Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Amusement XLIX.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\049 (1749), S. 418-427, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4230 [aufgerufen am: ].


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Amusement XLIX.

Zitat/Motto► La parole des Rois est l’oracle du monde. ◀Zitat/Motto

Gresset

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Madame la Spectatrice !

Faites moi, je vous prie, raison de quelque griefs, qui j’ai contre un de vos Auteurs. Il a parlé dans sa Xe. Lettre [419] assez indécemment des François Réformez. Permettez-moi de le réfuter dans une de vos Feüilles. Les fautes des Ecrivains de nom sont contagieuses. M. H - - - est trop ami du vrai, pour s’offenser d’une critique modérée.

Il convient, que « la conduite, que tint la France, lors de la Révocation de l’Edit de Nantes, est contraire à l’esprit du Christianisme & à l’Humanité ; mais il est plus difficile sur cette question, savoir : si cette Révocation étoit contraire à la saine politique & au bien de la France. « Lorsqu’on fait réflexion, dit il, à l’état où cette Nation se trouvoit sous le régne d’Henri IV. & sous une partie de celui de Loüis XIII, on est obligé de convenir, quil <sic> étoit tout extraordinaire & de nature à ne pouvoir subsister lon-tems. »

Avant ces deux Rois, la France étoit dans un pitoїable état. 50 ans de persécution, 35. de guerre, le massacre de la St. Barthelemi l’avoient mise à deux doigts de sa perte. Mais dès-que l’Edit de Nantes eut retabli la Paix, la France changea, pour ainsi dire, en vingt quatre heures. Henri IV. lui même éprouva ses bons effets. En 1610, qui fût l’année de sa mort, il se vît en état de faire la guerre à l’Espagne. Ses troupes étoient bien disciplinées & nombreuses, ses Généraux expérimentez, ses Arcénaux bien pourvûs ; & ce qui étoit plus extraordinaire, jamais il n’y avoit eû tant d’argent comptant, ni tant de ressources pour plusieurs années. Si le Couteau de Ravaillac n’eût anéanti ses projèts, il est vraisemblable, qu’il auroit abaisse pour toûjours cette orgüeilleuse Monarchie. Sous Loüis XIII. la France fût le plus florissant Roїaume de la Chrétienté, mais voїons, comment M. de H - - - prouve, qu’il ne pouvoit subsister lon-tems.

Ebene 4► « Que peut il y avoir de plus étonnant, dit il, que de voir le tiers ou le quart des Sujèts disposer d’un certain nombre de villes, de forteresses, de gens de guerre ; avoir leurs propres Etats, ou Assemblées Générales, indépendantes du Gouvernement ; [420] faire des Allîances avec des Nations étrangéres, qui pouvoient être ennemies du Roїaume, & autres choses semblables, dont on ne sçauroit trouver d’éxemple dans l’Histoire. » ◀Ebene 4

1° ni le tiers ni le quart des François n’étoit point Réformé. Les Religionnaires ne faisoient au plus que le Quint du Roïaume. 2° Ils ne disposoient point d’un certain nombre de villes. Henri IV. les leur avoit données pour leur sureté, & non en propriété. Elles n’étoient que comme des ôtages de la fidélité du Prince à tenir ses engagemens, ôtages nécessaires, vû la parole roїale tant de vois violée, ôtages, qui devoient être rendus, après que les Catholiques se seroient humanisez, car le terme étoit fixé. Les Huguenots ne se sont jamais attribué le droit d’en disposer, que lorsque Loüis XIII après avoir porté atteinte à leurs Libertés leur déclara la Guerre ; & en ce cas, en disposer, c’étoit non seulement suivre l’intention de l’Auteur de l’Edit, mais encore agir conformément au Droit Naturel, qui nous arme pour une juste défense. 3° les Garnisons des Places de Sureté n’étoient pas assez nombreuses, pour être étonnantes, & elles étoient soudoiées par la Cour. 4° La chose n’avoit rien d’étonnant, parce qu’en ce tems là, il y avoit en France comme en Allemagne, assez de villes Libres, comme la Rochelle, Nimes, Montauban, &c. 5° Les Assemblées Générales des Réformés ne fûrent jamais indépendantes du Gouvernement. Car la Cour y avoit pourvû ; elle prescrivoit les matiéres qu’on devoit y traiter ; elle y envoioit un Député, sans la participation du quel rien ne se concluoit ; elle seule pouvoit en permettre la Convocation. Peut on dire, que des Synodes authorisez par les loix de l’Etat sont indépendans de l’Etat ? c’est comme si l’on disoit, que les 4. Provinces de France, qui joüissent encore du beau pivilége de régler leurs affaires & leurs impôts dans leurs Etats, sont indépendantes de la Couronne. 6° Ils n’avoient point le droit de faire des Alliances avec des Nations étrangéres, & ils ne les firent, que lorsque les brêches [421] qu’on fit aux Edits les eûrent absous du Serment de fidélité. Il n’y a rien là d’étonnant à voir. Il l’est beaucoup plus de voir un Prêtre (*1 ) ambitieux persécuter des sujèts, à qui son Maitre devoit sa Couronne, & les réduire à ces tristes extrémitez. 7° Il seroit aisé de montrer dans l’Histoire des éxemples d’une pareille liberté. Les Romains ne laissoient ils pas diverses franchises plus considérables aux Républiques, aux Roїaumes, qu’ils avoient subjuguez ? Les Ecossois n’ont ils pas dans la grande Bretagne de plus grands Priviléges, que les Religionaires n’avoient dans leur Patrie ? 8° Quand tout cela seroit aussi vrai, qu’il est faux, qu’y auroit il d’étonnant, si cela étoit légitime & permis ? & s’il ne l’étoit pas, la Révocation n’en seroit pas plus justifiée ; on ne pourroit qu’en conclure la nécessité de supprimer toutes ces monstrüeuses usurpations, & la réduction des Priviléges des Réformez aux véritables limites fixées par l’Edit. Poursuivons.

