Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Amusement XXXVI.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\036 (1749), S. 305-320, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4217 [aufgerufen am: ].


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Amusement XXXVI.

Zitat/Motto► Près du séxe tu vins, tu vis & tu vainquis;
Que te manque-t’il donc ? Allons, saute, Marquis !

Regnard. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Le Peit-Maître est à la mode. Définissons-le. Fremdportrait► C’est un homme entêté de lui même, faute de mérite, ridicule par systême, étourdi par tempérament, fou par choix, quelquefois amusant, souvent libertin par vanité, toujours singe. Il réunit les contraires. Grossier & poli, insinuant & brusque, naturel & affecté, vif & doux, il est tantôt haut, tantôt bas. Allgemeine Erzählung► J’en ai vû, un, qui en embrassant ses amis, leur donnoit des coups de poing, & leur faisoit mille caresses, se jettoit à leur coû, comme s’il alloit lés étouffer, les quittoit sans adieu, revenoit en sifflant, & disparoissoit une seconde fois en chantant. ◀Allgemeine Erzählung

Le Petit-Maître n’a point de caractère décidé. Une extrème fatuité est ce qu’il y a de plus uniforme en lui. C’est sa qualité cardinale, elle ne le quitte point, dès qu’une fois elle s’est emparée de lui. C’est quelque chose d’assez plaisant, que de voir cinq à six Petits maîtres ensemble, faire un conflict d’impertinences. Ils tâchent de renchérir les uns sur les autres. Celui-ci fait une grimace nouvelle, celui-là veut primer par un maintien grotesque, celui là se distinguer par une Phraze néologique d’une espèce nouvelle, un autre briller en ouvrant sa Tabatière avec une gentillesse inoüie, le cinquième les égaler en grassaïant de maniere à se faire remarquer & imiter, le sixième les effacer tous par l’ingénieuse invention d’une Mode, qui surpasse toutes les autres modes en bizarrerie. Car les Modes sont surtout de leur ressort. Après [306] cette belle ouverture, ils se séparent. Ils vont, chacun de son côté, travailler à l’exécution, à la perfection de ce plan admirable. L’un s’enferme quelques heures avec sa Brodeuse, l’autre une semaine avec son Tailleur. Tout <sic> s’épuisent en méditations sérieuses, & font des efforts héroïques d’imagination pour donner à cette nouveauté l’empreinte de leur génie & leur goût. Après ce pénible travail, ils se revoïent, s’admirent d’abord, puis se critiquent, enfin s’en remettent au jugement du Publique &, se félicitent eux-mêmes de l’élégance supérieure de leur ajustement, vont mendier ses regards & son suffrage à la Promenade ou aux spectacles. On les regarde ; Cette curiosité, en passant a travers le microscope trompeur de leur amour propre, est un applaudissement. On est surpris ; Cet étonnement est pour eux admiration. On en rit ; c’est la marque d’une approbation gracieuse. Enfin, si on leur disoit, qu’on le trouve de fort mauvais goût, ils prendroient ces paroles pour une loüange, dont ils iroient peut-être se vanter.

L’amour propre les domine, la bagatelle les amuse, le bon sens les ennuïe, le vrai les excède. Un air évaporé fait toutes leurs graces ; leur toupèt, leurs plus chéres amours ; le singulier, leur mérite ; les riens leur conversation. On pourroit définir la Petite-Maîtrise, l’art de dire des riens, de faire des riens & d’être rien. Le Petit-Maître n’est bon qu’à servir de joüet aux gens sensez. C’est tenir en vérité un bien petit rang dans l’univers, que de n’y être utile qu’aux plaisirs du sage.

Ce qui me pique le plus dans ces damoiseaux, l’avoûrai-je ? c’est leur Babil : sont ils en compagnie ? Ils commencent par se saisir de la Conversation, comme d’un bien qui leur appartient. Ils parlent de tout, ils sçavent tout, ils [307] décident de tout. Ils sautent d’un propos à un autre le plus légérement du monde. En un quart d’heure mille sujèts différens ; & sur chaque sujèt mille sottises. Après avoir bien jasé, & tyrannisé lon-tems les oreilles & la langue des autres, on est bien surpris de voir qu’on n’a rien retenu de ce qu’ils ont dit. Il faudroit avoir la mémoire bien bonne pour être leur Plagiaire. Ils se répétent sans cesse, sans être décélés.

