Le Courtisan, auquel j’étois adressé, me dit mille belle choses sur le compte de S. M. La sagesse des ordonnan-
Mon Guide me laissa dans l’anti-chambre, où il parut avoir oublié ses lettres de recommandation, pour ne les relire qu’au sortir de la Cour. Il courut embrasser un homme assés mincement habillé. Après l’avoir accablé de politesses, il revint par distraction à moi. Quel est donc cet homme, lui dis-je ? C’est sans doute un homme de poids. Pas autrement, me dit il ; je sçai à peine son nom ; mais il est dans un poste, où il peut nuire ; il parle souvent à des gens accrédités. Bon ! me disois-je à moi même, voila pourtant de la raison, je n’en attendois pas de lui. A sa toilette cependant, il m’avoit paru l’homme du monde le plus sensé ; philosophe & Lettré ; à la Cour, ce fut un Protée : Serpent & Lion, Basilic & Ver tour à tour.
Il aborda un homme de distinction, mais avec cet air de suffisance, qui en impose tant à nous autres campagnards. Je fus content de la façon avec laquelle il parla avec cette homme, que je respectois à cause des marques de considération, dont il est revètu. Mon Conducteur, pensois-je en moi même, est bien en Cour. Que je fus humilié, lorsque je sçus que j’étois le seul, qui respectât cette personne, qui de tout tems avoit le privilége d’amuser, quelquefois le talent de plaire, & jamais le secrèt de se faire estimer !
Enfin, il parut un de ses Seigneurs, que tout le pays connoit, & qu’il ne connoit, que pour rendre un hommage universel à son merite.
Que mon Conducteur fut humble ! il s’élance dans la foule, suit ses pas, le cherche avec autant d’empressement
Deux heures sonnent ; c’est l’heure du diner : nous partons. On me mene à l’Auberge. Quel empoisonneur ? Est-il possible, que dans une Ville aussi policée que l’est celle-ci, on souffre qu’un pareil mètier s’éxerce publiquement ? Le Rot parut ; ensuite le dessert. On parla, mais d’une maniere si bruyante, que je crus ètre avec uue <sic> troupe de François. Et quelle conversation encore ! L’homme de guerre parla fillette, l’homme de Cour guerre : quelqu’un de la compagnie nous a dit, que la maladie des bêtes à cornes n’etoit qu’une bagatelle. Comment ! m’écrirai-je, je sçais comme la bourse de mon Pére en a souffert. Eh ! oüi, me repondit tranquilement mon homme de bon sens : un Professeur le dit dans une sçavante dissertation.
On se leve de table ; chacun lie sa partie. « Vous restés ici si peu de tems, me dit mon Ami, que Vous voudrez bien sans doute rapporter chés Vous quelque idée de nos spectacles. Allons à l’Opéra. » Je l’y suivis ; nous n’y trouvames presque pas une ame ; la Cour n’y étoit pas. « Quel est, lui dis-je, le personnage que cet Acteur représente ? Aux sons mélodieusement cadencés, qui sortent de songozier, j’augure que ce héros etoit grand musicien. » « Y pensez-vous, me répondit-il, c’est le grand Pompée » « Quoi ? ce Conquérant fameux est travesti en Eunuque Italien ? » La vraisemblance me parut bannie de ce spectacle ; les trois quarts des spectateurs n’y entendent rien ; & je crus bonnement me trouver dans une assemblée d’Etrangers, au beau milieu de la Capitale de
Heureusement j’avois à faire à un Petit-Maitre, & qui dit Petit-Maitre, dit un homme qui ne se pique pas beau-Parvulus Ascanius sequitur non passibus aquis ; mon homme couroit, & auroit paru l’homme du monde le plus affairé : « mais, Monsieur, lui dis-je, en le tirant par l’habit, la piéce sera finie » « Ce ne seront que de faux fraix. De faux fraix à
Nous voilà à la Comédie. Les Actrices me parurent de fort jolis tableaux mouvans. On m’en montra une, qu’on me donna pour un demi-siécle, je la pris pour une fille de quinze ans.
Tandis que j’étois sottement occupé à voir & à écouter, mon homme parcouroit les loges, avec autant d’agilité qu’un danseur fait des gargoüillades. Dieu sçait ce qu’il disoit de mon ajustement, de mon air nigaud & sauvage, de mon esprit naїf ! Je vis maintes Lorgnettes tournées en un instant contre ma figure ; & après chaque coup de Lorgnette, on se disoit un petit mot à l’oreille, qui vraisemblablement n’étoit pas à ma loüange. Une Dame demanda à mon Ami, qui j’étois ? Il répondit assés haut pour que je le pusse entendre du Parterre : C’est - - - c’est un Ours que je promène. Je ne lui sçus pas mauvais-gré de cette plaisanterie parce que la
La grande piéce finie, on dansa ; mon ami vint me joindre au Parterre, pour voir la danse ; c’est du bel air. Les Dames se disoient ; que la Gorion est laide ! Ergo, je l’examinois de plus près, j’empruntois une Lorgnette de mon voisin, & je dévinois la raison de la critique.