Ebene 4► « On ne peut pas blâmer Henri IV, qui fit un pareil Edit, parceque les longues Guerres Civiles ne pouvoient pas s’appaiser par un autre moien ; on ne peut pas non plus blâmer son Successeur, qui travailla à abolir un établissement monstrueux, auquel la nécessité des tems avoit forcé de consentir. » ◀Ebene 4 Que des fautes dans une seule-periode ! 1° Si Henri le Grand avoit accordé aux Réligionaires les priviléges, dont M. H - - - s’imagine, qu’ils ont joüi, il auroit fait une sottise impardonnable, également contraire à sa gloire & au bien de son Roiaume. 2° Il est évidemment faux, que les Guerres Civiles ne pûssent être appaisées par un autre moïen. Car les Réformés, contents d’une honnête liberté de conscience, telle qu’on doit l’accorder à un corps nombreux, ne demandoient point un Edit, qui les rendît Souverains. Henri IV. qu’ils reconnurent Roi sans conditions les connoissoit trop bien pour ignorer qu’une ample per-[422]mission de chanter les Pseaumes suffisoit pour les réduire à une obéissance inviolable. Quand Catherine de Médicis étoit forcée de leur donner la Paix : eh bien ! disoit elle : ils auront tout leur saoul de Prêches. Qu’on accorde à mes Fréres, disoit le Prince de la Trimoüille, la sureté de leurs Conscience & de leurs vies ; on pourra me pendre ensuite à la porte du Parlement, & personne ne branlera. 3° Si Henri IV. est loüable, comme le prétend Mr. H - - - d’avoir fait ce monstrueux établissement prétendu, son Succésseur est blamable de l’avoir détruit. Pourquoi ? parceque les mêmes raisons d’appaiser ou de prévenir les Guerres Civiles, subsitoient, outre l’obligation indispensable dans laquelle est un Fils de maintenir la volonté de son Pere, quand ils en est l’héritier. 4° La nécessité des tems ne força point Henri le Grand à donner l’Edit de Nantes. C’est se joüer du Lecteur, que de dire, qu’il l’accorda à cette nécessité ; c’est avancer le paradoxe le plus insoutenable, c’est copier les écrivains gagez de la Cour pour justifier les Missions Dragonnes ; c’est donner un démenti à Henri IV. même. On n’a qu’à lire la préface de l’Edit, pour y découvrir du premier coup d’œeil <sic>, que le Législateur l’accorde de plein gré à de bons sujèts, à des sujèts auxquels il doit son Throne, à des Sujèts qu’il chérit au point d’étendre leurs priviléges aussi loin qu’il le peut, sans déroger à sons <sic> autorité, à des Sujèts qu’il traite non en Politique, mais en Pére qui veut assurer la liberté de ses Enfans. Que M. H - - - relise l’histoire de ce Prince, il verra que son premier soin fût de donner un Etat fixe aux Réformez, qui joüissoient déjà des Edits insuffisans de Pacification ; que c’étoit l’affaire qu’il avoit le plus à cœur ; qu’il regardoit les places de sureté qu’il leur donnoit, comme infiniment mieux entre leurs mains qu’entre les mains des Gouverneurs Catholiques, auxquels il n’avoit pas lieu de se fier. Les Mémoires de Sully en font foi. Et puis, qui ne sait, que la conversion d’Henri IV. fût l’ouvrage de la Politique [423] & non de la Persuasion, & qu’il disoit, qu’une Couronne valoit bien une Messe ? Est il croїable après cela, qu’il n’accorda qu’à la nécessité & au malheur des tems un Edit, qui favorisoit ceux de ses sujèts, qui l’avoient le mieux servi ; dont il connoissoit la Religion, qu’il suivoit peut être encore de cœur ; car on sait, que la Transsubstantion étoit l’une des 3. choses, qu’il ne pouvoit croire. A ces réfléxions je pourrois en ajouter bien d’autres ; mais elles sont inutiles. La chose est plus claire que le jour.

