A ces mots, tremblante & glacée, j’ai ouvert le Papier. En voici le contenu.
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Reçois, aimable Enfant ! reçois les vœux que je forme pour toi. Le bonheur parfait dont je joüis dans l’heureux séjour que j’habite, ne me rend point insensible à ce qui se passe dans l’Univers. Quoique l’Etre suprème m’ait mis au nombre de ses Elus ; je ne sens pas moins que je suis ton Frére ? Et que de tendres sentimens renfermés dans ce nom ? Mon Ame fut épurée aux raїons de la sagesse Eternelle, dèsqu’elle fut délivrée de sa prison ; Ma raison ne se ressent point de la foiblesse de mon enfance. A peine la mort m’eût-elle ouvert le chemin du Ciel, que mon esprit, perfectionné par un souffle bienfaisant de la Divinité, fut éclairé, embrasé,
Ta naissance, mon cher Frére, a réparé la perte qu’ils avoient faite en moi. Le Ciel t’a accordé à leurs vœux & à leurs vertus. Le
Les vastes Etats, que tu dois gouverner, ne sont qu’un point en comparaison de l’étenduё infinie du Globe céleste, où je suis entré.
Tu seras Roi ; & je suis Sujèt ; mais n’est-ce pas regner, que d’obeir à
Cher Frére ! que ton bonheur sera différent du mien ! Que d’écüeils ne dois-tu pas éviter. que de vices ne dois-tu pas fuir, que de bonnes actions ne dois-tu pas faire, de combien de piéges ne dois-tu pas te garentir pour parvenir au
Le degré de gloire, qui t’attend dans ce séjour heureux, sera proportioné au degré de véritable gloire que tu auras acquis sur la terre. Le Créateur, toujours équitable, ne régle point ses jugemens sur ceux des hommes. Les Rois (& qu’il en est peu qui respirent l’air du Paradis !) ne sont élevés qu’à proportion de leur mérite. Les rangs sont marqués ici par les vertus. Et qu’il est aisé à un Prince d’en acquérir ! Que d’occasions à faire du bien !
Un jour (ce jour est encore fort éloigné) le sceptre passera dans tes mains. Que d’heureux ne peux-tu pas faire ? Le sort d’un peuple, nombreux & obéissant, dépendra de ta sagesse. D’un côté, quel fardeau ! De l’autre, quelle moisson de gloire ! Quoi de plus digne d’un Etre pensant, que de travailler au bien de ses semblables ! Quoi de plus digne d’un Oldembourg, que de rendre florissants les Etats confiés à ses soins ? Quoi de plus héroїque, que de faire régner celui par qui les Rois régnent ?
Cher Prince ! au nom des héros, dont le sang coule dans tes veines, quand l’âge aura muri ta raison, rends toi véritablement digne du Thrône, qui t’est destiné. Copie les modèles, qui se présenteront à toi ; cherche ces modéles dans ta maison. Tu les trouveras dans ton Pére : Tu verras en lui un Roi, que la Couronne n’enorgueillit point, qne <sic> les passions ne maitrisent pas, qui hait les faux plaisirs, & ne court point après la fausse gloire, un Roi qui a l’esprit assés éclairé pour connoitre la flatterie, & l’ame assés forte pour la mépriser, un Roi à qui tout est soumis, mais qui est lui-mème soumis à la Raison, un Roi, le plus honnète homme de son Roїaume (* (*)). Qu’une généreuse émulation te rende l’héritier de ses vertus, comme tu le seras de ses couronnes !
Vers Irreguliers,
A Madame R - - z.
A.D.L.B.