Amusement XXXVIII. Laurent Angliviel de la Beaumelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Anna Karnel Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 25.09.2018 o:mws.6644 La Beaumelle, Laurent Angliviel de: La Spectatrice danoise, ou l'Aspasie moderne, ouvrage hebdomadaire. Tome I. Copenhague: s.i. 1749, 333-336 La Spectatrice danoise 1 038 1749 Dänemark Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Politik Politica Politics Política Politique Política Denmark 10.0,56.0 Norway Nottveit Nottveit 5.7,60.75

Amusement XXXVIII.

J’ai reçu ce matin par un courier extraordinaire une lettre qui l’est encore plus. « Sois, m’a t’il dit en m’abordant, sois la Dépositaire des vérités renfermées dans ces caractères sacrés. Ton zéle pour la maison roїale te rend digne de cet honneur. Mérite la confiance que j’ai en toi par de nouveaux efforts & par de nouveaux succès. Adieu. »

A ces mots, tremblante & glacée, j’ai ouvert le Papier. En voici le contenu.

Lettre

Du feu prince roial au prince Christian.

Reçois, aimable Enfant ! reçois les vœux que je forme pour toi. Le bonheur parfait dont je joüis dans l’heureux séjour que j’habite, ne me rend point insensible à ce qui se passe dans l’Univers. Quoique l’Etre suprème m’ait mis au nombre de ses Elus ; je ne sens pas moins que je suis ton Frére ? Et que de tendres sentimens renfermés dans ce nom ? Mon Ame fut épurée aux raїons de la sagesse Eternelle, dèsqu’elle fut délivrée de sa prison ; Ma raison ne se ressent point de la foiblesse de mon enfance. A peine la mort m’eût-elle ouvert le chemin du Ciel, que mon esprit, perfectionné par un souffle bienfaisant de la Divinité, fut éclairé, embrasé, pénetré d’une Lumiére nouvelle. Les Auteurs de mes jours, auxquels leurs tendres caresses m’avoient attaché, donnoient des larmes à mon trépas, tandis-que je me félicitois de ce qui causoit leurs regrets. J’étois dans le sein de l’Auteur de mon Existence.

Ta naissance, mon cher Frére, a réparé la perte qu’ils avoient faite en moi. Le Ciel t’a accordé à leurs vœux & à leurs vertus. Le Dannemarc & la Norwège s’applaudissent d’avoir en toi un successeur. Je n’envie pas ton sort : J’ai appris, à l’école de Dieu mème, à évaluer tout ce que les hommes recherchent avec tant d’ardeur, & admirent avec si peu de raison.

Les vastes Etats, que tu dois gouverner, ne sont qu’un point en comparaison de l’étenduё infinie du Globe céleste, où je suis entré.

Tu seras Roi ; & je suis Sujèt ; mais n’est-ce pas regner, que d’obeir à Dieu ? Ah ! Combien est-il plus doux & plus beau de dépendre du Maitre du Monde, que d’avoir le Monde entier sous sa dépendance, d’offrir sans cesse à l’Etre des Etres les sentimens d’un cœur brulant d’amour, que d’ètre environné de Courtisans, qui encensent également le vice & la vertu, de joüir du bien suprème avec les Intelligences célestes, que de posséder les biens de la terre, biens faux & périssables, toûjours sujèts aux caprices de la Fortune, d’ètre l’ami de Dieu, que de porter les titres les plus distingués & les plus brillans, de n’avoir ni foiblesses à vaincre, ni passions à combattre, que de triompher d’un million d’ennemis ?

Cher Frére ! que ton bonheur sera différent du mien ! Que d’écüeils ne dois-tu pas éviter. que de vices ne dois-tu pas fuir, que de bonnes actions ne dois-tu pas faire, de combien de piéges ne dois-tu pas te garentir pour parvenir au point de félicité où je suis à présent. O Dieu ! facilite à ce Prince la voїe de la vertu.

Le degré de gloire, qui t’attend dans ce séjour heureux, sera proportioné au degré de véritable gloire que tu auras acquis sur la terre. Le Créateur, toujours équitable, ne régle point ses jugemens sur ceux des hommes. Les Rois (& qu’il en est peu qui respirent l’air du Paradis !) ne sont élevés qu’à proportion de leur mérite. Les rangs sont marqués ici par les vertus. Et qu’il est aisé à un Prince d’en acquérir ! Que d’occasions à faire du bien !

Un jour (ce jour est encore fort éloigné) le sceptre passera dans tes mains. Que d’heureux ne peux-tu pas faire ? Le sort d’un peuple, nombreux & obéissant, dépendra de ta sagesse. D’un côté, quel fardeau ! De l’autre, quelle moisson de gloire ! Quoi de plus digne d’un Etre pensant, que de travailler au bien de ses semblables ! Quoi de plus digne d’un Oldembourg, que de rendre florissants les Etats confiés à ses soins ? Quoi de plus héroїque, que de faire régner celui par qui les Rois régnent ?