Ebene 4► « La France, ajoute mon Auteur, ne fit avec toute sa puissance qu’une pauvre figure en Europe, tant que le Roїaume fût dans nne <sic> pareille situation. Elle n’avoit, pour ainsi dire, qu’un bras, & le Gouvernement n’étoit pas moins obligé d’avoir l’œuil sur ses propres sujèts, que sur les ennemis du dehors. » ◀Ebene 4

Vous voїez, que M. de H - - - bâtit en ceci sur un fondement peu solide : voilà ce que c’est que de partir d’un faux principe ; on n’arrive qu’à de mauvaises conséquences. Aulieu de chercher dans la chaîne naturelle des Evénemens les causes de la formidable puissance de notre Nation sous Loüis XIV. il la trouve dans la Révocation de l’Edit de Nantes. Il avance, que le Roїaume fut lontems dans une situation où il n’a jamais eté. Il dit que la France n’avoit qu’un bras, aulieu de dire qu’elle en avoit deux, & que la Révocation lui en fit perdre un. Il assure positivement, que le Ministère devoit veiller sur les Reformés comme sur les Ennemis de l’Etat, sans ajouter, que les Reformez étoient sans cesse inquiétez ; sans faire réflexion, qu’il nous flêtrit d’un coup de plume, & que cette accusation mal énoncee tend à nous faire regarder comme des sujèts Séditieux, comme des gens indignes de la protection, que le Dannemarc, l’Angleterre, la Hollande &c. nous ont accordée généreusement après nos malheurs ; sans dire que les Rois de France n’ont point eû de plus fidelles sujèts que nous, tant qu’il nous ont laissé chan-[424]ter les Psaumes, sans parler du glorieux témoignage, que Loüis XIV. lui même rendit à l’Electeur de Brandebourg de notre fidelité vainement tentée pendant les troubles de la Minorité ; sans remonter à la source de la défiance, que le Gouvernement a eû lieu, je l’avoüe, de concevoir, source qui fait notre apologie. Car je défie qui que ce soit de me prouver, que nous aions été désobéїssans, tant qu’on nous a laissez tranquilles. Les Huguenots ont montré de la hauteur, quand on a commencé à tirer l’épée contr’eux. Ils ont pris les armes, quand les injustices qu’on leur faisoit, les ont mis dans la crüelle nécessité de les prendre. Ils ont cessé d’être fidelles, quand la Cour a cessé de les traiter comme sujèts. Ils ont regardé le Roi comme leur Ennemi, quand il a voulu l’être, quand il a cessé d’être leur Protecteur & leur Pére. Je conviens, qu’une pareille prise d’armes seroit criminelle en Dannemarc, parceque le Roi étant légitimement Souverain Despotique, peut faire ce qu’il juge à propos ; mais il n’en va pas de même en France, où le Roi n’est point absolu de droit, & ne l’est de fait que depuis Richelieu.

Enfin, il est faux, & M. H - - -, me permettra de le lui dire, que la France n’aît fait qu’une pauvre figure en Europe avant la Révocation. Il est certain qu’on doit placer 30. années en deça l’époque de l’élevation prodigieuse de la France. Loüis XIV avant l’an 1685 avoit seul tenu tête contre toute l’Europe ; preuve démonstrative, que l’Edit de Nantes, qui subsistoit encore, ne nuisoit point à la grandeur de la Nation. Je pourrois même dire, que la malheureuse guerre de la Succession d’Espagne doit être attribuée à la Suppression de nos Priviléges. Il est naturel, qu’un Million de fuїards soit une perte dont un Roїaume se ressente.