Quel mêtier, que d’être toûjours occupé à outrer le ridicule, à se donner en spectacle au Public, à présider aux Toilettes, à traiter le frivole comme le sérieux, & le sérieux comme le frivole, à se farder comme une Coquette, à s’encenser soi-même, à courir après les plaisirs ! Car voilà la vie d’un Petit-Maître, d’un Petit-Maître François, s’entend. Les nôtres n’en sont que des copies grossières. Ils imitent fort mal les François, qui sont, à la vérité, le seul Peuple, né pour la Petite-Maîtrise. On a presque envie de trouver ceux-ci aimables, quand on voit les notres si insupportables, si ridicules, si sots. Les autres ont je ne sai quoi de piquant. Les notres sont du dernier fade. Rien ne leur va. Tout est emprunté. Les uns parlent du gosier, les autres caressent d’un ris nigaud toutes leurs phrases : ceux-la s’étudient à mal prononcer le nom de cette ville ou de leurs terres ; ceux-là se onnent <sic> un air distrait. Ceux ci s’arrondissent les épaules, ceux-là se piquent d’impolitesse. Quelques-uns étalent fastueusement une Veste rouge dont ils portent le panier sur les bras. Pour se donner cette attitude, ils se placent, je ne sai où, leurs mains en sentinelle. Enfin je ne vois rien de plus extravagant que nos Petits-Maîtres. Tant il est vrai, que sortir de son naturel, c’est se ridiculiser soi-même ! Notre jeune noblesse n’ira t’elle jamais à Paris que pour en revenir, paîtrie de fatuité ? Laissons ce défaut aux François. Laissons leur leurs Peits-Maîtres & [308] eurs <sic> petites Maîtressses. Quelle folie, que de copier une Nation dans ce qu’elle a, de son aveu, de plus mauvais ?

Allgemeine Erzählung► Lorsque la Flotte Françoise (je parle de loin) étoit ici, Copenhague regorgeoit de Petits-Maîtres. Un deux <sic>, qui l’étoit passablement, s’avisa un jour de me faire leur apologie. Je me récriai sur la tentative : il me parla à peu près en ces termes.

Ebene 4► Dialog► « La Petite-Maîtrise n’est point ce qu’on imagine communément. Elle est, à proprement parler, l’art de mettre habilement en œuvre tout son mérite pour parvenir à être aimé, de développer tous ses talens pour la Galanterie. C’est une science, qui a ses principes, sa langue, ses vües particulières. Que les Femmes deviennent raisonnables ; le Petit-Maitre ne sera plus de mise. C’est Vous dire, que son régne sera éternel. Nous sommes essentiels à leurs plaisirs. Nous leur épargnons la peine d’arranger leurs Parties. Nous les amusons au mieux. Avec la Bagatelle on est sur de leur plaire. Certains gens nous en méprisent ; mais, je vous prie, n’en sommes-nous pas assés dédommagés, en plaisant à un séxe auquel tout rend hommage.

Est-on Petit-Maître ? On se tire de la foule, on tient à un corps, on a un titre, on brille ; On n’a pas le disgracieux d’être confondu avec un tas de sots. La différence se remarque sensiblement. Selbstportrait► Il y a quelques années, que je pensois, moi, comme le reste des hommes. Mon allûre étoit des plus unies. Qui m’avoit vû une fois m’avoit assez vû. J’en contois sur le vieux ton, on me crualisoit. Je poussois les beaux sentimens auprès d’une dame, qui croïoit, parbleu ! me faire grace en me traitant passablement. Je suis aujourdhui plus heureux, non que je veüille me donner pour homme à bonnes fortunes ; mais, sans vanité je [309] n’ai plus besoin de soupirer. Je suis accablé, étouffé, inondé de faveurs. Je n’y pouvois presque plus tenir, quand je partîs de Paris ; &, à vrai dire, je regarde cette expédition comme un tems de répi. Jugez en ; je ne pouvois avoir de préférence marquée pour une Femme, que je n’en désespérasse cinquante ; Et je suis bon de mon naturel.