Cher Prince ! au nom des héros, dont le sang coule dans tes veines, quand l’âge aura muri ta raison, rends toi véritablement digne du Thrône, qui t’est destiné. Copie les modèles, qui se présenteront à toi ; cherche ces modéles dans ta maison. Tu les trouveras dans ton Pére : Tu verras en lui un Roi, que la Couronne n’enorgueillit point, qne <sic> les passions ne maitrisent pas, qui hait les faux plaisirs, & ne court point après la fausse gloire, un Roi qui a l’esprit assés éclairé pour connoitre la flatterie, & l’ame assés forte pour la mépriser, un Roi à qui tout est soumis, mais qui est lui-mème soumis à la Raison, un Roi, le plus honnète homme de son Roїaume (* (*)C’est ce que disoit un jour M. le Comte de R - - d’A - - -). Qu’une généreuse émulation te rende l’héritier de ses vertus, comme tu le seras de ses couronnes !

Vers Irreguliers,

A Madame R - - z.

Hâtés-vous ! Coulés de ma veine, Vers aisés, délicats, jolis,Vers, que l’autre soir je promisA l’adorable Célimène.Vers légers, mignons, & choisis,Tels qu’il les faudroit pour Cypris,Hâtés-vous, coulés de ma veine.Peignés ces charmes réunisPour une victoire certaine,Ces traits, où la nature a misLa régularité, qui plait, ravit, entraine,Les graces, les jeux, & les ris,Qui semblent former une chainePour le malheur de ses amis,Et les agrémens infinisDe ce doux & vifs coloris,Qui tous les jours des cœurs la rendent souveraine. Mais à propos de cœur, du sien Ne prétendés-vous dire rien ?Vous avés là pourtant une belle matiére :Point de grace, mes Vers ! si vous ne rimés bienPortés sur ce cœur la lumiére :Elle attache par là : c’est le plus sûr lien.D’une douceur que rien n’altérePeignés l’agréable maintien.Peignés cette vertu sincére,Qui, sans ètre farouche, est cependant sévère,Et sans gêner l’entretien,Sait reprimer un desir temeraire.En un mot, si j’en crois ma débile paupière,Son cœur peut de toute la terreEtre, s’il le faut, Citoїen.

Envoi

Voilà les vers, Madame ! en serés-vous contente ? Vous n’en pourrés trouver que Trente ;Le tout, sur papier fin buriné, bien compté ;J’en promis, il est vrai, Cinquante ;Mais, foi de Poёte crotté :Le sujet est fécond ; mais ma Muse est stérile ;Et, n’en fallut-il qu’un pour chaque qualité,J’en aurois dû promettre Mille,

A.D.L.B.