M. de H - - - dit ensuite, que le chef d’œuvre du Cardinal de Richelieu fût la restriction de l’Edit de Nantes, & que tout [425] Réformé impartial est obligé de convenir de la nécessité de le restraindre.

Je me pique, moi, d’être fort impartial ; & cependant je ne puis convenir de cette nécessité-là. Si le Gouvernement de France, eût été, comme il le dit, un Gouvernement à deux têtes, j’en conviendrois ; mais, tel qu’il étoit par l’Edit, c’est ce dont je ne tomberai jamais d’accord. Dailleurs, il se trompe dans son calcul. Il attribuё la formidable puissance de la France à une restriction imaginaire de l’Edit de Nantes. Cet Edit ne fut point restreint ; aucontraire il fut confirmé par l’Edit de Nîmes. A la vérité, les plus forts donnérent la loi aux plus foibles ; & le Cardinal, sans toucher au fonds de l’Edit, expliqua quelques articles à sa mode. Mais est-ce là un chef d’œuvre ? C’étoit bien la peine en véritè d’allumer une Guerre civile, pour confirmer après bien du carnage un Edit, qu’on ne fit qu’ébrécher ! Cette brêche peut elle avoir contribué à l’élévation d’un Roїaume déjà florissant ? Et puis, quand la conduite de Richelieu seroit un chef d’œuvre de Politique, ce ne pourroit être un chef d’œuvre que dans l’esprit de ceux, qui croient qu’il est permis & juste de ne pas tenir la foi aux Hérétiques ; de ceux qui croient que le pouvoir de tout Roi n’a d’autres bornes que sa volonté ; de ceux qui sont dans les principes de Machiavel, le Docteur du crime, & le Précepteur des Tyrans, comme le dit le Roi de Prusse, dans son Anti Machiavel, livre, où Mr. H - - - pourra apprendre d’un grand Prince les vrais principes de la Politique.

Ebene 4► « Les Reformez se plaignent de la violation du serment de la part Loüis XIII. & de Loüis XIV. Les Catholiques répondent à cela, que la même nécessité, qui contraignît Henri IV. de fonder au milieu du Roїaume un Etat indépendant força son successeur à renverser ce monstrueux établissement, dont on avoit vû de tristes effets. » ◀Ebene 4

[426] J’ai déjà fait voir la fausseté de cette assertion, & dès-là, toute la foiblesse de cette réponse. J’ajouterai, qu’un Prince n’est point en droit de manquer à ses engagemens, ni d’embarquer une partie de ses sujèts ou dans une Guerre civile ou dans l’oppression.

Ebene 4► « A juger sans partialité, l’entreprise du Cardinal de Richelieu, n’est pas loüable, mais elle peut s’excuser. » ◀Ebene 4

Pourquoi un chef d’œuvre ne seroit il pas loüable ? Et je dis, moi, que dans les Principes de Machiavel, & suivant le systême, que M. de H - - - s’est fait du Gouvernement de France, non seulement la restriction, mais même l’nique Révocation de l’Edit de Nantes est digne des plus grands éloges.

M. H * *. paroissoit vouloir dire au commencement de sa Lettre le Pour & le Contre de cette Révocation ; mais il ne fait que glisser là-dessus. Je dirai donc ici, que, quand même l’Edit de Nantes n’auroit pas été aussi Irrévocable, qu’il l’étoit ; Loüis XIV. n’auroit pas eû droit de le révoquer, parcequ’il étoit lié par sa déclaration volontaire de 1643. à le maintenir. Mais, dit on, il est bon qu’il n’y aît qu’une religion dans un Roîaume. Jé n’éxaminerai pas, si cette maxime est vraїe ; mais je soutiens, que quand il y en a deux d’établies, l’interêt public demande qu’on les laisse subsister. La Tolérance est un moїen sur de prévenir les troubles, comme l’Intolerance est le moïen de les fomenter. Mais, dans le choix, ne vaut il pas mieux se déterminer à veiller sur les séditieux, que de perdre des millions de Sujèts. Qu’a gagné Loüis XIV ? Rien. Il a ruiné ses plus belles Provinces ; il a enrichi ses ennemis de ses pertes. Il n’a pû extirper l’Hérésie, ni par le fer ni par le feu. Il y a encore en France plus de 3. millions de Huguenots. Heureux les Princes, qui les recevront dans leurs Etats ! Plus heureux leur Roi, s’il ouvre les yeux sur leurs miséres, & s’il leur accorde une [427] Tolérance, que la Religion demande, que la Politique approuve, que tous les bons François attendent ! Amen. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1(*) Le Cardinal de Richelieu.