Le titre de Petit-Maître est un Passeport à l’oubli des Bienséances. Ces bienséances sont si génantes, & nous aimons si peu à être gênez ! Quelqu’un a t’il affiché la Petite Maîtrise ? On lui pardonne le ton haut, les manieres brusques, l’inconstance & l’indiscretion. On lui permèt de drapper les femmes en présence des femmes mêmes. Nous parlons indécemment du beau-séxe ; & c’est ce que nous appellons le bon ton de la bonne compagnie. Il semble d’abord, que ce bon ton devroit nous faire jetter par les fenêtres : Erreur. Il nous donne l’air redoutable, il nous fait la réputation d’hommes dangereux, & femme qui craint est à demi vaincuë ; il facilite nos conquêtes, outre qu’il mèt notre vanité fort à son aise ; & c’est un article, qui doit entrer en ligne de compte.

Nous visons au singulier. Nous avons des imagination <sic> uniques ; & il nous en coute peu. Quelques regards en dessous, des révérences en avant, des distractions affectées, des piroüettes sur le talon, des propos hors de propos, des épaules arrondies, un salut en dedans, un air grivois, décisif & important tout ensemble, une Mémoire fournie de chansons d’un Equipage leste, d’une Veste brochée en or d’un dessein singulier ; voila le Petit-Maître. Vous voiez qu’on l’est à peu de frais. Nous minaudons quelque-fois : mais qu’est-ce à dire ? Les femmes nous plaisent par des minauderi <sic> : par des minauderies nous leur plaisons. Parité.

[310] Notre Art a sa politique. Nous avons mille petites ruses. On ne s’en méfie point, on y est pris. Q’un <sic> Petit-Maître entre dans une Compagnie d’un air Conquérant, libre & dégagé, le Pannier droit froissé exprès, la face gauche de cheveux dépoudrée & défrisée, on imaginera tout de suite, qu’il vient d’un hôtel où il a été en bonne fortune, qu’il a eú à faire avec une beauté résistante, qu’il a oublié l’arrangement de sa parure, parmi les desordres du combat, & l’yvresse des plaisirs. Le voilà à la mode, couru, lorgné. Les cœurs volent au devant de ses regards ; Pour les défaire, il n’a qu’à les coucher en joûe. Débarassé du fatras des langueurs ; il n’a qu’à se baisser & prendre.

Nous ne faisons plus l’amour à l’antique. Le premier soupir suffit pour obtenir la derniere faveur. Nous n’avons pas besoin de passionner nos déclarations : on nous en croit sur notre simple parole, parcequ’on a envie de nous en croire, & que le cœur de nos Dulcinées supplée à ce qui nous manque d’ardeur. Paîtris de la plus fine fleur de l’usage du monde, nous tirons parti de nos défauts, en les faisant servir à nos vuës. Nos Françoises ont sur les yeux un bandeau qui les leur cache. Ici, on n’est pas fait à nos maniéres. On nous voit mieux.

Nous avons un jargon qui est tout à nous. Il n’a pas la fadeur du stile écumé des ruelles, ni le Précieux du Néologisme de nos beaux-esprits, ni l’insoutenable incongruité des expressions reçües. C’est un langage court, dont nous sommes les créateurs, naturel & guindé, énergique & simple. Notre Dictionnaire ne contient pas audelà d’une centaine de mots ; mais ces mots ont ceci de commode, qu’ils peuvent se lâcher en toute occasion, sans se donner Bourgeoisement la peine de les accoupler, on est sur de bien [311] parler, de donner du nouveau, d’être admiré sans être entendu. Et à quoi bon se faire entendre ? N’est-il pas plus difficile de paier son écot à la conversation en paroles, qui puissent soutenir l’éxamen, qu’il ne l’est d’en marier, qui soient tout étonnées de se voir ensemble pour la premiére fois. On nous écoute ; on est frappé de ce Nouveau hazardé. On cherche à le pénétrer. On n’imagine pas seulement, que ce qu’on appelle bon sens aît traité avec incivilité ce que nous avons dit.

Oh ! Monsieur ! interrompis-je, parlez intelligiblement. Je vous jure, que je n’ai pas assez de pénétration pour entendre, ni assez d’esprit & de goût pour admirer ce que vous venez de dire. Traitez moi en Danoise ; mettez vous à ma foible portée.