Amusement XXXVIII. J’ai reçu ce matin par un courier extraordinaire une lettre qui l’est encore plus. « Sois, m’a t’il dit en m’abordant, sois la Dépositaire des vérités renfermées dans ces caractères sacrés. Ton zéle pour la maison roїale te rend digne de cet honneur. Mérite la confiance que j’ai en toi par de nouveaux efforts & par de nouveaux succès. Adieu. » A ces mots, tremblante & glacée, j’ai ouvert le Papier. En voici le contenu. Lettre Du feu prince roial au prince Christian. Reçois, aimable Enfant ! reçois les vœux que je forme pour toi. Le bonheur parfait dont je joüis dans l’heureux séjour que j’habite, ne me rend point insensible à ce qui se passe dans l’Univers. Quoique l’Etre suprème m’ait mis au nombre de ses Elus ; je ne sens pas moins que je suis ton Frére ? Et que de tendres sentimens renfermés dans ce nom ? Mon Ame fut épurée aux raїons de la sagesse Eternelle, dèsqu’elle fut délivrée de sa prison ; Ma raison ne se ressent point de la foiblesse de mon enfance. A peine la mort m’eût-elle ouvert le chemin du Ciel, que mon esprit, perfectionné par un souffle bienfaisant de la Divinité, fut éclairé, embrasé, pénetré d’une Lumiére nouvelle. Les Auteurs de mes jours, auxquels leurs tendres caresses m’avoient attaché, donnoient des larmes à mon trépas, tandis-que je me félicitois de ce qui causoit leurs regrets. J’étois dans le sein de l’Auteur de mon Existence. Ta naissance, mon cher Frére, a réparé la perte qu’ils avoient faite en moi. Le Ciel t’a accordé à leurs vœux & à leurs vertus. Le Dannemarc & la Norwège s’applaudissent d’avoir en toi un successeur. Je n’envie pas ton sort : J’ai appris, à l’école de Dieu mème, à évaluer tout ce que les hommes recherchent avec tant d’ardeur, & admirent avec si peu de raison. Les vastes Etats, que tu dois gouverner, ne sont qu’un point en comparaison de l’étenduё infinie du Globe céleste, où je suis entré. Tu seras Roi ; & je suis Sujèt ; mais n’est-ce pas regner, que d’obeir à Dieu ? Ah ! Combien est-il plus doux & plus beau de dépendre du Maitre du Monde, que d’avoir le Monde entier sous sa dépendance, d’offrir sans cesse à l’Etre des Etres les sentimens d’un cœur brulant d’amour, que d’ètre environné de Courtisans, qui encensent également le vice & la vertu, de joüir du bien suprème avec les Intelligences célestes, que de posséder les biens de la terre, biens faux & périssables, toûjours sujèts aux caprices de la Fortune, d’ètre l’ami de Dieu, que de porter les titres les plus distingués & les plus brillans, de n’avoir ni foiblesses à vaincre, ni passions à combattre, que de triompher d’un million d’ennemis ? Cher Frére ! que ton bonheur sera différent du mien ! Que d’écüeils ne dois-tu pas éviter. que de vices ne dois-tu pas fuir, que de bonnes actions ne dois-tu pas faire, de combien de piéges ne dois-tu pas te garentir pour parvenir au point de félicité où je suis à présent. O Dieu ! facilite à ce Prince la voїe de la vertu. Le degré de gloire, qui t’attend dans ce séjour heureux, sera proportioné au degré de véritable gloire que tu auras acquis sur la terre. Le Créateur, toujours équitable, ne régle point ses jugemens sur ceux des hommes. Les Rois (& qu’il en est peu qui respirent l’air du Paradis !) ne sont élevés qu’à proportion de leur mérite. Les rangs sont marqués ici par les vertus. Et qu’il est aisé à un Prince d’en acquérir ! Que d’occasions à faire du bien ! Un jour (ce jour est encore fort éloigné) le sceptre passera dans tes mains. Que d’heureux ne peux-tu pas faire ? Le sort d’un peuple, nombreux & obéissant, dépendra de ta sagesse. D’un côté, quel fardeau ! De l’autre, quelle moisson de gloire ! Quoi de plus digne d’un Etre pensant, que de travailler au bien de ses semblables ! Quoi de plus digne d’un Oldembourg, que de rendre florissants les Etats confiés à ses soins ? Quoi de plus héroїque, que de faire régner celui par qui les Rois régnent ? Cher Prince ! au nom des héros, dont le sang coule dans tes veines, quand l’âge aura muri ta raison, rends toi véritablement digne du Thrône, qui t’est destiné. Copie les modèles, qui se présenteront à toi ; cherche ces modéles dans ta maison. Tu les trouveras dans ton Pére : Tu verras en lui un Roi, que la Couronne n’enorgueillit point, qne <sic> les passions ne maitrisent pas, qui hait les faux plaisirs, & ne court point après la fausse gloire, un Roi qui a l’esprit assés éclairé pour connoitre la flatterie, & l’ame assés forte pour la mépriser, un Roi à qui tout est soumis, mais qui est lui-mème soumis à la Raison, un Roi, le plus honnète homme de son Roїaume (*(*)C’est ce que disoit un jour M. le Comte de R - - d’A - - -). Qu’une généreuse émulation te rende l’héritier de ses vertus, comme tu le seras de ses couronnes ! Vers Irreguliers, A Madame R - - z. Hâtés-vous ! Coulés de ma veine, Vers aisés, délicats, jolis,Vers, que l’autre soir je promisA l’adorable Célimène.Vers légers, mignons, & choisis,Tels qu’il les faudroit pour Cypris,Hâtés-vous, coulés de ma veine.Peignés ces charmes réunisPour une victoire certaine,Ces traits, où la nature a misLa régularité, qui plait, ravit, entraine,Les graces, les jeux, & les ris,Qui semblent former une chainePour le malheur de ses amis,Et les agrémens infinisDe ce doux & vifs coloris,Qui tous les jours des cœurs la rendent souveraine. Mais à propos de cœur, du sien Ne prétendés-vous dire rien ?Vous avés là pourtant une belle matiére :Point de grace, mes Vers ! si vous ne rimés bienPortés sur ce cœur la lumiére :Elle attache par là : c’est le plus sûr lien.D’une douceur que rien n’altérePeignés l’agréable maintien.Peignés cette vertu sincére,Qui, sans ètre farouche, est cependant sévère,Et sans gêner l’entretien,Sait reprimer un desir temeraire.En un mot, si j’en crois ma débile paupière,Son cœur peut de toute la terreEtre, s’il le faut, Citoїen. Envoi Voilà les vers, Madame ! en serés-vous contente ? Vous n’en pourrés trouver que Trente ;Le tout, sur papier fin buriné, bien compté ;J’en promis, il est vrai, Cinquante ;Mais, foi de Poёte crotté :Le sujet est fécond ; mais ma Muse est stérile ;Et, n’en fallut-il qu’un pour chaque qualité,J’en aurois dû promettre Mille, A.D.L.B.