas été débarbarisée par Pierre le Grand ? Je suis persudée, que la Laponie, qui est aujourd’hui ensévelie dans les plus épaisses ténèbres, produiroit en cent ans d’ici d’aussi grands hommes, que l’Angleterre & la France en pro-duisent, si l’Esprit des Lapons étoit cultivé de la mème maniere & encouragé par les mémes récompenses. La froide & stérile Norwège ne nous a t’elle pas donné deux ou trois bons Génies ? L’Islande n’étoit-elle pas la patrie des Scaldes ? La Nature n’a traité aucuns Peuples en marâtre. Elle a donné la mème Raison aux habitans de tous les climats. Mais cette Raison est un Diamant brut, que les Muses doivent polir ; c’est un Marbre dont leur main industrieuse doit trouver les taches & découvrir les veines. Les Princes n’ont qu’à vouloir : le mérite est toujours prèt à paroitre. Un Auguste aisément peut faire des Virgiles. IX. « Des Virgiles ! dira quelquun, dont l’ignorance se venge par le mépris : vraiment ! on en a bien à faire ! A quoi bon tous ces Artistes, tous ces Sçavans, tous ces Beaux-Esprits, » ** La Fontaine. « Toujours logés à la Troisiéme chambre ;Vétus au mois de Juin comme au mois de Decembre,Aians pour tout Laquais leur ombre seulement :La République a bien à faireDe gens qui ne dépensent rien ;Je ne sçai d’homme nécessaireQue celui, dont le Luxe épand beaucoup de bien. » J’avoüe qu’un Virgile, un homme dont toute l’occupation est de mettre de l’Esprit dans des silabes cadencées ; un Raphaël, un Poussin, un Corelli n’enrichissent point un Païs : mais, outre que l’expérience prouve, que ces hommes inutiles ne brillent jamais, que dans les Païs, où le Commerce fleurit, il est certain, qu’en l’état où sont les choses, les Muses font autant d’honneur à un Roi, & beaucoup plus de plaisir à ses Sujets, que la gloire des Armes. Ajoutés à cela qu’elles adoucissent les mœurs, perpétuent le bon goût, entretiennent l’émulation. De plus, il est extrèmement avantageux à un Etat, que le souvenir des grandes vertus y soit conservé. Les Citoiens sont portés au beau & au grand par l’espérance qu’ils ont, que la postérité prendra soin de leur mémoire & admirera leurs vertus. Les éxemples domestiques sont très propres à soutenir un mérite naissant dans la carrière de l’honneur. Combien de Héros le sont devenus, parcequ’ils ont voulu partager les louanges qu’ils entendoient donner aux actions des grands hommes ? Il est donc constant que les Arts servent infiniment à nourrir dans les belles Ames l’amour de la gloire. Quant aux Sciences, leur utilité est reconnuë. L’Astronomie, que le vulgaire regarde comme une sublime extravagance, a beaucoup perfectionné la Navigation qui est l’Ame du Commerce, & par ses observations a sauvé la vie à une infinité de Navigateurs. Sans la Géometrie on n’aura jamais de bons Ingénieurs ; & sans de bons Ingénieurs, aura t’on jamais de Frontiéres bien fortifiées ou bien défendues ? L’étude de la Botanique a perfectioné la Médecine ; & la Chimie a decouvert des Specifiques infaillibles. Quelles obligations la Chirurgie n’a-t’elle pas à l’étude de l’Anatomie ? n’est-elle pas plus sure dans ses opérations ? Sans l’Algèbre, tireroit-on les Bombes avec la justesse d’aujourd’hui ? Les Mechaniques sont absolument nécessaires à la Société. L’étude de la Jurisprudence a mis dans tour <sic> son jour le Droit Naturel, à l’aide du flambeau de la Filosofie. Quand les Arts & les Sciences n’auroient d’autre utilité, que de tirer l’homme des bras l’erreur, de l’ignorance & de l’oisiveté, cela seul justifiroit les dépenses & mème les profusions de leurs Protecteurs. X. Je souhaiterois, que notre jeune Noblesse réfléchît sur cette pensée de Voltaire : « Le Portrait d’un Ministre d’Etat est est <sic> sur la cheminée de son Cabinet. J’ai vu celui de Pope dans vingt maisons. » Espérons, que les Sciences & les Arts fleuriront enfin en Dannemarc ; que la Société Littéraire de Copenhague égalera un jour celle de Suéde ; & que les Talens trouveront dans Sa Majesté un Auguste, & dans ses sages Ministres, de généreux Mécènes !