Volontiers, Made., reprit-il ; je vous dirai donc tout uniment ; que le Petit-Maître, outre son langage particulier, à au suprême degré ce qu’on appelle l’esprit des dames, esprit qui a bien son mérite. Il consiste à s’evaporer en gentillesses sur une Mouche, une Coiffe, un nœud deruban, à les amuser par des babioles, à les chicaner à tout propos, à entendre finesse à tout, à chercher des équivoqves <sic> dans les phrases où il n’y en a pas l’ombre, à se récrier sur leurs moindres saillies, à leur prêter de l’esprit, (& cela est juste, puisqu’on leur ôte de la vertu) à jargonner & papilloter le sentiment. C’est là une autre branche de l’esprit à la mode, qu’on nomme je ne sai pourquoi, esprit Métaphysique, peut-être parce qu’il a la vertu de rendre le sentiment avec une obscure délicatesse. On s’en sert principalement, quand on veut, sans rien dépenser en tendresse, ne point faire faux bond à la décence. Il fait beauté dans les contes étudiés. Le Conteur peut bavarder [312] deux heures sur l’esprit & sur la raison, sans donner de l’un ni de l’autre. Avec un très petit fonds, on peut briller. Notre Nation devient à présent d’une économie extrême ; & ce goût d’économie s’est étendû sur les ouvrages d’esprit, sur les Romans. Autrefois on demandoit aux Romanistes des Pensées, des Epizodes. Aujourdhui nous n’éxigeons deux <sic> qu’un brillant incompréhensible. Un Auteur sans jugement peut composer dix volumes sur la tête d’une Epingle, à l’aide de l’esprit Métaphysique. Ce nom en impose &, comme vous, nous nous contentons de Titres.

Passons à la Lorgnette, qui vous a, dit on, si fort scandalisées. Elle est dans le bon ton de l’usage présent ce qu’est le Compas dans la Géometrie. Elle est l’arbitre de toutes les graces ; sans elle que deviendroient ces Mines, ces airs coquèts, ces coups d’œil artificieux ? Dailleurs, comme ce sont les hommes qui produisent dans les femmes leurs desirs & leurs agrémens, ne sont-ils pas en droit de les éxaminer, de les éplucher. Elles ont leur tour ; & à Paris, elles nous font la grace de nous Lorgner jusques dans le Vis-à-Vis, que le bel air a consacré á un autre usage, & où la Mode veut qu’on emploїe mieux le tems. Par la Lorgnette, on satisfait à merveilles les envies des yeux, & l’on est plus près de satisfaire les envies du cœur. Tout le monde Lorgne aujourdhui en France. Le tour de Lorgnette distingue seul le Petit-Maître de bon alloi d’avec le Petit-Maître subalterne, d’avec le Lorgneur ordinaire. De bonne-foi, peut on se passer de Lorgnette ? Faut-il, pour voir, se servir de ses yeux, à la Bourgeoise ? Cet instrument doit être de votre gout, quoique vous en puissiez dire, les femmes ne paroissent que pour être vuёs, & elles ne veulent être vües, que pour plaire. Or, quel hommage plus flatteur [313] que de voir cinq ou six Lorgnettes braquées contre leur figure ? Si j’étois femme, j’en serois extasiée. Un Lorgneur est ordinairement Lorgné. Tel a subjugué vingt femmes, qui peut-être, sans le manège de sa Lorgnette, n’auroit pas été regardé d’une seule. Les Laides en souffrent & en grondent. Mais vraiment ! est-ce aux Laides que nous en voulons ? Dailleurs les hommes ont aujourdhui la vüe extrêmement foible. Il faut que l’art supplée à ce défaut. Vous me direz peut-étre, que les Dames doivent craindre, que notre vuё ne soit pas le seul de nos sens, qui ait besoin de supplément. Cela est vrai, mais enfin, il faut qu’elles nous prennent comme elles nous trouvent ; Et je vous réponds, qu’elles nous pardonnent bien un défaut, qui est leur ouvrage.