A l’ouverture de la petite piéce, je dis à mon Conducteur ; « de grace, Monsieur, allons à la Comédie Danoise. Et qu’y faire, me répondit-il ? Cela est si plat ! On y parle Danois. » Je lui représentai, qu’on joüoit des piéces Françoises. « Oui, dit il ; mais elles sont remplies de gravelures ; pas plus, lui dis-je, que les originaux : mais, dit-il, cela sonne tout autrement » J’eus peine à garder mon phlegme Jutlandois, & je lui dis, « qu’une pensée n’etoit pensée, qu’autant qu’elle peut souffrir une traduction ; que ce, qui n’avoit pas été pensé à la confusion des langues, n’étoit & ne seroit jamais qu’uu <sic> jeu de mots : je vous prouverai. Monsieur, dit il ; on ne me persuade pas même : Vos manchettes sont bien courtes » ; Je vis qu’il avoit pris le Marquis
Allons souper chez Me. * * ; nous y étions invités. La Dame aborda mon Ami. & lui demanda, si j’étois de bonne compagnie. Je n’avois fait aucune indécence, je payois de mine ; je m’éxaminois pourtant. Oui, Madame, répondit mon homme, il joüe au slechte daler. On me plaçe à une ta-
Nous soupâmes ; il se dit à table quantité de ces riens, de ces petits propos, que j’aurois trouvés charmants sans l’idée, que je me faisois, qu’il n’y auroit pas moїen de continuer ce train de vie, sans ruiner ma famille.
Je quittai mon ami, qui avoit lié une partie de Pharaon, qui l’a seurement <sic> mené jusqu’au grand jour. Je me fus coucher à minuit, accablé de lassitude ; & quoique cette heure soit & doive ètre une heure induё, j’entendis une Dame, qui disoit à son voisin : Fi ! que cela est bourgeois !
Avant que de me livrer aux douceurs du sommeil, j’écrivis à mon Pére la letttre suivante.
« J’ai vû
Des talens, je ne puis vous en rien dire. Il faut du tems & encore plus de capacité pour connoitre ceux qui en ont. J’ai oüi parler avec éloge de divers Sçavans : Le Professeur
A propos du grand monde, vous me permettrés, mon Pére, de n’ètre pas de votre avis ; vous m’avés toujours paru n’en avoir pas une haute idée. J’ai vu pourtant bien des personnes d’un caractére aimable, d’un esprit solide, d’une droiture inflexible, d’un mérite distingué. Voilà, dirés-vous, mon imbécille, qui juge sur les apparences. Détrompés-vous, mon cher Pére ; je ne suis que l’écho de la voix publique ; & si je m’abuse, je m’abuse avec toute la cour & toute la ville, a qui l’on n’en impose pas lon-tems. Un misantrope se déchaineroit contre tout ce qu’il a vu ; mais l’homme sage, tel que vous avés tâché de me former, ne confond point le bon avec le mauvais, & rend justice à la vertu.
Pour me rendre utile & agréable le séjour que je dois faire dans cette ville, je compte de m’attacher à Mr. de * * *. Il est assurément bien digne de votre estime & de votre amitié. Je me croirai fort heureux, si ce Mentor me fait la grace de me prendre pour son Télémaque ( (*) *). A la Cour surtout, un
Je vous ai promis de vous découvrir mes plus secrettes pensées ; soїés donc mon confident, & recevés l’aveu de ma foiblesse. Mademoiselle de * * * a fait aujourdhui sur mon cœur les plus vives impressions. Ne m’accusés pas de prendre feu trop légérement. Cette aimable personne est adorée de tout ce qu’il y a ici de jeunesse spirituelle & délicate. Que je serois heureux, si je l’emportois sur mes rivaux, & si j’avois un thrône à lui offrir ! Je dévoile hardiment à vos yeux l’état de mon cœur, persuadé que vous approuveriés mes feux, si vous connoissiés le charmant objèt, qui les allume dans mon ame. Ma Mére, malgré sa sévérité, seroit enchantée de ma passion, & donneroit son suffrage à mon attachement. Je rêverai à elle toute la nuit, & j’irai demain lui faire ma cour, & lui offrir mes soins. Vous serés peut-etre surpris, de ce que j’ai perdu sitot ma liberté ; mais, est-on le maître de son cœur ? Et un cœur tendre, peut-il ne pas s’enflamer, quand deux beaux yeux le remplissent de sentimens & de desirs ? J’ai l’honneur d’ètre &c.
Ces Feüilles se débitent chez le seul Mr. , Fabricant de Tabac, au vieux Strand. Le Mécredi <sic> & le Samedi.