Les hommes sont naturellement Singes. Le penchant, qu’ils ont à l’imitation se répand sur la vertu mème. Aussi leur vertu est-elle ordinairement fausse. Elle a toujours la teinture du principe auquel elle doit sa naissance. Ils s’en applaudissent comme d’une perfection ; mais s’ils remonteoint <sic> à la source, ils en connoitroient le vuide & le néant.
La plupart de ce qu’on appelle vertueux doivent leurs qualités à un défaut réel. Le point d’honneur fait toute leur probité. Droits par respect humain, intègres parceque l’intégrité est souvent nécessaire pour parvenir, modestes parceque l’orgueil est détesté, humbles par vanité, courageux, parceque les lâches sont méprisés, ils ont une ame pliante, qui prend toutes sortes de formes. Ils ne sont pas, si vous voulez, hipocrites, ils croient bonnement ètre vertueux, parcequ’ils ne s’éxaminent point eux-mèmes, & qu’ils prennent pour vertu une certaine habitude
Malgré ce défaut, les actions vertueuses, qui partent de principes vicieux, sont infiniment avantageuses à la Société civile. L’amour de la gloire, passion désavoüée par la vertu, produit de bons effets ; elle forme des Héros en tout genre : elle enseigne à mourir pour la Patrie, à s’illustrer, à se faire un nom fameux. L’avarice est contraire à la raison ; cependant, c’est elle, qui équipe des vaisseaux pour fendre les Mers ; qui foüille dans les entrailles de la Terre pour en tirer les trésors que la Nature y a cachés ; qui, formant l’homme à la patience, lui fait entreprendre les choses les plus difficiles ; en un mot, elle est l’ame dn <sic> Commerce. Le point d’honneur naît certainement de la petitesse de l’ame orgueilleuse. Cependant combien de braves ne fait il pas ? de combien de prodiges de valeur ne lui avons-nous pas obligation ? Là où il regne avec le plus d’empire, il forme à l’Art militaire une noblesse invincible. La crainte du qu’en dira-t’on est une foiblesse ; la pruderie est un défaut. Néanmoins de millions de maris ne doivent ils pas à cette crainte la sagesse chagrine de leurs Femmes ?
Cela posé, cette raison, fut-elle la seule, suffiroit pour obliger les Princes à ètre vertueux ou du moins à le paroitre.
Quelle influence n’a pas leur éxemple sur la conduite de leurs Sujets ? La vie dú Roi est comme la régle de la vie des Particuliers. Les Courtisans copient le Monarque, & les Bourgeois copient les Courtisans. La vertu des uns dépend de la vertu
Les hommes sont tellement ébloüis de l’éclat des grandeurs, qu’ils se conforment aveuglément à tout ce qui vient de leurs Supérieurs. Il leur semble que cette conformité les rapproche du haut rang qu’ils envient, & qu’en imitant les grands, ils s’elevent jusqu’à eux. Il en est des vertus & des vices comme des modes. Le Peuple emprunte de la Cour les uns & les autres ; & la Cour les emprunte du Souverain.
Nous devrions toûjours tenir notre ame dans un équilibre, qui ne pût ètre détruit que par le poids de la vertu. Mais, où est l’homme, qui ne se laisse point entrainer aux éxemples séduisans de ceux qui lui sont supérieurs en dignité ? Notre foiblesse est d’intelligence avec notre amour propre, & toujours au profit de nos passions.
Il ne faut donc point ètre surpris, si tous les hommes s’astreignent à une imitation servile des vertus & des vices des Princes. Cette imitation est commode, utile, jamais nuisible. On se contente de modéler sa conscience sur la conscience publique ; on partage les éloges que l’adulation donne à la façon de penser & d’agir du Prince. On laisse à l’écart les principes sévères de la morale. Si l’on rentre en soi-mème, on n’y voit rien de plus vicieux que dans les autres. On ne sort point de cet état ; souvent le préjugé vient à la suite ; & avec cet empire qu’il a sur notre raison, nous fait prendre le mal pour le bien & le bien pour le mal.
(*) ) du Bon, du Juste, du Grand : des Abbés dont tout le savoir est l’histoire des Anecdotes scandaleuses, & toute l’occupation la coquetterie : des Petits-Maitres indéfinissables, dont tout le mérite est la pétulance ; toute la gloire, la conquète de quelque
Le sage Législateur des Chinois,