On se plaint de notre inconstance, laquelle, doit être bien marquée, puisqu’on en murmure dans une Nation, qui est l’inconstance même. Nous sommes infidéles, il est vrai ; mais pourquoi ne le serions-nous pas ? Une Maîtresse ne paroit plus aimable ; on la quitte sans façons pour une autre qui l’est peut être moins, mais qui du moins a le mérite de le paroitre à nos yeux, lassez des traits du même objèt. Soyez fidèle : que de désagrémens ! Vous êtes esclave d’une Femme emportée, si elle est amoureuse ; prête à rompre, si elle ne l’est pas ; toujours insupportable : soїez infidelle, & même donnez vous pour tel ; on vous prend sur ce pié là : si vous êtes aimé, vous êtes retenu par les efforts qu’on fait pour vous dérober la connoissance de vos chaînes. On ne vous gronde pas de vos petits écarts. Chaque jour éclaire de nouveaux plaisirs. On vous sacrifie des rivaux. Que sai-je ? on vous rend d’autant plus heureux, qu’on sait que vous êtes difficile à fixer. La Légéreté fait [314] votre mérite & votre félicité tout ensemble ; & puis, comparez le disgracieux qu’on trouve à sécher sur le même objèt, à hazarder une passion réelle, avec l’agrément qu’il y a à vous donner autant de plaisirs, que vous avez de desirs, à joüir ici en plein des dernières faveurs, tandis-que vous mendiez là les premières, à vous divertir sans attachement sérieux au dépens de la Brune & de la Blonde, à vous voir embarassé du choix. Croїez moi ; notre inconstance est la source de nos délices. Il est avéré, malgré les déclamations, que nous seuls sommes plus redoutables aux Maris, que tout le reste des Galans ensemble.

Un mot sur notre indiscrétion, suite de notre humeur volage. C’est un défaut dont je ne prendrai point la défense, quand on en fera l’assoisonnement des plaisirs. Je connois des Petits-Maîtres, qui, dans l’option, aimeroient mieux n’en point goûter, que de se taire sur ceux qu’ils n’ont jamais gouté. Il en est d’autres, qni <sic>, avant que de partir d’une ville, laissent la veille tomber adroitement une liste des dames qu’ils y ont subjuguées, disent ils. Ces procédés sont détestables. Mais se faire valoir auprès d’une femme qu’on veut entamer, en lui apportant des soins qu’on a refusé à une autre, dont on a reçu des avances, qui signifioient, c’est une autre paire de manches. Une conquête ne flatte, qu’autant qu’elle est difficile ; & l’indiscrétion donne cet air à la notre. ◀Selbstportrait Je ne vois pas, qu’on doive ménager fort scrupuleusement des femmes, qui, décriées dans le monde, ne se sont point attachées à rendre leurs foiblesses respectables. Pourquoi aimer plus leur honneur, qu’elles ne l’ont aimé elles mêmes ? Pour celles dont on a été la duppe, & qui se sont convertes <sic> du manteau de la vertu pour en imposer, point de grace. Les Coquettes qui ne [315] le sont point en titre d’office, sont dignes de plus d’égards ; mais une infidélité marquée mérite qu’on les démasque. Voila mon avis ; mais il est tard, & tems d’aller chez Madame de * * * avec laquelle je dois souper tête â tête. » ◀Dialog ◀Ebene 4

A ces mots, mon homme part comme un éclair. Livrée à mes réfléxions, je me rappelai son entretien, qui restera toûjours gravé dans ma mémoire. ◀Allgemeine Erzählung ◀Fremdportrait Que l’Europe est à plaindre ! Les petits Maîtres francois, de vrais fréluquets, sont souverains du vaste empire de la mode, & asservissent presque tous les hommes à leurs caprices, qui ont déjà changé d’objet, quand on commence à les imiter. Heureusement pour nous, la galanterie de nos Petits-Maîtres manquez n’est point dangereuse. Peut être aussi sommes-nous naturellement beaucoup plus vertueuses que les Françoises.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Madame la Spectatrice !

« Vous avés dépeint à merveilles le Petit-Maître : J’ai un amant, qui l’est au suprème degré. Il ne s’est point reconnu dans vos tableaux ; je n’ai pu le faire convenir d’un seul trait ; Et, ce qu’il y a de singulier, c’est qu’outre qu’il est fort ingenu, il s’est défendu de l’accusation en Petit-Maître fieffé : ses réponses, débitées d’un ton affecté, accompagnées d’un air nonchalant, soutenues de quelques mines, lui donnent un démenti formel : Je l’en ai fait appercevoir ; je croiois le prendre sur le fait ; & arracher un aveu sincère ; mais il a sçu m’échapper. Je ne conçois rien à ce travers. D’un côté, il convient si naturellement de ses défauts, & d’un autre côté, il m’assure si fort, qu’il est éxempt de celui-là, que je ne puis comprendre, qu’une telle illusion soit possible, surtout quand je me dis, que la Petite-Maitrise est un vice de réfléxion, ou, pour adoucir le terme, un travers de l’esprit. On naît voluptueux ; mais [316] personne ne nait Fat. Seroit-il possible, qu’on le devint, sans le savoir ? C’est peut-ètre le cas de mon Amant. J’ai voulu vous instruire de sa manie, comptant que vous en découvrirés la source, & que vous voudrés bien vous intéresser à sa guérison. Je vous le recommande, & suis &c. »

Lucinde. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Reponse.

Brief/Leserbrief► « J’ai consulté, vertueuse Lucinde ! le savant Almunabik sur le défaut de votre Amant. Il m’a répondu, qu’un Cavalier, que sa Maitresse ne rend pas sensé, ne sera jamais rendu tel par ses remèdes. Ebene 3► Je ne saurois guérir, m’a-t’il dit, certaines maladies, quand l’amour ne les guérit pas. Il est une infinité de cas, où mon art peut beaucoup moins qu’une dame aimable & sage.

Cimon aima, puis devint galant homme. (*1

Dailleurs, a-t’il ajouté, je trouve ici complication de maux ; 10. Petite-Maitrise, 20. résistance opiniâtre, 30. défaut de connoissance de soi mème. Quel remède prescrire, quel régime ordonner à qui ne se croit pas malade ? Dureste <sic>, si Lucinde est véritablement aimée de son amant, elle peut hardiment éxiger de lui la suppression de ces maniéres de Petit-Maître, qui lui déplaisent. La Petite Maitrise s’est si bien naturalisée en lui, qu’il est Petit-Maitre, sans le savoir. Par l’adresse de Lucinde, il se corrigera, sans s’appercevoir peut-ètre qu’il s’est corrigé. ◀Ebene 3

Voila, ma chére Correspondante, quel est l’avis du Chimiste. Le spécifique dépend de vous. N’en étes-vous pas charmée ? Qu’il est doux, qu’il est flatteur de rendre parfait un cœur, auquel on a attache la félicité du sien ? » ◀Brief/Leserbrief

[317] Ebene 3► Brief/Leserbrief► Madame la Spectatrice !

« J’ai le malheur d’ètre marié depuis dixhuit mois. Une Petite Maitresse m’est tombée en partage. Dès les premiers jours, je fus Mari très marri. Et, à ma place, qui ne l’auroit été ? La Fille que j’ai épousée avoit la plus belle apparence du monde. Elle étoit gaїe, vive, tendre. Elle me faisoit depuis lon-tems toutes les avances possibles. Je me la croiois sincérement attachée. Je me déterminai à m’unir à elle. Le jour des nôces, j’en dîs mon peccavi, son mauvais esprit se développa. Voïant, que je ne pouvois lui échapper, elle cessa de se contraindre. Auparavant, elle étoit toujours penduё à mes côtés, attentive à me plaire, prodigue des noms les plus doux : Des lors, elle s’éloigna de moi, cessa de lire dans mes yeux, me regarda avec dédain, me parla avec froideur, & ne me traita plus que de Monsieur. Ce procédé me désola. Je lui en demandai raison. C’est ainsi, me repondit-elle, en se rengorgeant avec majesté, c’est ainsi que vivent les dames de qualité. D’accord, lui-dis-je : Mais, ma Femme, nous ne sommes que Bourgeois. Ma Femme ! repartit elle en courroux, dites donc, Madame. A ces mots, je quittai la partie, depeur <sic> d’ètre obligé d’en venir au Tragique. Depuis ce tems-là, je n’ai pas passé un seul bon moment. Ma Femme a la migraine, toutes les fois que je suis tète à tète avec elle ; cette migraine disparoit à l’arrivée de ses amis, qui peut-ètre sont ses amans : mais ce n’est pas de quoi il s’agit. Je voudrois pouvoir vous décrire toutes ses extravagances, ses airs tantot précieux, tantot pédans, tantot grivois. Vous la prendriés pour une Agnès, un moment après pour une effrontée ; Elle minaude à chaque instant : mais ses mines toujours variées renchérissent sur le ridicule le plus complet. [318] Il lui prend de tems en tems des fantaisies très dispendieuses. Tantôt elle jette par dépit une jatte de Porcelaine ; tantôt elle mèt en piéces une glace de prix ; tantot elle déchire une Juppe, parce que je fais difficulté de lui en acheter une autre. Elle tâche à présent de me résoudre à me confiner nuit & jour dans mon appartement. Je le ferois volontiers, si je ne craignois qu’elle ne coquettât à son aise. Mon supplice est extrème. Au nom du Dieu de l’Hymen, faites lui, Made. une vive Mercuriale. Tournés la energiquement en ridicule. Ce n’est que par cet endroit qu’elle est prenable.

Calamer. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Reponse d’Almunabik.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Infortuné Mari !

Mêlés ensemble une dragme de bon sens Anglais, une once de Flegme Danois, une livre de patience Suisse, un gros d’indifférence Française. Faites boüillir le tout, dans du vin de Bourgogne, l’espace de vingt-quatre heures. Infusés-le dans un Coquemar de Gravité Espagnole ; & avalés en une demi bouteille tous les matins, en guise d’adoucissans. Le remide <sic> est excellent, & l’unique pour les sottises irréparables. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► J’ai reçu diverses lettres, par les quelle <sic>, je fus consultée sur diverses maladies. Il seroit ennuieux d’en rendre compte au Public. Cependant, je dois remplir ma Feüille ; sans cela, certain ordre de Lecteurs murmureroit. Sur quel sujet ! - - Plus j’y réfléchis, & moins j’en trouve un, qui soit digne d’occuper mon monde dans ce tems de joїe & de plaisir. Il y a deux jours, que je pouvois donner des balivernes hardiment. Aujourdhui elles doivent ètre raїées. Copenhague est gaté pour un mois par l’heureuse naissance de ce Prince, qu’il attendoit avec tant d’impatience, & que le [319] Ciel nous à accordé avec tant de bonté. Cet événement remplit toute la ville de si vifs sentimens de joie, que je ne suis pas surprise qu’elle dédaigne tous ce qui n’y est pas rélatif.

Faisons nous donc au goût présent. Mon inclination m’y porte, & s’accorde avec mon devoir. Réjoüissons nous uniquement de la Naissance fortunée de l’Héritier présomtif de ces Couronnes. Mais voici mille Beaux-esprits, qui veulent me ravir cette gloire. L’un m’envoїe un sonnet ; l’autre un impromtu fait à loisir, l’autre un Genethliacon, celui-ci une Epigramme, celui-là du Latin, cet autre du Danois. Attendés, Messieurs. Chacun a son tour. Je vais envoїer à mon Imprimeur la premiere Piéce qui me tombera sous la main : C’est au hazard à décider de la prééminence. Qu’est ce ? Lisons : ◀Metatextualität

Ebene 3►

L’horoscope

De
Son Altesse Roїale
Monseigneur le Prince Roial

Madrigal.

Je fis hier un voїage en songe dans les Cieux,

Cher Prince ! sur ton sort je consultai les Dieux.
Par un Génie Tutélaire
Le Livre des Destins fut ouvert à mes yeux ;
Et j’y lus en gros caractére :
Il surpassera ses aieux ;
Mais egalera-t’il son père
 ?

De la Beaumelle. ◀Ebene 3

[320] Ebene 3► Vota

In Serenissimum DaniÆ Principem.

O Deus ! Angelicum cunis praesse jubeto

Agmen, & afflatu membra fovere pio !
Fortunata tibi Marcellum Dania debet ;
Adsis ; & plures debeat, alme Deus !
Heroum soboles degenerare nequit.
Istius Imperii tantùm moderetur habenas,
Quum Rex prae senio cedere sceptra volet.
O delicte Puer! Fridericum imitare Parentem :
Sufficiet : Tanto nomine quanta latent?
Felici die 29. Januarii.

De la Beaumelle. ◀Ebene 3

Ebene 3► Brief/Leserbrief► “Madame la Spectatrice !

J’ai imaginé une Devise sur la naissance de Mgr. le Prince Roїal. Permettés-moi de la proposer au Public dans une de Vos Feüilles ; le tout sans empiéter sur les droits de la societé Roїale des sciences.

Deux Lions, qui, produisent un troisiéme jeune Lion, sont l’ame de la Devise : Voici le mot :

Ingenitus vigor est.

Cela me paroit d’autant plus juste, que Trois Lions entrent nécessairement dans les armes de la Couronne de Dannemarc.

Sur le revers de la Médaille, je place Monseigneur le Prince sous l’emblême d’une plante naissante, avec cette Légende :

Feret in tempore fructus.

J’ai l’honneur d’ètre &c.

A. D. L. R. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1